Interview de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, à LCI le 20 juin 2007, notamment sur les raisons de son entrée au gouvernement et sa vision de la vie politique.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- Vous entrez au Gouvernement. C'est une décision rapide, c'est une négociation longue, comment cela s'est-il passé ?
 
R.- C'est un peu les deux. C'est un mûrissement relativement long...
 
Q.- Premiers contacts pendant la campagne ?
 
R.-...pour être en capacité psychologique et personnelle de franchir le pas. Et c'est une décision rapide, puisque les premiers contacts datent de vendredi.
 
Q.- Que vous a dit F. Hollande, quand vous lui avez téléphoné pour lui annoncer que vous passiez de l'autre côté ?
 
R.- Nous avons eu avec François, une conversation cordiale, respectueuse, cela n'a pas forcément été le cas d'autres de mes amis, mais avec une grande incompréhension, bien entendu, mutuelle.
 
Q.- Alors, le parti socialiste considère que vous vous êtes mis, de fait, hors du parti. C'est un verdict que vous avouez, que vous reconnaissez ?
 
R.- J'y étais préparé, je connais la règle. On peut regretter naturellement qu'en France, il soit inconcevable, qu'il y ait des rapprochements, que l'on puisse traverser les lignes, faire des gouvernements avec différentes sensibilités politiques, comme cela se passe un peu partout en Europe. Mais bon, c'est comme ça. Je pense que notre pays saura un jour évoluer. Donc, oui, je m'y étais préparé. Mais, je reste un homme de gauche. D'ailleurs, cela fait aussi partie, si je puis dire, de l'esprit de l'ouverture. Et pour moi, ce la ne change rien à mes convictions.
 
Q.- Alors qu'est-ce que cela veut dire être un homme de gauche dans un Gouvernement de droite ?
 
R.- J'ai été pendant 34 ans au parti socialiste, c'est l'engagement de ma vie, je suis un homme de fidélité, de conviction. J'ai bien sûr, évolué au sein de cette formation politique. Depuis dix ans, je me bats avec constance et, je crois que vous le savez, pour rénover la pensée socialiste, dans un esprit davantage social-libéral ou, si vous préférez, davantage en phase avec les évolutions de toutes les social-démocraties en Europe qui, d'ailleurs, au passage, savent maintenant aussi gagner des élections voire même être réélues. Cela a été un peu plus difficile pour les socialistes français. Et à un moment donné, si vous voulez, on est atteints par une certaine lassitude, c'est ce qui m'est arrivé, le sentiment finalement que, cette rénovation ne se fera pas. Elle aurait d'ailleurs...elle se serait faite un peu avant les présidentielles, peut-être que le résultat aurait pu être différent. Et à un moment donné, quand il y a une vraie démarche d'ouverture, sincère, avec une vraie discussion, le respect de ce que vous êtes et de ce vous portez, vous franchissez le pas.
 
Q.- N'êtes-vous pas finalement, plus déçu par le socialisme français que séduit par le sarkozysme ?
 
R.- Il y a assurément une déception. Pour le reste, depuis quelques années, j'ai souvent eu des contacts au niveau de ces responsabilités ministérielles, de mes responsabilités de maire ou de parlementaire avec N. Sarkozy. Vous le savez, j'ai souvent été en accord, ou partiellement en accord, évidemment, j'ai gardé mon esprit critique, avec des mesures qu'il a pu prendre, sur des sujets qui me tenaient à coeur - les questions de sécurité, de prévention, etc. J'ai aussi appris à apprécier l'homme, je ne l'ai jamais diabolisé ou caricaturé. C'est quelqu'un pour qui j'ai du respect, de l'admiration. Je pense qu'il porte sincèrement l'esprit de réformes que j'aurais aimé voir la gauche porter. Donc, il y a une déception, mais il y a aussi une adhésion à cette nouvelle démarche.
 
Q.- Un autre Jean Marie entre à l'Elysée aujourd'hui. C'est J.-M. Le Pen, qui est reçu par N. Sarkozy. Approuvez-vous cette démarche, de voir tout le monde ? Ou, N. Sarkozy aurait dû, laisser J.-M. Le Pen hors du cadre de ces rencontres ?
 
R.- Aujourd'hui, l'extrême droite, est en position extrêmement difficile, et tout le monde s'en réjouit. On sent bien que ce n'est pas, à condition que l'on fasse le travail, une force d'avenir. A partir du moment où vous avez des partis démocratiques, et qu'il y a une consultation de tous, je trouve cette démarche...je ne la trouve pas choquante, je la trouve normale. Ce n'est pas un rapprochement, c'est écouter toutes les forces démocratiques, y compris celles dont est le plus éloigné, avant un Sommet européen.
 
Q.- En tant que chargé de la Coopération, ce sera donc votre portefeuille, escomptez-vous faire pression sur Djibouti pour qu'avance l'enquête sur l'affaire du juge Borrel, qui est désormais considérée comme un meurtre ?
 
