Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
"Pourquoi le cinéma américain s'est-il imposé au monde entier ?" La question fut posée un jour par Jean-Luc Godard à l'historien Georges Duby et au linguiste Pierre Encrevé. Question ambitieuse, mais réponse simple de Godard : "parce que les Américains ont lâché deux bombes atomiques en 1945. Avec une seule, ajouta-t-il, le cinéma ne passait peut-être pas partout, mais avec deux, c'était imparable..."
C'est en partie vrai, c'est assurément audacieux. Mais, et j'en demande pardon à Jean-Luc Godard, c'est très classique. Nous sommes-là dans un registre de puissance traditionnel. Mésestimé, contesté, mais terriblement vieilli.
Le Code civil avait certes conquis l'Europe au son du canon. Deux siècles plus tard, posons la même question mais symétrique : pourquoi ni le Viêt-Nam, ni l'Irak, n'ont-ils réellement érodé la puissance américaine ? Parce que l'industrie hollywoodienne, avec d'autres, a entre temps pris le relais, assurant par une puissance inouïe le triomphe de l'"american way of life". Parce que les lois du monde qui s'imposaient à Napoléon comme au président Truman ne sont désormais plus les mêmes. Parce que l'ordre des puissances a changé, au détriment des forces classiques - l'armée, la politique, les Etats - et au bénéfice de forces nouvelles - la culture, les réseaux, les sociétés civiles... Parce que l'esprit de conquête a cédé la place à la conquête des esprits.
Disant cela, je ne cherche ni à assimiler la force d'Hollywood à une agression militaire, ni à mettre en doute les vertus du modèle américain. Je ne fais que décrire ce nouvel âge de la diplomatie dans lequel nous a fait entrer la mondialisation des échanges.
Cet âge nouveau, dont nous ne connaissons que l'aube, vous en êtes les acteurs principaux, les forces vives, les inventeurs quotidiens.
C'est pourquoi je suis heureux d'être avec vous aujourd'hui pour tracer la configuration nouvelle de la diplomatie française, les missions de notre ministère, vos missions, dans ce contexte.
Il s'agit donc de construire le ministère de la mondialisation.
Ce mot, mondialisation, fait peur aux Français. Vue d'un vieux pays tenaillé par le doute mais riche aussi d'une histoire, d'une culture et d'un rayonnement sans pareil, elle ressemble à un raz-de-marée unificateur, appauvrissant, stérilisant même. Et ses ravages sont réels, qu'ils frappent ceux que la mondialisation noie sous sa vague uniformisante ou ceux qui au contraire sont exclus du mouvement, nouveaux parias du "village monde".
Nous n'avons pas le temps, hélas, de discuter ici de ces réalités et des angoisses qu'elles suscitent. Mais je voudrais, au risque de simplifier, en retenir trois questions : comment permettre aux Français de mieux s'approprier la mondialisation ? comment favoriser une nouvelle manière de vivre ensemble pour des peuples projetés dans un même mouvement ? comment répondre démocratiquement à des problèmes globaux ?
Ces questions, Mes Chers Amis, c'est à nous qu'il appartient d'y répondre. C'est à nous d'expliquer la mondialisation aux Français pour leur permettre de s'en saisir et de la rendre un peu moins injuste, c'est à nous de les convaincre qu'elle recèle aussi son lot de défis et d'opportunités. C'est également à nous de favoriser les dialogues entre les peuples et de construire, aussi difficile cela soit-il, de nouvelles règles du jeu.
Nous devons faire de notre maison le ministère de la Mondialisation, une mondialisation positive, expliquée, généreuse.
La diplomatie des Etats, je le disais, n'est plus seule aux commandes. Les temps sont aussi aux sociétés civiles et à leur inventivité permanente, aux réseaux et à leurs connexions, à tous ces pouvoirs d'influence qui entraînent aujourd'hui le monde.
IPhone, Hollywood, Islam, Droits de l'Homme, Da Vinci Code... combien de divisions ? Des milliards d'êtres humains à relier par les nouvelles technologies, des milliards d'esprits à convaincre par l'intelligence et par la solidarité, des milliards de coeurs à conquérir par le dialogue et par la paix.
