Interview de Mme Fadela Amara, SE chargée de la politique de la ville, sur "RMC Info" le 14 septembre 2007, sur le fait qu'elle est peu favorable à la proposition d'instaurer des tests ADN pour le regroupement familial, sur la nécessité d'inciter les municipalités à construire 20 pour cent de logements sociaux, sur l'immigration "choisie", le manque d'intégration des jeunes des banlieue par l'emploi.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin.- C'est l'une de vos premières grandes émissions depuis que vous êtes secrétaire d'Etat.

R.- Oui...

Q.- J'ai deux, trois questions d'actualité, et ensuite nous entrons dans la politique de la ville. Première question, vous allez me dire ce que vous en pensez : des tests ADN pour le regroupement familial, oui ou non ? Y êtes-vous favorable ou pas ?

R.- Non, pas favorable.

Q.- Vous n'y êtes pas favorable ?

R.- Non.

Q.- Pourquoi ?

R.- Parce que je pense que cela jette un peu la suspicion et le doute sur les candidats à l'immigration et c'est un peu particulier cette manière de penser, justement, les personnes qui veulent venir chez nous. C'est un peu bizarre, donc je ne suis pas favorable à ces tests-là. Je sais qu'il y a...

Q.- Pensez-vous que le Gouvernement va soutenir l'amendement de T. Mariani, B. Hortefeux ?

R.- Très franchement, je n'espère pas, je n'espère pas, ce serait un peu dommage. Si cela se fait, ce serait un peu dommage. Mais cela m'étonnerait quand même...

Q.- Mais pourquoi ? C'est une atteinte portée à la dignité de ceux qui sont en France et qui veulent faire venir leur famille ?

R.- Il y a de cela un peu, mais surtout c'est cette manière que l'on a d'appréhender les candidats à l'immigration. Je pense qu'il faut penser autrement. Et je pense que ce qui est important aujourd'hui, je sais qu'il y a des fraudes, évidemment, il faut être lucides, il faut se dire la vérité. Mais en même temps, attention à ne pas jeter l'opprobre pour ceux qui, réellement, ont envie de venir, ici, chez nous, rejoindre leur famille. Je pense qu'il faut faire attention, il faut respecter la dignité humaine quand même.

Q.- Faites-vous le ramadan ?

R.- Je ne vous répondrai pas à cette question, c'est de d'ordre privé mon cher.

Q.- Bon, d'accord. Je vous ai posé la question, vous avez choisi la réponse. La loi SRU : est-ce qu'on y touche ou est-ce qu'on n'y touche pas ?

R.- Normalement, on n'y touchera pas. Mais on va tout faire pour que cela marche et qu'il y ait 20 % de constructions.

Q.- Pourquoi n'y touche-t-on pas ?

R.- C'est la volonté de madame Boutin. Je pense qu'elle a tout à fait raison, parce que...

Q.- Expliquez-nous pourquoi, pourquoi a-t-elle raison ?

R.- D'abord, parce que c'est très compliqué premièrement, c'est très complexe, ça été déjà assez difficile à cette époque-là pour la faire passer, mais je crois que cela ne sert à rien, en réalité, de la remettre sur le tapis pour rentrer à nouveau dans des débats houleux dans lesquels chacun va y aller de son d'argument, etc. Je crois qu'il y a une ligne qui a été fixée par la loi, il faut tendre et faire en sorte que cela marche et qu'on obtienne cet objectif, parce que dans notre pays, effectivement, il y a pénurie de logements, et on a intérêt à faire en sorte...

Q.- De logements sociaux.

R.- Oui.

Q.- Je rappelle la loi SRU, pour ceux qui ne sauraient pas : il s'agit d'inciter les municipalités à construire 20 %...

R.- Je connais un peu C. Boutin depuis que je la fréquente, je sais qu'elle a une détermination extraordinaire, réellement, et je suis convaincue qu'elle va convaincre les maires, quelle que soit leur tendance politique de construire des logements...

Q.- De construire des logements sociaux dans leur commune.

R.- Exactement.

Q.- Oui, mais les administrés, bien souvent, n'ont pas du tout envie de voir arriver des logements sociaux, vous le savez bien.

R.- Je pense qu'on peut faire évoluer les mentalités.

Q.- Que faut-il ? Faut-il alourdir les amendes ?

R.- J'étais pour qu'on enlève ce petit article qui permettrait justement d'atteindre cet objectif-là. Mais s'il faut alourdir les amendes, si cela doit passer par là, pourquoi pas. Mais je pense qu'il faut d'abord passer par cette étape de convaincre les gens. Je parie toujours sur l'intelligence des gens d'abord.

Q.- Un mot encore de l'actualité. Les Harkis, vous avez vu la décision de justice concernant G. Frêche ; vous regrettez, des propos qui finalement ne sont pas condamnés ?

