Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur les objectifs de la conférence intergouvernementale de Turin (refonte des institutions), l'élargissement de l'Union européenne et la mise en place d'une politique étrangère et de sécurité commune (PESC), Paris le 13 mars 1996.

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Circonstance : 17ème conférence des chefs de partis de l'Union démocratique européenne (UDE), Paris le 13 mars 1996

Texte intégral

C'est pour moi un honneur et un très grand plaisir de vous accueillir ici, dans les salons de l'Hôtel de Ville, pour cette 17ème Conférence des Chefs de Partis de l'Union Démocratique Européenne, comme le fit en 1991, à l'occasion d'une précédente Conférence, notre Président Jacques CHIRAC alors Premier Magistrat de notre Capitale.
Je voudrais saluer et remercier son successeur, M. Jean TIBERI, Maire de Paris, en lui exprimant notre gratitude pour l'ensemble des moyens qu'il a bien voulu mettre à notre disposition pour permettre le bon déroulement de nos travaux.
Qu'il me soit permis également de remercier les Chefs d'État et de Gouvernement présents aujourd'hui parmi nous ainsi que ceux qui n'ont pu se joindre à nous. Je pense en particulier à mon ami José Maria AZNAR.
Mes félicitations vont également à notre collègue Mesut YILMAZ qui vient d'accéder à la tête du Gouvernement de la Turquie, à l'issue de difficiles négociations que chacun aura suivie avec beaucoup d'attention en Europe.
Je les assure tous deux de mes vux de succès les plus chaleureux dans leurs nouvelles hautes fonctions.
Ces mots de félicitations seraient incomplets si je ne mentionnais pas notre collègue et ami John HOWARD, Président du Parti Libéral Australien, membre de l'Union Démocratique Internationale à laquelle nous appartenons tous, qui vient de remporter une brillante victoire aux élections législatives de son pays. Tous ces succès qui interviennent au lendemain de l'élection de Jacques CHIRAC en France en mai 1995 démontrent la force et la vitalité des idées qui sont les nôtres tant en Europe que dans le Monde.
Je veux également saluer MM. les Ministres ainsi que MM. les Présidents, Vice-Présidents et Délégués représentant chaque parti membre de l'UDE à cette Conférence.
A tous, je souhaite une cordiale bienvenue dans notre pays.
Toute l'histoire de l'Union Démocratique Européenne est inséparable de l'apport personnel, du dévouement, de l'engagement inlassable de son Président Aloïs MOCK que je veux saluer ici tout particulièrement, ainsi que du talent de notre secrétaire exécutif, Andréas KHOL.
J'ai eu l'honneur hier de leur remettre, au nom du Président de la République, la haute marque d'estime que la France leur porte. Je leur renouvelle ici toute mon amitié et ma gratitude pour l'uvre exemplaire qu'ils ont accomplie au service de nos idées.
Ce sont ces idées qui ont triomphé à partir de 1989-1990, époque qui a vu l'effondrement du communisme dans l'ex-URSS, la libération des peuples d'Europe Centrale et de l'Est et la transition de ces pays vers l'économie de marché et la démocratie.
En parallèle, notre Union Démocratique Européenne s'est naturellement considérablement renforcée avec l'arrivée d'un grand nombre de partis d'Europe Centrale et de l'Est que je me réjouis de compter parmi nous aujourd'hui.
Pour un Gaulliste, c'est là une circonstance particulièrement émouvante que de nous voir tous, ici, à Paris, notre réunion même devenant le symbole de la Grande Europe réunifiée dans la Démocratie, la Prospérité et la Paix dont le Général de GAULLE avait eu la vision il y a 36 ans.
Au début des années soixante, la Guerre Froide ne permettait pas de concevoir cette vision de l'Europe, mais la révolution géopolitique des années 1989-1990 la rend aujourd'hui possible.
Je forme des vux pour que ces liens idéologiques, ces affinités particulières et profondes qui nous unissent contribuent à l'édification d'une Grande Europe telle que nous la voulons, garante des valeurs fondamentales de la Démocratie, qui saura aussi aider et guider les peuples en quête de leur propre identité.
C'est cet héritage que nous avons le devoir de faire fructifier. C'est à lui que nous devons de ne pas être des étrangers les uns pour les autres mais des peuples amis qui ont chacun un rôle à jouer dans ce que j'appellerai la Conscience Européenne.
