Texte intégral
Q - "La France est de retour en Europe", fin de citation. Cette phrase, prononcée par Nicolas Sarkozy le soir de son élection, n'était pas de pure forme, on le sait maintenant. Une France, qui avait pourtant tellement déçu, à de nombreux titres, qu'elle ne pesait plus que comme quantité négligeable ou presque. Le point d'orgue ayant été cette fameuse réunion des Européens à Madrid où elle ne fut pas conviée. Depuis, les choses ont radicalement changé puisque, du Sommet des chefs d'Etat à l'Eurogroupe, en passant par le traité simplifié de Constitution européenne, Paris a été sur tous les fronts, et vous n'avez pas vraiment chômé depuis votre nomination. Mais passé le maelström de la séduction, que reste-t-il de concret ? On va consacrer une partie de cette demi-heure ensemble à tenter de le préciser en compagnie de Philippe Mabille, de La Tribune. Auparavant, je vous propose de revenir sur les quelques éléments du journal de Maude Bayeux : la parité eurodollar au plus haut. On est mal, hein ? Et notamment pour Airbus ?
R - Il est vrai que la dépréciation du dollar et l'appréciation de l'euro - et ce n'est contesté par personne - joue sur les exportations d'un certain nombre de secteurs industriels, notamment l'aéronautique...
Q - On dit qu'au-dessus de 1,34 c'est la zone rouge.
R - ...et l'automobile. Les seuils que nous voyons aujourd'hui, et qui ont été rappelés, sont pour ces industries un handicap. Il y a d'ailleurs une étude de la Commission européenne, faite sur une période assez longue et sur les dix dernières années, qui montre que cette appréciation de l'euro pèse bien sur les exportations et a un impact sur le niveau de celles-ci, en dépit d'un accroissement de la demande mondiale. Il faut donc y faire attention sur le plan de la croissance économique.
Q - On sait très bien que la Réserve fédérale américaine, le pendant de notre Banque Centrale européenne, a des moyens de pilotage plus larges que la BCE. C'est aussi, j'ai l'impression, ce qui est demandé maintenant par Nicolas Sarkozy. Faut-il revoir, non pas l'indépendance mais au moins les statuts de la BCE, ou sa mission, de manière à ce qu'elle ait une marge de manoeuvre plus large, parce qu'on voit bien que c'est cela aussi qui nous "plante" un peu quand même ?
R - Non, je ne crois pas qu'il faille revoir l'indépendance ou les statuts de la Banque Centrale, et Nicolas Sarkozy a été extrêmement clair à cet égard. Ce qui est important, c'est qu'il y ait, comme il est prévu dans le traité, un dialogue entre la Banque Centrale Européenne et les ministres de l'Economie et des Finances, pour savoir quel est le cadre économique et monétaire le plus approprié pour faciliter la croissance et la compétitivité de l'Europe. Vous avez, dans le cadre du traité, un dialogue qui doit s'établir lorsque les orientations générales de politique de change sont à décider. Il est parfaitement normal que, dans ce cadre-là, et en application du traité, les ministres et les gouvernements jouent leur rôle. Voilà ce qu'il faut faire : c'est appliquer le traité.
Q - On ne sait pas ce que Nicolas Sarkozy a dit très exactement devant le ministre allemand des Finances, mais apparemment, ce qui a été rapporté par ce ministre à Angela Merkel, a l'air d'avoir fâché cette dernière, qui a dit qu'elle n'était pas du tout sur la même longueur d'onde que la France, que Nicolas Sarkozy, sur le terrain de l'indépendance de la BCE. Alors, est-ce que, d'après vous, avec la montée de l'euro, qui est aujourd'hui à des niveaux extrêmement élevés, il y a les germes d'une division, voire d'une sorte de conflit monétaire entre la France et l'Allemagne qui n'ont pas les mêmes intérêts, peut-être, du point de vue du taux de change ?
R - Non, je ne crois pas.
Q - Sur fond de crise à EADS ?
R - Comme vous le savez, le président de la République et la Chancelière doivent se retrouver dans des réunions de "Blaesheim" à Toulouse, le 16 juillet prochain. Il y a véritablement un approfondissement du dossier, et je crois que chacun est conscient qu'il faut trouver les meilleures solutions pour renforcer la gouvernance d'EADS. Par conséquent, comme toujours, c'est dans ce cadre franco-allemand que cela sera fait. Pour le reste, il n'y a pas de germes de conflit, il faut regarder ce qu'est la réalité. Et comme vous le savez, à Bruxelles, Nicolas Sarkozy s'est concentré sur la présentation du programme de réformes français et de son programme économique. Pour le reste, l'amitié franco-allemande, comme dans tout couple, ça marche dans les deux sens.
