Discours de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, sur le projet de loi de réglement pour l'exercice 2006 dans le cadre de la nouvelle constitution financière, à l'Assemblée nationale le 16 juillet 2007.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des finances,
Monsieur le Rapporteur Général,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Pour nous tous, qui avons l'habitude de regarder vers le futur, il n'est jamais très enthousiasmant de se retourner vers le passé. Ainsi s'explique le caractère relativement confidentiel, jusqu'ici, de la discussion du projet de loi de règlement de l'année précédente.
Mais, imaginez maintenant que ce regard en arrière soit comme un rétroviseur qui permette de mieux nous guider sur le chemin de l'avenir, et alors tout change. C'est justement ce qu'il advient avec la nouvelle présentation du projet de loi de règlement : désormais, les résultats de l'exercice précédent pourront être pleinement utilisés pour améliorer les politiques publiques à venir.
Ce projet de loi dont nous allons discuter est le premier à être présenté dans les conditions fixées par la LOLF. A ce titre, il marque le point d'orgue des réformes portées par notre nouvelle « constitution budgétaire », dont je salue, au passage, l'un des deux pères fondateurs, Didier Migaud, Président de la Commission des finances. Nous disposons maintenant d'un outil budgétaire entièrement renouvelé et en ordre de marche.
Le contenu très technique de cette réforme ne doit pas en cacher la portée politique profonde. Avec la LOLF, nous avons franchi une étape décisive en matière de gestion publique :
- une étape qui répond aux demandes des Français d'un Etat plus fiable, plus performant, plus économe de l'argent public ;
- une étape qui constitue un levier majeur de modernisation de l'Etat, grâce à la présentation du budget par politiques publiques et non plus par types de dépenses, grâce aussi à la nouvelle logique de résultats et de performance qui préside à l'élaboration du budget ;
- une étape, enfin, qui vous apporte des moyens de contrôle nouveaux et approfondis, qui viennent renforcer les pouvoirs du Parlement et donc notre démocratie.
Une dernière réforme me paraît néanmoins indispensable pour que les avancées initiées par la LOLF portent tous leurs fruits, c'est celle de la procédure parlementaire de la discussion budgétaire. Je l'évoquerai tout à l'heure, après vous avoir présenté les résultats et les comptes de l'année 2006.
I. Les résultats de l'exercice 2006 sont très satisfaisants et je rends hommage à Jean-François Copé qui en a été le maître d'oeuvre en tant que ministre chargé du budget, ainsi qu'à votre commission des finances, à son président, alors Pierre Méhaignerie, et à son rapporteur général, Gilles Carrez.
Le déficit budgétaire de l'État demeure certes élevé mais il est nettement inférieur aux prévisions initiales : à 39 Md d'euros contre 45,7 Md d'euros prévus par la loi de finances rectificative de fin d'année.
- Cette amélioration est le fruit d'une stricte maîtrise des dépenses sur le budget général.
Pour la 4ème année consécutive, l'autorisation parlementaire a été respectée et la progression des dépenses contenue au niveau de l'inflation - le « 0 volume » a bien été tenu.
Le respect du plafond de dépenses s'accompagne du respect du plafond d'emplois, qui témoigne d'un effort important de maîtrise des effectifs et de la masse salariale des ministères : la baisse du nombre d'emplois en équivalents temps plein est ainsi de 9 500, contre 5 300 prévus en loi de finances initiale.
Maîtrise de la dépense et maîtrise des effectifs sont les deux éléments clés de la crédibilité de notre politique budgétaire. Elles seront assidûment poursuivies, comme vous pourrez le constater lors de notre débat d'orientation budgétaire cet après-midi.
- L'amélioration du montant du déficit est aussi le fruit d'une dynamique marquée des recettes fiscales, en hausse de plus de 10 Md d'euros par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale, une hausse essentiellement concentrée sur l'impôt sur les sociétés. Conformément à la règle fixée en loi de finances initiale, l'intégralité du surplus de recettes fiscales a été consacrée à la réduction du déficit budgétaire.