Mais gardons sans cesse en mémoire que cette grande Europe-là est encore en devenir. Qu'elle est fragile tant elle est menacée, du dehors comme du dedans, que ce soit par le retour des nationalismes et des guerres, ou par la persistance, sur notre Continent, d'une grave crise économique qui condamne au chômage plus de 20 millions de nos concitoyens.
Relancer la machine économique de l'Europe et parachever le grand marché par une monnaie unique qui consolidera nos économies, bâtir la grande Europe en mettant en uvre l'élargissement vers l'Est, faire en sorte également que nous, Européens, soyons capables d'assurer la sécurité de notre Continent en mettant fin, en cas de besoin, aux crises et aux conflits en Europe et sur sa périphérie : voilà les trois défis fondamentaux que nous devons relever dans les années à venir.
Pour ce faire, il nous faudra redéfinir les Institutions de l'Europe élargie afin que notre Union demeure efficace mais aussi démocratique et donc "lisible" par l'ensemble de nos concitoyens.
Une remise à plat des Institutions européennes conçues il y a trente ans s'impose, en effet, à l'heure où nous allons élargir notre Union. Rien ne serait plus néfaste, pour la suite de la construction européenne, qu'un grand mouvement d'élargissement, certes, politiquement et stratégiquement nécessaire, mais qui ne serait pas précédé par une refonte - des Institutions et des procédures de l'Union.
Tel est donc l'objectif de la Conférence Intergouvernementale qui doit s'ouvrir dans quelques jours à Turin.
C'est pour nous préparer à ce grand travail diplomatique et soutenir l'action du Président de la République que le Rassemblement pour la République a conduit une réflexion d'une très grande ampleur sur le devenir de l'Europe. Un document de synthèse a été établi, qui a donné lieu depuis 3 mois à un intense débat dans nos Fédérations à travers tout le pays. Dans une dizaine de jours le Conseil National de notre Mouvement se réunira. Il sera spécialement consacré à l'Europe et je convie chacun des partis ici représentés à y participer.
Permettez-moi de vous donner très brièvement les grandes lignes de cette réflexion sur lesquelles s'est forgé, à l'intérieur de notre parti, un nouveau et fort consensus.
Elles concernent pour l'essentiel l'avenir de l'Union Européenne, ses missions, ses institutions futures, mais aussi sa sécurité extérieure et intérieure.
Quel doit être l'avenir européen dans l'après Guerre Froide ?
Pour nous Gaullistes, la première étape est bien l'élargissement à l'Est, devoir moral et politique à l'égard de nos peuples frères, mais aussi condition absolue de la Paix qu'impose la géopolitique nouvelle du Continent.
Dès lors, un certain nombre de questions fondamentales se posent.
- Comment concilier le besoin de stabilisation ressenti à l'Est comme à l'Ouest exigeant un élargissement le plus rapide possible, avec la réalité économique et sociale de ces pays ?
- Comment élargir l'Europe en préservant et même en renforçant l'efficacité de notre système décisionnel ?
- Comment répondre aux soucis de sécurité de l'ensemble des Européens alors qu'à l'Ouest, le système en place est devenu, lui-même, inopérant ?
Il s'agira donc d'innover de manière à répondre aux aspirations de chaque État concerné, en leur donnant un signal fort.
Faisons en sorte qu'au plus tôt, soit organisée et renforcée la pleine participation politique de ces États aux activités de l'Union. Faisons en sorte de nous préparer sans délai à affronter, tous ensemble, cet élargissement que nous appelons de nos vux.
L'élargissement vers l'Est ne saurait toutefois se traduire par un déplacement du centre de gravité politique et stratégique de l'Europe au détriment des liens que l'Union doit continuer à entretenir avec ses voisins du Maghreb, du Proche Orient, et de l'Afrique Noire. Nous sommes fermement attachés à ce que la France - et avec elle l'Union Européenne - maintienne et développe des relations étroites politiques et économiques avec la Méditerranée et les pays du Continent africain.
L'autre versant de l'élargissement concerne, bien sûr, le fonctionnement interne de l'Union.
Ayons le courage de le dire, l'Union de demain sera sans doute constituée de niveaux distincts :
- une union de droit commun comprenant les 15 membres actuels ainsi que ceux qui ont vocation à y accéder ;
- au cur de cette union, de ce "premier cercle", un "deuxième cercle", plus restreint mais modulable, composé d'un petit nombre d'États autour de la France et de l'Allemagne, des nations à la fois prêtes et disposées à aller plus loin ou plus vite que les autres sur des sujets tels que la Monnaie ou la Défense.
