Déclaration de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle de 2007, sur l'engagement politique en faveur du Pacte écologique de Nicolas Hulot, Paris le 31 janvier 2007.

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Circonstance : Signature du "Pacte écologique" de Nicolas Hulot par 10 candidats à l'élection présidentielle, au Musée des Arts premiers à Paris le 31 janvier 2007

Texte intégral

Merci d'avoir organisé cette rencontre.
Je ne participe pas du tout aux remarques aigres-douces de ceux qui disent : Mais enfin, on vous fait comparaître." Je crois au contraire que c'est très utile. Je dis cela à Nicolas Hulot. Qu'on puisse organiser de cette manière un peu solennelle, un peu formelle, ce qu'est l'esprit du Pacte écologique que vous avez proposé ensemble, c'est-à-dire pour la première fois, un engagement trans-partisan qui dépasse les frontières. Et vous savez combien je suis intéressé à cette idée. Afin que ce soit une politique voulue par l'ensemble de la Nation, dont seront responsables ceux qui seront élus.
Lorsque j'ai commencé de m'intéresser à ce sujet il y a plusieurs années, je l'ai fait en travaillant longuement avec GreenPeace de même qu'avec Jean-Marc Jancovici, par exemple, j'ai voulu en premier lieu mesurer quelle était la gravité, la réalité du problème qui se posait à nous. Quand je dis à nous, ce n'est pas à la France évidemment que le problème se pose, c'est à l'ensemble de l'Humanité. Pour la première fois dans son Histoire, l'Humanité est confrontée à une menace qui la touche non pas en tant qu'ensemble de Nations, unité politique, l'Humanité est confrontée à une menace qui touche la Terre, comme planète sur laquelle nous sommes installés, et l'Humanité en tant qu'espèce.
Quand on parle des influences du climat sur la biodiversité et sur les espèces avec peut-être un million d'espèces qui sont menacées comme vous le savez mieux que moi, il ne faut pas oublier aussi que l'Humanité pour la première fois est sous cette épée de Damoclès qui pend au-dessus de sa tête. Ce qui m'a frappé en conduisant ce travail, c'est l'unanimité des scientifiques. C'est très frappant parce qu'il y a peu de sujets sur lesquels une telle unanimité se soit dégagée dans l'univers des scientifiques. J'ai en tête comme vous, à la fois la réunion qui a lieu en ce moment à Paris, mais aussi le chiffre qu'Al Gore a indiqué dans sa contribution, dans son film.
Je crois qu'il dit qu'il y a 924 rapports majeurs sur le sujet qui tous vont dans le même sens. Unanimité des scientifiques, pour signaler la gravité du problème, c'est-à-dire l'accélération du problème devant lequel nous sommes. Je rencontrais récemment à l'Ifremer des scientifiques spécialistes dans l'évolution du climat et l'observation des océans qui me disaient que selon eux, nous étions dans la fourchette la plus haute de l'aggravation de la dégradation du climat. Si c'est le cas, alors vous connaissez mieux que moi les scénarios qui sont évoqués. On va jusqu'à parler en un siècle d'un réchauffement de la planète de l'ordre de cinq degrés, c'est le haut de la fourchette dans laquelle vous êtes. Il y a même des chiffres qui sont encore plus graves. Cinq degrés comme vous le savez, c'est plus que la différence entre le climat d'aujourd'hui et les grandes glaciations qui faisaient que le nord de l'Europe tout entier était recouvert par l'immense glacier que vous savez.
C'est donc une menace qui n'est pas une menace simplement sur le confort de l'Humanité, mais peut-être sur la survie de l'Humanité qui affectera notre espèce durablement. Devant la gravité de cette menace, il y a une question politique qui se pose. Je voudrais, si vous le voulez bien, répondre à cette question politique de ma manière qui mettra l'accent sur des choses que vous avez dites mais que je voudrais reprendre à mon tour, de manière différente. La responsabilité majeure de la France à mon sens, devant cette affaire, est une responsabilité de l'ordre de l'influence internationale de notre pays. Quand bien même, évidemment la phrase que je vais prononcer est de l'ordre de l'impossible, nous parviendrions à réduire à zéro nos émissions de gaz à effet de serre, vous voyez ce que cette affirmation peut provoquer comme fous rires ou comme naïveté... Mais quand bien même nous arriverions à des performances jamais atteintes en matière de réduction de l'émission de gaz à effet de serre, évidemment la situation du climat sur la planète et de l'air que nous respirons, y compris à l'intérieur de nos frontières hexagonales, ne changerait en rien. Parce que, s'il y a un sujet sur lequel nous vérifions que nous sommes une petite planète avec un patrimoine unique, c'est bien l'air que nous respirons. Comme chacun sait, cet air ne connaît pas de frontières. Il se déplace en altitude à plus de deux cents kilomètres à l'heure en moyenne.
Donc nous avons un problème comme espèce dont le traitement politique ne peut être qu'un traitement de prise de conscience internationale. Quand on mesure cela, on voit que nous avons devant nous une responsabilité comme politiques censément destinés à occuper des responsabilités dans notre pays, c'est de forger des instruments qui permettront à l'Humanité pour la première fois d'avoir un traitement politique d'un problème qui la concerne toute entière. Ce qui signifie que la responsabilité majeure, pardon de faire passer cela avant les cinq engagements que vous avez illustrés et que tout à l'heure je signerai, la responsabilité majeure du président de la République sera d'avoir l'obsession d'imposer à la communauté internationale un agenda qui prendra en compte les problèmes climatiques et de la biodiversité à la surface de la Terre.
