Texte intégral
Bonjour.
Q- On va parler prix, hausse des prix, des matières premières, on va parler réforme de la PAC, on va parler OGM, on va parler nitrates, tout un tas de sujets, "Grenelle de l'environnement", et puis on
parlera rugby à la fin de cet entretien et vous comprendrez pourquoi. Bien. M. Barnier, première question : les prix des matières premières augmentent - le blé, le lait. Que se passe-t-il ? Est-ce qu'il va falloir produire plus ? Est-ce qu'on va inciter nos agriculteurs à produire plus ?
R- Pourquoi les prix augmentent ? C'est parce qu'il y a une tension. Quand les prix augmentent, c'est que les produits sont rares ou deviennent rares, et c'est précisément ce qui se passe principalement. C'est la tendance lourde d'un monde qui est de plus en plus peuplé, neuf milliards d'habitants en 2050, et nous sommes...
Q- ... et il faudra nourrir 50 % d'habitants en plus en 2050.
R- Plus précisément, il va falloir doubler la production, doubler l'offre de nourriture, de production alimentaire pour nourrir cette population, avec des habitudes alimentaires qui changent. Que les Chinois, qui sont très nombreux, décident d'offrir un verre de lait par jour à chaque petit Chinois - ce qui n'était pas l'habitude, puisque les Chinois n'ont pas l'habitude de consommer des protéines animales - ça fait beaucoup de verres de lait.
Q- Mais alors, qui va produire ce lait ?
R- Et quand on sait que pour produire une protéine animale, il faut produire sept protéines végétales, cela veut dire des changements - dans les cultures, dans les espaces cultivés - considérables. Alors, ça, c'est la première tendance, très lourde et durable. L'autre tendance durable, c'est qu'il n'y a plus de stock.
Q- Oui.
R- La troisième tendance durable, c'est que nous avons une offre insuffisante par rapport à cette demande, et donc une tension très forte sur les prix, parce qu'il n'y a pas assez de production.
Q- Mais ça veut dire quoi, donc, pour nos agriculteurs français ?
Cela veut dire, concrètement, que la vocation principale des agriculteurs qui est de produire pour nourrir retrouve une nouvelle justification. Produire autrement qu'il y a cinquante ans, en tenant compte davantage, ou plus scrupuleusement...
Q- ... de l'environnement.
R- ... des exigences écologiques ou de la sécurité alimentaire. Pourquoi avons-nous obtenu de la Commission européenne - dans quelques jours - qu'elle mette à 3 %, en tenant compte des jachères écologiques, le taux de jachère ? Qu'on remette en culture quasiment quatre millions d'hectares dans les prochaines semaines en Europe ?
Q- C'est-à-dire qu'en France, on va remettre en culture des centaines de milliers d'hectares ?
R- Quatre millions d'hectares à peu près en Europe, donc de très grandes surfaces en France, qui étaient bloquées selon le principe des jachères. On va garder les jachères à des fins de biodiversité pour les chasseurs et pour, surtout, l'écologie, mais on va remettre en culture pour produire davantage. C'est une manière de faire baisser la pression sur les prix. Cela ne suffira pas, sans doute, puisque je vous le dis, cette tendance à l'augmentation est structurelle, et elle est aggravée par des phénomènes conjoncturels - par exemple la sécheresse en Australie, les phénomènes climatiques en Ukraine, qui sont de grands pays producteurs qui d'un seul coup produisent moins, et du coup il y a une tension encore plus forte.
Q- Cela veut dire que c'est la fin de la PAC ?
R- Non, c'est le début d'une nouvelle PAC.
Q- D'une nouvelle PAC !
R- C'est le début d'une nouvelle PAC, d'une nouvelle justification, une grande problématique agricole.
Q- Ce qui veut dire que l'agriculteur français tirera ses revenus de sa production plus que de subventions, dans l'avenir ?