Vous avez tous les talents pour cela. A condition de pouvoir vous appuyer sur un projet politique, c'est-à-dire débattu par la société tout entière et partagé à tous ses niveaux. C'est pourquoi notre premier travail, pour construire ensemble ce ministère de la mondialisation, doit être un travail d'ouverture en direction des Français. Les citoyens pourront se saisir des enjeux diplomatiques et en feront de vrais sujets de politique. Ils en ont envie et nous en avons besoin ! Les seules vraies priorités d'une nation, nous le savons, sont celles que lui assigne son corps social.
C'est ainsi que nous ferons de la mondialisation une chance partagée par tous les Français. C'est ainsi surtout que nous ferons de la France un acteur majeur de cette révolution mondiale. Est-il tâche plus exaltante pour les aventuriers du monde que nous sommes un peu tous ici ?
La DGCID est au coeur du projet.
Cette tâche, Mes Chers Amis, vous en avez déjà accompli une part essentielle. En vous, la France possède un réseau unique. Par vous, elle sait pouvoir compter sur des milliers de talents qui chaque jour font vivre son nom sur tous les continents. Grâce à vous, elle incarne pour bien des peuples des valeurs et des aspirations qui dépassent toutes les frontières. Oui, Mesdames et Messieurs, avec vous la France a déjà relevé le défi de ce monde intelligent où les idées valent parfois plus que les armes, où rien qu'une chanson peut convaincre un tambour.
En accompagnant l'implantation de l'Ecole centrale à Pékin, en scolarisant 165.000 élèves étrangers dans son réseau de lycées, en dispensant des cours de français à plus de 600.000 personnes à travers le monde, en aidant la publication de plus de 8 000 ouvrages dans 74 pays, la France participe à la formation des élites de demain : beaucoup d'entre elles, grâce à vous, seront francophones et - il faut l'espérer - francophiles.
En lançant Afriques et Caraïbes en création, en organisant les rencontres africaines de la photographie à Bamako, en montant les Printemps des arts français en Asie du Sud-est, vous faites plus que répondre aux exigences de la Convention relative à la diversité culturelle : vous faites vivre l'image d'une France attachée aux arts et amie des artistes et vous agissez aussi pour que les peuples du Sud préservent la vitalité de leurs cultures. C'était, m'a-t-on dit, le sens de la table ronde à laquelle participait Jean-Christophe Rufin, et qui était consacrée à la relation entre culture et développement. La cohérence de la DGCID s'impose dans ce lien profond que la dimension culturelle entretient avec le développement.
Voilà des exemples d'une diplomatie moderne. En plus de faire entendre la voix de la France, de telles initiatives contribuent à infléchir concrètement la mondialisation, à la rendre positive pour des millions de gens, à faire advenir entre les peuples et entre les communautés des liens d'amitié, de reconnaissance, de complicité même.
Fidèles à la belle devise de la DGCID - "le meilleur de nous pour un monde meilleur", vous incarnez, Mesdames et Messieurs, Monsieur le Président, ce que notre pays produit de plus valeureux : la générosité, la culture, le goût, l'intelligence, le plaisir du risque aussi, le plaisir et le risque.
Et vous êtes capables de toutes les évolutions : vous l'avez déjà prouvé, avec notamment la création de nouveaux opérateurs permettant de rationaliser l'action menée en matière culturelle (CulturesFrance) et universitaire (CampusFrance) ; ou encore avec la réforme de l'aide au développement de 2004 qui a été un bouleversement dans la philosophie de l'APD française.
Votre réseau a montré sa remarquable plasticité : peu coûteux (le taux d'autofinancement des établissements, je le rappelle, atteint aujourd'hui 43 %) ; de plus en plus attractif (plus de 600.000 étudiants sont inscrits aux cours de français), il est en permanente mutation. Un tiers des implantations situées en Europe de l'Ouest fermées depuis 2000, les doublons Alliances/Instituts supprimés, des redéploiements importants effectués, notamment au profit de la Chine, de la Russie ou de l'Algérie : ces faits sont mal connus, je m'emploierai à ce que cela change. Mais gardons-nous de l'autosatisfaction. Ces succès ne doivent pas nous empêcher de poursuivre nos efforts. Nous devons rester déterminés, inventifs et audacieux, tant sur le fond que sur l'organisation de nos politiques.
