Texte intégral
Nous avons voulu construire une Europe sans frontières intérieures, celle de la libre circulation des personnes.
Mais, pour effacer ainsi les frontières intérieures de l'Europe, il nous faut être capable de contrôler en commun les frontières extérieures de l'Europe. Il ne saurait y avoir de point faible.
Ce contrôle doit, en effet, s'exercer partout de la même façon. Il faut donc harmoniser les procédures d'entrée et de séjour des étrangers, la liste des pays soumis à visa, et les règles en matière de droit d'asile.
Pour cela, le traité d'Amsterdam propose de mettre en oeuvre une nouvelle politique commune. Pour rendre possible, le moment venu, l'application de ces dispositions sur ce point, et sur ce point seulement, le Président de la République et le Premier ministre nous invitent à modifier notre Constitution.
A la fois par conviction et par fidélité à nos choix européens, nous dirons OUI à cette modification constitutionnelle, comme nous dirons oui, le moment venu, au traité d'Amsterdam, sans ambiguïté et sans condition.
Cependant notre "oui" mérite d'être éclairé par quelques remarques sur le traité d'Amsterdam lui-même et sur la poursuite de la construction européenne.
Pour certains, cette modification constitutionnelle soulève une nouvelle fois l'inquiétude. Ne sommes-nous pas engagés, malgré nous, dans un processus inexorable, qui transférerait progressivement à des institutions européennes lointaines des pans entiers de notre souveraineté nationale ?
Pour beaucoup d'autres et en particulier pour nous, libéraux, le traité d'Amsterdam constitue une déception.
Après la chute du mur de Berlin et devant l'exaltante perspective de la réunification de l'Europe, on espérait qu'Amsterdam consacrerait les avancées institutionnelles et constitutionnelles d'une nouvelle Europe élargie aux pouvoirs clairement délimités et limités.
On espérait aussi, après la honte de l'impuissance européenne à Sarajevo, davantage d'ambition en matière de politique étrangère et de sécurité commune. Sans doute placions-nous trop d'espoir dans le sommet d'Amsterdam.
En cette fin de siècle où deux générations se croisent en Europe, celle de l'après-guerre et celle de l'après-mur de Berlin - celle des pères fondateurs de l'Europe à qui l'on doit l'Europe de la paix bâtie sur la réconciliation franco-allemande et celle qui aura à construire la grande Europe réconciliée avec elle-même - l'Europe a-t-elle peut-être inconsciemment souhaité une pause avant de dessiner son nouveau visage ?
Mais, dans le flou qui entoure encore les contours de la future Europe, prisonniers de nos vieilles habitudes de pensée qui nous poussent à imaginer l'Europe de demain en projetant le modèle de nos Etats-Nations d'hier, nous risquons de ressusciter le vieux débat opposant ceux qui n'imaginent l'Europe que comme un cartel d'Etats-Nations souverains et ceux qui la rêvent comme futur Etat-Nation agrandi, avec son super-Gouvernement, son Parlement, son administration, ses lois, ses impôts.
Il faut dépasser ce vieux clivage pour imaginer l'Europe autrement.
En juin dernier, à quelques jours du Conseil européen de Cardiff, le Président de la République Jacques Chirac et le Chancelier allemand Helmut Kohl rappelaient que "l'objectif de la politique européenne n'a jamais été et ne peut être d'édifier un Etat central européen". Fort bien.
Mais ce qui compte ce n'est pas ce que l'on dit vouloir faire des institutions, mais ce que les institutions vous donnent le pouvoir de faire.
Or les risques de dérive existent et c'est justement parce que nous sommes attachés à la construction européenne que nous devons nous donner les moyens institutionnels d'éviter qu'ils se concrétisent.
Je prendrai quelques exemples :
Premier risque de dérive
Le traité d'Amsterdam confère au Parlement un pouvoir d'"approbation" de la désignation du Président de la Commission européenne, et confère à celui-ci des pouvoirs nouveaux quant à la composition et au fonctionnement de la Commission.