R- Une partie des agriculteurs vont avoir, dans le prix de ce qu'ils vendent un revenu, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent. C'est le cas pour les fabricants qui produisent des céréales, des oléagineux, et d'une certaine manière, le lait. Alors, pour être juste, il faut dire deux choses pour relativiser. La première, c'est que cette augmentation des prix des matières premières a des conséquences négatives pour certaines filières agricoles, notamment les éleveurs, qui achètent ces matières premières pour nourrir leurs bêtes, donc les prix qu'ils doivent subir sont beaucoup plus élevés, les coûts de production sont plus élevés, et même les revenus vont baisser pour certains éleveurs. J'en ai rencontré beaucoup, dans l'élevage des agneaux, des veaux de boucherie, ou de la viande bovine : ces éleveurs ont des difficultés, il faut en tenir compte. Et puis il y a une autre réalité dans le monde d'aujourd'hui, c'est la spéculation. Et voilà pourquoi il faut une politique agricole commune : parce qu'on ne peut pas laisser ces biens alimentaires, la nourriture, votre nourriture, celle des gens qui nous écoutent, au gré des marchés. Moi, je veux bien être libéral et je le suis, je crois à l'initiative privée, fondamentalement, mais je ne crois pas qu'on puisse laisser à la seule loi des marchés, à la spéculation internationale, ce qui constitue la nourriture des gens. Donc, il faut des régulations, il faut stabiliser les marchés. Il faudra donc, c'est une raison supplémentaire, une nouvelle politique agricole commune.
Q- Allez vous revenir sur les quotas laitiers ? Enfin, l'Europe va-t-elle revenir sur les quotas laitiers ?
R- Ecoutez, les quotas laitiers pour toutes les régions fragiles - vous savez que je suis très attaché à la région Rhône-Alpes, à la Savoie et aux Alpes, mais il n'y a pas que cette région-là qui est touchée - ils s'attachent à une production laitière qui fixe l'activité. Et à côté de la production de lait par les éleveurs, il y a aussi la production de fromage, de transformation dans les produits laitiers, qui sont très près des éleveurs. Donc, ces quotas laitiers ont une vocation importante et nous ne sommes pas décidés à les détricoter comme cela. Mais nous sommes ouverts à une discussion qui permettrait d'augmenter la production de lait, puisqu'il va manquer de lait - c'est aussi une raison pour laquelle le prix du lait augmente - tout en préservant l'équilibre...
Q- ... donc, on ne supprime pas les quotas laitiers... On est bien d'accord, M. Barnier ?
R- Il y a des idées ici ou là pour les supprimer...
Q- Ah ! Vous êtes favorable à la suppression des quotas laitiers ?
R- Non, je ne suis pas favorable au détricotage de cette politique qui fixe l'activité laitière dans toute sa dimension - la production du lait et la transformation du lait - près des gens. Faites attention : moi je ne rêve pas d'une agriculture française qui ressemble à l'agriculture américaine avec de grandes fermes et des produits aseptisés. Je veux qu'on garde des fermes et des exploitations de taille humaine, et je veux qu'on garde des produits qui aient des goûts et des couleurs, pas une agriculture et des produits aseptisés.
Q- Bien. On va essayer de produire avec moins d'engrais, moins d'insecticides, moins de pesticides, hein, M. Barnier.
R- C'est une obligation...
Q- ... c'est une obligation.
R- ... que de produire en faisant attention aux ressources naturelles, aux espaces naturels qui ne sont ni gratuits, ni épuisables, et les agriculteurs se sont engagés, pour certains, dans l'agriculture biologique et nous allons les soutenir, pour d'autres dans l'agriculture raisonnée.
Q- On va parler du bio. M. Barnier. Est-ce que vous allez interdire définitivement l'utilisation du Gaucho et du Régent ?
R- Nous allons limiter systématiquement - je l'ai dit d'ailleurs en Martinique il y a quelques jours où je me rendais pour...
Q- ... parce que pour l'instant ces deux produits qui tuent les abeilles sont suspendus.
R- Ils sont suspendus. Il y a des enquêtes qui sont faites, et si les enquêtes qui sont faites pour démontrer la nocivité de tel ou tel produit - moi, je suis extrêmement réservé sur ces produits. L'autre jour, la justice a décidé l'interdiction d'un produit qui s'appelle le Paraqua, qui était utilisé dans l'exploitation de bananes, et je l'ai immédiatement interdit, en récupérant les stocks d'ailleurs. Donc, je serai extrêmement vigilant. Vous savez, j'ai mis dans la loi française en 1995, comme ministre de l'Environnement, deux mots importants qui sont : "principe de précaution", et j'ai mis deux autres mots dans la même loi, qu'on n'avait jamais mis autrefois, qui sont les mots de « débat public ». Donc, j'aborderai ces questions de pesticides, de produits qui peuvent avoir des dangers - si les scientifiques nous le démontrent - avec le souci du principe de précaution, et le souci de la transparence et du débat public.