Q - Est-ce que, à Toulouse, la semaine prochaine, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, à votre avis, vont parler d'une même voix ?
R - C'est le but de ce type de réunion que de trouver des accords et en tout cas, une analyse doit être faite, comme je l'ai dit, pour aboutir à la meilleure gouvernance possible dans le cadre de EADS.
Q - Autre actualité que l'on évoquait, c'est la désignation de Dominique Strauss-Kahn comme candidat officiel de l'Europe au FMI, à la direction générale. Qu'en pensez-vous, vous connaissez très bien Dominique Strauss-Kahn ?
R - D'une part, je suis extrêmement heureux de cette désignation. Il me semble que Dominique Strauss-Kahn, compte tenu de son profil, de son expérience, du prestige qui est le sien au niveau européen mais également au niveau international, était le candidat le plus qualifié pour être le candidat qui représente l'Europe au FMI. Vous savez que depuis la Guerre, il y a une séparation des rôles qui veut que la Banque mondiale soit dirigée par un américain - et d'ailleurs, il y a quelques semaines, en remplacement de M. Wolfowitz, M. Zoellick a été désigné - et que le FMI soit dirigé par un Européen. La désignation de Dominique Strauss-Kahn est un honneur pour la France et véritablement une grande marque de confiance de la part de nos partenaires dans cette personnalité.
Q - Un Européen va sans doute effectivement, de nouveau, diriger le FMI. Qui aura-t-il comme interlocuteur en Europe ? Avez-vous avancé à Bruxelles sur la représentation commune de l'Europe ? On dit souvent que l'Europe parle de plusieurs voix. N'y a-t-il pas, là, quand même un domaine de réforme, à la fois pour l'Europe dans son ensemble, et voire même pour la zone euro ?
R - En ce qui concerne la zone euro, il est vrai qu'il convient d'avancer dans sa gouvernance, au fur et à mesure, notamment, de l'entrée de nouveaux membres dans cette zone et de faire en sorte qu'il y ait une meilleure visibilité de la zone sur la scène internationale. Nous avons progressé, et vous l'avez encore vu lors de la réunion qui a eu lieu lundi soir, avec la désignation d'un président pour l'Eurogroupe pour deux ans et demi, qui est Jean-Claude Juncker. Il est clair, lorsque l'on voit le rôle du Président dans le cadre de ces réunions, comme l'interface qu'il a avec la BCE ou son rôle sur le plan international, que nous avons fait un grand progrès. Il est évident aussi que nous avons sans doute à faire d'autres progrès. Mais chaque réforme doit venir en son temps.
Q - Pourquoi M. Juncker est-il sorti tellement séduit de sa rencontre avec Nicolas Sarkozy ? Les membres de l'Eurogroupe attendaient C. Lagarde et Nicolas Sarkozy, on va dire pudiquement "de pied ferme", pour ne pas dire avec quelques Kalachnikov chargées, et brutalement, changement de décor, c'était le grand bleu sur l'Eurogroupe ?
R - Je l'explique d'une part par l'énergie, la force de persuasion et de conviction du président de la République, qui, comme vous le savez, est grande et a encore joué lundi soir, avec un style très direct. D'autre part, par le fait que le programme de réformes proposé a été jugé crédible et que l'Europe et les membres de la zone euro savent que, ce qui est le plus important, c'est bien que la France soit de plain-pied dans le programme de Lisbonne, fasse des réformes structurelles d'un niveau qui n'a jamais été égalé jusqu'à présent en France, et s'inscrive pleinement dans une stratégie qui vise à accroître la croissance potentielle de la zone euro et de l'Union européenne. Et de ce point de vue, le fait que la France cherche à accroître sa croissance et à gagner le point de croissance supplémentaire qui lui fait défaut est extrêmement important pour l'ensemble de la zone. Enfin, il a été clair, et ils l'ont vu, que la France s'inscrivait pleinement, également, dans le pacte de stabilité et de croissance et respectera ses engagements.
