Déclaration de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle, notamment sur son projet en faveur du renforcement de l'éducation dans les quartiers en difficulté, à Nîmes le 30 mars 2007.

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Circonstance : Déplacement à Nîmes, le 30 mars 2007

Texte intégral

Mes chers amis, je suis très ému et très impressionné par le nombre que vous formez, vous qui avez rempli cet immense hall, par votre présence si nombreuse, la présence si nombreuse notamment de jeunes qui m'entourent, et que vous pouvez applaudir, dans la salle et à cette tribune.
Je veux saluer les personnalités qui m'ont accompagné et accueilli. Je remercie Jean-Marie Cavada, député européen de cette circonscription, Corinne Lepage, qui a décidé de me rejoindre et mon ami Yvan Lachaud, combattant infatigable, animateur de notre famille politique dans cette ville de Nîmes qui croît et qui avance.
Je voudrais saluer, en votre nom, les traducteurs en langue des signes qui traduisent cette réunion pour les sourds et malentendants.
On a eu une journée formidable. On a eu, hier soir, un meeting extraordinaire à Rennes et, suite à des problèmes au retour, l'avion s'est posé quelque part, ce qui fait que notre soirée s'est achevée quelque part autour de 3 heures ou 3 h 30 du matin. On a recommencé, ce matin, avec Nicolas Hulot que j'ai rencontré pour la suite du pacte écologique. Nous sommes venus en Avignon et l'accueil était extraordinaire dans les rues d'Avignon, extraordinaire de la part de centaines et centaines de personnes, centaines et centaines de jeunes, centaines et centaines de femmes et d'hommes de tous milieux sociaux et de toutes origines qui sont venus nous manifester leur soutien, toujours avec les mêmes mots : C'est la première fois depuis longtemps qu'on y croit. C'est la première fois depuis longtemps que l'on va s'engager à ce point pour un combat politique. C'est la première fois depuis longtemps que l'on va soutenir quelqu'un comme on vous soutient et, s'il vous plaît, ne nous décevez pas."
C'est le message que l'on entend loin, partout en France et je voudrais vous faire partager ce sentiment. Ce n'est pas un message politique, ce n'est pas un message partisan, ce n'est pas un message de combat politique. C'est le message d'un pays tout entier qui, après vingt-cinq années d'expérience décevante, a décidé qu'il était résolu désormais à tourner une page et à bâtir son avenir d'une manière différente de celle qui lui était promise, à bâtir son avenir positivement de manière constructive, à tourner le dos aux décennies pendant lesquelles la France s'est divisée et opposée pour entrer dans une décennie nouvelle dans laquelle la France allait se rassembler pour se reconstruire.
Tout à l'heure, Lionel Jospin était à Nîmes pour manifester son soutien à Ségolène Royal et il a dit quelque chose que l'on m'a fait écouter à la radio et que je voudrais vous rapporter : " Mais, Mesdames et Messieurs, c'est très simple, il n'y a pas de place pour le centre en France. En France, il n'y a de place que pour la droite et la gauche et c'est cela, après tout, qui est, aujourd'hui, hier et demain, le seul choix proposé aux Français."
J'ai beaucoup de considération naturellement pour ceux qui ont exercé des fonctions dans la République française, mais je veux rappeler ceci à Lionel Jospin. La dernière fois, son bilan était si excellent et si remarquable qu'il a atteint, en tout et pour tout, 16 % et qu'il n'a même pas été qualifié pour le deuxième tour de l'élection présidentielle.
Cela prouve qu'il y a un très grand nombre de Français qui, déjà, à cette époque, considéraient que le choix qu'on leur imposait entre le parti socialiste et ce qu'allait devenir l'UMP n'était pas celui qui correspondait à leur attente profonde.
Ils y voyaient déception et échec et, d'une certaine manière, ils cherchaient, de façon un peu désordonnée, un peu erratique, à renverser le château de sable dans lequel étaient si confortablement installés les deux sortants de l'époque et dans lequel voudraient s'installer aujourd'hui les deux candidats du PS et de l'UMP qui tiennent le pouvoir depuis vingt-cinq ans.
Déjà en 2002, il y avait cette attente, cette recherche difficile à l'époque, par le peuple français, d'un moyen d'imposer à notre pays un paysage politique différent, une situation politique, une démarche politique dans laquelle il pourrait trouver de l'espoir, de l'espérance, de la volonté de construire et pas éternellement les combats des mêmes contre les mêmes.
Je suis obligé de rappeler à M. Jospin que, en France, ce ne sont pas l'état-major du parti socialiste et l'état-major de l'UMP qui décident ce qui est bon ou non pour le pays. Ceux qui décident ce qui est bon ou non pour le pays, au moment de l'élection présidentielle, ce sont les citoyens français et c'est le peuple souverain.
Il se trouve que le peuple souverain a désormais la possibilité, le pouvoir de montrer qu'il veut une autre approche.
J'ai longuement pensé à cela hier soir, parce que, hier soir, comme vous le savez, il y a eu, pour la énième fois, des émeutes à la Gare du Nord qui ont mis en présence ou organisé l'affrontement, pendant des heures et des heures, des forces de sécurité d'un côté et d'un certain nombre de jeunes, comme l'on dit, de l'autre, à propos du contrôle d'un ticket de métro.
C'est dire à quel point la situation est aujourd'hui tendue, explosive dans un certain nombre de secteurs de notre pays.
Je me disais, en entendant ces informations : vraiment, si l'on devait chercher quelque part la preuve de l'échec qui a été celui des majorités successives pendant vingt-cinq ans, la situation des banlieues dans notre pays en atteste. Il y a vingt-cinq années que les uns et les autres ont laissé se dégrader la situation des banlieues au point qu'il y a désespoir d'un côté et inquiétude de l'autre, impression d'échec d'un côté et insécurité de l'autre.
Ceci n'est plus acceptable pour un pays comme la France. Nous avons le devoir de proposer une autre issue et un autre chemin pour que la France se reconstruise notamment dans ses banlieues qui sont aujourd'hui le signe de son échec.