Mais, comme je vous le disais en introduction de mon propos, l'intérêt de ce projet de loi dépasse de beaucoup l'enregistrement de ces résultats : il entérine, en effet, une véritable révolution comptable et il devient l'étape clé de l'amélioration des performances de l'action publique.
A. La première rupture que marque le texte dont nous discutons aujourd'hui est d'ordre comptable.
Le Premier président de la Cour des comptes, Philippe Séguin, a pu, à juste titre, parler d'un véritable big bang comptable pour l'Etat.
Je tiens à rendre un hommage appuyé à tous ceux qui en ont été les artisans. Les administrations, qu'elles soient gestionnaires ou comptables, ont fait un travail considérable, dont témoigne la qualité de ces premiers comptes.
Pour la première fois, les comptes de l'Etat sont présentés non plus selon une simple comptabilité de caisse mais selon une comptabilité générale, avec, à l'égal des entreprises, un bilan, un compte de résultat et un tableau des flux de trésorerie. L'intérêt est double : ces nouveaux comptes donnent une vision beaucoup plus précise et détaillée du résultat de l'exercice budgétaire et ils rendent compte de façon beaucoup plus juste du patrimoine de l'Etat :
- côté actif, les immobilisations font désormais l'objet d'un recensement plus systématique, qui nous a conduit à augmenter l'actif immobilisé de près de 200 Md d'euros, après réévaluation du patrimoine routier, des participations financières ou des stocks, par exemple ;
- côté passif, les provisions comptables sont désormais enregistrées.
Au total, le bilan fait apparaître, au 31 décembre 2006, un actif net des amortissements et des dépréciations de 538 Md d'euros pour un passif de 1 131 Md d'euros, constitué à 80 % de dettes financières.
En marge du bilan, les comptes de l'Etat retracent aussi plus fidèlement ses engagements : un travail analogue au recensement des actifs a été entrepris pour mieux les identifier et, lorsque cela était possible, les valoriser.
Des informations nombreuses et enrichies ont ainsi été portées dans l'annexe au bilan. Par exemple, le besoin de financement des régimes spéciaux de retraite subventionnés par l'Etat fait désormais l'objet d'une évaluation, fixée à 230 milliards d'euros.
Cette réforme, qui apporte plus de fiabilité et plus de transparence dans les comptes, n'a donc pas une portée simplement comptable. Ce n'est pas un pur exercice de style, destiné au seul cercle des contrôleurs financiers de l'Etat et des magistrats de la Cour des comptes. Sa portée est bien plus vaste : elle répond à une exigence démocratique profonde, inscrite dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, à savoir le droit pour tout citoyen de suivre l'emploi de la contribution publique qu'il acquitte, comme l'énonce l'article 14 et, plus largement, le fait que « la Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration » (article 15).
Pour autant, le chantier comptable n'est pas terminé. Les efforts devront être poursuivis pour améliorer la qualité de l'information et parvenir, à terme, à la levée des réserves faites par la Cour des Comptes. C'est tout le sens des engagements que nous avons pris vis-à-vis du certificateur. C'est une tâche de longue haleine, qui doit nous inciter, collectivement, à ne pas relâcher l'effort. Vous serez vigilants pour que nous assurions l'achèvement de ce chantier dans des délais raisonnables, et vous aurez raison !
B. La nouveauté de ce projet de loi de règlement ne s'arrête cependant pas à la présentation des comptes. Les rapports annuels de performances (RAP) qui lui sont annexés en font également un moment phare, celui où l'on va juger, pour chaque politique publique, des résultats atteints et des moyens mis en oeuvre.
Cette loi sort ainsi de l'ombre pour devenir le moment privilégié du contrôle de l'exécution budgétaire et, par conséquent, une étape majeure dans le cycle de la procédure budgétaire, un peu à l'image de ces étapes de montagne qui constituent le point fort du Tour de France.
J'aimerais maintenant vous faire part, dans ses grands traits, du bilan de l'exercice auquel se sont livrées l'ensemble des administrations.