Q - Nicolas Sarkozy est actuellement dans le Maghreb, c'est une région du monde que vous connaissez bien puisque vous y étiez allé quand vous étiez à Bercy à plusieurs reprises, et notamment en Algérie. Qu'est-ce que la France, en dehors évidemment de la notion d'Union méditerranéenne que souhaite Nicolas Sarkozy, qui est importante, espère obtenir notamment avec les Algériens ? On a l'impression que cela patine un peu, notamment sur le gaz, où il n'y a pas pour le moment d'éléments très concrets. Avez-vous espoir que ce dossier progresse ?
R - Ce qui est important dans ce déplacement, c'est de bien expliquer à nos partenaires algériens et tunisiens le projet d'Union méditerranéenne, et de faire en sorte qu'il y ait des coopérations renforcées entre les pays de la rive européenne de la Méditerranée et les pays du Maghreb mais aussi du Machrek. C'est important, puisque ce projet d'union méditerranéenne doit dépasser le partenariat traditionnel euro-méditerranée, qui trouve un certain nombre de limites, notamment en termes de visibilité politique ou d'impulsion, et qui ne satisfait pas tout à fait nos autres partenaires méditerranéens. L'union méditerranéenne doit être développée sur la base de projets concrets - je pense à l'environnement, à l'accès à l'eau, au développement durable mais aussi à la politique de recherche, à l'innovation, à la coopération énergétique. Ce que nous souhaitons, c'est donner véritablement une impulsion politique et une visibilité beaucoup plus grande à la coopération entre un certain nombre de pays européens et nos partenaires du Maghreb.
Q - Oui, mais Nicolas Sarkozy avait dit qu'il souhaitait que, dans le projet éventuel de rapprochement entre GDF et Suez, il y ait aussi une dimension algérienne avec la Sonatrach. Ce dossier, d'après vous, peut-il se débloquer, et quels sont les termes d'un éventuel accord ?
R - Comme vous le savez, je suis en charge des Affaires européennes. Ce dossier dépasse un peu les éléments qui ont trait à la politique européenne. D'autre part, je pense que tout cela doit être évoqué dans le cadre du déplacement, c'est un projet intéressant et il est évident qu'il y a dû y avoir des contacts sur ce point avec les autorités algériennes.
Q - Encore une question sur le Maghreb, avec qui on a une longue histoire et des relations peut-être beaucoup plus forte qu'avec certains petits pays d'Europe centrale, même si la géographie veut qu'ils soient dans l'Europe et pas le Maghreb. On voit bien la montée en puissance des pays asiatiques au sein du Maghreb. Est-ce que l'on n'est pas en train de se faire doubler ?
R - Vous avez raison, il convient d'être vigilant et c'est pour cela que nous souhaitons avec nos partenaires développer ce projet d'Union méditerranéenne pour que l'Europe, de façon plus efficace, puisse épauler cette région avec laquelle nous avons des liens humains, économiques et culturels extrêmement importants. D'un autre côté, nous devons nous interroger sur ce que sont les frontières de l'Europe. Le moment venu, nous devrons, avec nos partenaires, avoir une réflexion sur le sujet, de manière ouverte, en posant bien les termes du débat. Il ne peut pas y avoir une ouverture indéfinie sans qu'il y ait de réflexion sur ce qu'est la nature de l'Europe et sur ce qu'est la capacité d'absorption, c'est-à-dire les moyens qui sont donnés à l'Europe d'intégrer un certain nombre de populations. On a vu ces dernières années combien cela pouvait peser sur les choix, malheureusement négatifs en ce qui nous concerne, qui ont été faits par les populations européennes.
Q - L'Europe s'arrête au Bosphore ?
R - Il ne faut pas raisonner en termes purement géographiques. Il faut prendre en compte un certain nombre d'éléments qui ont trait à la culture, aux valeurs, à l'histoire, également à la géographie. C'est un ensemble sur lequel nous devons réfléchir à un moment donné. Ce qui est clair, c'est qu'il faut trouver une identité. Et il n'y a pas d'identité européenne forte sans identités nationales fortes. Il n'y a pas non plus d'identités nationales fortes si l'on ne sait pas ce qu'est l'identité européenne.
Q - On revient à l'économie. La France devrait revenir " dans les clous " en 2010, c'est ce qui a été annoncé, plutôt qu'en 2012, en matière de déficit public. On va vraiment y arriver ? Cela ne suppose pas de la croissance à marche forcée ?