C'est reconstruire que nous voulons et c'est pour cela que nous sommes là.
Voyez-vous, je ne sais pas si vous avez observé ceci : le drame des banlieues, la situation des banlieues, qui inquiète à ce point la France, avec des émeutes sporadiques et ce que nous avons connu au mois de décembre 2005, des émeutes qui se répandaient comme une contagion, est une situation française. C'est notre pays qui connaît ce genre d'émeutes. Un certain nombre d'autres pays, qui ont eu pourtant des apports de populations arrivées de loin, n'ont pas ce genre de difficultés.
Si l'on réfléchit à la situation des banlieues, si l'on cherche l'origine de ce qui s'est passé, alors, on la trouvera dans la manière dont on a laissé urbaniser la France en enfermant les pauvres avec les pauvres, en acceptant que se constituent des ghettos qui sont des ghettos de l'origine, des ghettos du chômage avec plus de 40 % de chômage dans certains quartiers, des ghettos où l'école est en situation difficile, où s'ajoutent les problèmes sociaux aux problèmes culturels. C'est parce que nous avons accepté que l'on coupe la France entre ceux qui étaient plus favorisés et ceux que l'on abandonnait au dénuement le plus complet que l'on est aujourd'hui dans la situation de crise qui est devant nous.
Les conséquences ont des causes. Ce sont les causes qu'il faut soigner. Il faut naturellement essayer de cicatriser les conséquences, mais ce sont les causes qu'il faut soigner et ce sont des causes que je voudrais parler devant vous en commençant par l'urgence.
Il n'est pas possible de laisser perpétuellement monter le climat de tension et d'affrontement qu'il y a dans notre pays depuis des années. Deux politiques se sont succédées : d'une part, celle du parti socialiste qui a été une politique laxiste pendant des années, qui a refusé de voir la situation réelle du pays et notamment celle des classes populaires qui étaient les premières exposées à l'insécurité et au chômage et, d'autre part, la politique de l'UMP que Nicolas Sarkozy a conduite pour l'essentiel et qui a reposé sur un choix, celui de supprimer la police de proximité, de faire en sorte que la police soit essentiellement chargée de la répression, ce qui a entraîné ou exposé les fonctionnaires de police à une situation que beaucoup d'entre eux regrettent aujourd'hui, dont beaucoup d'entre eux s'inquiètent aujourd'hui. Au lieu d'apparaître comme celles et ceux qui accompagnent la construction de la sécurité, ils apparaissent à de très nombreux habitants des quartiers comme uniquement chargés de la répression.
Je crois qu'il y a des cas où il faut faire de la répression. Je suis pour la fermeté, je ne suis pas angélique. Je sais qu'il y a des choses qui ne sont pas acceptables, mais je crois aussi que l'autre visage, l'autre volet de la répression, c'est la prévention et l'accompagnement et qu'on a le droit, le devoir de demander à l'État, en France, d'assumer ces deux missions qui sont les siennes. Il faut qu'il fasse, en effet, de la sanction quand la sanction est nécessaire et qu'il fasse de la prévention et de l'accompagnement quand on peut encore empêcher d'apparaître les délits ou les forfaits que nous regrettons tous. Il y a besoin des deux aspects. La France a besoin d'une politique d'équilibre.
Ces deux politiques, au travers du temps, ont été des politiques de déséquilibre et tout le monde l'a compris, tout le monde le voit.
Oui, plus que jamais, je pense que ce n'est pas dans l'affrontement et l'opposition que se résolvent les problèmes du pays. Les problèmes du pays se résolvent par une politique intelligente, différente, compréhensive -c'est le mot le plus juste- une politique de compréhension de la réalité des difficultés qui sont celles de notre peuple.
Je vais vous dire ce que sont, pour moi, quelques pistes pour que la situation change effectivement dans les banlieues françaises. La première de ces pistes est celle-ci : je considère que ces banlieues vivent aujourd'hui dans un désert de l'État, un abandon de l'État. L'État est, en France, omniprésent, partout où tout va bien et il est devenu totalement absent partout où tout va mal.
État de sécurité et État de service public.
Naturellement, quand vous allez dans les sixième et septième arrondissements de Paris, qui ne sont pas les quartiers les plus criminogènes, en tout cas du point de vue de l'ordre public, vous avez tous les signes extérieurs de l'État. Vous avez des voitures officielles, des vitres fumées, des uniformes, des drapeaux à toutes les portes ou presque. Vous avez des agents de police et de sécurité, des administrations. L'État est omniprésent, parce que tout va bien dans ces quartiers.
Puis, dans les banlieues et, d'ailleurs, dans le monde rural profond -parce que c'est le même problème, le même phénomène devant lequel notre société, qui était une société d'égalité, se trouve aujourd'hui- l'État a complètement disparu.
Eh bien, mes chers amis, je veux que l'État soit réimplanté, réenraciné, qu'il revienne là où les choses sont difficiles. Je veux que l'État soit de retour dans les banlieues et dans le monde rural.
L'État de sécurité, bien sûr, parce qu'encore une fois il faut de la sécurité et de la sécurité proche, de la sécurité où les fonctionnaires de police connaissent les jeunes fragiles qui font des bêtises -j'allais employer un autre mot- et puissent les appeler par leur nom, discuter avec eux.
Il faut des personnels de sécurité, mais il faut aussi tout le reste. Il faut des services publics, il faut la Poste. On a besoin de postes en milieu rural et on a besoin de postes dans les banlieues.
J'étais, l'autre jour, au Val Fourré et, là-bas, il n'y a pas beaucoup d'hommes politiques qui vont passer une journée. Les personnes que je rencontrais sur le marché m'expliquaient que, quand elles devaient envoyer ou recevoir un mandat, elles devaient quelquefois attendre six heures, parce que la Poste avait désormais si peu de personnels que c'était bondé et, quand vous demandez comment on fait pour recevoir un pli recommandé, alors, vous vous apercevez que c'est une galère.
