Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables, à Europe 1 le 28 septembre 2007, sur les propositions des groupes de travail du Grenelle de l'environnement

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Circonstance : Présentation des propositions des groupes du Grenelle de l'environnement, à Paris le 27 septembre 2007

Média : Europe 1

Texte intégral

B. Duquesne.- J.-L. Borloo, bonjour. Merci d'être là. Alors "Grenelle" phase 2, on va démarrer la phase 2, on vient de terminer la phase 1. Vous venez de boucler cette première étape du "Grenelle de l'Environnement", les six groupes du travail ont rendu leur copie. Les Français vont être amenés maintenant à en débattre dans des réunions publiques, et puis sur Internet. Alors, est-ce que le ministre J.-L. Borloo est heureux, aujourd'hui, ce matin ?

R.- Oui, pour plusieurs raisons. La première c'est que des gens qui ne se parlaient pas, pendant deux, trois mois, sont allés au fond des choses, et on se rend compte très sincèrement que quand on va au fond des choses, il y a beaucoup de malentendus qui se lèvent, même si, évidemment, on n'est pas forcément d'accord sur tout.

Q.- C'était dur de les faire asseoir autour de la même table ?

R.- Oui, bien sûr. C'est ça la vérité, c'est ça les débats authentiques dans un pays mûr. Le fond de l'histoire il est quand même assez simple : en gros, on prélève sur la planète plus que ce qu'elle peut produire aujourd'hui : on est de plus en plus nombreux, le climat est réellement dégradé, il y a des vrais problèmes de qualité de sol et d'alimentation, il y a la désertification qui progresse. Bref, la biodiversité est en péril. Alors, sans faire du catastrophisme...

Q.- Cette dégradation a commencé à être intégrée dans la tête des gens...

R.- S'il était intégré, imaginez-vous qu'on n'aurait pris quelques décisions assez claires au plan international ! Donc, on a ça et on sait - vous savez - que vos enfants vivront de toute façon dans une économie différente. La seule question qui est posée aujourd'hui, c'est : est-ce que tous ensemble, avec chaque Français, les 60 millions, on modifie quelques points de comportement pour avoir un niveau de vie plutôt agréable, ou est-ce qu'on continue à subir cette situation-là ?

Q.- Alors l'ambiance autour de la table, avec les gens de Greenpeace, les céréaliers, la FNSEA, etc. ? Cela se passait comment ?

R.- L'ambiance autour des tables était assez géniale... Il y avait la CGT, FO, le Medef, les ONG, les collectivités locales, les entreprises, bref tout le monde. Pour essayer de trouver des solutions pour avancer.

Q.- Sans langue de bois ?

R.- Il y a des centaines de propositions qui ont été faites... En gros, si vous voulez, il y a des sujets sur lesquels il y a un accord, et sur l'objectif et les modalités. Je donne un exemple : nous avons des maisons, des appartements, des bureaux, votre bureau, qui sont très souvent des passoires énergétiques. Cela coûte très, très cher en charges, et cela émet du CO² à mort. On est à près de 280 kilowatts/heure de mètre carré. Je veux dire que ça, il faut qu'à partir de demain, on construise à 50 kilowatts, voire en énergie positive. C'est une révolution.

Q.- C'est-à-dire qu'en 2020, les bâtiments passeront...

R.- Non, non, plus vite que ça. Plus rapide. C'est tout le débat. Il n'y a pas encore consensus sur la vitesse. Moi, je suis pour qu'on aille beaucoup plus vite, qu'on le fasse pour 2012 ; d'autres expliquent que le temps que la filière s'organise, c'est 2015 ou 2020. Eh bien, il va y avoir une négociation ce mois-ci.

Q.- Et cela vaut pour les maisons individuelles, ça vaut pour le logement collectif ?

R.- Pour les bureaux, pour les logements collectifs, pour les HLM. Il y a un problème de rattrapage dans les HLM. Il y en a 800.000 qui sont dans un état énergétique extrêmement mauvais. On discute, là, avec l'Union des HLM, avec l'Agence de rénovation urbaine. Le développement durable, c'est organiser une vie plus agréable, plus confortable, plus respectueuse de l'environnement. Mais ce que je veux vous dire, là, on a les centaines et les milliers de gens qui ont travaillé, qui font des propositions. Maintenant, c'est aux Français...

Q.- Votre révolution, c'est quoi ?