R - Cela dépend de la croissance. Ce qui a été indiqué par le président de la République à nos partenaires, c'est que nous ferions nos meilleurs efforts pour arriver à l'équilibre budgétaire en 2010. C'est la première fois, M. Juncker l'a souligné, qu'un pays - cela montre le degré d'engagement de la France et le respect des règles du pacte de stabilité - présentera de manière aussi rapide une révision de ses hypothèses dans le cadre du pacte de stabilité, ce que nous ferons à la rentrée. Il y aura deux scenarii présentés : l'un d'équilibre budgétaire en 2012, l'autre d'équilibre budgétaire en 2010, en fonction des hypothèses de croissance qui seront déterminées.
Q - Il y a un dossier, celui de la politique commerciale, sur lequel la France, avec Nicolas Sarkozy, a pris des positions assez fortes. La France refuse de se montrer naïve en matière commerciale. Dans la mondialisation, la France reste ouverte mais elle a décidé de montrer un peu les dents. Comment cela va-t-il se manifester ? Est-ce qu'on peut seul au monde arriver à tenir ce discours ou va-t-il falloir convaincre en Europe, ce qui n'est pas si simple ?
R - Nous sommes pour la mondialisation. La France est ouverte. Je rappelle que la France le 4ème pays au monde d'accueil en terme d'investissements étrangers. La France est aussi l'un des pays qui investit le plus à l'étranger. Il ne faut pas confondre cette ouverture, les bénéfices que nous tirons de la mondialisation en termes de croissance économique et d'emploi puisque les entreprises étrangères installées sur notre territoire sont de grands pourvoyeurs d'emploi, et ce qui est l'application d'une doctrine purement libérale. Tous nos partenaires, y compris les Etats-Unis qui sont une grande puissance libérale, défendent leurs intérêts. Ce que nous disons, c'est que dans la mondialisation, l'Europe, au même titre que les Etats-Unis ou que nos partenaires asiatiques, et notamment le Japon, doit défendre ses intérêts. La mondialisation ne marchera que s'il y a des bénéfices équilibrés pour l'ensemble des zones. Nous refusons donc d'être enfermés dans un procès qui consisterait à dire qu'il y a, d'un côté les méchants protectionnistes français et de l'autre les bons libéraux. Il faut bien voir que, pour certains pays, être libéral, c'est également défendre ses intérêts. Nous sommes ouverts, vous pouvez être ouvert, reconnaître les bienfaits de la mondialisation et refuser la naïveté ou le laisser-faire. C'est ce que nous disons à nos partenaires. Ce n'est pas seulement l'intérêt de la France, c'est l'intérêt de l'Europe, et nous le voyons bien dans le cadre des négociations à l'OMC.
Q - Quel est votre plan de route, d'ici à la fin de l'année, quelles sont vos priorités ?
R - Les priorités, c'est mettre en oeuvre l'accord qui a été trouvé au Conseil européen sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy et dans le cadre de la coopération qu'il a eue avec Angela Merkel. C'est un accord extrêmement important puisqu'il nous permet de mettre derrière nous 15 années de débats institutionnels. Vous posiez tout à l'heure la question de l'élargissement de l'Europe. Je pense que nous n'avons pas su apporter les réponses institutionnelles adéquates aux élargissements successifs de l'Europe. Cela a été, à mon avis, l'une des raisons de l'échec du referendum de 2005. Maintenant ce débat est derrière nous. Nous devons, à travers la conférence intergouvernementale qui sera convoquée par la Présidence portugaise le 23 juillet, finaliser cet accord, sur des bases techniques, et avoir un nouveau projet de traité pour la mi-octobre.
Ce traité n'est pas une fin en soi mais un instrument qui doit nous permettre de développer des politiques très concrètes, que ce soit dans le domaine de l'énergie, qui est l'un des enjeux cruciaux du XXIème siècle en terme d'indépendance et de croissance économique, que ce soit sur le terrain social avec ce qui a été dit lors du dernier Conseil sur la reconnaissance des services publics ou l'application de la charte sur les droits fondamentaux, que ce soit la promotion du développement durable et de toutes les politiques environnementales. C'est pour cela que nous souhaitons, là aussi, développer l'introduction de produits propres ou de normes environnementales de grande qualité au niveau européen et augmenter la part des énergies renouvelables. Nous souhaitons mettre en oeuvre ces politiques concrètes après avoir réalisé l'accord sur le Traité. C'est la seconde étape. La troisième étape, qui commence dès aujourd'hui, c'est la préparation de la présidence française de l'Union européenne, qui s'exercera à partir du 1er juillet 2008. Il faut en définir les priorités et l'organisation. C'est une étape extrêmement importante autour des priorités que sont la croissance et l'emploi, le développement durable et les politiques du futur de l'Europe, une politique très stimulante en matière de recherche et d'innovation. C'est autour de ces priorités que nous ferons des propositions au Premier ministre et au président de la République.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 juillet 2007
R - Il est vrai que la dépréciation du dollar et l'appréciation de l'euro - et ce n'est contesté par personne - joue sur les exportations d'un certain nombre de secteurs industriels, notamment l'aéronautique...
