Texte intégral
Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs les ambassadrices et ambassadeurs, Mesdames, Messieurs,
Je voudrais tout d'abord remercier chaleureusement Charles Josselin, mon collègue chargé de la coopération et de la francophonie, ainsi qu'Ariane Obolenski, présidente du Centre français du commerce extérieur, qui organisent ce séminaire consacré à l'Afrique. Tous ceux qui font vivre au quotidien notre partenariat avec le continent africain sont d'ailleurs présents ce matin.
Ce n'est bien sûr pas un hasard si les acteurs du commerce et du développement rencontrent aujourd'hui les entreprises.
Des évolutions profondes sont en effet à l'oeuvre depuis quelques temps. Elles touchent à la réorientation des stratégies d'aide vers le développement durable, ou à l'annulation de la dette des pays les plus pauvres et les plus endettés. Ces changements de mentalité, on les retrouve également dans la sphère commerciale. Seattle aura été une étape décisive : les pays en développement ont élevé la voix pour se faire entendre dans le concert multilatéral. Ils ont tout simplement signifié leur refus d'une mondialisation dont ils ne seraient pas des acteurs de plein droit.
L'Afrique subsaharienne a besoin de l'OMC pour bénéficier de perspectives de développement
Face aux interactions de l'économie globale, il n'est plus possible de cloisonner les questions liées au commerce, au développement, à l'environnement ou aux normes, qu'elles soient sanitaires ou sociales. Cela exige de chacun un réel effort d'ouverture aux logiques des autres. Cela exige aussi un renforcement de l'expertise technique pour faire face à des problématiques souvent très complexes.
Mais, au delà des questions techniques, ne perdons jamais de vue ce qui importe vraiment. En Afrique subsaharienne, près de la moitié de la population vit dans le dénuement. Et par dénuement, je veux dire simplement vivre avec moins de un dollar par jour Dans les 48 pays les moins avancés, un tiers seulement des enfants fréquente régulièrement une école. Voilà la situation actuelle. Il n'est malheureusement pas certain que les choses évoluent naturellement dans le bon sens. Sur la décennie écoulée, on a recensé entre 70 et 80 millions de " nouveaux " pauvres en Afrique sub-saharienne.
Une autre tendance statistique saute aux yeux : c'est celle de la place des PMA dans le commerce mondial. Ces 48 pays les plus pauvres, essentiellement africains, représentent aujourd'hui un demi pour cent du total des exportations. Le développement accéléré des échanges - + 14 % sur les 9 premiers mois de l'an 2000 - est l'aspect le plus spectaculaire de la mondialisation. Il doit donc offrir des perspectives de développement à tous les pays, et en particulier aux PMA. Voici pourquoi je suis convaincu qu'aujourd'hui, l'Afrique a besoin de l'OMC. Et je vous dirai dans un instant pourquoi l'OMC a besoin de l'Afrique.
Prise de conscience mondiale : concilier justice et réalisme vers un nouveau cycle de l'OMC
Pourquoi, me direz-vous, cette prise de conscience, cet intérêt soudain de la part des pays industrialisés pour un monde en développement qui représente une part réduite du commerce mondial ?
Je vous répondrai que cette prise de conscience ne date pas d'hier. Mais il est vrai mais que sa cristallisation récente autour de thèmes forts comme le commerce ou la dette s'explique par la volonté des pays en développement de faire entendre leur voix. Cette prise de conscience a été précipitée par l'évolution-même du monde, par la formidable accélération du progrès technologique et des échanges.
Pour aborder ces questions difficiles, nous devons concilier justice et réalisme.
Justice, car personne ne comprendrait par exemple qu'une organisation internationale dont la double ambition est de libéraliser et d'encadrer les échanges de biens et de services, n'écoute et n'entende que la voix des plus forts. Mike Moore, son directeur général, a vu dans le sommet Afrique-OMC de Libreville un " symbole fort ". C'était en effet, la première conférence sur le commerce, entre Africains et en Afrique ; l'OMC a bel et bien aussi besoin de l'Afrique. Les pays africains doivent s'affirmer rapidement comme des acteurs incontournables de cette instance. Tout le monde a bien compris désormais que le lancement, puis le succès d'un cycle large reposent sur la conviction de chacun des participants d'y avoir un véritable intérêt.
Mais le réalisme économique et commercial nous commandent de considérer la grande diversité des situations et des rythmes de développement propres à chaque pays.
Ne nous voilons pas la face : les écarts de richesses, de productivité, d'investissement sont considérables. Un pays comme la Malaisie accueille autant d'IDE que l'ensemble du continent africain. Et le risque existe que l'accélération technologique que j'évoquais ne fasse qu'accentuer ces déséquilibres. Je vois là une raison de plus pour refuser la loi de la jungle et fixer les règles du jeu commercial.