R.- Je regrette que dans mon pays, on laisse passer ce genre de chose. Je ne commente pas la décision de justice évidemment, mais je regrette qu'un homme politique laisse échapper ce type de propos assez blessants pour malheureusement amener des gens à aller porter plainte. Je crois que, quand on est un homme et une femme politique, il faut quand même faire très, très attention à la manière dont on s'exprime, parce que, là, pour le coup, c'est vrai que dire, à des gens qu'ils sont "des sous hommes", c'est un peu particulier comme langage. Mais ceci dit, à mon avis, ce n'est pas la première fois que monsieur Frêche tient des propos tendancieux.

Q.- Sur la politique d'immigration, "l'immigration choisie" oui, vous êtes d'accord, franchement ?

R.- Très franchement, cela ne m'a pas paru énorme, parce que cela a toujours existé le choix de faire entrer les gens que l'on souhaite faire venir dans notre pays, cela a toujours existé. Donc ce n'est pas la peine qu'on se raconte des histoires, non plus. Beaucoup de polémiques pour rien.

Q.- Regardons un peu la politique de la ville et notamment les banlieues. Alors, vous n'avez pas mâché vos mots, vous avez prévenu : "J'appliquerai une tolérance zéro pour la glandouille". Mais qui sont "les glandouillards" ?

R.- Non, ce n'est pas dans ce sens-là qu'il faut le comprendre, évidemment. Je ne fais pas la chasse aux sorcières. Ce que je constate concrètement, c'est que dans les quartiers, il y a beaucoup trop de jeunes qui sont en situation de déshérence, 40 à 42 % de chômage dans certaines cités pour les jeunes, c'est beaucoup trop. Je crois qu'il faut qu'on soit capables de mettre en place des dispositifs qui fassent reculer, justement, ce type de situation. Moi, je n'ai qu'une envie - c'est pour cela que j'ai dit "tolérance zéro pour la glandouille", qui est un mot populaire, français, pour que tout le monde comprenne.

Q.- "La glandouille", c'est quoi ? C'est celui qui est dans sa cité, qui se lève à midi, et qui n'a pas de boulot, et qui ne fait rien de ses journées, qui se retrouve dans le hall de l'immeuble... ?

R.- Non, "la glandouille", c'est celui qui "s'emmerde" en bas de la cage d'escalier et qui, malheureusement, à un moment donné, peut être entraîné ou peut basculer, à faire des "conneries" pour être très claire. Donc je crois qu'il faut casser ce processus-là, et je pense que il y a besoin de... Alors, c'est toujours la même chose, je pense que dans les cités, il y a beaucoup de profils, comme partout, il y a différents jeunes, encore une fois. Il y a ceux qui ont des diplômes, un bac+5 mais qui n'arrivent pas à trouver de boulot parce qu'il y a la discrimination. Donc ce ne sont pas des "glandouilleurs", eux, ils ont vraiment envie mais ils n'y arrivent pas, donc il faut leur donner un coup de main. Il y a bien sûr ceux qui n'ont pas de qualification, c'est un peu plus compliqué pour ces jeunes-là. Mais l'idée aussi, c'est de faire en sorte qu'il n'y ait plus de jeunes qui traînent en bas des cages d'escaliers, pour quelque raison que ce soit. L'idée, c'est, premièrement, faire en sorte qu'ils soient dans un stage, une formation qualifiante ou un travail direct. Et dans ce plan-là, évidemment, il y aura un dispositif qui va être mis en place, qui sera du début jusqu'à la fin une prise en charge avec, à la fin, un contrat de travail. Mais il y a aussi l'idée, derrière tout cela aussi, et en même temps, de faire rencontrer le monde du travail avec les jeunes des quartiers. J'ai dit un truc qui me tient à coeur - j'ai déjà commencé à discuter avec Madame Parisot du Medef -, c'est de ramener à la fois le CAC 40 au coeur des quartiers, les patrons du CAC 40...

Q.- Cela ne va pas être facile ?

R.- Mais si, vous allez voir !

Q.- Que vous dit-elle quand vous lui dites cela ? Amener le CAC 40 au coeur des quartiers ? Banco !... ?

R.- C'est une femme... Elle dit "banco !"...

Q.- Très bien, "banco !"

R.- Moi j'aime bien les gens qui ont envie de bouger.

Q.- Très bien, moi aussi.

R.- Mais c'est aussi ramener les PME dans les cités qui, elles, sont réellement le terreau des créations d'emplois. Je rêve d'une chose en réalité, je ne suis pas utopique, j'ai toujours combattu, j'ai toujours été militante, mais je rêve d'une chose, c'est qu'un jour, on arrive à faire en sorte dans ce pays que les jeunes aient accès à l'emploi direct sans passer par des dispositifs etc. Il faut se battre pour cela.