On nous raconte que c'est l'Europe qui exige que, désormais, des règles nouvelles viennent organiser la concurrence à l'intérieur de ces services publics. Eh bien, moi, qui suis un militant européen profond, je considère que la raison d'être de l'Europe, la première, ce n'est pas d'organiser la concurrence, mais de défendre les valeurs qui sont les nôtres, nos valeurs de société, nos valeurs de civilisation dans le monde, comme il est de les défendre et de les porter vers l'avenir. L'Europe, ce sont des valeurs, ce ne sont pas des normes commerciales.
Excusez-moi de le dire, je vais peut-être me faire mal voir, mais je considère que cela n'a pas été un progrès de remplacer le 12, auquel tout le monde était habitué, avec des opératrices françaises, par des numéros, premièrement, que l'on a bien du mal à se remémorer et, deuxièmement, dont personne ne sait à quelle entreprise ils correspondent et dont personne ne sait, au bout du compte, le nombre de centaines d'emplois que l'on a fait perdre à notre pays pour les faire passer. Je trouve que cela marchait mieux avant et je considère que la concurrence n'a pas raison à tous les coups.
Et donc, en effet, je veux défendre, pour notre pays, les services publics. Je veux qu'ils soient coordonnés. J'ai avancé une idée, j'ai dit : dans tous ces quartiers en difficulté, dans tous ces quartiers de banlieue fragiles, dans tous ces quartiers où cela va si mal, il faut qu'il y ait désormais un représentant de l'État à demeure qui coordonne l'action de l'État sécurité et l'action de l'État service public.
J'ai même dit : il faut que ce soit un sous-préfet avec obligation de résidence, qui soit chargé de répondre, devant tous les citoyens, de la réalité de l'action publique, comme, autrefois, dans les campagnes, les sous-préfets répondaient de la réalité de l'organisation de l'État sur le terrain.
Alors, on me dit : " Mais, enfin, vous n'y pensez pas ! Vous savez bien que, dans les rangs de la Préfectorale, avec les formations éminentes qui sont les leurs...." et notamment la formation de l'École nationale d'administration pour laquelle j'ai naturellement le plus grand respect, bien que j'aie l'intention d'en changer assez profondément l'organisation.
Je ne veux pas en disant cela déplaire à Ségolène Royal pour laquelle je n'ai naturellement que du respect.
Donc, oui, je pense qu'il faut sortir de la culture de l'École nationale d'administration et retrouver l'État de terrain, l'État qui est présent sur le terrain, l'État qui connaît la réalité des choses.
Alors, on nous dit : " Mais, étant donné l'ENA, personne n'acceptera d'aller dans vos postes de sous-préfet chargé de coordonner l'action de l'État dans les quartiers en difficulté."
Eh bien, Mesdames et Messieurs, si personne n'accepte d'y aller, alors, nous allons trouver, dans la société française, y compris dans ces quartiers-là, des jeunes femmes et des jeunes hommes qui auront l'intention de servir leur pays, leur quartier et leurs concitoyens et de faire en sorte que, désormais, on retrouve le sens de l'État présent et de service public.
Je ne veux pas croire que des fonctionnaires refuseront des affectations de cet ordre, mais, si c'est le cas, cela va, au contraire, nous permettre de renouveler le personnel administratif et politique français.
Voyez-vous, on a trop souvent baissé les bras, courbé le dos, en disant : "Il n'y a rien à faire. Ce sont des situations tellement difficiles." Mes chers amis, il y a tout à faire.
Si nous sommes là, c'est parce que nous voulons que tout change et que nous n'acceptons pas que tout demeure comme cela a été pendant des décennies, c'est-??-dire dans l'échec, la déception et le délabrement de la société française.
Nous voulons que tout change, c'est pourquoi nous sommes là, et notamment parmi les services publics auxquels il faudra réfléchir dans cette coordination nouvelle, présente sur le terrain et y habitant, ayant obligation de résidence. Ce sera un État qui n'est plus l'État extérieur, qui arrive sous forme d'opérations coup de poing, mais un État enraciné qui est là, qui vit avec les habitants, qui les connaît et qui répond devant eux des situations de difficulté.
Eh bien, dans ce réenracinement de l'État, il y a une chose naturellement qu'il faudra observer avec le plus grand soin de la part de ces coordinateurs, c'est la situation de l'école dans les quartiers en difficulté, parce qu'il n'y a, en réalité, qu'un seul enjeu pour l'avenir de la France, un seul enjeu qui réponde des problèmes de sécurité, qui réponde des problèmes d'égalité des chances, qui réponde de la modernisation de notre nation, de la capacité de la France à faire face au défi de la mondialisation, il n'y a qu'un mot et qu'une réponse : pour chacune des filles, pour chacun des garçons, pour chacune des familles, pour chacun des quartiers et pour tout le pays, la seule clé qui permette d'ouvrir cette porte vers l'avenir, c'est l'école. C'est par l'école qu'il faut que commence une politique de rénovation et de justice sociale dans la société française et j'ai l'intention d'être le défenseur de l'école.
Voyez-vous, depuis longtemps, j'ai réfléchi, observé et même participé à la réalité de l'Éducation nationale en France. Pendant longtemps, je me suis demandé ce qu'étaient les clés qui permettraient un jour à notre pays de remplir l'objectif qui devrait être le sien : la France, pays puissant, pays respecté, comment se fait-il que cette France décline dans tous les classements internationaux ? Comment se fait-il qu'un pays comme le nôtre en soit, en effet, à subir cette disgrâce de voir que nous, hier, on enviait, on nous regarde aujourd'hui avec un peu de commisération, notamment en matière d'Éducation nationale, que s'est-il passé et que devons nous faire pour que cela change ?
Je vais vous dire ce que je pense nécessaire de faire et c'est particulièrement vrai en banlieue, plus encore que dans les quartiers favorisés ou dans les centres-villes qui sont réputés, comme vous le savez, pour être des fabriques de futurs champions universitaires.