Je voudrais plus particulièrement évoquer trois domaines essentiels au rayonnement de la France : la promotion de la démocratie et des Droits de l'Homme, le rayonnement universitaire et la Francophonie.
Des valeurs, des savoirs, une langue : trois aspects du message de la France au monde.
Les Droits de l'Homme, d'abord.
L'une des principales difficultés que pose la mondialisation des échanges est de se nourrir d'une contradiction majeure : un marché mondialisé d'un côté, une démocratie nationale de l'autre. De là vient ce sentiment de dépossession, et la tentation parfois, pour faire de nouveau coïncider ces deux forces, d'un impossible protectionnisme.
Le risque existe de voir la démocratie contestée par des structures financières internationales. Le risque existe fort. D'autant qu'elle est parallèlement attaquée par des puissances politiques ou religieuses dont l'intérêt est de faire passer les Droits de l'Homme pour un impérialisme déguisé. Face à cette menace comme face au risque d'un marché tout-puissant, notre seule réponse sera celle d'une démocratie fortifiée, à l'intérieur des Etats comme au niveau international.
Nous avons trop souffert, j'ai trop souffert de la morgue hautaine de tous ceux qui voyaient dans les Droits de l'Homme une lubie inutile et répétaient que seule valait la sérieuse "realpolitik"... Qu'ont-ils gagné dans le commerce avec les bourreaux ? Quelle grandeur, quelle puissance française a-t-on servi en reniant nos valeurs pour quelques contrats hasardeux ? Nous savons depuis longtemps que la compétitivité de l'économie française tient à autre chose qu'à notre faiblesse morale. Et nous savons aujourd'hui que la fermeté sur nos principes est la plus sûre incarnation de notre force, y compris notre force commerciale.
C'est pourquoi je veux saluer l'action résolue que nous menons en matière de gouvernance démocratique : en élaborant une stratégie qui fait désormais référence, la France s'est placée aux avant-postes, refusant les facilités, les raccourcis, les simplifications auxquels certains avaient succombé. La démocratie ne se résume pas à des prescriptions techniques, souvent limitées à la seule question de la corruption - même si la lutte contre la corruption est essentielle. La démocratie ne se limite pas non plus à des valeurs manichéennes.
Faire vivre la démocratie au Sud, c'est agir avec les peuples, avec les sociétés civiles, c'est favoriser l'émergence de projets politiques communs, c'est donner leur chance aux échelons locaux. Notre diplomatie doit avoir le regard tourné vers les sociétés civiles, je le répète. Et les ONG françaises doivent nouer des contacts directs avec celles du Sud : il faut que vous puissiez les accompagner dans cette démarche.
L'aide n'est pas de l'assistanat. Et d'ailleurs, faut-il vraiment parler d'aide quand on agit pour un intérêt partagé ? L'aide vise à donner aux pays récipiendaires la capacité d'être maîtres de leur destin. L'initiative fast track en matière d'éducation de base, la création d'un Institut africain des sciences et technologies à Ouagadougou pour l'enseignement supérieur en sont des exemples. La table ronde consacrée aux capacités, de même que celle consacrée à la gouvernance, ont bien montré la spécificité de la vision française du développement : refus de l'assistance, source de tous les cercles vicieux ; refus aussi de l'arrogance du donneur de leçon. La France exprime juste le souhait que les pays du Sud deviennent les acteurs d'un destin qui trop souvent leur échappe. Car, je le rappelle, l'aide publique au développement est une exigence qui concerne le Sud, et en priorité l'Afrique, autant qu'elle concerne le Nord. En matière de démocratie comme de santé, de culture ou d'environnement, les défis du Sud sont nos défis.
J'en viens à mon second point : l'éducation.
La mondialisation de l'intelligence, elle aussi, est une médaille à deux faces. D'un côté, les espaces de liberté inespérés d'Internet, une source intarissable de savoir et de progrès à la portée de chaque individu. De l'autre, les oripeaux renouvelés d'un obscurantisme insidieux, dissimulé dans les méandres de la Toile ; la mise en péril de l'indispensable diversité culturelle par les puissances omnivores de l'argent.