Le Président de la Commission voit ainsi son autorité politique renforcée par le traité d'Amsterdam.
Or, un tel renforcement, qui n'est pas accompagné par un renforcement parallèle du Conseil, s'inscrit pour certains dans la perspective de voir la Commission devenir, un jour, le gouvernement de l'Europe.
C'est en ce sens que Jacques Delors et 22 personnalités européennes ont proposé récemment que les partis politiques en lice lors des prochaines élections européennes fassent campagne non seulement sur leur programme, mais aussi pour un candidat à la présidence de la commission. " On se trouverait alors - dit-il - dans une situation proche de celle des Etats-Unis, où les citoyens de chaque Etat désignent de grands électeurs qui élisent ensuite le Président ".
Proposer cela, c'est vouloir faire de la France la Louisiane de futurs Etats-Unis d'Europe.
Cela nous n'en voulons pas.
Deuxième risque
Le traité de Maastricht a fort heureusement introduit le principe de subsidiarité comme principe organisateur de l'Union européenne.
Affirmer la subsidiarité, c'est affirmer l'antériorité et la supériorité des droits de la personne sur toute autorité publique qui n'est ainsi que subsidiaire.
Ce principe porte en lui le recul du pouvoir politique sur la société civile. Il est le garde-fou nécessaire pour prévenir les risques de dérive vers un super-Etat européen centralisateur.
Encore faut-il savoir traduire ce principe dans les faits et les institutions.
C'est ce que nous attendions du traité d'Amsterdam : une meilleure délimitation des compétences confiées à l'Europe et la mise en place de contrepoids institutionnels pour prévenir tout débordement.
Il n'en a, hélas, rien été. Au contraire.
Si dans le protocole annexé au traité, le principe de subsidiarité fait l'objet d'une affirmation solennelle, son application est, dans les faits, laissée à la discrétion de ceux-là mêmes dont il est censé encadrer le pouvoir.
L" acquis communautaire " se voit consolidé. Autrement dit, "tout ce qui est à la Commission est à la Commission, et tout ce qui est aux Etats ça se discute".
De cette interprétation extensive de la subsidiarité, nous ne voulons pas davantage.
Troisième risque
La construction européenne nous a apporté les bienfaits des libertés économiques et de la concurrence et a fait reculer le dirigisme en France.
Le traité de Maastricht, pour lequel nous avons fait campagne, a limité le pouvoir des gouvernements de s'endetter et de recourir aux facilités de l'inflation et de la planche à billets, en instituant une Banque centrale européenne indépendante.
Mais voici que naît l'idée de dresser, face à cette Banque centrale, un gouvernement économique européen, avec sans doute pour les uns la nostalgie d'un pouvoir politique perdu sur la monnaie, et pour les autres, l'ambition de créer le super-Etat européen dont ils rêvent.
S'il s'agit de coordonner les politiques conduites par les différents pays en les comparant pour savoir quelle est la meilleure politique de l'emploi, la politique fiscale la plus efficace, je n'y vois pas d'inconvénient.
Mais le risque existe de voir un tel gouvernement économique constituer non pas un contre-pouvoir face à la Banque centrale, mais bien un super-pouvoir au-dessus des gouvernements nationaux.
Cela, nous n'en voulons toujours pas.
Quatrième risque
Nous avons voulu l'euro et l'union monétaire européenne. L'euro peut être un formidable atout pour la prospérité et pour l'emploi, à une condition toutefois : introduire toujours plus de souplesse au sein de nos économies, engager les réformes de structures nécessaires, réduire le poids de la fiscalité, privatiser, réglementer.
Mais nous savons aussi que l'euro pourrait se traduire par davantage de chômage si l'on maintient ou aggrave nos rigidités économiques.
Puisque l'on supprime l'ajustement par les taux de change, si l'on veut éviter que le chômage devienne la seule variable d'ajustement, il faut permettre l'ajustement par des différences de productivité, de durée du travail, de coût, de charges et d'impôts.