La première des choses, c'est qu'il faut que la nation se mette en situation, non pas perpétuellement de regarder l'Éducation nationale comme un bouc émissaire de toutes ses faiblesses, mais qu'elle considère que l'Éducation nationale mérite d'être soutenue et encouragée, tant est difficile la tâche qu'on lui a assignée.
Voyez-vous, je me souviens, ministre de l'Éducation nationale, d'avoir eu une question qui me revenait, qui m'inquiétait perpétuellement et cette question était celle-ci : on dit habituellement que réussissent à l'école les enfants des familles déjà culturellement favorisées. A partir d'une famille culturellement favorisée, les enfants ont beaucoup plus de chances de réussir à l'école qu'à partir d'une famille défavorisée et les enfants, hélas, issus de familles défavorisées échouent plus souvent, mais je me disais, comme Ministre, à cette époque, qu'il y avait, à cette règle, beaucoup d'exceptions, qu'il y a des enfants issus de familles favorisées qui échouent et des enfants issus de familles défavorisées qui, malgré les difficultés qui sont les leurs, réussissent et même très bien. Je connais des enfants, par exemple, de Harkis qui sont entrés majors à l'École Normale supérieure même si le niveau culturel de leur famille n'était pas formidable au départ.
Cette question me travaillait. J'ai invité des sociologues intelligents -naturellement ! Parce que c'est même presque un pléonasme que de dire cela ! Je vous remercie de le noter. Cela me fait plaisir de voir que la sociologie a, dans la société française, une renommée et un statut qui méritent, en effet, cette approbation- et je leur ai dit : " Ne voulez-vous pas étudier ce phénomène, prendre des échecs d'un côté et des réussites de l'autre qui contredisent la règle, que tout le monde considère comme évidente, du succès commandé par la famille ?"
Ils ont travaillé sur ce sujet et sont revenus avec une conclusion que je n'ai jamais oubliée, parce que, selon moi, elle doit nous amener à réfléchir. Ils ont conclu que réussissaient les enfants dans les familles desquels l'école était estimée, soutenue et défendue et échouaient les enfants dans les familles desquels l'école était critiquée, méprisée et démolie par les parents.
Eh bien, ce qui est vrai pour les familles, selon moi, l'est aussi pour les nations. On a tous vécu le temps où les parents considéraient que les maîtres d'école étaient délégataires de l'autorité de la famille. On considérait que, lorsqu'un maître d'école s'adressait aux enfants, c'était lui qui avait raison et que le devoir de la famille était de soutenir le maître d'école, y compris quand l'enfant était un tout petit peu vexé ou n'était pas satisfait, soit des lignes qu'on lui avait données, soit de la remontrance qu'on lui avait faite.
Je suis persuadé qu'il faut, pour que nous soyons un grand pays, que ce grand pays soutienne son Éducation nationale. Je suis persuadé qu'il faut le faire et, élu Président de la République, je serai celui qui rappellera à la nation qu'il faut constamment soutenir l'école et non pas en faire le bouc émissaire des difficultés que nous rencontrons.
Deuxièmement, il faut garantir les moyens de l'Éducation nationale. J'ai beaucoup travaillé avec les syndicats. Je sais bien que cette question des moyens est un peu obsédante pour eux. Je sais bien que c'est l'attitude qu'ils adoptent ; au fond, c'est un jeu de rôle de vouloir tout ramener à la question des moyens.
Je sais très bien que les moyens ne sont pas extensibles, mais il faut donner un signe sur ce sujet et je prends l'engagement que, si je suis élu Président de la République, j'arrêterai la chasse aux postes, la chasse perpétuelle à la suppression des postes à laquelle les gouvernements se livrent depuis des années et je dirai à l'Éducation nationale, comme gage de confiance : je garantis à l'avenir les moyens qui seront les vôtres. Je les défendrai même dans un temps où il faudra faire des économies, parce que c'est un investissement pour la nation que de vouloir avoir les jeunes les mieux formés de la planète et, ces moyens, je le dis au passage, il faudra les accroître et en particulier à l'Université, parce que la situation de l'Université française -je m'adresse aux étudiants qui sont là- n'est pas à la hauteur de ce que devrait être l'aide à l'enseignement supérieur et l'aide à la recherche dans un grand pays comme le nôtre et, donc, là aussi il faudra des investissements.
Mais en contrepartie de ce soutien et de ces moyens, dans un grand contrat publiquement négocié ou signé avec l'Éducation nationale, il faut que nous fixions ensemble les objectifs que nous devons atteindre pour que la France soit, du point de vue de la formation de ses jeunes, le pays le plus avancé de la planète et cela commence par l'élémentaire, le plus élémentaire.
J'y pense en particulier en ayant à l'esprit les quartiers défavorisés, les quartiers de banlieue. La première des choses, le premier des objectifs que nous devons nous assigner et que nous devons respecter, c'est de ne plus avoir un seul enfant qui entre en sixième sans savoir lire et écrire. C'est difficile et je vais vous dire pourquoi, mais, si vous laissez un enfant entrer en sixième sans savoir lire ni écrire, cet enfant-là ne rattrapera jamais son retard s'il n'a pas la maîtrise de l'écrit et il n'y a aucune chance qu'il l'acquiert au long des années de collège.
Il sera en réalité complètement "largué", comme ils disent, sans aucun recours et il y a fort à parier que cet enfant, incapable de suivre en classe, allant de solutions d'expédient en solutions d'expédient, deviendra très vite un "caïd de cour de récréation" où il organisera la déstabilisation de l'établissement scolaire à l'intérieur duquel il est lui-même si profondément déstabilisé.
Je considère que, nous, adultes, nous devons la lecture et l'écriture aux enfants dont nous avons la charge, pour leur offrir la chance élémentaire de réussir dans la vie.
L'égalité des chances, cela commence à l'école primaire et par la lecture et par l'écriture. Bien entendu, vous savez bien et, s'il y a des enseignants du primaire et des professeurs des écoles dans cette salle, ils savent bien également que c'est difficile. Je le sais aussi.
