Réponse de Mme Ségolène Royal, députée PS et candidate à l'élection présidentielle de 2007, à un courrier de M. Alain Olive, secrétaire général de l'UNSA, le 21 mars 2007, sur les principaux défis économiques et sociaux auxquels est confrontée la France, et les propositions contenues dans le pacte présidentiel qu'elle entend proposer.

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Texte intégral

Monsieur le Secrétaire général,
Vous m'avez fait parvenir un courrier et un document comprenant les grandes orientations de votre organisation syndicale sur l'ensemble des principaux défis économiques et sociaux auxquels sont confrontés notre pays.
Je vous remercie pour cette riche contribution dont j'ai pris connaissance avec attention. Je me permets, en réponse, de vous adresser les grandes lignes du pacte présidentiel que je propose aux Françaises et aux Français, sur chacun des thèmes abordés dans votre courrier.
Je partage avec vous l'analyse que l'adaptation de notre société à l'évolution de la mondialisation passe par le renforcement et la rénovation de notre modèle social, en aucun cas par sa remise en cause ou sa réduction à la portion congrue.
Cette évolution nécessaire de notre modèle social implique d'abord une réforme en profondeur des règles et des contours de notre démocratie sociale. Le droit syndical et de la négociation collective ne peut continuer à fonctionner sur la base de principes qui pour la plupart datent de la Libération et n'ont que peu évolué depuis. En effet, la représentativité des organisations syndicales reste aujourd'hui fondée sur une liste établie au lendemain de la guerre et figée dans un arrêté de 1966. Dans un environnement qui impose un renforcement de la légitimité des acteurs sociaux et de la place des accords qu'ils concluent, ce système est à bout de souffle.
C'est pourquoi je propose que la représentativité syndicale soit désormais fondée directement sur le vote des salariés, et que le principe des accords majoritaires, c'est â dire ceux qui sont signés par des organisations syndicales représentant la majorité des salariés, soit établi à tous les niveaux de la négociation collective. Ainsi, les partenaires sociaux et les normes qu'ils édictent seront légitimés et renforcés. A ces réformes devra s'ajouter une refonte du financement de l'activité syndicale : je souhaite que les déductions d'impôts liées à l'adhésion syndicale soient renforcées et transformées en crédit d'impôt afin de bénéficier également aux Français non assujettis à l'impôt sur le revenu, et qu'un mode de financement public des organisations syndicales soit institué, sur la base des résultats du scrutin de représentativité. Enfin, les salariés devront être représentés, par le biais de leurs organisations syndicales, avec voix délibérative, dans les conseils d'administration et les conseils de surveillance des grandes entreprises.
Cette réforme d'ensemble de la démocratie sociale permettra de donner plus de place aux partenaires sociaux dans le fonctionnement de nos institutions. J'entends en effet que préalablement à toute réforme en matière sociale, un temps soit systématiquement réservé à concertation et à la négociation sociale.
L'augmentation du pouvoir d'achat a nettement ralenti ces dernières années, et la première cause en est la faible augmentation des salaires, en particulier chez les ouvriers et employés. Il est donc impératif de mener une politique salariale audacieuse. Je suis favorable à une augmentation du SMIC à 1500 euros, le plus rapidement possible au cours de la prochaine législature. Mais pour que cette augmentation du SMIC ne conduise pas à un tassement de l'échelle des salaires et pour garantir qu'elle se répercute sur l'ensemble des grilles salariales, je souhaite que soit réunie une conférence salariale annuelle, associant représentants de l'Etat et des partenaires sociaux, qui serait chargée de négocier des revalorisations salariales dans toutes les branches professionnelles.
Nous devons faire en sorte que les salariés ne soient plus les premières et principales victimes des aléas de la vie économique. La sécurité sociale professionnelle que j'entends mettre en oeuvre répondra à cet objectif. Elle permettra en effet à chaque personne privée d'emploi de se voir proposer par les pouvoirs publics un contrat de droits et de devoirs, comportant une rémunération au moins égale à 90 % du dernier salaire net perçu, une formation qualifiante, et une aide personnalisée à la recherche d'emploi. De même, une démarche de validation des acquis de l'expérience et un droit à la formation et à la reconversion inversement proportionnel à la durée de la formation initiale seront institués en faveur de tous les salariés menacés ou victimes de licenciement économique. Ces orientations impliquent à l'évidence une réforme du service public de l'emploi, par rapprochement des services de l'ANPE et de l'UNEDIC, une augmentation des moyens matériels et humains et une réelle individualisation du suivi des demandeurs d'emploi.
Les discriminations au travail, comme dans toutes les sphères de la société, minent en profondeur notre contrat social et font douter nombre de nos concitoyens des principes républicains. L'égalité hommes-femmes doit être pleinement assurée dans les entreprises : c'est pourquoi je suis favorable à l'élaboration d'une charte pour l'égalité d'accès et l'égalité de traitement, ouverte à l'adhésion des entreprises et des services publics. L'Etat doit également s'engager à promouvoir une promotion égale des hommes et des femmes pour les emplois de responsabilité. Mais ce sont aussi les discriminations liées à l'apparence physique, à l'origine, au patronyme, au lieu de résidence, qui ne peuvent plus être tolérés. C'est pourquoi je propose que les moyens dévolus à la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations soient renforcés (campagnes éducatives, généralisation des pratiques de testing, etc.). J'entends également faire de la lutte contre les discriminations un objet de dialogue social et de négociation syndicale dans les branches et les entreprises avec la mise en place d'un bilan annuel de l'égalité équivalent au bilan social dans chaque entreprise pour permettre une évaluation de la politique de recrutement.