C'est dire que toutes les politiques qui se proposent, au nom de l'harmonisation fiscale ou sociale, de gommer les différences nécessaires en Europe, doivent être regardées avec beaucoup de prudence et de méfiance.
Notre vieux continent est un ensemble hétérogène qu'on ne peut comparer ni à l'Allemagne ni aux Etats-Unis. Ne pas tenir compte des langues, du fait national, des traditions régionales, de la diversité des structures familiales conduirait à créer des tendances centrifuges destructrices.
L'Europe doit s'enrichir de ses diversités, les respecter et les protéger. Elle doit chercher, non pas à harmoniser ses différences, c'est-à-dire les raboter, mais à les mettre en harmonie pour en tirer le meilleur parti, dans une société de liberté et d'échanges.
Ce serait rendre un mauvais service à l'Europe que de lui donner des institutions qui, par dérives successives, aboutiraient à un super-Etat unitaire et centralisateur.
Ne cédons pas au syndrome du pont de la rivière Kwaï qui a conduit le colonel Nicholson et ses prisonniers, emportés par le goût du travail bien fait, à édifier pour les Japonais un pont d'une importance capitale, jusqu'à oublier le sens de la construction de ce pont.
Face à ces risques de dérive, nous devons saisir l'occasion de cette modification constitutionnelle pour améliorer encore notre dispositif de contrôle des projets de règlements et de directives communautaires par l'Assemblée Nationale et le Sénat. Notre groupe parlementaire présentera et soutiendra à cette fin des propositions d'amendement visant à modifier l'article 88-4 de notre Constitution.
Nous pensons que le moment est venu d'une nouvelle approche de l'Europe.
Il ne s'agit pas seulement d'être pour l'Europe, d'être fidèle aux choix européens qui ont toujours été ceux des libéraux, mais de dire quelle Europe nous voulons.
· Nous voulons une vraie politique étrangère et de sécurité commune.
· Nous voulons l'Europe de tous les Européens.
L'élargissement de l'Europe à l'Est ne peut se faire sans modification de nos institutions, les pays candidats à l'élargissement n'ont pas à faire les frais de notre impuissance à engager les révisions nécessaires à Amsterdam.
· Nous voulons enfin, alors que nous avons, pour l'essentiel, assuré les fondations matérielles de l'Europe, dépasser la seule dimension économique du projet européen, penser l'Europe autrement qu'à travers des logiques traditionnelles de souveraineté ou de puissance, pour lui ajouter une dimension philosophique, morale, culturelle et politique.
L'Europe n'est pas une addition d'Etats - 6, 10, 12, 15, 20 - mais une idée, un point de vue sur l'humanité et le monde.
Au moment où les pays de l'Est rejoignent le camp de la liberté et comptent sur leur adhésion aux traités européens pour les y amarrer définitivement, l'union de l'Europe ne peut avoir de sens autrement que dans l'ancrage commun à des valeurs.
Comme la dit Vaclav Havel : " L'une des grandes traditions européennes, que l'Europe semblait oublier de plus en plus profondément pendant la première moitié du XXème siècle, met en avant le citoyen libre, source de pouvoir. Et même si, dans ses débuts, l'intégration européenne était avant tout une intégration économique, son point de départ ainsi que ses objectifs étaient clairs. Il s'agissait d'une grande renaissance du citoyen ".
Avec la réunification de l'Europe, ce n'est pas seulement leur espace géographique naturel que les Européens vont retrouver, mais aussi les fondements même de l'Europe.
L'inscription du principe de subsidiarité dans le traité de Maastricht et celle de l'"Etat de Droit" dans le traité d'Amsterdam constituent une rupture avec notre héritage jacobin, un retour aux sources de la civilisation européenne.
La marque du génie européen, c'est la proclamation que l'homme en tant que tel a des droits fondamentaux supérieurs à tout pouvoir, que ce soit celui d'un tyran, d'un roi, ou même d'une assemblée parlementaire. L'autorité publique ne fait pas le droit, elle est soumise au droit.