Q- Vous n'avez pas peur d'interdire définitivement le Gaucho et le Régent, donc. Les producteurs et tous les apiculteurs seront...
R- ...Si il est démontré, notamment pour les apiculteurs - et je suis très attentif - que ces produits ont une vraie nocivité durable.
Q- Les nitrates, où on est-on, et notamment en Bretagne ?
R- En arrivant j'ai trouvé cette crise, une absence de confiance totale, d'une part de la Commission européenne dans le Gouvernement français -la Commission n'avait plus confiance - elle nous a donc traduits en justice à deux reprises, au mois de mars et au mois de juin, avec une conséquence très sérieuse : 28 millions de pénalité et 117 000 euros par jour d'astreinte.
Q- Oui, oui, ce qui est énorme.
R- Voilà la place sous laquelle nous nous trouvons actuellement. Et puis,
Q- une absence de confiance des agriculteurs locaux, qui avaient le sentiment d'être lâchés alors qu'il faut les accompagner vers des pratiques plus respectueuses de l'environnement. Et donc, je me suis attaché avec le cabinet du ministre du Développement durable, monsieur Borloo, à rétablir cette double confiance. D'une part vers Bruxelles - beaucoup de réunions - et d'autre part avec les acteurs locaux, qui ont besoin de dialogue. Au moment où je vous parle, et je le dis avec précaution, je pense que la Commission est sur le point de décider, la semaine prochaine, de différer cette saisine de la Cour de justice, de nous donner un nouveau sursis à statuer avec une durée indéterminée, parce que je pense que nous avons rétabli avec la Commission européenne la confiance qui manquait. Et donc, le commissaire chargé de ce dossier, monsieur Dimas, qui est le commissaire à l'Environnement, la commissaire à l'Agriculture, avec lesquels nous avons beaucoup travaillé, vont soumettre la semaine prochaine une décision pour surseoir à statuer à cette saisine de la Cour de justice et nous permettre d'engager le plan que j'ai présenté avec monsieur Borloo aux agriculteurs locaux qui leur demandent beaucoup d'efforts. Mais j'avais dit en arrivant au gouvernement que cette question des nitrates, sur laquelle les agriculteurs ont fait beaucoup d'efforts - il y avait 28 bassins qui posaient des problèmes en 2001, il n'y en a plus que neuf aujourd'hui qui posent des problèmes, donc beaucoup d'efforts ont été faits - cette question, on ne peut la traiter sans les agriculteurs, et encore moins contre eux. On la traite avec eux. C'est ce que nous avons, je crois, réussi à faire, même si c'est difficile, et je pense que cette double confiance est aujourd'hui rétablie.
Q- Ca veut dire que la France ne paiera pas les 28 millions d'euros d'amende ?
R- Je pense que nous allons échapper à cette sanction parce que nous sommes engagés dans un processus pour respecter cette directive qui date de 1975 - 34 ans - avec un plan très sérieux qui nous a permis de rétablir cette confiance avec la Commission européenne.
Q- Le "Grenelle de l'environnement". Vous vous êtes évidemment très intéressé à cette réunion. Les régions vont demander un moratoire sur les OGM. Vous êtes favorable à ce moratoire ?
R- Ne me demandez pas de dire maintenant la conclusion du Grenelle. Les OGM ont une utilité, et les présidents de Région qui font cette demande savent bien que les OGM ont différentes dimensions. Il y a des OGM à vocation de nutrition ; il y a des OGM à vocation sanitaire pour santé publique - la mucoviscidose, par exemple, peut être traitée avec certains OGM ; il y a des OGM qui peuvent avoir l'effet d'augmenter la production de manière plus vertueuse - par exemple dans la papeterie, la cartonnerie, pour éviter l'utilisation de produits chimiques - donc, ne jetons pas les OGM dans un discours irrationnel et regardons leur utilité. Il faut distinguer...
Q- ... un moratoire, non, alors ?
R- Il faut distinguer ce qui est la recherche...
Q- ... M. Barnier, vous n'êtes pas favorable à un moratoire ?