C'est difficile, car, pendant de nombreuses générations, l'écrit a été honoré et respecté. Il était roi. Lorsque nous avions besoin de nous évader, de nous raconter une histoire, de partir dans une rêverie ou de découvrir le monde, nous le faisions par l'écrit.
Nous avons été très nombreux à passer une très grande partie de notre enfance et de notre jeunesse à lire, car la lecture constituait un autre monde à portée de main.
Aujourd'hui, ce n'est plus l'écrit qui est roi, c'est l'image qui est reine et les enfants, comme les adultes passent des heures et des heures de leur temps, tous les jours, devant l'écran de télévision, devant l'écran des jeux vidéo, devant les consoles. Ils passent tout leur temps avec l'image au lieu de le passer avec l'écrit et il est particulièrement difficile de renverser cet intérêt, notamment dans les milieux défavorisés.
Il existe une deuxième raison à cette situation difficile et les enseignants du primaire présents la connaissent bien. En effet, lorsqu'un enfant ne réussit pas à apprendre à lire, ce n'est pas toujours pour des raisons pédagogiques, c'est souvent pour des raisons psychologiques, car l'état de sa famille et celui de la société actuelle font que de nombreux enfants sont "cassés" et "brisés" durant leur toute petite enfance. Il leur est donc très difficile de se reconstruire et de trouver des repères.
Vous verrez que, lorsqu'il s'agira d'apprendre à lire à tous les enfants, vous serez obligés d'accorder, à un certain nombre d'entre eux, l'accompagnement psychologique dont ils auront besoin pour retrouver un cheminement pédagogique sérieux.
Comme vous le voyez, nous nous fixons un objectif "simple" qui est d'apprendre à lire et à écrire à tous les enfants de France avant qu'ils entrent en sixième.
Cela constitue toute une remise en cause et tout un travail en profondeur sur la manière dont l'enseignement élémentaire et l'école maternelle sont organisés dans notre pays.
Nous qui avons la chance d'avoir une école maternelle, ce qui n'est pas le cas des autres pays qui nous entourent, nous avons à repenser l'enseignement élémentaire et l'enseignement primaire. Il faudra le faire, non seulement sous forme d'exigences, mais sous forme d'accompagnement, avec des moyens et un soutien, de toutes ces femmes et de tous ces hommes qui ont la charge de l'école et à qui nous allons demander des efforts.
Là encore, la compréhension et l'accompagnement sont requis. C'est la nouvelle manière que nous aurons d'imposer les réformes à l'Éducation nationale.
Il existe une deuxième action qu'il convient d'opérer, qui est très importante, tout à fait essentielle : que toutes les familles aient la garantie que, dans les collèges, en particulier, de tous les quartiers de France où qu'ils se trouvent, les enfants trouvent la sécurité, le calme et la discipline nécessaires pour que l'étude puisse être efficiente et que, au collège, on puisse apprendre quelque chose.
Selon moi, l'égalité des chances, c'est le calme, la discipline et la sécurité dans les établissements scolaires.
J'ai, comme vous le savez, visité beaucoup de banlieues, notamment des banlieues difficiles depuis cinq ans, sans caméras, sans télévision, sans appareils photos. À l'époque, ils étaient occupés ailleurs et ils avaient d'ailleurs bien raison !
Je les salue au passage, puisque j'ai l'occasion de leur dire combien j'apprécie leur présence.
Nous avons donc visité de nombreux quartiers et, avant de vous dire ce qui m'a le plus troublé, je vais tout d'abord vous indiquer ce que j'en ai retenu de ces quartiers en difficulté. Je pense à Vaulx-en-Velin, au Val Fourré, à Saint-Denis, à Roubaix et je revois les visages qui m'ont accueilli, très souvent des visages de femmes, car j'ai beaucoup voulu rencontrer les femmes de ces banlieues.
J'estime qu'elles représentent un élément clé de l'avenir, pas seulement de la société française, mais notamment des secteurs les plus en difficulté de la société française et j'ai voulu le leur dire en les rencontrant.
J'ai été très frappé de ceci : on présente ces quartiers comme des "coupe-gorges", comme des endroits où nul ne se sent en sécurité. En réalité, les quartiers les plus défavorisés de notre pays sont immensément pleins de vitalité, d'amour de la France et de la République.
En effet, ces jeunes filles, ces jeunes hommes, ces parents et ces grands-parents et ces grand-mères en fichu ont un immense amour de la France et de ses valeurs.
Je souligne au passage que ceux qui veulent résumer la France à des questions de drapeaux se trompent. Ce n'est pas le drapeau qui est l'essentiel, ce qui l'est, ce sont les valeurs de la République : "Liberté, Egalité, Fraternité".
Ces quartiers sont le lieu où l'on m'a le plus parlé de nos valeurs et de liberté, d'égalité, de fraternité et de ce que cela signifiait, y compris des jeunes filles considérant qu'il était nécessaire de discuter autour de la manière dont il fallait régler le problème du voile.
Ce sont des questions importantes pour une grande partie de la société et ces personnes, notamment celles ayant le sentiment d'être les plus regardées de travers, m'ont toutes parlé des valeurs de la République. Toutes m'ont parlé comme si elles étaient celles qui avaient le plus reçu de notre enseignement, de notre éducation civique, de l'école, comme si elles avaient compris ce qu'est la réalité de la France, c'est-à-dire un pays qui n'existe que parce qu'il croit à quelque chose.
La France, c'est le pays qui croit qu'il est réuni, non pas autour de je ne sais quelle exaltation de son identité, mais car les femmes et les hommes, parfois venus de loin -de l'est de l'Europe, de l'autre côté de la Méditerranée, d'Afrique, du nord, Flamands, Polonais, Italiens, Espagnols, Algériens, Marocains, Tunisiens et Africains de toute l'Afrique sub-saharienne-, ont décidé que leurs pays était celui où l'on pouvait croire à la liberté, à l'égalité des hommes et à la fraternité.