La construction européenne porte ainsi en germe le dépassement de notre conception traditionnelle de la souveraineté, liée à la fois à un Etat-nation-territoire et à l'identification de la volonté souveraine de la nation avec la volonté toute puissante du peuple, exprimée démocratiquement selon la règle de la majorité.
Un tel dépassement ne constitue pas un risque mais une chance.
Le principe fédérateur pour l'Europe de demain est avant tout un principe éthique, à la source de l'humanisme européen, qui revient à affirmer l'antériorité et la supériorité des droits de la personne.
Cette nouvelle Europe sera donc d'abord l'Europe de la culture, de la connaissance et du savoir, celle des libertés universitaires à la recherche du vrai, le socle à partir duquel s'organise la hiérarchie des valeurs.
Ce sera aussi l'Europe de la justice, comme puissance autonome qui borne le pouvoir et la loi.
Ce sera une Europe d'inspiration fédérale, authentiquement fédérale, au sens que l'on prêtait à ce mot au début du siècle dernier, au sens que lui donnait Victor Hugo lorsqu'il parlait des "Etats-Unis d'Europe" ; et non à l'image des Etats-Unis ou de l'Allemagne que ce mot revêt aujourd'hui.
L'Europe n'a plus et n'aura jamais plus pour mission de régner sur le monde ni de lui inculquer par la force ses idées, ni de lui imposer sa culture, ni même de lui donner des leçons.
Cependant, l'Europe qui a déjà tant apporté au monde, peut encore lui offrir un modèle, un exemple, celui d'un espace de liberté, de responsabilité et de Droit où peuvent coexister pacifiquement des hommes différents, libres et responsables, hors dune contrainte politique forte, et sans qu'on soumette les minorités aux caprices de la majorité, dans une civilisation plus " civilisée " qui remet l'homme au coeur de la société.
Permettez-moi, dans l'oeuvre aujourd'hui en cours, de ne retenir que cette promesse.
(source http://www.demlib.com, le 19 février 2002)
Mais, pour effacer ainsi les frontières intérieures de l'Europe, il nous faut être capable de contrôler en commun les frontières extérieures de l'Europe. Il ne saurait y avoir de point faible.
Ce contrôle doit, en effet, s'exercer partout de la même façon. Il faut donc harmoniser les procédures d'entrée et de séjour des étrangers, la liste des pays soumis à visa, et les règles en matière de droit d'asile.
Pour cela, le traité d'Amsterdam propose de mettre en oeuvre une nouvelle politique commune. Pour rendre possible, le moment venu, l'application de ces dispositions sur ce point, et sur ce point seulement, le Président de la République et le Premier ministre nous invitent à modifier notre Constitution.
A la fois par conviction et par fidélité à nos choix européens, nous dirons OUI à cette modification constitutionnelle, comme nous dirons oui, le moment venu, au traité d'Amsterdam, sans ambiguïté et sans condition.
Cependant notre "oui" mérite d'être éclairé par quelques remarques sur le traité d'Amsterdam lui-même et sur la poursuite de la construction européenne.
Pour certains, cette modification constitutionnelle soulève une nouvelle fois l'inquiétude. Ne sommes-nous pas engagés, malgré nous, dans un processus inexorable, qui transférerait progressivement à des institutions européennes lointaines des pans entiers de notre souveraineté nationale ?
Pour beaucoup d'autres et en particulier pour nous, libéraux, le traité d'Amsterdam constitue une déception.
Après la chute du mur de Berlin et devant l'exaltante perspective de la réunification de l'Europe, on espérait qu'Amsterdam consacrerait les avancées institutionnelles et constitutionnelles d'une nouvelle Europe élargie aux pouvoirs clairement délimités et limités.
On espérait aussi, après la honte de l'impuissance européenne à Sarajevo, davantage d'ambition en matière de politique étrangère et de sécurité commune. Sans doute placions-nous trop d'espoir dans le sommet d'Amsterdam.