Cette Europe à solidarités renforcées n'est pas toutefois synonyme d'une "union à la carte", où chacun ne choisirait, dans le "menu communautaire", que ce qui lui convient, en laissant aux autres les obligations qui ne lui conviendraient pas.
C'est au contraire un régime de droits et obligations valables pour tous les membres, avec la possibilité, pour ceux qui le souhaitent et qui en ont la faculté, d'avancer plus loin, plus vite sans exclure quiconque, l'ensemble des États membres ayant vocation à rejoindre les avancées ainsi réalisées.
Dès lors qu'il n'est pas question de créer un super-État européen, le centre de gravité politique de "l'Union" ne saurait résider dans le couple Commission-Parlement européen, mais au contraire dans les organes représentatifs des États, source de la légitimité démocratique de l'ensemble, c'est-à-dire le Conseil et les Parlements.
Pour nous Gaullistes, l'État-nation demeure en effet plus que jamais le lieu à la fois essentiel et central où se réalisent le contrat démocratique, le lien social et politique entre le citoyen et ses représentants.
Le maintien des États nationaux implique que le centre de décision de l'Union soit le Conseil, relayé par le Parlement européen - dont le mode d'élection devra être adapté afin d'en accroître la représentativité - et les Parlements nationaux.
Ainsi l'Union demeurera-t-elle un lieu de solidarités accrues et de légitimité démocratique.
S'agissant de la direction effective de l'Union, la formule actuelle de présidence tournante du Conseil, prévue initialement pour 6 membres, révélera de plus en plus ses limites, au fur et à mesure des élargissements que j'évoquais tout à l'heure.
Mais cette formule est sans doute la seule praticable à l'heure actuelle. Notre tâche sera donc d'en pallier les principales limites, en particulier dans le domaine essentiel de la PESC. C'est pourquoi la France propose à ses partenaires la création d'un "Super Secrétaire Général du Conseil" chargé de la Politique Étrangère et de Sécurité Commune de l'Union : "une voix et un visage" pour reprendre l'expression de Jacques CHIRAC. Ce "M. PESC" pourrait bénéficier de l'apport des instruments de planification et d'analyse dont dispose aujourd'hui l'UEO.
À côté du Conseil, les Parlements doivent retrouver leur légitimité.
Il faut en effet à l'Europe une représentation des peuples aux assises plus larges que celles du seul Parlement européen. Ce dernier ne peut aspirer à jouer le rôle qu'occupent les Parlements nationaux dans les sentiments politiques des citoyens, mais il peut cependant exercer son contrôle sur la Commission et servir d"'enceinte aux peuples d'Europe dans toute leur diversité" comme l'a dit, à juste titre, le Président HÄNSCH.
La seconde réforme indispensable, s'agissant du Parlement européen, concerne la simplification de son mode de fonctionnement, de ses procédures et plus généralement de la législation communautaire, dont la complexité et le foisonnement nuisent à la lisibilité démocratique de l'Union et entraînent même des obstacles significatifs pour l'activité des entreprises et l'emploi.
Il est donc souhaitable d'accélérer les travaux engagés par les Institutions européennes pour codifier et simplifier la législation dans les différents domaines d'action de l'Union, en particulier d'appliquer strictement le principe de subsidiarité.
Par ailleurs, la revalorisation du rôle des Parlements nationaux s'impose. Une réforme ambitieuse et nécessaire, que nous appelons de nos vux, consistera en la création d'un Haut Conseil parlementaire, - à partir de la C.O.S.A.C., la Conférence des Organes Spécialisés dans les Affaires Communautaires des différents Parlements nationaux-, lequel assurerait notamment le contrôle de subsidiarité.
La Commission devra elle aussi être "recadrée" dans le système institutionnel de la future Union, redevenir l'organe d'exécution des décisions du Conseil selon l'esprit des auteurs du Traité de Rome, avec une équipe réduite et unie. La CIG devrait pouvoir clairement limiter les domaines de compétence de la Commission aux seules matières communautaires, les 2ème et 3ème piliers (Sécurité extérieure et intérieure) demeurant de la compétence des États et relevant de l'intergouvernemental.
Quant à la Cour de justice européenne, force est de reconnaître qu'elle devient peu à peu une sorte de Cour suprême européenne.