Au fond, notre pays s'est formé autour d'un idéal et c'est pourquoi je suis mal à l'aise, lorsque certains des candidats et candidates à l'élection présidentielle, pour gagner des voix, car il s'agit uniquement au fond de cela, nous présentent la France comme un pays qui serait profondément déstabilisé dans son identité et qu'il faudrait à chaque instant ramener à la question de cette identité ou au symbole de cette identité.
Personnellement, je dis que la France est vivante, forte, qu'elle sait ce qu'elle veut, qu'elle a des problèmes, mais que, si vous résolvez les problèmes, alors vous n'aurez pas des problèmes avec le pays. Le pays sait ce qu'il est, il sait ce qu'il veut et il a l'intention de le défendre. Toutes les personnes, sans exception, quelles que soient les origines, sont prêtes à cela et je vois tous les visages qui sont là dans cette salle, principalement ceux qui ont le plus de problèmes, principalement ceux qui ont le moins d'argent, ceux qui sont les plus exposés au chômage, ceux qui ont eu à vivre le déracinement culturel. Je sais ce dont il s'agit, puisque je viens d'une autre culture. Je viens de la culture française.
Ces personnes n'ont que cette richesse qui, excusez-moi de le dire, ne s'appelle pas d'abord la nation, mais la République. C'est la République qui, en France, fait la Nation et pas la Nation qui fait la République.
Il est incroyable, excusez-moi de le dire, que ce soit moi, candidat du centre, qui doive le rappeler à là gauche française dont cela a été, pendant des décennies, le message principal. À ce message, j'affirme ma fierté d'être fidèle.
Toujours dans notre histoire, les grands hommes de la France, ceux à qui notre pays doit une part de son avenir, le Général de Gaulle, Pierre Mendès-France, et je pourrais en citer d'autres, ont toujours vécu avec cette idée que ce qu'il fallait exalter, ce n'était pas d'abord la nation et son identité au sens de l'origine, c'est d'abord la République et les valeurs qui nous permettent de vivre ensemble.
Ces personnes aiment la République, y compris et surtout dans ces quartiers et elles ont quelque chose d'autre qui m'a immensément frappé : une incroyable vitalité.
Je vais peut-en surprendre être un certain nombre d'entre vous, mais, nulle part ailleurs en France, que j'ai parcourue en long, en large et en travers, du sud vers le nord, et de l'ouest vers l'est et vice-versa, je n'ai vu tant de jeunes filles et de jeunes garçons qui avaient, en eux, la volonté de créer quelque chose, de créer des entreprises, la volonté de faire naître des activités nouvelles. Jamais je n'ai vu autant de jeunes décidés à sortir des difficultés qu'ils rencontraient, comme si, d'une certaine manière, ils disaient : " Les portes se ferment devant nous à cause de la couleur de notre peau, à cause de notre accent, à cause de notre religion, à cause de la consonance de notre nom."
" Puisque l'on ne nous offre pas les chances que l'on offre aux autres, nous allons les saisir nous-mêmes. Puisqu'on nous ferme la porte, nous allons construire notre maison." Je trouve que c'est formidable pour l'avenir de la société française et qu'il faut les aider à faire naître des entreprises et que c'est au fond cela la réponse dont on a besoin pour l'emploi.
C'est pourquoi j'ai un programme particulier d'aide à la naissance de toutes les entreprises en France, par exemple en suggérant cette idée qu'une personne prenant le risque de créer une entreprise n'aura pas, pendant la première année, à payer ses charges, qui viennent si vite et si souvent, des charges que l'on vous demande de payer avant même d'avoir reçu le premier salaire !
La première année, nous leur donnerons cette preuve de confiance et c'est la société qui assumera ces charges d'ailleurs mineures.
En effet, dans notre pays, nous avons besoin de multiplier les entreprises, spécialement dans les secteurs où cela va mal. Or, ces jeunes ont une énorme vitalité et ils ont envie de créer des entreprises, quelque chose de simple, pas compliqué. D'ailleurs, quelle que soit notre origine, nous tous ici, même les Béarnais, nous avons, au fond, besoin de cela. Je suis très frappé par cette vitalité et je dis que nous devons les aider.
C'est la deuxième chose que j'ai apprise, la troisième m'ayant troublé découlant du fait que j'ai rencontré de nombreuses familles, notamment de nombreuses femmes qui supportaient souvent, à elles seules, la charge de la famille, car, comme vous le savez, il existe beaucoup de familles monoparentales, en particulier qui élèvent seules leurs enfants, spécialement dans ces quartiers-là. Il s'agit généralement de femmes musulmanes.
Nombre d'entre-elles m'ont dit : " Monsieur Bayrou, lors de la prochaine rentrée, nous enlevons nos enfants de l'école publique car ils n'y sont pas en sécurité et nous les inscrirons nos enfants à l'école privée, car ils y seront en sécurité".
J'aime beaucoup la rencontre des cultures, je trouve cela très bien, mais je trouve que c'est un crève-coeur de quitter, simplement car l'école publique est réputée ne pas apporter la sécurité aux élèves, en France, l'école publique, spécialement lorsque l'on fait partie des personnes qui auraient le plus besoin de celle-ci.
Je m'engage donc à faire en sorte que, désormais, l'école publique soit considérée par tout le monde comme un lieu où tous les enfants seront en sécurité et pourront étudier pour réussir dans leur vie et se voir offrir la première chance, celle sans laquelle il n'existe aucune possibilité de trouver une situation et un épanouissement.
Ainsi, pour débuter, tous les enfants devront savoir lire et écrire avant d'entrer en sixième. Ensuite, il faudra restaurer le calme et la sécurité dans tous les établissements scolaires. À ce niveau également, cela impose que nous changions beaucoup la pratique et les méthodes qui, jusqu'à maintenant, ont été celles de l'organisation de l'Éducation nationale.