En cette fin de siècle où deux générations se croisent en Europe, celle de l'après-guerre et celle de l'après-mur de Berlin - celle des pères fondateurs de l'Europe à qui l'on doit l'Europe de la paix bâtie sur la réconciliation franco-allemande et celle qui aura à construire la grande Europe réconciliée avec elle-même - l'Europe a-t-elle peut-être inconsciemment souhaité une pause avant de dessiner son nouveau visage ?
Mais, dans le flou qui entoure encore les contours de la future Europe, prisonniers de nos vieilles habitudes de pensée qui nous poussent à imaginer l'Europe de demain en projetant le modèle de nos Etats-Nations d'hier, nous risquons de ressusciter le vieux débat opposant ceux qui n'imaginent l'Europe que comme un cartel d'Etats-Nations souverains et ceux qui la rêvent comme futur Etat-Nation agrandi, avec son super-Gouvernement, son Parlement, son administration, ses lois, ses impôts.
Il faut dépasser ce vieux clivage pour imaginer l'Europe autrement.
En juin dernier, à quelques jours du Conseil européen de Cardiff, le Président de la République Jacques Chirac et le Chancelier allemand Helmut Kohl rappelaient que "l'objectif de la politique européenne n'a jamais été et ne peut être d'édifier un Etat central européen". Fort bien.
Mais ce qui compte ce n'est pas ce que l'on dit vouloir faire des institutions, mais ce que les institutions vous donnent le pouvoir de faire.
Or les risques de dérive existent et c'est justement parce que nous sommes attachés à la construction européenne que nous devons nous donner les moyens institutionnels d'éviter qu'ils se concrétisent.
Je prendrai quelques exemples :
Premier risque de dérive
Le traité d'Amsterdam confère au Parlement un pouvoir d'"approbation" de la désignation du Président de la Commission européenne, et confère à celui-ci des pouvoirs nouveaux quant à la composition et au fonctionnement de la Commission.
Le Président de la Commission voit ainsi son autorité politique renforcée par le traité d'Amsterdam.
Or, un tel renforcement, qui n'est pas accompagné par un renforcement parallèle du Conseil, s'inscrit pour certains dans la perspective de voir la Commission devenir, un jour, le gouvernement de l'Europe.
C'est en ce sens que Jacques Delors et 22 personnalités européennes ont proposé récemment que les partis politiques en lice lors des prochaines élections européennes fassent campagne non seulement sur leur programme, mais aussi pour un candidat à la présidence de la commission. " On se trouverait alors - dit-il - dans une situation proche de celle des Etats-Unis, où les citoyens de chaque Etat désignent de grands électeurs qui élisent ensuite le Président ".
Proposer cela, c'est vouloir faire de la France la Louisiane de futurs Etats-Unis d'Europe.
Cela nous n'en voulons pas.
Deuxième risque
Le traité de Maastricht a fort heureusement introduit le principe de subsidiarité comme principe organisateur de l'Union européenne.
Affirmer la subsidiarité, c'est affirmer l'antériorité et la supériorité des droits de la personne sur toute autorité publique qui n'est ainsi que subsidiaire.
Ce principe porte en lui le recul du pouvoir politique sur la société civile. Il est le garde-fou nécessaire pour prévenir les risques de dérive vers un super-Etat européen centralisateur.
Encore faut-il savoir traduire ce principe dans les faits et les institutions.
C'est ce que nous attendions du traité d'Amsterdam : une meilleure délimitation des compétences confiées à l'Europe et la mise en place de contrepoids institutionnels pour prévenir tout débordement.
Il n'en a, hélas, rien été. Au contraire.
Si dans le protocole annexé au traité, le principe de subsidiarité fait l'objet d'une affirmation solennelle, son application est, dans les faits, laissée à la discrétion de ceux-là mêmes dont il est censé encadrer le pouvoir.
L" acquis communautaire " se voit consolidé. Autrement dit, "tout ce qui est à la Commission est à la Commission, et tout ce qui est aux Etats ça se discute".