Nous en sommes tous conscients, l'équation n'est pas simple à résoudre : comment ne pas décourager les plus dynamiques, sans désespérer les retardataires ? Comment faire que chacun progresse à son rythme en atténuant l'impact des crises ?
Mon sentiment est que seul un cycle commercial global et élargi peut le permettre. Un accord général suppose des concessions réciproques, d'autant moins difficiles à obtenir que les thématiques sont larges, alors que des négociations partielles ou sectorielles, menées à la hâte pour des résultats à court terme, entraînent forcément crispations et blocages. Les récoltes trop précoces donnent parfois des fruits verts, au goût amer.
C'est le sens du travail d'explication que nous menons avec Mike Moore, avec l'Union européenne et de nombreux pays en développement afin qu'un cycle redémarre sur des bases élargies, solides et qui inspirent confiance.
Au-delà des règles commerciales
Mais les règles commerciales ne suffisent pas : elles organisent un cadre et offrent des opportunités qui ne pourront être réalisées que si les économies en ont la capacité. Mais le commerce ne suffit pas. L'aide, qui passe par des transferts d'épargne, se doit d'apporter un filet de sécurité, mais aussi l'encouragement nécessaire, par la réalisation de projets exemplaires, car réussis et pérennes. Cette aide ne peut pas être seulement financière, elle suppose des logiques de partenariat, des transferts de savoir-faire et de technologie, bref, tout ce qui peut contribuer à créer plus de valeur ajoutée dans les pays en développement.
Je veux toutefois souligner que l'aide bilatérale française qui est orientée directement vers le renforcement des capacités commerciales des pays africains est tout à fait substantielle. Sur la période 1995 - 2000, le volume global d'engagement de l'aide française sur des projets contribuant au renforcement des capacités exportatrices s'élève à près de 5,6 Milliards de francs, hors prêts d'ajustement structurel. Environ 60 % de cette aide est directement affectée à des projets de développement de la production exportée. 35 % de cette aide porte sur des projets d'infrastructures directement liés à l'amélioration du commerce extérieur africain, tels que les réseaux routiers, dont vous savez que la modernisation est cruciale pour une majorité de pays africains, les infrastructures portuaires et aéroportuaires.
Enfin, le solde de cette coopération porte sur des actions de modernisation, administrative, juridique, institutionnelle, par exemple en matière douanière, en matière de propriété intellectuelle ou de droit des affaires, qui sont des facteurs déterminants pour l'insertion de l'Afrique dans les échanges mondiaux. Un système juridique efficace représente certes un coût pour les pays pauvres, mais constitue aussi un avantage comparatif dans la compétition mondiale.
A ces actions de coopération en partenariat, s'ajoutent les initiatives commerciales visant à renforcer la capacité exportatrice des pays en développement les moins avancés ou, plus largement, des pays de la zone Afrique Caraïbes Pacifique.
S'agissant des pays les moins avancés, nous travaillons activement au sein de l'Union afin d'offrir une entrée sans droits de douanes de tous leurs produits : c'est un projet important auquel nous tenons, même s'il n'a pas encore abouti.
Enfin, comment ne pas signaler également les efforts de long terme consentis dans le cadre des diverses conventions dites de Lomé, qui se sont concrétisées une fois de plus à Cotonou début 2000 afin d'offrir un cadre particulièrement privilégié d'accès au marché européen pour les produits des Etats ACP.
Tout cela doit permettre aux investisseurs étrangers et locaux de créer de la valeur ajoutée. Pour ce faire, la confiance, la transparence, la sécurité des personnes et des biens, constituent des paramètres critiques. C'est un domaine où l'exemple vient de haut, où il faut beaucoup de temps pour construire et si peu pour décourager les bonnes volontés. La communauté internationale, et l'Union européenne en particulier, travaillent sans relâche à créer un environnement stable. Les mesures prises à l'OCDE ou dans d'autres instances en vue d'atteindre une plus grande transparence financière des échanges internationaux vont dans ce sens, de même que l'ajustement structurel, tout particulièrement lorsqu'il accompagne des mesures d'annulations de créances des pays pauvres les plus endettés. Mais le dernier mot appartient forcément aux intéressés eux-mêmes. Dans de nombreux pays africains ou méditerranéens, l'environnement de l'activité économique peut encore être largement amélioré.
Quel est alors le rôle des entreprises dans cet ensemble ?
Un rôle essentiel, à l'évidence. Les entreprises s'adaptent à l'intégration économique mondiale. Elles sont donc les premières bénéficiaires de la multilatéralisation des règles du jeu des échanges, que le cadre soit planétaire ou régional.