Cela exige en particulier que nous puissions apporter une autre réponse aux élèves déstabilisés qui, à leur tour, déstabilisent l'école dans laquelle ils sont scolarisés. Il s'agit d'une autre réponse que le perpétuel jeu que l'on pratique depuis longtemps : Scolarisé au collège A, "a des difficultés", scolarisé au collège B, "a des difficultés", Scolarisé au collège C, "a des difficultés" et il ne reste plus comme solution que de remettre l'élève au collège A.
C'est ainsi que cela fonctionne aujourd'hui, en attendant que ces enfants aient atteint l'âge l'égal où on pourra les laisser sur le bord de la route. Ceci n'est pas digne d'une société comme la société française.
Aux élèves ayant des problèmes, je veux que nous proposions une scolarité adaptée, avec des éducateurs et des psychologues, afin qu'ils retrouvent les repères élémentaires qui leur permettront de se reconstruire, avant, s'ils le peuvent, de revenir dans le système scolaire normal.
Je veux qu'il y ait de vraies réponses et il s'agit du troisième objectif particulièrement important dans les banlieues.
Comme vous le voyez, en parlant des banlieues, je parle en réalité de toute la France, car tous ces problèmes sont également ceux du pays, où que ce soit.
Nous aurons ainsi retrouvé l'Éducation nationale de la France et, alors, nous aurons refait de la France le pays que le monde entier enviait pour la qualité de son éducation. Notre pays peut d'ailleurs revendiquer devant le monde que, pour la majorité des élèves, le niveau de formation est plus haut que celui que l'on trouve en Amérique, que celui que l'on trouve en Grande-Bretagne ou en Allemagne, mais qu'il existe des problèmes avec 20 ou 30 % des élèves, problèmes qui sont devenus désormais inacceptables et que nous ne devons plus accepter.
Vous constatez ainsi à quel point la volonté politique que je défends devant vous entraîne, en réalité, une révolution dans le domaine de l'éducation : soutien, moyens, exigence.
Ce sont les trois thèmes du nouveau contrat que la nation doit passer avec son école et que je vous propose d'adopter en votant pour l'élection présidentielle, dès les 22 avril et 6 mai 2007. Tel est l'engagement que je prends devant vous.
Cela fait maintenant une heure que je parle devant vous et même les plaisirs les plus grands doivent naturellement un jour trouver leur terme.
Je n'ai développé qu'une seule question qui est celle des banlieues et j'aurais dû développer dix autres chapitres, ayant cette importance et cette gravité. Ainsi, j'aurais dû parler avec vous de l'emploi, afin d'analyser comment multiplier les emplois et il ne s'agit pas seulement d'un geste économique, mais surtout du premier geste social. En effet, si vous n'avez pas d'emplois à offrir, il n'y a pas de politique sociale qui tienne.
C'est la raison pour laquelle j'indique que, en effet, nous faisons du social lorsque je propose cette idée qui trouble si profondément les autres candidats qu'ils passent tous les jours des heures et des déclarations multiples à la démolir. En effet, je veux, si je suis élu Président de la République, que toutes les entreprises françaises se voient reconnaître le droit de créer deux emplois sans avoir à payer de charges pendant cinq ans, car il s'agit, là, d'une aide et de la réalité.
Cela, ce n'est pas de la théorie, ce ne sont pas des mots creux. Cette proposition s'adresse aux jeunes qui, bien qu'ils aient des diplômes, ne trouvent pas d'emploi, car ils coûteraient trop cher à l'entreprise.
Concernant les plus de cinquante ans, je suis désespéré lorsque je constate la situation qui leur est faite dans les entreprises en France et la manière dont on les conduit doucement vers la sortie, que l'on les oublie sur le bord de la route, même lorsqu'ils ont charge de famille est et quand ils ont charge d'âme.
Personnellement, je veux que les plus de cinquante ans soient désormais considérés comme ce qu'ils sont, c'est-à-dire des gens jeunes, en pleine possession de leurs capacités. C'est la période de leur vie où ces personnes peuvent le plus apporter à la société. Ce n'est pas le moment où nous devons les écarter du travail, mais celui le moment où, au contraire, elles doivent être consacrées dans le travail.
J'aurais dû vous parler longuement de l'emploi et de la politique de soutien que je veux pour les petites et toutes petites entreprises françaises, car il n'est pas juste d'imposer aux petites entreprises les mêmes obligations qu'aux grandes, car vous avantagez les grandes par rapport aux petites.
J'aurais dû vous parler de l'exclusion, car il n'est pas juste et pas normal de laisser un million et demi de personnes complètement abandonnées sur le bord de la route, d'une certaine manière bloquées dans l'assistance qu'elles reçoivent, car l'organisation du social en France est ainsi faite.
Je veux que, dans notre société, on ne se tienne plus quite à l'égard de quelqu'un qui rencontre ces difficultés simplement en lui signant un "petit chèque" à la fin du mois. Je veux que toutes les personnes en situation de minimum social se voient offrir, en même temps que le revenu de subsistance, qui est le leur avec le RMI, la possibilité d'avoir une activité dans une association ou dans une collectivité locale, pour arrondir leurs fins de mois et retrouver la dignité qu'elles n'auraient jamais du perdre.
Ainsi, au passage, leurs voisins ne les regarderont plus du coin de l'oeil, comme si elles étaient responsables ou si elles profitaient de la situation du social en France.
On retrouvera, dans les quartiers et sur la même cage d'escalier, l'estime réciproque et ce sera un grand progrès social et de valeur pour les Français qui sont trop souvent coupés en deux ou opposés les uns aux autres.
J'aurais dû vous parler du climat et du réchauffement de la planète. J'aurais dû vous parler de toutes les questions profondes et de toutes les blessures de la société française.
Si je fais le bilan de tout cela, alors j'ai deux convictions sur lesquelles je voudrais terminer. La première est que, si nous voulons résoudre tous ces problèmes, toutes ces questions, notre pays ne doit pas être seul au monde et il faut que l'Europe se reconstitue, afin que nous ayons une voix qui porte notre puissance, notre message et les valeurs de notre société.