R- Sûrement pas sur la recherche. Nous avons besoin de la recherche sinon nous allons être dominés dans ce domaine comme dans d'autres par l'influence, l'économie, la recherche américaine ou la recherche chinoise. Donc, moi, je tiens personnellement - et je l'ai écrit il y a quelques jours - à ce qu'on préserve la recherche française dans ce domaine qui est fondamental. C'est une autre question que celle la culture en plein champ à des fins commerciales. Nous avons actuellement à peu près 22 000 ha cultivés avec le maïs Mon 810, et c'est une question qui est ouverte. Voilà ce que je peux dire dans le cadre du "Grenelle de l'environnement". Ne me demandez pas de conclure une discussion qui commence en ce moment.
Q- Mais vous avez une opinion sur la question, M. Barnier ?
R- J'ai une opinion, et comme ministre je vous ai dit quelle était ma priorité. La priorité c'est la recherche sur les OGM.
Q- Donc, la recherche sur les OGM : oui ; les cultures en "champ libre", si je puis dire : peut-être pas.
R- Qui sont aujourd'hui conduites, encore une fois, de manière modeste par des agriculteurs qui respectent la loi.
Q- ... on sait où on cultive par canton, le problème c'est qu'on ne le sait pas par commune, je ne vois pas pourquoi ?
R- C'est déjà un progrès.
Q- Pourquoi est-ce qu'on ne va pas au bout de la transparence, M. Barnier ?
R- Parce que c'est la loi. J'ai proposé à ce qu'on aille plus loin à condition que l'on ne montre pas du doigt des agriculteurs qui respectent la loi. Et donc je voudrais bien que tous ceux qui participent à ce débat le fassent de manière plus apaisée, en respectant le cadre actuel de la loi. Si la loi évolue, ce qui est possible...
Q- ... vous aimeriez que la loi évolue ?
R- ... il y aura une nouvelle législation. Je vous ai dit dans quel sens je souhaite qu'on préserve les outils et la réalité de la recherche française.
Q- Je vous sens réservé avec les OGM en plein champ, hein.
R- Je vous ai dit quelle était pour moi la priorité. Mais, je veux dire que les agriculteurs qui cultivent actuellement ces 22 000 ha le font dans la cadre de la loi et qu'il faut le reconnaître, et que ceux qui sont contre les OGM respectent la loi aussi de leur côté.
Bien, M. Barnier est notre invité ce matin, ministre de l'Agriculture. Merci d'être avec nous.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 septembre 2007
Q- On va parler prix, hausse des prix, des matières premières, on va parler réforme de la PAC, on va parler OGM, on va parler nitrates, tout un tas de sujets, "Grenelle de l'environnement", et puis on
parlera rugby à la fin de cet entretien et vous comprendrez pourquoi. Bien. M. Barnier, première question : les prix des matières premières augmentent - le blé, le lait. Que se passe-t-il ? Est-ce qu'il va falloir produire plus ? Est-ce qu'on va inciter nos agriculteurs à produire plus ?
R- Pourquoi les prix augmentent ? C'est parce qu'il y a une tension. Quand les prix augmentent, c'est que les produits sont rares ou deviennent rares, et c'est précisément ce qui se passe principalement. C'est la tendance lourde d'un monde qui est de plus en plus peuplé, neuf milliards d'habitants en 2050, et nous sommes...
Q- ... et il faudra nourrir 50 % d'habitants en plus en 2050.
R- Plus précisément, il va falloir doubler la production, doubler l'offre de nourriture, de production alimentaire pour nourrir cette population, avec des habitudes alimentaires qui changent. Que les Chinois, qui sont très nombreux, décident d'offrir un verre de lait par jour à chaque petit Chinois - ce qui n'était pas l'habitude, puisque les Chinois n'ont pas l'habitude de consommer des protéines animales - ça fait beaucoup de verres de lait.
Q- Mais alors, qui va produire ce lait ?
R- Et quand on sait que pour produire une protéine animale, il faut produire sept protéines végétales, cela veut dire des changements - dans les cultures, dans les espaces cultivés - considérables. Alors, ça, c'est la première tendance, très lourde et durable. L'autre tendance durable, c'est qu'il n'y a plus de stock.
Q- Oui.
R- La troisième tendance durable, c'est que nous avons une offre insuffisante par rapport à cette demande, et donc une tension très forte sur les prix, parce qu'il n'y a pas assez de production.
Q- Mais ça veut dire quoi, donc, pour nos agriculteurs français ?
Cela veut dire, concrètement, que la vocation principale des agriculteurs qui est de produire pour nourrir retrouve une nouvelle justification. Produire autrement qu'il y a cinquante ans, en tenant compte davantage, ou plus scrupuleusement...