J'ai déjà cité un certain nombre d'initiatives menées grâce à vous dans ce domaine. J'ai évoqué la contribution indispensable de notre réseau de lycées français, qui incarne au quotidien la présence de notre pays à travers le monde et fait de la France une terre amie pour tant d'élites locales. Je ne reviendrai donc pas sur nos actions en matière d'éducation. Je voudrais au contraire vous inciter à aller plus loin et vous assurer que je m'impliquerai personnellement pour mobiliser l'ensemble des acteurs concernés.
Dans la construction de ce ministère de la mondialisation, les universitaires doivent être pour nous des alliés prioritaires. Si elles veulent conserver leur rang (ce qui est, me semble-t-il, un impératif national), les Universités françaises doivent en effet s'ouvrir davantage au monde et partir à sa conquête. C'était je crois le sens des propos de Valérie Pécresse ce matin et je les partage pleinement. Pour partir à la conquête du monde, il nous faut impérativement lever un certain nombre de tabous, notamment sur l'apprentissage des langues étrangères. Ce gouvernement y travaille et il faut s'en réjouir. A nous d'accompagner les Universités dans cette nécessaire prise de conscience, à nous de les aider dans les combats qu'il leur faudra mener. Je pense que la réforme en cours des universités fournira un cadre approprié à ce défi.
D'ores et déjà, j'ai lancé une mission sur l'attractivité de l'enseignement supérieur français dans la compétition mondiale. J'en attends des propositions de mesures simples et réalisables. Elles nous permettront d'accroître durablement notre place dans la compétition mondiale de la formation des élites. Et elles aideront nos universités à devenir des acteurs de premier plan de la présence française dans le monde.
Venons en maintenant à la Francophonie.
Le rayonnement universitaire français n'est pas dissociable de celui de notre culture, et en particulier de notre langue. C'est le troisième point sur lequel je souhaitais m'arrêter.
J'avais écrit l'an dernier un petit texte un peu polémique très politique que j'avais intitulé "l'anglais, avenir de la francophonie". J'y affirmais que la Francophonie ne devait pas s'envisager sous l'angle d'une rivalité entre le français et l'anglais. Je défendais au contraire, à travers la Francophonie, l'indispensable richesse du multilinguisme face au risque d'un monde qui ne parlerait plus qu'un simili-anglais, espéranto appauvri de la globalisation marchande.
La Francophonie, Mes Chers Amis, c'est l'espace de dialogue et de partage constitué par tous ceux pour lesquels le français n'est pas une langue unique, mais un horizon d'ouverture au monde, une langue dédiée non pas au dialogue intérieur d'un peuple avec lui-même mais à la rencontre de l'altérité. Parler de l'anglais comme avenir de la Francophonie, c'était pour moi reconnaître que nous devons, nous aussi, avoir le souci de parler la langue des autres. Mais c'était aussi esquisser une interrogation sur ce qui a fait la succès planétaire de cette langue et dont nous devrions, je crois, nous inspirer.
J'ai commencé mon propos par une phrase obscure de Godard sur le cinéma américain. A la question des causes de son triomphe, je n'ai cité que la réponse de Godard. Je voudrais maintenant vous soumettre celle du linguiste Pierre Encrevé :
- "Hollywood, explique-t-il dans ses Conversations sur la langue française, a eu une idée de génie. Les studios ont choisi que leur cinéma se diffuse dans toute l'Europe continentale (et dans l'ensemble du monde) dans les langues de l'Europe et jamais en anglais : ils ont doublé tous leurs films ; et, simultanément, ils ont réussi à faire que le cinéma européen soit diffusé chez eux presque exclusivement dans nos langues : en V.O. sous-titrée, ce qui les privait de public. (...) C'est en lâchant leur langue que les Américains l'ont propulsée : au lieu de chercher à diffuser leur langue, ils ont imposé leurs images, nous ont fait rêver leurs rêves, et à partir de leurs films mais aussi de leur musique, du jazz et ensuite du rock, s'est créé un incoercible désir de culture américaine ; et les Européens ont voulu faire apprendre l'anglais à leurs enfants. (...) Il faut qu'il y ait du désir. Et là aussi le désir naît du manque."