Q - On dit qu'au-dessus de 1,34 c'est la zone rouge.
R - ...et l'automobile. Les seuils que nous voyons aujourd'hui, et qui ont été rappelés, sont pour ces industries un handicap. Il y a d'ailleurs une étude de la Commission européenne, faite sur une période assez longue et sur les dix dernières années, qui montre que cette appréciation de l'euro pèse bien sur les exportations et a un impact sur le niveau de celles-ci, en dépit d'un accroissement de la demande mondiale. Il faut donc y faire attention sur le plan de la croissance économique.
Q - On sait très bien que la Réserve fédérale américaine, le pendant de notre Banque Centrale européenne, a des moyens de pilotage plus larges que la BCE. C'est aussi, j'ai l'impression, ce qui est demandé maintenant par Nicolas Sarkozy. Faut-il revoir, non pas l'indépendance mais au moins les statuts de la BCE, ou sa mission, de manière à ce qu'elle ait une marge de manoeuvre plus large, parce qu'on voit bien que c'est cela aussi qui nous "plante" un peu quand même ?
R - Non, je ne crois pas qu'il faille revoir l'indépendance ou les statuts de la Banque Centrale, et Nicolas Sarkozy a été extrêmement clair à cet égard. Ce qui est important, c'est qu'il y ait, comme il est prévu dans le traité, un dialogue entre la Banque Centrale Européenne et les ministres de l'Economie et des Finances, pour savoir quel est le cadre économique et monétaire le plus approprié pour faciliter la croissance et la compétitivité de l'Europe. Vous avez, dans le cadre du traité, un dialogue qui doit s'établir lorsque les orientations générales de politique de change sont à décider. Il est parfaitement normal que, dans ce cadre-là, et en application du traité, les ministres et les gouvernements jouent leur rôle. Voilà ce qu'il faut faire : c'est appliquer le traité.
Q - On ne sait pas ce que Nicolas Sarkozy a dit très exactement devant le ministre allemand des Finances, mais apparemment, ce qui a été rapporté par ce ministre à Angela Merkel, a l'air d'avoir fâché cette dernière, qui a dit qu'elle n'était pas du tout sur la même longueur d'onde que la France, que Nicolas Sarkozy, sur le terrain de l'indépendance de la BCE. Alors, est-ce que, d'après vous, avec la montée de l'euro, qui est aujourd'hui à des niveaux extrêmement élevés, il y a les germes d'une division, voire d'une sorte de conflit monétaire entre la France et l'Allemagne qui n'ont pas les mêmes intérêts, peut-être, du point de vue du taux de change ?
R - Non, je ne crois pas.
Q - Sur fond de crise à EADS ?
R - Comme vous le savez, le président de la République et la Chancelière doivent se retrouver dans des réunions de "Blaesheim" à Toulouse, le 16 juillet prochain. Il y a véritablement un approfondissement du dossier, et je crois que chacun est conscient qu'il faut trouver les meilleures solutions pour renforcer la gouvernance d'EADS. Par conséquent, comme toujours, c'est dans ce cadre franco-allemand que cela sera fait. Pour le reste, il n'y a pas de germes de conflit, il faut regarder ce qu'est la réalité. Et comme vous le savez, à Bruxelles, Nicolas Sarkozy s'est concentré sur la présentation du programme de réformes français et de son programme économique. Pour le reste, l'amitié franco-allemande, comme dans tout couple, ça marche dans les deux sens.
Q - Est-ce que, à Toulouse, la semaine prochaine, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, à votre avis, vont parler d'une même voix ?