Il faut que l'Europe se reconstitue pour protéger les activités industrielles de la France, car je crois que la France doit garder ses usines, même si c'est difficile. Nous ne sommes pas seulement une société de service, mais également une société dans laquelle il faut reconnaître l'importance des industries qui constituent le rayonnement d'un pays et ses exportations.
Je crois que l'Europe doit se reconstruire, afin que des secteurs entiers retrouvent confiance, par exemple, celui de la viticulture que j'ai salué aujourd'hui, comme je l'ai salué lors de mon dernier voyage dans cette région.
En effet, les viticulteurs doivent avoir la certitude que, si on leur impose, à eux, des disciplines, notamment en matière environnementale, ces disciplines sont également respectées par leurs concurrents.
Tout le monde doit avoir la certitude que les efforts que l'on demande aux uns seront aussi demandés aux autres. C'est le minimum de protection que l'on doit espérer de l'Europe : la loyauté dans les échanges internationaux. Nous avons besoin de cette garantie et seule l'Europe peut nous l'apporter.
L'Europe doit et est la seule qui puisse nous aider à traiter les problèmes d'immigration dont on parle toujours comme des problèmes franco-français. Toutefois, depuis qu'il n'y a plus de frontière, nos problèmes franco-français sont désormais devenus des problèmes européens.
C'est à l'échelon européen que nous devons penser à la régulation de l'immigration et c'est à l'échelon européen, Mesdames et Messieurs, que nous devons également penser à soigner les causes de l'immigration.
La principale et la seule cause de l'immigration, c'est la misère dans laquelle des pays entiers sont plongés, la misère dans laquelle est plongée le continent africain à qui nous devons désormais réfléchir en termes de développement.
En effet, si certains s'inquiètent de ce que pourrait être l'avenir en matière de déplacement des populations, j'ai personnellement la certitude que, si nous laissons les pays d'Afrique dans l'état de pauvreté où ils sont, certaines personnes pourront dresser autant de grillages ou de barbelés, installer autant de policiers ou de douaniers qu'elles le souhaiterons, ces populations viendront, car c'est leur seul moyen de survivre.
Vous connaissez, cela a été dit pendant longtemps, ce vieux proverbe des sociétés antérieures : "Charité bien ordonnée commence par soi-même". Cependant, mes chers amis, en matière d'immigration et de respect de l'équilibre des populations, "charité bien ordonnée commence par les autres".
En effet, c'est chez les autres qu'il faut aller apporter le développement, car, si ces populations peuvent vivre et travailler chez elles, elles n'auront pas l'envie de perdre leurs racines, leurs amis, leur pays et leur culture pour venir se réfugier chez nous.
C'est chez eux que cela se passe et la première mission de l'Europe doit être le développement de nos voisins si pauvres à quelques centaines de kilomètres seulement de l'Afrique et c'est ce que je défendrai comme Président de la République.
Tel est, mes chers amis, et on le voit très bien en partant de ce problème crucial des banlieues, ce qui va se jouer lors de cette élection présidentielle française : ce n'est pas seulement l'avenir de notre pays, de notre nation, de nos concitoyens qui va se jouer, c'est quelque chose de beaucoup plus important encore, c'est l'avenir du projet de société républicain qui est celui avec lequel la France a vécu et autour duquel elle s'est formée. C'est le premier enjeu.
Ce qui va se jouer, c'est l'image de la France dans le monde et sa capacité à redevenir un leader, celui de l'Europe qui est aujourd'hui si profondément en crise et que nous avons besoin de revivifier, de ré-inspirer pour que les Français retrouvent une partie de leur idéal et une partie de leurs espoirs la concernant.
Ce qui va se jouer au travers de l'élection présidentielle française, c'est la défense de ces messages que la France est la seule à pouvoir porter dans le monde, par exemple qu'elle a été la seule à porter au moment de la guerre en Irak. Voilà pourquoi j'ai été heureux de le dire au moment où le Président de la République renonçait à exercer les responsabilités qui étaient les siennes. J'étais content.
J'ai vécu beaucoup de débats, d'affrontements, de tiraillements et de désaccords avec Jacques Chirac, mais, ce jour-là, j'étais heureux qu'il y ait un Président de la République française pour oser dire, même devant les superpuissances qui se liguaient pour que nous nous taisions, que la France avait un certain nombre de principes, y compris des principes de droits internationaux et que, même si nous étions seuls parmi les nations, nous défendrions ces principes au nom de ce que nous avons de plus important et qui est fait, en réalité, la vérité, soit l'âme et l'essence de notre pays et de notre peuple.
C'est tout cela qui va se jouer et c'est beaucoup, c'est énorme. Nous sentons bien que nous sommes à la fin d'un cycle et au début d'un autre, raison pour laquelle tellement de personnes s'inquiètent de votre présence si nombreuse, de notre campagne si active.
Tellement de personnes voudraient que rien ne change et que ce soit perpétuellement les mêmes qui soient certains, garantis, de rester aux responsabilités. Tellement de personnes voudraient que la demi-finale du premier tour n'ait pas lieu et que l'on aille directement à la finale du second tour, comme ils l'ont écrite, comme ils l'ont rêvée et comme ils voudraient qu'elle soi a jamais garantie, oubliant ce qu'était le peuple souverain français.
Personnellement, je veux dire que, pour relever tous ces défis, ma conviction définitive est que notre pays n'a aujourd'hui plus besoin de divisions et qu'il a besoin d'un rassemblement. Notre pays aujourd'hui n'a plus besoin de disputes, il a besoin de coopération. Notre pays a besoin de tourner la page sur tant et tant de faiblesses, sur tant et tant d'oppositions.
Il est des moments dans l'Histoire des peuples où les peuples ont besoin de se réunir pour se reconstruire. Ce moment est venu.
Je vous remercie d'être venus à Nîmes pour le montrer à tous les Français.
Vive la France et vive la République !"Source http://www.bayrou.fr, le 5 avril 2007