La réforme Fillon sur les retraites n'a pas pérennisé le financement du système par répartition et n'a pas répondu à la nécessaire prise en compte de la pénibilité de certains métiers dans le calcul des pensions. Il sera donc nécessaire de remettre à plat ce dossier décisif. Une grande négociation devra ainsi être engagée avec l'ensemble des partenaires sociaux, et aboutir au début de l'année 2008, sur la base des objectifs suivants :
- un minimum de pension garantie s'approchant progressivement du SMIC ;
- l'augmentation de 5 % des petites retraites ;
- la prise en compte de la pénibilité du travail et des métiers ainsi que des charges de famille ;
l'augmentation du taux d'emploi des seniors, aujourd'hui trop souvent poussés vers la sortie ;
- le mode de financement des régimes spéciaux ;
- la remise à niveau du Fonds de Réserve des Retraites.
En matière de santé, l'accent devra d'abord être mis sur la prévention : un grand plan de prévention et de recherche des maladies graves (cancer, SIDA, Alzheimer, maladies orphelines) sera mis en oeuvre. La médecine scolaire et universitaire, ainsi que la médecine du travail, seront renforcées, et le droit à la CMU réaffirmé. Un effort sera ensuite fait à destination des jeunes, avec la création d'une carte santé jeune 16/25 ans ouvrant droit à la gratuité d'une consultation par semestre. La question du développement de l'obésité fera l'objet d'une attention particulière. Les conditions d'attribution de l'allocation adultes handicapés (AAH) sera adaptée aux maladies évolutives à diagnostic incertain. Enfin, un financement pérenne de l'hôpital public sera assuré de manière à lui permettre de faire face à toutes ses missions en veillant à l'égalité territoriale d'accès aux soins. Des dispensaires seront créés, notamment dans les zones rurales et dans les quartiers.
L'avenir de l'Etat dépend de notre capacité à le faire évoluer. La réforme de l'Etat, dans ses contours, ses missions et la répartition de ses moyens, sera conduite en concertation avec les agents et leurs représentants syndicaux, sur la base d'un diagnostic partagé. Si des économies peuvent être faites en évitant les doublons de certains services, d'autres tels que l'éducation ou la recherche ont besoin de plus de moyens. La diminution du poids de l'Etat central et l'approfondissement de la régionalisation réduiront le coût d'ensemble de la fonction publique. Une nouvelle étape de la décentralisation devra être menée, chaque nouveau transfert de compétences devant être accompagné de l'allocation des ressources correspondantes. Seront notamment régionalisés l'entretien et de la construction des prisons et des tribunaux, le financement de l'immobilier des universités ou les programmes de logement pour les jeunes. Plus proche des citoyens, l'Etat dépensera moins et plus efficacement.
Face à la situation très préoccupante du logement dans notre pays, il conviendra de privilégier une politique volontariste et poser le principe de la limitation à 25 % du montant des dépenses de logement pour les ménages modestes, grâce à une augmentation des allocations logement. Il faudra également être plus ferme dans l'application de la loi SRU pour que l'obligation de 20 % de logements sociaux soit respectée sur tout le territoire. L'Etat se substituera à la carence des communes qui s'enferment dans l'égoïsme territorial en y lançant lui-même les programmes de logements nécessaires. Les nombreux logements vacants spéculatifs seront mis en location. Les communes pourront procéder à des acquisitions-réquisitions.
J'ajoute mon engagement de construire, grâce à l'encouragement au livret A, 120.000 logements sociaux construits chaque année, afin de combler progressivement le retard accumulés ces dernières années. Un service public de la caution sera mis en place afin de sécuriser les propriétaires. Les communes seront tenues de respecter l'obligation d'avoir un logement d'urgence pour 1000 habitants, sous peine de sanction financière.
Sur la question européenne, je me battrai pour la construction d'une Europe plus protectrice et plus en phase avec les besoins de ses citoyens. Il conviendra en effet de mettre en place rapidement, avec nos partenaires, des politiques communes ambitieuses sur les enjeux majeurs que sont la recherche et l'innovation, l'énergie, l'environnement ou le développement des services publics. L'objectif de croissance et d'emploi devra être inscrit dans les statuts de la Banque centrale européenne ; et il conviendra de tirer vers le haut le niveau de vie et la protection sociale. Enfin, je souhaite relancer les négociations d'un traité institutionnel, soumis en France à référendum, pour que l'Europe fonctionne de manière plus démocratique et plus efficace.
J'espère vois avoir répondu aux différents éléments de votre courrier, dont je tiens à nouveau à vous remercier.
Je vous pire de recevoir, Monsieur le Secrétaire général, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
Source http://www.unsa.org, le 12 avril 2007