R - C'est le but de ce type de réunion que de trouver des accords et en tout cas, une analyse doit être faite, comme je l'ai dit, pour aboutir à la meilleure gouvernance possible dans le cadre de EADS.
Q - Autre actualité que l'on évoquait, c'est la désignation de Dominique Strauss-Kahn comme candidat officiel de l'Europe au FMI, à la direction générale. Qu'en pensez-vous, vous connaissez très bien Dominique Strauss-Kahn ?
R - D'une part, je suis extrêmement heureux de cette désignation. Il me semble que Dominique Strauss-Kahn, compte tenu de son profil, de son expérience, du prestige qui est le sien au niveau européen mais également au niveau international, était le candidat le plus qualifié pour être le candidat qui représente l'Europe au FMI. Vous savez que depuis la Guerre, il y a une séparation des rôles qui veut que la Banque mondiale soit dirigée par un américain - et d'ailleurs, il y a quelques semaines, en remplacement de M. Wolfowitz, M. Zoellick a été désigné - et que le FMI soit dirigé par un Européen. La désignation de Dominique Strauss-Kahn est un honneur pour la France et véritablement une grande marque de confiance de la part de nos partenaires dans cette personnalité.
Q - Un Européen va sans doute effectivement, de nouveau, diriger le FMI. Qui aura-t-il comme interlocuteur en Europe ? Avez-vous avancé à Bruxelles sur la représentation commune de l'Europe ? On dit souvent que l'Europe parle de plusieurs voix. N'y a-t-il pas, là, quand même un domaine de réforme, à la fois pour l'Europe dans son ensemble, et voire même pour la zone euro ?
R - En ce qui concerne la zone euro, il est vrai qu'il convient d'avancer dans sa gouvernance, au fur et à mesure, notamment, de l'entrée de nouveaux membres dans cette zone et de faire en sorte qu'il y ait une meilleure visibilité de la zone sur la scène internationale. Nous avons progressé, et vous l'avez encore vu lors de la réunion qui a eu lieu lundi soir, avec la désignation d'un président pour l'Eurogroupe pour deux ans et demi, qui est Jean-Claude Juncker. Il est clair, lorsque l'on voit le rôle du Président dans le cadre de ces réunions, comme l'interface qu'il a avec la BCE ou son rôle sur le plan international, que nous avons fait un grand progrès. Il est évident aussi que nous avons sans doute à faire d'autres progrès. Mais chaque réforme doit venir en son temps.
Q - Pourquoi M. Juncker est-il sorti tellement séduit de sa rencontre avec Nicolas Sarkozy ? Les membres de l'Eurogroupe attendaient C. Lagarde et Nicolas Sarkozy, on va dire pudiquement "de pied ferme", pour ne pas dire avec quelques Kalachnikov chargées, et brutalement, changement de décor, c'était le grand bleu sur l'Eurogroupe ?
R - Je l'explique d'une part par l'énergie, la force de persuasion et de conviction du président de la République, qui, comme vous le savez, est grande et a encore joué lundi soir, avec un style très direct. D'autre part, par le fait que le programme de réformes proposé a été jugé crédible et que l'Europe et les membres de la zone euro savent que, ce qui est le plus important, c'est bien que la France soit de plain-pied dans le programme de Lisbonne, fasse des réformes structurelles d'un niveau qui n'a jamais été égalé jusqu'à présent en France, et s'inscrive pleinement dans une stratégie qui vise à accroître la croissance potentielle de la zone euro et de l'Union européenne. Et de ce point de vue, le fait que la France cherche à accroître sa croissance et à gagner le point de croissance supplémentaire qui lui fait défaut est extrêmement important pour l'ensemble de la zone. Enfin, il a été clair, et ils l'ont vu, que la France s'inscrivait pleinement, également, dans le pacte de stabilité et de croissance et respectera ses engagements.
Q - Nicolas Sarkozy est actuellement dans le Maghreb, c'est une région du monde que vous connaissez bien puisque vous y étiez allé quand vous étiez à Bercy à plusieurs reprises, et notamment en Algérie. Qu'est-ce que la France, en dehors évidemment de la notion d'Union méditerranéenne que souhaite Nicolas Sarkozy, qui est importante, espère obtenir notamment avec les Algériens ? On a l'impression que cela patine un peu, notamment sur le gaz, où il n'y a pas pour le moment d'éléments très concrets. Avez-vous espoir que ce dossier progresse ?