1. Commençons par les imperfections ; elles sont naturelles dans un premier exercice et pour une réforme aussi profonde. En effet, la définition et le calcul des indicateurs de performance, qui mesurent désormais l'activité de l'administration, ne vont pas de soi. Quels sont les critères qui peuvent rendre compte de l'efficacité d'une politique en matière de lutte contre la maltraitance des personnes âgées, par exemple ? Cette question, que l'on doit poser désormais pour chaque politique publique, a rarement une réponse simple. Elle exige de repenser les buts poursuivis et les moyens mis en oeuvre par chaque politique. Il ne s'agit donc plus de montrer que tout va bien parce qu'on a consommé 99 % des crédits. Il faut, désormais, définir une stratégie, avec des objectifs ciblés, et lui affecter les moyens nécessaires. C'est un changement culturel radical pour nos administrations, un changement qui, par définition, ne se fait pas en un jour. Et c'est une démarche qui a, aussi, une dimension politique, car arrêter une liste limitée d'indicateurs, c'est hiérarchiser les priorités.
Une fois ces indicateurs de performance définis, il faut les exploiter. La mesure fiable des performances atteintes requiert des systèmes d'information extrêmement élaborés : ils existent, mais ils ne sont pas encore totalement opérationnels. C'est là une deuxième cause d'imperfection.
2. Pour autant, le bilan que l'on peut tirer de ce premier exercice est très satisfaisant. Il est le fruit d'une implication collective de l'ensemble des ministères.
Que nous apprennent ces rapports annuels de performances, ces « RAP », à ne pas confondre avec le rap des rappeurs qu'a évoqué Christine Lagarde devant vous la semaine dernière... même si on peut y voir des analogies puisque le changement de rythme imposé à l'administration par ces RAP est d'une ampleur comparable à celui que le rap des rappeurs a apporté à la musique contemporaine.
1) Ils nous apprennent, tout d'abord, l'utilisation que les responsables de programme ont faite de leurs crédits. Ce que je retiens avant tout, c'est le succès de l'appropriation des nouvelles souplesses de gestion offertes par la LOLF :
- les nouvelles modalités de mise en réserve de crédits ont parfaitement répondu aux attentes, en donnant aux ministères la visibilité nécessaire sur les crédits disponibles, en toute transparence vis-à-vis du Parlement ;
- les ministères ont pleinement exploité les leviers offerts par la LOLF dans la gestion de leurs crédits, au service de leurs priorités. Ils ont pu ainsi financer la plupart des besoins apparus en cours de gestion par redéploiement au sein des programmes, en dégageant, notamment, des marges sur la masse salariale. Ces redéploiements - plus précisément cette « fongibilité asymétrique », selon l'expression poétique des experts - ont porté, dès cette première année, sur un montant de 400 M d'euros.
2) Les RAP nous apprennent ensuite le coût réel des politiques publiques. C'est une grande nouveauté ! Avant la LOLF, tout ce qu'on pouvait connaître, c'était le montant des dépenses exécutées du budget de chaque ministère. Avec la LOLF, on raisonne désormais en politiques publiques, dont on peut connaître le coût budgétaire effectif et même, grâce à l'apport de la comptabilité générale, une esquisse du coût complet.
C'est donc une image beaucoup plus juste du coût des politiques publiques que l'on met à disposition du Parlement et du citoyen, même si des progrès restent encore à faire sur le recensement des immobilisations, des stocks ou des provisions. Ces progrès souhaitables nous renvoient aux réserves exprimées par la Cour des comptes, auxquelles nous entendons répondre, sur la durée, par une démarche d'amélioration permanente.