Nous attendons, en tant que pouvoirs publics, que grandes ou petites, elles nous fassent part, de façon structurée et précise, de leurs préoccupations, ou de leurs espoirs, vis à vis des projets de règles du jeu que nous élaborons avec nos collègues européens.
Nous souhaitons bien sûr qu'elles intègrent les logiques de partenariat évoquées plus haut, non seulement vis-à-vis des entreprises des pays en développement, mais également en direction de leurs homologues européennes.
Les financements d'aide au développement, qu'il s'agisse de ceux de l'Agence française de développement, dans la zone de solidarité prioritaire ou de ceux de la Direction des relations économiques extérieures, avec la réserve pays émergents, constituent un moyen classique et sûr de réaliser des projets. Comme vous le savez, la COFACE intervient également en Afrique lorsque la rentabilité d'un projet permet d'y adosser un schéma de garantie solide.
D'autres procédures, comme cela vous a été exposé ce matin, permettent d'accompagner vos stratégies d'investissement
Quelques exemples pour illustrer notre action. La COFACE couvre des opérations de court terme et de long terme, comme l'usine d'aluminium de Mozal au Mozambique, et s'est installée, avec l'aide de Proparco, en Côte d'Ivoire afin de couvrir les opérations de commerce régional. Le CFCE a développé un certain nombre de coopérations sur le continent. Au plan multilatéral, nous uvrons pour que les pays africains améliorent leur expertise vis à vis de l'OMC et disposent des moyens financiers pour participer effectivement aux discussions.
En liaison avec le Ministère des affaires étrangères, nous avons mis au point un partenariat avec le CFCE pour développer le site Internet " Investir en Zone Franc ", destiné à donner en ligne toutes les premières informations utiles.
Une autre priorité de notre politique est de favoriser le développement de l'intégration régionale en Afrique. Et je suis persuadé que les entreprises sont les premières intéressées par cette évolution. L'absence de marché régional constitue certainement un frein à l'accueil d'investissements directs. Les accords de partenariats économiques régionaux (APER) prévus par la convention de Cotonou sont à mes yeux un vecteur puissant de cette dynamique qui conduit à un marché commun en Afrique de l'ouest et en Afrique centrale. Déjà le traité OHADA permet l'unification progressive du droit des affaires.
Autant d'initiatives qui préparent l'avenir et doivent être poursuivies et amplifiées avec détermination. Mais tout cela n'est rien sans le relais des entreprises, sans leur volonté de créer de la richesse et de l'activité. C'est à vous, chefs d'entreprises, de tirer le meilleur parti possible de ces instruments à votre disposition.
Conclusion
Permettez-moi, pour conclure, de revenir à l'Afrique. Je me suis rendu à plusieurs reprises sur ce continent, plus, je crois, qu'aucun de mes prédécesseurs au commerce extérieur. Encore récemment, nous étions, avec Charles Josselin, à Libreville, afin d'apporter notre soutien à nos collègues ministres du commerce de l'ensemble du continent. Certes, la place de l'Afrique dans les échanges mondiaux ou les investissements directs étrangers est faible et certainement pas proportionnelle à sa démographie. Nous savons tous les efforts que nos amis africains se doivent d'accomplir dans de nombreux domaines pour modifier l'image et les réalités de ce continent.
L'Europe, et tout particulièrement la France, ont largement fait la preuve de leur fidélité à l'Afrique. Je suis allé à Abidjan l'année dernière pour inaugurer l'exposition France Technologies : première manifestation d'une telle ampleur en Afrique de l'ouest. 300 entreprises françaises y étaient représentées : quelques grands groupes déjà bien implantés dans la région, mais aussi un grand nombre de PME-PMI représentant des secteurs d'activité très variés. J'avais puisé dans cette manifestation une force d'optimisme sur les grandes perspectives de développement durable et diversifié de la Côte d'Ivoire et de l'Afrique de l'ouest toute entière. Je suis bien sûr très peiné des événements les plus récents à Abidjan qui ont conduit à l'état d'urgence. Mais la période pénible qu'a connu la Côte d'Ivoire n'a pas découragé les entreprises. Elles sont restées, contre vents et marées, dans des conditions de travail parfois très difficiles et non sans conséquences financières, qu'il faudra d'ailleurs résoudre. Je tiens à les en remercier. Et je souhaite ardemment que la Côte d'Ivoire retrouve au plus vite la paix civile et le rôle de locomotive économique de l'Afrique de l'ouest qui doit être le sien.
Mon collègue Guy-Alain Gauze, ici présent, ne me contredira pas si je vous dis qu'il faut persévérer. La persévérance, la patience et, disons-le, un peu de passion, sont des vertus cardinales pour réussir durablement. En Afrique peut-être plus qu'ailleurs.
Je vous remercie.
(source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 11 décembre 2000)