R - Ce qui est important dans ce déplacement, c'est de bien expliquer à nos partenaires algériens et tunisiens le projet d'Union méditerranéenne, et de faire en sorte qu'il y ait des coopérations renforcées entre les pays de la rive européenne de la Méditerranée et les pays du Maghreb mais aussi du Machrek. C'est important, puisque ce projet d'union méditerranéenne doit dépasser le partenariat traditionnel euro-méditerranée, qui trouve un certain nombre de limites, notamment en termes de visibilité politique ou d'impulsion, et qui ne satisfait pas tout à fait nos autres partenaires méditerranéens. L'union méditerranéenne doit être développée sur la base de projets concrets - je pense à l'environnement, à l'accès à l'eau, au développement durable mais aussi à la politique de recherche, à l'innovation, à la coopération énergétique. Ce que nous souhaitons, c'est donner véritablement une impulsion politique et une visibilité beaucoup plus grande à la coopération entre un certain nombre de pays européens et nos partenaires du Maghreb.
Q - Oui, mais Nicolas Sarkozy avait dit qu'il souhaitait que, dans le projet éventuel de rapprochement entre GDF et Suez, il y ait aussi une dimension algérienne avec la Sonatrach. Ce dossier, d'après vous, peut-il se débloquer, et quels sont les termes d'un éventuel accord ?
R - Comme vous le savez, je suis en charge des Affaires européennes. Ce dossier dépasse un peu les éléments qui ont trait à la politique européenne. D'autre part, je pense que tout cela doit être évoqué dans le cadre du déplacement, c'est un projet intéressant et il est évident qu'il y a dû y avoir des contacts sur ce point avec les autorités algériennes.
Q - Encore une question sur le Maghreb, avec qui on a une longue histoire et des relations peut-être beaucoup plus forte qu'avec certains petits pays d'Europe centrale, même si la géographie veut qu'ils soient dans l'Europe et pas le Maghreb. On voit bien la montée en puissance des pays asiatiques au sein du Maghreb. Est-ce que l'on n'est pas en train de se faire doubler ?
R - Vous avez raison, il convient d'être vigilant et c'est pour cela que nous souhaitons avec nos partenaires développer ce projet d'Union méditerranéenne pour que l'Europe, de façon plus efficace, puisse épauler cette région avec laquelle nous avons des liens humains, économiques et culturels extrêmement importants. D'un autre côté, nous devons nous interroger sur ce que sont les frontières de l'Europe. Le moment venu, nous devrons, avec nos partenaires, avoir une réflexion sur le sujet, de manière ouverte, en posant bien les termes du débat. Il ne peut pas y avoir une ouverture indéfinie sans qu'il y ait de réflexion sur ce qu'est la nature de l'Europe et sur ce qu'est la capacité d'absorption, c'est-à-dire les moyens qui sont donnés à l'Europe d'intégrer un certain nombre de populations. On a vu ces dernières années combien cela pouvait peser sur les choix, malheureusement négatifs en ce qui nous concerne, qui ont été faits par les populations européennes.
Q - L'Europe s'arrête au Bosphore ?
R - Il ne faut pas raisonner en termes purement géographiques. Il faut prendre en compte un certain nombre d'éléments qui ont trait à la culture, aux valeurs, à l'histoire, également à la géographie. C'est un ensemble sur lequel nous devons réfléchir à un moment donné. Ce qui est clair, c'est qu'il faut trouver une identité. Et il n'y a pas d'identité européenne forte sans identités nationales fortes. Il n'y a pas non plus d'identités nationales fortes si l'on ne sait pas ce qu'est l'identité européenne.
Q - On revient à l'économie. La France devrait revenir " dans les clous " en 2010, c'est ce qui a été annoncé, plutôt qu'en 2012, en matière de déficit public. On va vraiment y arriver ? Cela ne suppose pas de la croissance à marche forcée ?
R - Cela dépend de la croissance. Ce qui a été indiqué par le président de la République à nos partenaires, c'est que nous ferions nos meilleurs efforts pour arriver à l'équilibre budgétaire en 2010. C'est la première fois, M. Juncker l'a souligné, qu'un pays - cela montre le degré d'engagement de la France et le respect des règles du pacte de stabilité - présentera de manière aussi rapide une révision de ses hypothèses dans le cadre du pacte de stabilité, ce que nous ferons à la rentrée. Il y aura deux scenarii présentés : l'un d'équilibre budgétaire en 2012, l'autre d'équilibre budgétaire en 2010, en fonction des hypothèses de croissance qui seront déterminées.