Ce "fascinant détour" est peut-être lui aussi simpliste ou exagéré, mais je crois qu'il ne doit pas manquer de nous faire réfléchir sur la fin et les moyens de notre politique en faveur de la Francophonie.
Oui, le français est important. Oui, la langue française est une source inépuisable de bonheurs et d'émotions. Mais ne mélangeons pas le plaisir littéraire exceptionnel - et Dieu sait que j'y suis sensible ! - avec ce qui demeure la fonction principale d'une langue : véhiculer des idées. Si Jean-Paul Sartre a été le philosophe le plus important de son temps, ses livres étaient surtout lus dans des traductions. C'est sans doute dommage d'un point de vue littéraire, mais c'est mieux que d'en rester à une notoriété hexagonale : c'est le sens de nos programmes d'aide à la publication.
Mes Chers Amis, je veux qu'ensemble nous défendions la langue française, que de plus en plus d'enfants et d'adultes à travers le monde entreprennent l'effort souvent difficile de venir à elle. Je veux aussi que nous soyons plus attentifs à tous ceux qui ont avec nous le français en partage, et qui sont parfois tentés, devant notre peu d'empressement à défendre une francophonie ouverte et dynamique, tenter de s'en détourner. Je veux surtout que nous donnions envie de français et envie de France à un maximum de femmes et d'hommes. Je veux que nous exportions nos rêves et nos idées.
Les Droits de l'Homme, le rayonnement universitaire, la francophonie : ces trois enjeux de l'influence française à travers le monde constituent pour nous les priorités d'une action renouvelée. Je voudrais évoquer avec vous les modalités de ce renouvellement pour lequel je compte particulièrement sur votre nouvelle directrice, Anne Gazeau-Secret.
Avant tout, je voudrais lever quelques inquiétudes légitimes.
Le développement de l'action internationale d'autres ministères interroge la DGCID sur son rôle. Les ministères de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur, de la Santé, de la Culture, de l'Economie et bien sûr le nouveau ministère de l'Immigration... tous conduisent une action internationale légitime, et je me réjouis de la participation à nos travaux de Christine Albanel, Valérie Pécresse, Xavier Darcos et Brice Hortefeux. Mais cette action exige une cohérence, avec la DGCID et avec son réseau. Si je me suis battu pour que la DGCID reste sous la seule autorité du ministre des Affaires étrangères et européennes, c'est aussi pour cette raison que je l'ai fait.
Autre inquiétude : celle relative aux moyens et au sentiment d'éviction du bilatéral par le multilatéral.
La France, vous le savez, se bat pour l'émergence de politiques globales rassemblant Etats, institutions multilatérales et acteurs non gouvernementaux. La France veut une gouvernance mondiale de l'environnement et soutient la création d'une ONUE ; la France milite pour une meilleure gestion internationale des pandémies et soutient des initiatives comme ESTHER, UNITAID ou le Fonds mondial. Cela signifie-t-il qu'elle doive renoncer à son réseau bilatéral ? Plutôt que d'opposition entre bilatéral et multilatéral, parlons de complémentarité : nous avons besoin de politiques bilatérales fortes pour faire vivre une action multilatérale crédible.
Prenons le cas des initiatives en matière de santé : elles n'ont de sens que parce que nous nous appuyons sur un réseau bilatéral unique qui nous renseigne, qui conduit des recherche dans les pays du Sud, qui oeuvre au renforcement des infrastructures médicales et la mise en place des assurances maladies. C'est pourquoi je chercherai à préserver les marges financières de l'action bilatérale, dans l'intérêt même de notre action multilatérale.
Dans les domaines de la culture ou de la formation des élites étrangères, n'hésitons pas, d'ailleurs, à unir nos forces à celles des entreprises françaises. Quand nous leur proposons des projets intéressants, elles sont désireuses de nous accompagner : répondons-leur positivement ! Travaillons avec elles.