De cette interprétation extensive de la subsidiarité, nous ne voulons pas davantage.
Troisième risque
La construction européenne nous a apporté les bienfaits des libertés économiques et de la concurrence et a fait reculer le dirigisme en France.
Le traité de Maastricht, pour lequel nous avons fait campagne, a limité le pouvoir des gouvernements de s'endetter et de recourir aux facilités de l'inflation et de la planche à billets, en instituant une Banque centrale européenne indépendante.
Mais voici que naît l'idée de dresser, face à cette Banque centrale, un gouvernement économique européen, avec sans doute pour les uns la nostalgie d'un pouvoir politique perdu sur la monnaie, et pour les autres, l'ambition de créer le super-Etat européen dont ils rêvent.
S'il s'agit de coordonner les politiques conduites par les différents pays en les comparant pour savoir quelle est la meilleure politique de l'emploi, la politique fiscale la plus efficace, je n'y vois pas d'inconvénient.
Mais le risque existe de voir un tel gouvernement économique constituer non pas un contre-pouvoir face à la Banque centrale, mais bien un super-pouvoir au-dessus des gouvernements nationaux.
Cela, nous n'en voulons toujours pas.
Quatrième risque
Nous avons voulu l'euro et l'union monétaire européenne. L'euro peut être un formidable atout pour la prospérité et pour l'emploi, à une condition toutefois : introduire toujours plus de souplesse au sein de nos économies, engager les réformes de structures nécessaires, réduire le poids de la fiscalité, privatiser, réglementer.
Mais nous savons aussi que l'euro pourrait se traduire par davantage de chômage si l'on maintient ou aggrave nos rigidités économiques.
Puisque l'on supprime l'ajustement par les taux de change, si l'on veut éviter que le chômage devienne la seule variable d'ajustement, il faut permettre l'ajustement par des différences de productivité, de durée du travail, de coût, de charges et d'impôts.
C'est dire que toutes les politiques qui se proposent, au nom de l'harmonisation fiscale ou sociale, de gommer les différences nécessaires en Europe, doivent être regardées avec beaucoup de prudence et de méfiance.
Notre vieux continent est un ensemble hétérogène qu'on ne peut comparer ni à l'Allemagne ni aux Etats-Unis. Ne pas tenir compte des langues, du fait national, des traditions régionales, de la diversité des structures familiales conduirait à créer des tendances centrifuges destructrices.
L'Europe doit s'enrichir de ses diversités, les respecter et les protéger. Elle doit chercher, non pas à harmoniser ses différences, c'est-à-dire les raboter, mais à les mettre en harmonie pour en tirer le meilleur parti, dans une société de liberté et d'échanges.
Ce serait rendre un mauvais service à l'Europe que de lui donner des institutions qui, par dérives successives, aboutiraient à un super-Etat unitaire et centralisateur.
Ne cédons pas au syndrome du pont de la rivière Kwaï qui a conduit le colonel Nicholson et ses prisonniers, emportés par le goût du travail bien fait, à édifier pour les Japonais un pont d'une importance capitale, jusqu'à oublier le sens de la construction de ce pont.
Face à ces risques de dérive, nous devons saisir l'occasion de cette modification constitutionnelle pour améliorer encore notre dispositif de contrôle des projets de règlements et de directives communautaires par l'Assemblée Nationale et le Sénat. Notre groupe parlementaire présentera et soutiendra à cette fin des propositions d'amendement visant à modifier l'article 88-4 de notre Constitution.
Nous pensons que le moment est venu d'une nouvelle approche de l'Europe.
Il ne s'agit pas seulement d'être pour l'Europe, d'être fidèle aux choix européens qui ont toujours été ceux des libéraux, mais de dire quelle Europe nous voulons.
· Nous voulons une vraie politique étrangère et de sécurité commune.
· Nous voulons l'Europe de tous les Européens.