Q - Il y a un dossier, celui de la politique commerciale, sur lequel la France, avec Nicolas Sarkozy, a pris des positions assez fortes. La France refuse de se montrer naïve en matière commerciale. Dans la mondialisation, la France reste ouverte mais elle a décidé de montrer un peu les dents. Comment cela va-t-il se manifester ? Est-ce qu'on peut seul au monde arriver à tenir ce discours ou va-t-il falloir convaincre en Europe, ce qui n'est pas si simple ?
R - Nous sommes pour la mondialisation. La France est ouverte. Je rappelle que la France le 4ème pays au monde d'accueil en terme d'investissements étrangers. La France est aussi l'un des pays qui investit le plus à l'étranger. Il ne faut pas confondre cette ouverture, les bénéfices que nous tirons de la mondialisation en termes de croissance économique et d'emploi puisque les entreprises étrangères installées sur notre territoire sont de grands pourvoyeurs d'emploi, et ce qui est l'application d'une doctrine purement libérale. Tous nos partenaires, y compris les Etats-Unis qui sont une grande puissance libérale, défendent leurs intérêts. Ce que nous disons, c'est que dans la mondialisation, l'Europe, au même titre que les Etats-Unis ou que nos partenaires asiatiques, et notamment le Japon, doit défendre ses intérêts. La mondialisation ne marchera que s'il y a des bénéfices équilibrés pour l'ensemble des zones. Nous refusons donc d'être enfermés dans un procès qui consisterait à dire qu'il y a, d'un côté les méchants protectionnistes français et de l'autre les bons libéraux. Il faut bien voir que, pour certains pays, être libéral, c'est également défendre ses intérêts. Nous sommes ouverts, vous pouvez être ouvert, reconnaître les bienfaits de la mondialisation et refuser la naïveté ou le laisser-faire. C'est ce que nous disons à nos partenaires. Ce n'est pas seulement l'intérêt de la France, c'est l'intérêt de l'Europe, et nous le voyons bien dans le cadre des négociations à l'OMC.
Q - Quel est votre plan de route, d'ici à la fin de l'année, quelles sont vos priorités ?
R - Les priorités, c'est mettre en oeuvre l'accord qui a été trouvé au Conseil européen sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy et dans le cadre de la coopération qu'il a eue avec Angela Merkel. C'est un accord extrêmement important puisqu'il nous permet de mettre derrière nous 15 années de débats institutionnels. Vous posiez tout à l'heure la question de l'élargissement de l'Europe. Je pense que nous n'avons pas su apporter les réponses institutionnelles adéquates aux élargissements successifs de l'Europe. Cela a été, à mon avis, l'une des raisons de l'échec du referendum de 2005. Maintenant ce débat est derrière nous. Nous devons, à travers la conférence intergouvernementale qui sera convoquée par la Présidence portugaise le 23 juillet, finaliser cet accord, sur des bases techniques, et avoir un nouveau projet de traité pour la mi-octobre.
Ce traité n'est pas une fin en soi mais un instrument qui doit nous permettre de développer des politiques très concrètes, que ce soit dans le domaine de l'énergie, qui est l'un des enjeux cruciaux du XXIème siècle en terme d'indépendance et de croissance économique, que ce soit sur le terrain social avec ce qui a été dit lors du dernier Conseil sur la reconnaissance des services publics ou l'application de la charte sur les droits fondamentaux, que ce soit la promotion du développement durable et de toutes les politiques environnementales. C'est pour cela que nous souhaitons, là aussi, développer l'introduction de produits propres ou de normes environnementales de grande qualité au niveau européen et augmenter la part des énergies renouvelables. Nous souhaitons mettre en oeuvre ces politiques concrètes après avoir réalisé l'accord sur le Traité. C'est la seconde étape. La troisième étape, qui commence dès aujourd'hui, c'est la préparation de la présidence française de l'Union européenne, qui s'exercera à partir du 1er juillet 2008. Il faut en définir les priorités et l'organisation. C'est une étape extrêmement importante autour des priorités que sont la croissance et l'emploi, le développement durable et les politiques du futur de l'Europe, une politique très stimulante en matière de recherche et d'innovation. C'est autour de ces priorités que nous ferons des propositions au Premier ministre et au président de la République.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 juillet 2007