Je sais que ces Journées ont été pour vous l'occasion d'échanger des bonnes pratiques. Le printemps français à Jakarta, par exemple abordé par la table ronde consacrée aux partenariats culturels, n'aurait pas existé sans une relation confiante et bien comprise avec le secteur privé.
Il faut maintenant généraliser et systématiser cette dimension de notre action, en trouvant d'autres alliances. Je pense notamment aux financements de l'Union européenne, dont l'étude a fait l'objet d'un atelier spécifique tout à fait bienvenu. Il nous faut aller chercher l'argent là où il se trouve !
La contrainte budgétaire nous commande aussi de mieux définir nos priorités par zones géographiques. Le dialogue de gestion, la procédure de programmation tels que raffermis par la LOLF ont été bénéfiques : nos crédits en 2007 ont ainsi été en partie redéployés vers de grands pays émergents comme la Chine et l'Inde. Nous devons aller plus loin et élaborer pour chaque zone géographique une stratégie générale fixant nos secteurs d'intervention prioritaires. Bien sûr, on ne fait pas en Inde comme au Niger ou aux Etats-Unis...
Cette évolution concerne aussi le réseau culturel. Il faut régionaliser plus clairement les missions, unifier les appellations pour chaque catégorie d'établissements et simplifier le dispositif pour une meilleure lisibilité.
Pour être plus efficace, nous devons enfin à tout prix faire vivre les synergies entre les différentes politiques de coopération. Nos politiques ne sont pas étanches entre elles. Lorsque l'on parle de diversité linguistique et de plurilinguisme, on ne peut pas oublier le rôle de notre audiovisuel extérieur, de TV5Monde,de France 24 et de RFI. On ne peut pas non plus l'isoler de la politique d'attractivité et de l'accueil des étudiants étrangers.
Puisque je l'évoque, je voudrais m'arrêter un instant sur l'audiovisuel extérieur.
L'éclatement actuel de notre système, son manque de cohérence, de moyens et de visibilité me paraissent mériter une réflexion globale et audacieuse. Dans un monde où les médias sont omniprésents, une offre télévisée attractive et de qualité est un outil diplomatique formidable, un vecteur d'idées et de valeurs à nul autre pareil. C'est ainsi que nous devons l'envisager, non comme un luxe à l'utilité contestable.
Cet outil diplomatique doit avoir des objectifs clairs. J'en vois trois : une mission d'influence culturelle et politique dans le monde, la promotion de la francophonie dans sa diversité et la réponse aux demandes des publics locaux.
Pour les atteindre, et sans entrer dans des détails budgétaires ou techniques sur lesquels nous travaillons en ce moment même, je crois qu'il nous faut travailler dans différentes directions :
Redéfinir précisément les orientations stratégique de l'audiovisuel extérieur public français : quels médias pour quelles régions du monde ? Quels partenariats avec les médias étrangers ?
Organiser une structure vraiment opérationnelle dirigée par des professionnels au service de notre politique d'influence.
Organiser une plus grande complémentarité entre les opérateurs, dans la diffusion comme dans la distribution, dans les contenus comme dans les langues.
Prendre la mesure des nouveaux modes de production et de consommation audiovisuels et placer notre audiovisuel extérieur sous le signe d'Internet.
Derrière ces préconisations générales, il y a un enjeu essentiel de puissance et de rayonnement. CNN, mais aussi la BBC ou Al Jazeera, sont aujourd'hui des vecteurs de premier plan. Si elle veut se doter d'un tel pouvoir d'influence, la France doit être capable de faire en ce domaine les efforts qui s'imposent. C'est en tout cas mon ambition : j'ai fait des propositions en ce sens au président de la République.
Je voudrais pour finir évoquer devant vous certaines échéances qui nous attendent, à commencer par la présidence française de l'Union européenne. Sa préparation doit être l'occasion de réfléchir aux priorités que nous souhaitons promouvoir, en Europe et ailleurs. Je vous rappelle que c'est en juillet 2008.
Je pense par exemple à l'aide au développement, qu'il faut aussi envisager à l'échelon européen. Cela nous place directement dans la perspective du Forum d'Accra de la fin 2008. Je souhaite que l'aide au développement soit une priorité claire et sans équivoque de la Présidence française, avec en point commun la tenue à Paris des Journées européennes du développement.