L'élargissement de l'Europe à l'Est ne peut se faire sans modification de nos institutions, les pays candidats à l'élargissement n'ont pas à faire les frais de notre impuissance à engager les révisions nécessaires à Amsterdam.
· Nous voulons enfin, alors que nous avons, pour l'essentiel, assuré les fondations matérielles de l'Europe, dépasser la seule dimension économique du projet européen, penser l'Europe autrement qu'à travers des logiques traditionnelles de souveraineté ou de puissance, pour lui ajouter une dimension philosophique, morale, culturelle et politique.
L'Europe n'est pas une addition d'Etats - 6, 10, 12, 15, 20 - mais une idée, un point de vue sur l'humanité et le monde.
Au moment où les pays de l'Est rejoignent le camp de la liberté et comptent sur leur adhésion aux traités européens pour les y amarrer définitivement, l'union de l'Europe ne peut avoir de sens autrement que dans l'ancrage commun à des valeurs.
Comme la dit Vaclav Havel : " L'une des grandes traditions européennes, que l'Europe semblait oublier de plus en plus profondément pendant la première moitié du XXème siècle, met en avant le citoyen libre, source de pouvoir. Et même si, dans ses débuts, l'intégration européenne était avant tout une intégration économique, son point de départ ainsi que ses objectifs étaient clairs. Il s'agissait d'une grande renaissance du citoyen ".
Avec la réunification de l'Europe, ce n'est pas seulement leur espace géographique naturel que les Européens vont retrouver, mais aussi les fondements même de l'Europe.
L'inscription du principe de subsidiarité dans le traité de Maastricht et celle de l'"Etat de Droit" dans le traité d'Amsterdam constituent une rupture avec notre héritage jacobin, un retour aux sources de la civilisation européenne.
La marque du génie européen, c'est la proclamation que l'homme en tant que tel a des droits fondamentaux supérieurs à tout pouvoir, que ce soit celui d'un tyran, d'un roi, ou même d'une assemblée parlementaire. L'autorité publique ne fait pas le droit, elle est soumise au droit.
La construction européenne porte ainsi en germe le dépassement de notre conception traditionnelle de la souveraineté, liée à la fois à un Etat-nation-territoire et à l'identification de la volonté souveraine de la nation avec la volonté toute puissante du peuple, exprimée démocratiquement selon la règle de la majorité.
Un tel dépassement ne constitue pas un risque mais une chance.
Le principe fédérateur pour l'Europe de demain est avant tout un principe éthique, à la source de l'humanisme européen, qui revient à affirmer l'antériorité et la supériorité des droits de la personne.
Cette nouvelle Europe sera donc d'abord l'Europe de la culture, de la connaissance et du savoir, celle des libertés universitaires à la recherche du vrai, le socle à partir duquel s'organise la hiérarchie des valeurs.
Ce sera aussi l'Europe de la justice, comme puissance autonome qui borne le pouvoir et la loi.
Ce sera une Europe d'inspiration fédérale, authentiquement fédérale, au sens que l'on prêtait à ce mot au début du siècle dernier, au sens que lui donnait Victor Hugo lorsqu'il parlait des "Etats-Unis d'Europe" ; et non à l'image des Etats-Unis ou de l'Allemagne que ce mot revêt aujourd'hui.
L'Europe n'a plus et n'aura jamais plus pour mission de régner sur le monde ni de lui inculquer par la force ses idées, ni de lui imposer sa culture, ni même de lui donner des leçons.
Cependant, l'Europe qui a déjà tant apporté au monde, peut encore lui offrir un modèle, un exemple, celui d'un espace de liberté, de responsabilité et de Droit où peuvent coexister pacifiquement des hommes différents, libres et responsables, hors dune contrainte politique forte, et sans qu'on soumette les minorités aux caprices de la majorité, dans une civilisation plus " civilisée " qui remet l'homme au coeur de la société.
Permettez-moi, dans l'oeuvre aujourd'hui en cours, de ne retenir que cette promesse.
(source http://www.demlib.com, le 19 février 2002)