Q- ... de l'environnement.
R- ... des exigences écologiques ou de la sécurité alimentaire. Pourquoi avons-nous obtenu de la Commission européenne - dans quelques jours - qu'elle mette à 3 %, en tenant compte des jachères écologiques, le taux de jachère ? Qu'on remette en culture quasiment quatre millions d'hectares dans les prochaines semaines en Europe ?
Q- C'est-à-dire qu'en France, on va remettre en culture des centaines de milliers d'hectares ?
R- Quatre millions d'hectares à peu près en Europe, donc de très grandes surfaces en France, qui étaient bloquées selon le principe des jachères. On va garder les jachères à des fins de biodiversité pour les chasseurs et pour, surtout, l'écologie, mais on va remettre en culture pour produire davantage. C'est une manière de faire baisser la pression sur les prix. Cela ne suffira pas, sans doute, puisque je vous le dis, cette tendance à l'augmentation est structurelle, et elle est aggravée par des phénomènes conjoncturels - par exemple la sécheresse en Australie, les phénomènes climatiques en Ukraine, qui sont de grands pays producteurs qui d'un seul coup produisent moins, et du coup il y a une tension encore plus forte.
Q- Cela veut dire que c'est la fin de la PAC ?
R- Non, c'est le début d'une nouvelle PAC.
Q- D'une nouvelle PAC !
R- C'est le début d'une nouvelle PAC, d'une nouvelle justification, une grande problématique agricole.
Q- Ce qui veut dire que l'agriculteur français tirera ses revenus de sa production plus que de subventions, dans l'avenir ?
R- Une partie des agriculteurs vont avoir, dans le prix de ce qu'ils vendent un revenu, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent. C'est le cas pour les fabricants qui produisent des céréales, des oléagineux, et d'une certaine manière, le lait. Alors, pour être juste, il faut dire deux choses pour relativiser. La première, c'est que cette augmentation des prix des matières premières a des conséquences négatives pour certaines filières agricoles, notamment les éleveurs, qui achètent ces matières premières pour nourrir leurs bêtes, donc les prix qu'ils doivent subir sont beaucoup plus élevés, les coûts de production sont plus élevés, et même les revenus vont baisser pour certains éleveurs. J'en ai rencontré beaucoup, dans l'élevage des agneaux, des veaux de boucherie, ou de la viande bovine : ces éleveurs ont des difficultés, il faut en tenir compte. Et puis il y a une autre réalité dans le monde d'aujourd'hui, c'est la spéculation. Et voilà pourquoi il faut une politique agricole commune : parce qu'on ne peut pas laisser ces biens alimentaires, la nourriture, votre nourriture, celle des gens qui nous écoutent, au gré des marchés. Moi, je veux bien être libéral et je le suis, je crois à l'initiative privée, fondamentalement, mais je ne crois pas qu'on puisse laisser à la seule loi des marchés, à la spéculation internationale, ce qui constitue la nourriture des gens. Donc, il faut des régulations, il faut stabiliser les marchés. Il faudra donc, c'est une raison supplémentaire, une nouvelle politique agricole commune.
Q- Allez vous revenir sur les quotas laitiers ? Enfin, l'Europe va-t-elle revenir sur les quotas laitiers ?
R- Ecoutez, les quotas laitiers pour toutes les régions fragiles - vous savez que je suis très attaché à la région Rhône-Alpes, à la Savoie et aux Alpes, mais il n'y a pas que cette région-là qui est touchée - ils s'attachent à une production laitière qui fixe l'activité. Et à côté de la production de lait par les éleveurs, il y a aussi la production de fromage, de transformation dans les produits laitiers, qui sont très près des éleveurs. Donc, ces quotas laitiers ont une vocation importante et nous ne sommes pas décidés à les détricoter comme cela. Mais nous sommes ouverts à une discussion qui permettrait d'augmenter la production de lait, puisqu'il va manquer de lait - c'est aussi une raison pour laquelle le prix du lait augmente - tout en préservant l'équilibre...
Q- ... donc, on ne supprime pas les quotas laitiers... On est bien d'accord, M. Barnier ?
R- Il y a des idées ici ou là pour les supprimer...
Q- Ah ! Vous êtes favorable à la suppression des quotas laitiers ?