Cette compétence, si elle devait s'étendre, pourrait inéluctablement conduire à l'acceptation d'une constitution européenne de type fédéral. Pour éviter une telle dérive, la CIG doit approfondir cette question sous peine de rendre inutiles tous les débats sur l'équilibre des pouvoirs au sein de l'Union.
Parallèlement à la réforme des Institutions, la mise en place d'une Politique Étrangère et de Sécurité Commune s'impose.
Cinq ans après la chute du Mur de Berlin, les menaces à la fois diffuses et très présentes n'ont jamais été aussi nombreuses à l'instabilité continentale s'ajoutent des déséquilibres provenant de la périphérie Sud de l'Europe, nés du sous-développement, des rivalités ethno-nationalistes ou du fondamentalisme religieux, auxquels la prolifération des armes de destruction massive et des missiles à moyenne portée donne une acuité particulière. L'Europe est encore loin d'être en mesure de relever de tels défis.
Le rendez-vous de 1996 devra être l'occasion d'avancer concrètement sur la voie de la Défense commune. C'est une question de volonté politique et de moyens. Il est plus que temps que les États concernés préparent ensemble, dans le cadre d'un Livre Blanc Européen, les moyens nécessaires à des interventions conjointes, avec ou sans les Américains, selon que ces derniers auront décidé de s'impliquer, ou non, dans une crise.
Dans cet esprit, chacun des 5 grands pays pourrait mettre à la disposition de l'Union 50.000 à 60.000 combattants ainsi que l'environnement nécessaire à la projection de ces forces. A cet égard, nous soutenons sans réserve les décisions annoncées en février 1996 par le Président Jacques CHIRAC qui s'inscrivent dans la perspective d'une réelle capacité européenne de Défense.
L'Union Européenne serait susceptible ainsi de disposer d'une force de 250 à 350.000 hommes, gérée dans le cadre de l'UEO avec un système de commandement adapté, conçue pour agir de manière autonome ou en liaison avec les forces des États-Unis dans une mise en uvre "OTAN".
Enfin, la nécessité de demeurer capable de dissuader les Grandes Puissances nucléaires existantes, tout en faisant face aux proliférateurs de demain, exige que les Européens conservent à partir des forces de dissuasion française et britannique, un outil nucléaire crédible et adapté à ces différentes situations.
La Conférence Intergouvernementale devra clarifier le système de pilotage de la PESC, son financement, ainsi que les relations extérieures de la Communauté, l'adhésion à l'UEO devant figurer parmi les conditions posées aux futurs postulants.
Le dernier pilier qui concerne la coopération dans le domaine des affaires intérieures et de la justice est lui aussi fondamental pour nos concitoyens. On voit mal en effet que l'on puisse construire une Europe qui dispose d'une monnaie unique, d'une économie intégrée et d'une défense commune et qui ne soit pas capable de gérer les grands défis de demain que sont le fléau de la drogue, la grande criminalité internationale et l'immigration clandestine, domaines où les politiques des États membres sont encore très différentes les unes des autres et parfois même contradictoires.
La convergence de ces politiques, condition d'une action commune efficace, tiendra lieu à cet égard de test politique fondamental pour son avenir.
Il sera également nécessaire de rapprocher les législations civiles et pénales des États membres en matière de Justice.
Nos États conservent des traditions, des politiques, des moyens différents s'agissant du droit de la nationalité, du droit d'asile, de l'immigration, et en particulier de la lutte contre la drogue. Ces différences obèrent l'avenir, rendant l'accord de Schengen difficile à appliquer en l'état.
Telles sont, pour l'essentiel, les grandes lignes des initiatives que le RPR envisage pour la France, à la veille de la Conférence Intergouvernementale.
Les débats sur Maastricht qui, parfois, nous ont divisés entre Européens tant à l'intérieur de nos pays que de nos partis politiques, sont désormais derrière nous.
Il nous revient de faire en sorte que l'Europe du XXIe siècle soit forte, prospère, à la hauteur de nos ambitions, mais en même temps respectueuse des peuples et des États qui la composent.
Le débat s'instaure. Il est bon et nécessaire que chacun fasse connaître ses positions. D'ores et déjà des convergences, des consensus très forts se dessinent.
Ensemble, faisons en sorte que le résultat de ce débat soit à la mesure de nos efforts, de notre ambition mais aussi de la place que nous voulons, pour l'Europe, dans le Monde.