R.- C'est la mutation économique, la mutation écologique, pardon.

Q.- C'est ça la révolution que vous appelez ?

R.- Oui absolument. Mais ce que je veux vous dire sur Europe ce matin, c'est qu'il y a des gens qui ont proposé et discuté, sont allés au fond, il y avait des scientifiques. Maintenant c'est aux Français. Ou cela se fait avec les 60 millions de Français, ou cela ne se fait pas. Après le reste, je dirais que ce sont des blagues les règles. La vérité, c'est que les Français vont pouvoir s'exprimer sur Internet, il y a des forums régionaux ...

Q.- Et par rapport aux propositions qui sont faites ?

R.-...Sur les propositions qui sont faites, qui ne sont pas des décisions.

Q.- Quelle est la marge d'appréciation des Français ? Est-ce qu'on doit proposer d'autres choses ? On pourra enrichir le propos ?

R.- Mais bien entendu. Oui, il faut enrichir le propos, il faut regarder. Ça, on pense que ça ne va pas apporter grand chose. En revanche, là-dessus, vous n'êtes pas allés assez loin. Je rappelle, sur Internet, c'est : legrenelle-environnement.fr, des forums régionaux...

Q.-...auxquels les gens pourront participer et vous serez à certains de ces forums, vous-même ?

R.- A priori pas puisque ce n'est pas un débat du Gouvernement. C'est les parties prenantes.

Q.- Vous ne voulez pas vous impliquez dedans et qu'on ait l'impression que la parole gouvernementale arrive dans les forums en question ?

R.- Non. Il y a des représentants de l'Etat. Mais il faut éviter qu'on donne le sentiment... On est dans un pays où l'on dit toujours : "Alors, l'Etat, l'Etat, qu'est-ce qu'il pense ?". Ce sont les parties prenantes du pays : ONG, partenaires sociaux, Français directs, entreprises, qui continuent ce débat.

Q.- Alors sur les propositions. On vient de parler du bâtiment, il y a aussi le bio, le bio dans les cantines, le bio dans la culture, dans l'agriculture ; il y a plein de choses comme cela et de propositions qui sont assez révolutionnaires, assez novatrices. Et puis, il y a des points sur lesquels cela bloque un peu. On se dit "bon, bah, il n'y a pas eu de consensus". Vous ne vouliez pas de consensus, vous ?

R.- Non parce que le pire ça aurait été, si vous voulez, qu'on réduise, qu'à force d'essayer d'avoir des consensus, on ne sorte pas grand-chose. Et puis, comme cela, on aurait été...

Q.- Et on se dit quelquefois que les lobbies ont encore de beaux jours devant eux. La route, par exemple : grand enjeu la route ! On dit ok, diminuer 10 km sur la l'autoroute. Très bien. Mais il n'y a pas de moratoire par exemple sur la construction d'autoroutes. Là, on a dit non, on continue à en construire. C'est un exemple sur quelques mesures, comme cela.

R.- Non, non, mais vous avez raison. Le problème des transports ne se résume pas à 10 km/heure ou pas, parce que franchement, si ce n'était que cela...

Q.- Ce n'est pas révolutionnaire cela...

R.- Non, franchement, non.

Q.- C'est facile comme mesure ?

R.- Quel est le point où les groupes de travail sont au fond d'accord ? Faut-il augmenter les capacités autoroutières, routières massives ? On a construit en France de grandes autoroutes, Nord-Sud, Est-Ouest. Est-ce qu'il faut augmenter ces capacités routières/autoroutières, ou est-ce qu'il faut augmenter massivement les capacités ferroviaires et les capacités fluviales ? C'est en ces termes qu'est posée la question. Après de grosses analyses, avec des conséquences très précises, le groupe de travail dit, tous collèges confondus : "Il ne faut pas augmenter les capacités routières et autoroutières, il faut doubler ou tripler massivement les capacités ferroviaires et les capacités fluviales". Bon. Après, il y a un détail...

Q.- Mais sur la construction autoroutes, il n'y a pas de moratoire pour autant ?

R.- Mais le mot "moratoire"... Attendez, s'il y a un problème de contournement, à un point ou à un autre...

Q.- On peut en faire ?

R.-...évidemment qu'il faut en faire. Mais est-ce qu'on refait une espèce d'offre massive d'autoroutes en France ? Le groupe de travail, là, dit : "faites-nous des autoroutes ferroviaires, mettez les camions pour faire Lille-Marseille sur des trains, donc ayez des sillons dédiés à cela. Cela nous paraît plus pertinent" : voilà ce que dit le groupe de travail.