Q.- Moi, je me souviens de la crise des banlieues, je me souviens du plan et de la mobilisation de l'ANPE : 22.000 jeunes reçus par l'ANPE après la crise des banlieues, 15.000 ont obtenu un premier entretien auprès d'une entreprise. Seulement, un peu plus de 2.000 ont décroché un emploi. Très insuffisant !

R.- Largement insuffisant.

Q.- Mais pourquoi ? Pourquoi ?

R.- Je pense, il faudrait peut-être poser la question aux patrons qui n'acceptent pas de prendre certaines personnes.

Q.- Pourquoi ? Il y a un délit de faciès, il y a un délit de je ne pas... Qu'est-ce qu'il y a ? Cela existe, oui cela existe !

R.- Moi, je fais partie de la HALDE.

Q.- Oui cela je sais, c'est pour cela que je vous pose la question.

R.- Ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est que dans le cadre de la HALDE, j'ai découvert quand même que beaucoup de patrons ne pratiquaient pas directement la discrimination. Il y a des sortes d'automatismes, de mauvaises habitudes qui font qu'à un moment, il y a une sorte d'autocensure qui fait qu'on ne choisit pas tels types de populations, tels types de jeunes pour des raisons très précises. Mais, c'est souvent lié au fait d'une méconnaissance du public et d'une peur irrationnelle qui existe dans l'esprit.

Q.- Alors comment faire pour rapprocher ?

R.- Il faut péter (sic) tout cela.

Q.- Alors comment ?

R.- Alors comment ? Cela passe bien évidemment, d'abord par le fait que quand on est victime de discrimination, il faut réparation avec un processus très clair. Donc en saisissant la HALDE en autres. Cela, c'est pour éviter le fatalisme. Ce processus de fatalisme qui fait qu'on intègre la discrimination. Il faut dire que la discrimination est un délit, et qu'il y a des mesures qu'il faut prendre etc. Cela, c'est la première chose. La deuxième chose, pour prévenir la discrimination, il faut absolument, et je sais que cela existe, ce sont des formations qui existent, de sensibilisation, pour prévenir la discrimination ; les patrons sensibilisés contre la discrimination, toutes les mauvaises pratiques. D'ailleurs, la HALDE a mis en place des formations très spécifiques en autres. Et d'autres associations qui s'occupent de cela aussi sont très performantes. Il faut aussi sensibiliser les DRH, qui eux sont les premiers recruteurs.

Q.- Il faut aussi que les candidats à l'emploi jouent le jeu de leur côté ! C'est bien beau de stigmatiser sans cesse les chefs d'entreprise.

Q.- Je sais bien que vous allez dire que les casquettes à l'envers, cela fait un peu bizarre quand ils se présentent. C'est vrai. C'est vrai qu'il y a aussi des mises en situation qu'il faut permettre pour que les jeunes comprennent qu'à un moment donné...

Q.- Il faut les conseiller ces jeunes, vous les accompagnez ?

R.- Coaching, cela s'appelle le coaching. Et cela fait partie aussi d'ailleurs, dans le cadre du plan de banlieue, cela fait partie donc des choses qui vont être...

Q.- Mais qui va les coacher ?

R.- Des professionnels. Vous avez des gens ici qui sont extraordinaires, dans notre pays, et qui sont capables, pas de changer au fond, mais de permettre, justement sur la forme, de permettre à de jeunes d'être présentables.

Q.- Concrètement, un jeune de quartier qui cherche du boulot, qui va rencontrer une entreprise, il va être pris en main par quelqu'un, un adulte qui va expérimenter, qui va lui dire : voilà ce qu'il faut faire, voilà comment tu dois t'habiller, voilà comment tu dois te présenter, voilà ce que tu dois dire ?

R.- Ce n'est pas tout le monde qui a besoin de ça. Ceux qui en ont besoin, qui sont en situation d'inemployabilité ...

Q.- Qui seront ces coachs ?

R.- Eh bien, ce sont des associations, mais des professionnelles, des associations dans lesquelles il y a des formations très spécifiques. Elles s'occupent particulièrement de ces groupes de jeunes qui sont dans une situation d'inemployabilité. Et donc, ils les prennent du début à la fois sur la manière de parler, sur le comportement, sur la tenue vestimentaire, sur tout pour qu'au bout de la chaîne, une fois qu'ils sont passés dans ce processus là, ils soient capables à la fois de pouvoir se vendre correctement - parce que c'est aussi la difficulté, il faut qu'ils reprennent confiance en eux, ça c'est très compliqué contrairement à ce qu'on croit, il faut qu'ils reprennent confiance en eux pour qu'ils puissent après se présenter correctement et obtenir un emploi.

Q.- C'est une politique volontariste. On va la compléter, parce que je crois que vous avez d'autres idées, dans deux minutes. [...]

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 14 septembre 2007