Naturellement, vous mesurez que ceci est une préoccupation extrêmement lourde parce que pays développés et riches nous sommes, et nous avons en face de nous des pays en voie de développement, c'est-à-dire en retard de développement pour un grand nombre d'entre eux, le rapport de consommation d'énergie et d'émission de gaz à effet de serre entre eux et nous étant de l'ordre de un à trente. Vous avez les deux tiers de l'Humanité qui sont dans une pauvreté très grande qui émettent un de gaz à effet de serre et nous, nous émettons trente. Nous, Américains, Européens, les Français un peu moins en raison des centrales nucléaires. Nous émettons trente. La condescendance qui voudrait que nous interdisions à ces deux tiers de l'Humanité de trouver à leur tour un degré de développement, c'est-à-dire un degré de consommation d'énergie convenable pour leur permettre d'accéder au développement, c'est une question politique pour l'Humanité.
Cela signifie aussi pour moi que le président de la République française doit forcer à cet agenda mais que dans le même temps, ce président de la République doit bâtir une conscience européenne, une action politique européenne autour de ce sujet. Si la France demeure isolée, elle sera impuissante. Vous ne vous étonnerez donc pas que je défende ici l'idée que nous bâtissions une Europe qui soit autre chose qu'une zone d'échanges commerciaux, qui soit une puissance politique capable de se saisir de problèmes de cette ampleur.
Je voudrai reprendre les cinq idées, ou les cinq engagements en y apportant quelques illustrations dans les cinq minutes et trente-deux secondes qui me restent. A propos de l'idée que Nicolas Hulot avait présentée avec force qui est celle d'un vice-premier ministre chargé du développement durable, d'un numéro deux du gouvernement ayant autorité chargé de cette question, dans un premier temps, j'avais en discutant avec lui, dit quelles étaient mes interrogations parce que j'avais comme lecteur moyen, comme citoyen moyen, entendu qu'il s'agissait de faire du ministre de l'écologie le numéro deux du gouvernement. J'ai été très intéressé en discutant avec lui de constater que ce n'était pas de cela qu'il s'agissait. C'est la raison pour laquelle je l'ai acceptée. L'action gouvernementale est généralement une action sur le court terme. Les impératifs qui sont ceux de problèmes comme le climat et bien d'autres problèmes de la société française relèvent du long terme.
Je considère donc que c'est une avancée utile, peut-être même essentielle, d'installer au centre de l'action gouvernementale avec autorité sur, Nicolas Hulot a dit sur les préfets, je ne suis pas sûr que les préfets soient l'essentiel, mais sur des rouages essentiels de l'Etat, quelqu'un dont la mission soit d'avoir une vision à long terme en disant : " Attention, les décisions que vous êtes en train de prendre auront des conséquences pour certaines d'entre elles néfastes." Permettez-moi de noter que, si l'on avait eu ce numéro deux du gouvernement chargé du long terme, il n'aurait pas laissé s'accumuler les 1153 milliards d'euros de dette que nous avons sur les épaules et qui vont grever lourdement la situation du pays et de ceux qui vont avoir la charge de travailler. Le durable impose que l'on puisse trouver des équilibres et une harmonie qui soient utiles au travers du temps. J'ai donc accepté cette idée. Je la trouve intéressante.
La deuxième idée à laquelle, depuis longtemps, j'ai adhéré, et que le premier Jean-Marc Jancovici m'a exposé, c'est une idée très importante, difficile à mettre en oeuvre, qui va demander du courage de la part des gouvernants, c'est l'idée d'une taxe carbone notamment sur les carburants fossiles en croissance régulière. C'est une idée stratégique. Ce n'est pas une idée pour dire : "Je punis pour obtenir un résultat." C'est une idée stratégique parce que c'est une idée qui signifie qu'on transforme chacun des consommateurs d'énergie en acteurs intéressés d'une société différente et d'une action d'économie d'énergie qui s'adresse à chaque foyer et à chaque entreprise. J'ai insisté beaucoup dans les conversations que j'ai eues sur ce sujet tant avec Nicolas Hulot qu'avec Jean-Marc Jancovici et d'autres, sur l'idée qu'il fallait un préavis. Autrement, ce sont les gens en difficulté, les plus pauvres, qui vont avoir un problème devant eux. Un préavis et que tout le monde sache que sur dix ans ou quinze ans, ce que va être la croissance de cette taxe, que chacun y soit intéressé.
Réorienter les subventions agricoles vers une agriculture de qualité, j'adhère à cette idée en pensant aussi que nous allons devoir réorienter le modèle agricole de la planète. Je dis cela au passage, ce n'est pas spécialement dans le Pacte écologique, mais la manière dont nous avons traité l'Afrique en déversant sur elle des millions de tonnes de céréales à prix bradés parce que nous avons donné des primes pour effondrer le prix de ces céréales, je considère cela comme criminel. C'est non-assistance à personne en danger. Ou à continent en danger. Nous arrachons des millions de paysans de leurs terres. Nous les jetons dans des bidonvilles. Ces paysans n'ont aucun espoir de conserver les repères de société, de civilisation, de familles, de traditions qui étaient les leurs. Nous sommes criminels. Cette réorientation-là est au moins aussi importante que les autres.
Systématiser les procédures de démocratie participative. Il me semble que... Je n'utilise pas le mot au sens publicitaire du terme qu'il a aujourd'hui. Mais je l'utilise au sens profond d'instances nouvelles à inventer pour que la société puisse s'exprimer comme un acteur essentiel en face de l'Etat. Et enfin je finis par ce que j'aime le plus : grande politique d'éducation et de sensibilisation. J'adhère à ce sujet comme quelqu'un qui considère que l'éducation en matière de transmission de savoirs et de responsabilité civique est la question-clef de l'avenir d'un pays et d'un continent comme le nôtre.
Je vous remercie. "source http://www.bayrou.fr, le 7 mars 2007