R- Non, je ne suis pas favorable au détricotage de cette politique qui fixe l'activité laitière dans toute sa dimension - la production du lait et la transformation du lait - près des gens. Faites attention : moi je ne rêve pas d'une agriculture française qui ressemble à l'agriculture américaine avec de grandes fermes et des produits aseptisés. Je veux qu'on garde des fermes et des exploitations de taille humaine, et je veux qu'on garde des produits qui aient des goûts et des couleurs, pas une agriculture et des produits aseptisés.
Q- Bien. On va essayer de produire avec moins d'engrais, moins d'insecticides, moins de pesticides, hein, M. Barnier.
R- C'est une obligation...
Q- ... c'est une obligation.
R- ... que de produire en faisant attention aux ressources naturelles, aux espaces naturels qui ne sont ni gratuits, ni épuisables, et les agriculteurs se sont engagés, pour certains, dans l'agriculture biologique et nous allons les soutenir, pour d'autres dans l'agriculture raisonnée.
Q- On va parler du bio. M. Barnier. Est-ce que vous allez interdire définitivement l'utilisation du Gaucho et du Régent ?
R- Nous allons limiter systématiquement - je l'ai dit d'ailleurs en Martinique il y a quelques jours où je me rendais pour...
Q- ... parce que pour l'instant ces deux produits qui tuent les abeilles sont suspendus.
R- Ils sont suspendus. Il y a des enquêtes qui sont faites, et si les enquêtes qui sont faites pour démontrer la nocivité de tel ou tel produit - moi, je suis extrêmement réservé sur ces produits. L'autre jour, la justice a décidé l'interdiction d'un produit qui s'appelle le Paraqua, qui était utilisé dans l'exploitation de bananes, et je l'ai immédiatement interdit, en récupérant les stocks d'ailleurs. Donc, je serai extrêmement vigilant. Vous savez, j'ai mis dans la loi française en 1995, comme ministre de l'Environnement, deux mots importants qui sont : "principe de précaution", et j'ai mis deux autres mots dans la même loi, qu'on n'avait jamais mis autrefois, qui sont les mots de « débat public ». Donc, j'aborderai ces questions de pesticides, de produits qui peuvent avoir des dangers - si les scientifiques nous le démontrent - avec le souci du principe de précaution, et le souci de la transparence et du débat public.
Q- Vous n'avez pas peur d'interdire définitivement le Gaucho et le Régent, donc. Les producteurs et tous les apiculteurs seront...
R- ...Si il est démontré, notamment pour les apiculteurs - et je suis très attentif - que ces produits ont une vraie nocivité durable.
Q- Les nitrates, où on est-on, et notamment en Bretagne ?
R- En arrivant j'ai trouvé cette crise, une absence de confiance totale, d'une part de la Commission européenne dans le Gouvernement français -la Commission n'avait plus confiance - elle nous a donc traduits en justice à deux reprises, au mois de mars et au mois de juin, avec une conséquence très sérieuse : 28 millions de pénalité et 117 000 euros par jour d'astreinte.
Q- Oui, oui, ce qui est énorme.
R- Voilà la place sous laquelle nous nous trouvons actuellement. Et puis,
Q- une absence de confiance des agriculteurs locaux, qui avaient le sentiment d'être lâchés alors qu'il faut les accompagner vers des pratiques plus respectueuses de l'environnement. Et donc, je me suis attaché avec le cabinet du ministre du Développement durable, monsieur Borloo, à rétablir cette double confiance. D'une part vers Bruxelles - beaucoup de réunions - et d'autre part avec les acteurs locaux, qui ont besoin de dialogue. Au moment où je vous parle, et je le dis avec précaution, je pense que la Commission est sur le point de décider, la semaine prochaine, de différer cette saisine de la Cour de justice, de nous donner un nouveau sursis à statuer avec une durée indéterminée, parce que je pense que nous avons rétabli avec la Commission européenne la confiance qui manquait. Et donc, le commissaire chargé de ce dossier, monsieur Dimas, qui est le commissaire à l'Environnement, la commissaire à l'Agriculture, avec lesquels nous avons beaucoup travaillé, vont soumettre la semaine prochaine une décision pour surseoir à statuer à cette saisine de la Cour de justice et nous permettre d'engager le plan que j'ai présenté avec monsieur Borloo aux agriculteurs locaux qui leur demandent beaucoup d'efforts. Mais j'avais dit en arrivant au gouvernement que cette question des nitrates, sur laquelle les agriculteurs ont fait beaucoup d'efforts - il y avait 28 bassins qui posaient des problèmes en 2001, il n'y en a plus que neuf aujourd'hui qui posent des problèmes, donc beaucoup d'efforts ont été faits - cette question, on ne peut la traiter sans les agriculteurs, et encore moins contre eux. On la traite avec eux. C'est ce que nous avons, je crois, réussi à faire, même si c'est difficile, et je pense que cette double confiance est aujourd'hui rétablie.