R.- C'est aujourd'hui, un dossier qui est suivi au plus haut niveau, pour que les choses avancent normalement. Je pense aussi que, il faut faire confiance aux magistrats français qui sont engagés dans ce dossier. Et je suis naturellement à la disposition du Président, du Premier ministre, et bien sûr, de B. Kouchner, pour toute intervention ou démarche dans le cadre de mon nouveau périmètre ministériel. Je n'en dirais pas plus ce matin.
 
Q.- La France, doit-elle être désormais inflexible avec tous les chefs d'Etat africains qui sont parfois des démocrates limités, et que la raison d'Etat nous faisait accueillir à bras ouverts ?
 
R.- Si vous voulez, il faut naturellement que, beaucoup de choses évoluent, et en Afrique, et dans nos relations avec l'Afrique. Il faut aussi éviter de se poser en Saint-Just. Je me souviens d'une certaine époque, pas si lointaine, au début du premier septennat de F. Mitterrand, où beaucoup de choses avaient été dites, et ensuite elles se sont retrouvées en contradictions avec les faits. Donc, je pense qu'il faut avancer dans cette relation-là, dans l'évolution des choses, de manière sérieuse, bien sûr, avec un souci de renouvellement, de rénovation, mais aussi dans le respect, bien sûr, de la réalité telle qu'elle est.
 
Q.- Serez-vous candidat en 2008 à la mairie de Mulhouse, que vous occupez, et si oui, composerez-vous une liste ouverte à l'UMP ?
 
R.- Je reste maire, l'essentiel de mon équipe municipale est à mes côtés dans cette démarche. Nous avons eu l'occasion de nous en expliquer. Je préparais depuis longtemps, avant même d'entrer au Gouvernement, une liste d'ouverture, c'est un peu une tradition qui existait d'ailleurs depuis longtemps à Mulhouse, et que j'ai moi-même préservée, que ce soit vers le MoDem, ou bien entendu, avec l'UMP. Mais nous allons faire cela tranquillement.
 
Q.- L'UMP alsacienne est fâchée aujourd'hui ; l'Alsace a voté fortement pour N. Sarkozy, c'est un homme de gauche qui représente l'Alsace au Gouvernement. Que dites-vous aux UMP alsaciens ?
 
R.- Il y a eu quelques réactions assez vives, il y a eu un effet de surprise, je comprends cela. Je les connais tous, j'ai de bonnes relations avec eux, avec d'ailleurs l'ensemble des responsables politiques alsaciens, nous nous apprécions, nous allons... Il faut donner du temps au temps. Et puis des responsables comme A. Zeller, par exemple, avec lequel je travaille bien depuis longtemps, ont eu une réaction positive. Donc, je pense que je suis respectueux de la réalité politique alsacienne. Ils connaissent déjà avant ma capacité à travailler avec les uns et les autres sur des grands dossiers. Eux-mêmes, ont aussi leur capacité d'être présents à Paris, de porter des dossiers, nous allons nous respecter. Et je ne vais pas vouloir remettre en cause cette réalité dont ils sont partie prenante, à travers leurs élections brillantes. Et nous allons donc, à mon avis, très vite, établir, des relations de travail normales. Je ne suis pas inquiet.
 
Q.- Qui, selon vous, est le mieux placé pour moderniser le PS désormais ? C'est plutôt S. Royal, c'est plutôt D. Strauss-Kahn ? C'est plutôt les jeunes ?
 
R.- Je dirais que ça n'est, aujourd'hui, plus tout à fait mon affaire, de me mêler de cette modernisation. Je souhaite qu'elle se fasse, parce que il est important dans un pays démocratique, avec des perspectives d'alternance, que ce grand parti auquel j'ai appartenu si longtemps, et j'espère qu'il saura rester un grand parti, se modernise en profondeur. Si j'ai un conseil à donner maintenant de l'extérieur aux uns et aux autres, c'est qu'ils ne se perdent pas dans des querelles de personnes ou dans un renouvellement simplement générationnel, alors que des questions de fond sont posées. J'ai eu tellement d'espoirs déçus, que je me dis que cela va être extrêmement difficile. Mais franchement, et sincèrement, je leur souhaite bonne chance !
 
Q.- Faut-il abandonner la piste de "la TVA sociale" ?
 
R.- Parlons franchement : cette question sous des formes diverses, a été évoquée dans toutes les formations politiques, y compris au PS, y compris dans les textes que j'ai moi-même présentés dans des congrès. Donc, à partir de là, la question est posée, il faut approfondir ce sujet. Je crois que le président de la République a clairement engagé cette démarche, il a même demandé à E. Besson d'y travailler. Et donc, je pense que cela sera forcément une discussion. On a compris qu'elle serait très sensible. Mais si on est dans un esprit de réformes, il ne faut pas d'emblée renoncer à toute réflexion pour la réforme nécessaire dans notre pays.
 
Q.- Un Traité simplifié pour l'Europe, c'est la bonne solution, c'est la bonne voie ?
 
R.- Quand je vois les réactions positives que rencontre N. Sarkozy dans cette démarche depuis quelques semaines, je considère en tout cas que c'est l'étroit chemin qui nous permettra d'avancer.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 20 juin 2007