Q.- On ne parle pas de taxe pour les routiers ?

R.- Alors, ce qui est absolument extraordinaire, c'est qu'il y a des taxes autour, et la France qui est un pays de transit laisse circuler sans qu'il n'y ait aucun débat. Le groupe de travail fait des propositions dans ce sens.

Q.- Sur les lobbies, la FNSEA, lobby des céréaliers, etc.

R.- Arrêtons de traiter la FNSEA de "lobby" !

Q.- Non, mais pesticides, OGM... là, il n'y pas eu beaucoup de progrès sur ces questions-là ?

R.- Mais c'est absolument faux ! La FNSEA a fait des propositions majeures, qui ont d'ailleurs été saluées par tout le monde. Quel est le parcours économique de production qui est proposé à l'agriculteur aujourd'hui ? Comment réduit-on les intrants tout en respectant nos capacités de productions ? Ils proposent d'aller vers l'autonomie énergétique ; ils proposent qu'il y ait des labels de haute valeur environnementale dans les exploitations. Ce n'est pas... Moi j'en ai plein le dos de voir un pays qui consiste systématiquement à opposer les uns aux autres. Il peut y avoir des points de désaccord, mais l'évolution... On a discuté du bio, par exemple, on a regardé pourquoi en Italie c'est extrêmement développé et beaucoup moins en France. Il y a toujours des raisons aux choses. Le "Grenelle" c'est d'aller dans le détail des ( ?) pour faire...

Q.- Donc, qu'une étape... ?

R.- Oui, il y aura dans ce domaine-là, des avancées très importantes.

Q.- Un échec de ce "Grenelle", ce serait un échec de J.-L. Borloo, in fine, à la fin du mois ?

R.- Mais un échec de ce "Grenelle" c'est quoi ? Un échec de ce "Grenelle", c'est que, ça serait que les Français ne s'intéressent pas au sujet, que les 60 millions de Français ne prennent pas cela en compte eux-mêmes tous les jours. Ce n'est pas l'applaudissement de trois ou quatre commentateurs, l'échec ou le succès du "Grenelle". La question est de savoir si l'écologie est un sujet absolument central dans vos comportements, dans mes comportements, dans ceux de la société française. C'est cela la vérité. Pour le reste, vous savez, quand vous faites de l'action publique, jamais vous ne pouvez être tout à fait satisfait de ce que vous faites, ou alors c'est que vous êtes...

Q.- L'écologie, vous vous y êtes rallié ? Vous êtes convaincu de l'intérêt du point central de la question ? Il paraît que vous boudiez quand vous avez quitté votre ministère des Finances et que vous vous embêtiez un petit peu à l'Ecologie ?

R.- C'est extraordinaire ! La presse décide un commentaire et re-commente le commentaire d'après.

Q.- J.-L. Borloo ne s'embête plus ? Vous ne vous embêtez plus maintenant ?

R.- Mais je suis face au seul défi... Mais est-ce que vous savez que vos gosses connaîtront l'après-pétrole, et que la seule question est de savoir si d'ici là, les émissions de CO² n'auront pas fait des déserts partout ? Auront fait monter le niveau de la mer ? Enfin, vous rendez-vous compte que la banquise est en train de fondre, et que si on n'a pas de frigo au Nord, alors qu'on a des tensions à l'équateur, les dérèglements climatiques vont être dramatiques ! Est-ce que vous avez regardé, hier ou avant-hier ce qui s'est passé un peu partout en Asie ? Est-ce que vous regardez ce qui se passe dans l'océan Atlantique aujourd'hui même ?

Q.- Donc, il faut ouvrir les yeux...

R.- Bien sûr !

Q.-... et vous avez l'impression qu'avec ce "Grenelle" et ces débats qui vont suivre, les Français vont ouvrir les yeux ?

R.- En tous les cas, tout le monde joue le jeu. J'ai noté que 93 % des Français disent : "nous, on est prêts à faire un effort. Aidez-nous simplement à savoir lequel".

Q.- Merci. Vous allez voir les Verts, je crois, à leurs Journées parlementaires ?

R.- Oui.

Q.- Vous y allez en train, vous y allez en... ?

R.- Ah ben, oui, j'y vais en train, oui.

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 28 septembre 2007