3) Enfin, les RAP permettent d'aller plus loin encore puisque, avec les indicateurs de performance, on connaît aussi désormais les résultats des politiques publiques. C'est une avancée majeure qui intéresse à la fois le citoyen, le contribuable et l'usager :
- le citoyen, lorsque il constate, par exemple, que nous obtenons des résultats très tangibles dans le renforcement de la lutte contre la fraude. La valeur des saisies de marchandises de contrefaçon s'est ainsi élevée à 271 Meuros en 2006 contre 125 Meuros initialement prévus ;
- le contribuable, lorsqu'il voit l'amélioration de la productivité des juridictions administratives dans le traitement des dossiers. Ce sont ainsi 80 affaires qui ont été réglées, en moyenne, par magistrat au Conseil d'Etat en 2006 contre 73 prévues dans les PAP ; 104 contre 98 attendues dans les cours administratives d'appel ; 268 contre 240 prévues dans les tribunaux administratifs ;
- l'usager, enfin, lorsqu'il observe, par exemple, que le calendrier de versement des aides de la PAC aux exploitants agricoles est respecté, en 2006, à plus de 97 % contre 94 % prévus à l'origine.
Tous les objectifs fixés n'ont pas été atteints, mais, pour un premier exercice, le bilan est plutôt satisfaisant. Pour vous donner un aperçu des résultats : sur l'ensemble des indicateurs de performance qui peuvent être analysés, on relève un taux de réalisation de 60 % ; 20 autres % traduisent de réels progrès, mais pas à la hauteur des cibles fixées. Seuls 20 % ne traduisent pas de réelle amélioration de la performance.
III. J'aimerais maintenant conclure sur les perspectives offertes par la rénovation de notre loi de règlement.
Avec la LOLF, le Parlement a voulu revaloriser cette loi pour en faire le moment de « vérité budgétaire », celui où il est pleinement rendu compte de l'action conduite.
En donnant une dimension nouvelle à cette loi, la LOLF permet au Parlement et, au-delà, au citoyen de contrôler plus efficacement l'action du Gouvernement.
Le Parlement, j'en ai la conviction, s'appropriera cette réforme. Il en a apporté la preuve, dès l'an dernier, en organisant l'audition de ministres et de responsables de programmes sur l'exécution de leur budget en 2005. Il le montre à nouveau cette année, même si les circonstances politiques lui ont rendu la tâche un peu plus difficile.
Au vu de ces nouveaux enjeux, nous devons maintenant faire évoluer la procédure budgétaire. Le Président de la République et le Premier ministre s'y sont engagés. Il s'agit de concentrer davantage l'attention, du législateur comme du gouvernement, sur l'examen du projet de loi de règlement et, en particulier, sur les rapports annuels de performances.
Ce rééquilibrage par rapport au projet de loi de finances initiale aura pour avantage d'instaurer les conditions d'exercice d'une vraie responsabilité des ministres : ils ne seront plus jugés en fonction de la taille du budget qu'ils obtiennent mais de la mise en oeuvre des politiques publiques dont ils sont responsables, dans la limite des moyens qui leur sont alloués. Comme dans toute entreprise, le moment de la présentation des résultats doit être au moins aussi important que celui de la présentation du budget initial.
Cette rénovation de la procédure budgétaire conforterait ainsi le « chaînage vertueux » mis en place par la LOLF, qui articule :
- discussion du projet de loi de règlement de l'exercice n-1,
- débat d'orientation budgétaire sur la période n+1/n+3
- et présentation du projet de loi de finances de l'année n+1, ce projet de loi étant établi sur la base non seulement des prévisions de la loi de finances de l'année n mais aussi des résultats concrètement obtenus l'année n-1.
C'est le chemin que nous empruntons aujourd'hui en enchaînant l'examen du projet de loi de règlement du budget 2006 et le débat d'orientation budgétaire pour les trois prochaines années.
Je serais favorable à ce que nous engagions très rapidement la réflexion avec vous, en particulier avec votre Commission des finances, et avec le Sénat. J'en ai d'ailleurs déjà parler à Didier Migaud et à Gilles Carrez. Ainsi nous pourrons parfaire le grand mouvement de réforme budgétaire commencé en 2000 et nous disposerons d'une boîte à outils complète et cohérente pour pouvoir conduire une stratégie budgétaire efficace et économe de l'argent public, qui réponde pleinement aux attentes de nos concitoyens. La loi de règlement deviendra alors le grand rendez-vous annuel d'analyse et de jugement de l'action de l'Etat.
Je vous remercie de votre attention
Source http://www.minefi.gouv.fr, le 17 juillet 2007