Je pense aussi à notre politique culturelle et linguistique. La diversité est une question qui interroge profondément notre identité européenne. A la recherche d'une unité qui se dérobe, beaucoup oublient que le propre de l'identité européenne réside dans sa pluralité, dans la rencontre de génies qui ont d'abord incarné des cultures nationales : si Cervantès, Rabelais, Dante ou Goethe figurent désormais au panthéon d'un patrimoine commun, ils ont d'abord été les symboles de langues et de nations jalouses.
La saison culturelle européenne sera l'occasion de faire valoir cette unité dans la diversité. Elle permettra aussi de mener des actions en faveur de la francophonie : si le Français n'est plus parlé en Europe, comment pourrons-nous le promouvoir en Afrique, au Maghreb, en Asie ?
Je voudrais enfin attirer votre attention sur le débat d'idées. Les positions que porte la France doivent être expliquées et défendues. Cela est particulièrement vrai sur l'Europe. Nous devons faire vivre le débat sur ce que c'est qu'être européen aujourd'hui, sur l'avenir politique de l'Union. Mais cela est vrai sur tous les grands sujets internationaux. Notre réseau doit par exemple apporter sa contribution à la proposition française d'Union méditerranéenne.
Il me paraît donc essentiel que les ambassades soient en mesure de participer au débat d'idée dans leur pays de résidence et s'attachent à mieux faire connaître intellectuels, chercheurs, universitaires et artistes français. Vos liens avec les think tanks implantés dans vos pays doivent être étroits et confiants : vous devez pouvoir leur proposer des noms, des thèmes, des idées. Le Département vous y aidera.
Mesdames et Messieurs, Chers Amis, j'ai été très long et je m'en excuse sincèrement. Mais, que voulez-vous ? j'avais beaucoup de choses à vous dire sur un sujet fondamental et qui me passionne.
Je sais que le travail accompli ici dans les différents ateliers, les échanges autour de vos expériences de terrain permettront d'enrichir et de moderniser nos pratiques. Je pense au développement des partenariats avec des entreprises, des collectivités locales et des opérateurs culturels français, à des programmes de coopération entre les acteurs de la recherche et de la formation, ou encore à la mutualisation des ressources en ligne du réseau... Autant de chantiers que vous menez au quotidien, autant de perspectives pour une diplomatie rénovée, attachée au partage des idées et plaçant la culture au coeur du développement.
Je voudrais vous remercier sincèrement pour le travail formidable et indispensable que vous effectuez chaque jour. Vous êtes les éclaireurs dont la France a besoin, vous êtes les têtes de pont de sa nouvelle diplomatie, héritiers de Diderot, de Pasteur ou de René Cassin, les précurseurs d'une grandeur réinventée.
Mes Chers Amis, pour terminer, je ne résiste pas au plaisir de vous citer André Malraux :
- "Un pays comme l'Angleterre n'a jamais été plus grand que lorsqu'il était sous la bataille de Londres. Mais la France n'a jamais été plus grande que lorsqu'elle était la France pour les autres. Il n'y a pas une route d'Orient sur laquelle on ne trouve des tombes de chevaliers français, il n'y a pas une route d'Europe sur laquelle on ne trouve des tombes des soldats de l'an II. Mais cette France-là n'était pas pour elle-même. Elle était pour tous les hommes. Et ce que nous devons tenter actuellement, c'est d'être ce que nous pouvons être, non pas pour nous-mêmes, mais pour tous les hommes."
Ce que je vous propose, mes chers mais, ce n'est pas, bien sûr, de parsemer les routes du monde de nouvelles sépultures, mais de faire en sorte qu'il n'y ait pas une bibliothèque d'Asie sur laquelle on ne trouve un livre français, pas un esprit africain éclairé dans lequel on ne trouve un peu d'âme française, pas un site web américain de qualité sans lien vers un site francophone.
Ensemble, nous allons construire ce ministère de la mondialisation qui rendra sa place à notre pays, qui rendra sa fierté à notre maison et à notre réseau.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 août 2007