Q- Ca veut dire que la France ne paiera pas les 28 millions d'euros d'amende ?
R- Je pense que nous allons échapper à cette sanction parce que nous sommes engagés dans un processus pour respecter cette directive qui date de 1975 - 34 ans - avec un plan très sérieux qui nous a permis de rétablir cette confiance avec la Commission européenne.
Q- Le "Grenelle de l'environnement". Vous vous êtes évidemment très intéressé à cette réunion. Les régions vont demander un moratoire sur les OGM. Vous êtes favorable à ce moratoire ?
R- Ne me demandez pas de dire maintenant la conclusion du Grenelle. Les OGM ont une utilité, et les présidents de Région qui font cette demande savent bien que les OGM ont différentes dimensions. Il y a des OGM à vocation de nutrition ; il y a des OGM à vocation sanitaire pour santé publique - la mucoviscidose, par exemple, peut être traitée avec certains OGM ; il y a des OGM qui peuvent avoir l'effet d'augmenter la production de manière plus vertueuse - par exemple dans la papeterie, la cartonnerie, pour éviter l'utilisation de produits chimiques - donc, ne jetons pas les OGM dans un discours irrationnel et regardons leur utilité. Il faut distinguer...
Q- ... un moratoire, non, alors ?
R- Il faut distinguer ce qui est la recherche...
Q- ... M. Barnier, vous n'êtes pas favorable à un moratoire ?
R- Sûrement pas sur la recherche. Nous avons besoin de la recherche sinon nous allons être dominés dans ce domaine comme dans d'autres par l'influence, l'économie, la recherche américaine ou la recherche chinoise. Donc, moi, je tiens personnellement - et je l'ai écrit il y a quelques jours - à ce qu'on préserve la recherche française dans ce domaine qui est fondamental. C'est une autre question que celle la culture en plein champ à des fins commerciales. Nous avons actuellement à peu près 22 000 ha cultivés avec le maïs Mon 810, et c'est une question qui est ouverte. Voilà ce que je peux dire dans le cadre du "Grenelle de l'environnement". Ne me demandez pas de conclure une discussion qui commence en ce moment.
Q- Mais vous avez une opinion sur la question, M. Barnier ?
R- J'ai une opinion, et comme ministre je vous ai dit quelle était ma priorité. La priorité c'est la recherche sur les OGM.
Q- Donc, la recherche sur les OGM : oui ; les cultures en "champ libre", si je puis dire : peut-être pas.
R- Qui sont aujourd'hui conduites, encore une fois, de manière modeste par des agriculteurs qui respectent la loi.
Q- ... on sait où on cultive par canton, le problème c'est qu'on ne le sait pas par commune, je ne vois pas pourquoi ?
R- C'est déjà un progrès.
Q- Pourquoi est-ce qu'on ne va pas au bout de la transparence, M. Barnier ?
R- Parce que c'est la loi. J'ai proposé à ce qu'on aille plus loin à condition que l'on ne montre pas du doigt des agriculteurs qui respectent la loi. Et donc je voudrais bien que tous ceux qui participent à ce débat le fassent de manière plus apaisée, en respectant le cadre actuel de la loi. Si la loi évolue, ce qui est possible...
Q- ... vous aimeriez que la loi évolue ?
R- ... il y aura une nouvelle législation. Je vous ai dit dans quel sens je souhaite qu'on préserve les outils et la réalité de la recherche française.
Q- Je vous sens réservé avec les OGM en plein champ, hein.
R- Je vous ai dit quelle était pour moi la priorité. Mais, je veux dire que les agriculteurs qui cultivent actuellement ces 22 000 ha le font dans la cadre de la loi et qu'il faut le reconnaître, et que ceux qui sont contre les OGM respectent la loi aussi de leur côté.
Bien, M. Barnier est notre invité ce matin, ministre de l'Agriculture. Merci d'être avec nous.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 septembre 2007