Déclaration de Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, sur la crise du logement actuel, la politique de renovation urbaine en cours, la nécessité de trouver des terrains pour la construction de logements sociaux et la rénovation des centres anciens dégradés, Paris le 11 octobre 2007.

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Circonstance : Assises du renouvellement urbain à Paris le 11 octobre 2007

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
La crise du logement ne concerne plus seulement les déshérités, elle concerne tous les Français. C'est la raison pour laquelle, le Président de la République m'a assigné un cahier des charges ambitieux dans le domaine du logement. Je vous le rappelle. Il s'agit :
- de promouvoir une France de propriétaires. Il faut atteindre le chiffre de 70 % de propriétaires en France, avec un moyen parmi d'autres : 40 000 locataires de logement HLM doivent pouvoir devenir propriétaires de leur habitation. Il s'agit aussi
- d'intensifier notre politique de construction, en produisant 500 000 logements neufs par an, et parmi ces 500 000 logements, 120 000 logements sociaux.
En d'autres termes, nous devons faire en sorte que chaque homme, chaque femme et chaque enfant de ce pays puisse trouver un logement et que le plus grand nombre de Français qui le souhaitent, y compris les plus modestes, puissent avoir accès à la sécurité que confère la possession de son habitation.
Nous allons construire comme jamais notre pays n'a construit. Naturellement tout cela ne peut pas se faire de façon aléatoire. Ce nouveau défi nous impose notamment de ré-interroger la politique de la ville pour concevoir le cadre qui fixera les limites ou plus précisément l'esprit de ce nouveau développement urbain. La construction de logements en masse doit être accompagnée et maîtrisée à travers une stratégie bien définie.
J'aimerais donc tirer avec vous quelques enseignements de la politique de rénovation urbaine en cours (1), vous donner une vision de la ville (2) et vous proposer des pistes de réflexions pour le très proche avenir (3).
Quelques enseignements de la politique de rénovation urbaine en cours
Sans vouloir être exhaustive, je vous livre quelques constats que j'ai pu faire par rapport à la politique qui a été menée.
La politique de rénovation urbaine consacrée par la loi du 1er août 2003, a donné lieu à un ambitieux programme dont le travail commence à porter ses fruits.
Depuis sa création, l'agence de rénovation urbaine (ANRU) a approuvé 273 projets sur 384 quartiers fragiles - et j'insiste sur ce terme de quartiers fragiles - regroupant plus de 2.7 millions d'habitants. Les projets concernés portent sur près de 31.5 milliards d'euros de travaux incluant une participation de l'ANRU de 9.3 milliards d'euros. Jusqu'en 2013, ce sont 12 milliards d'euros qui seront mobilisés par l'ANRU, pour moitié par l'Etat, pour moitié par les partenaires du 1 % logement réunis au sein de l'UESL. Le programme qui a été décidé doit être mené à bien en respectant les délais. Plus nous irons vite, plus nous améliorerons la vie quotidienne de nos concitoyens, plus nous rendrons logique et évidente la poursuite de ce programme au-delà des engagements actuels.
Ce chantier a d'ores et déjà permis de changer la vie de centaines de milliers de personnes. J'insiste sur le fait que les projets doivent rencontrer les aspirations réelles et profondes des populations en place. Sans cet assentiment, la rénovation urbaine pourrait se pervertir et devenir une politique de déplacement des populations, de casse et de négation de la mémoire des quartiers populaires. Les démolitions, en particulier, sont des opérations « invasives » qui requièrent la plus grande adhésion. Les financements de l'ANRU sont destinés à améliorer les conditions de vie des habitants. C'est même leur raison d'être, ne l'oublions pas.
Pour les mêmes raisons, la règle intangible du « 1 pour 1 », un logement reconstruit pour un logement détruit, ne saurait souffrir la moindre exception. Il ne s'agit pas de stopper les démolitions ; c'est souvent la seule solution de régénérer un quartier dégradé. Il s'agit de garantir la croissance du parc de logement social, il s'agit de garantir aux résidents - qui auront joué le jeu de la rénovation et accepté de quitter leur logement - qu'on leur fournira bien un autre toit. C'est bien le moins qu'on leur doit ! Il est donc impératif que sur tout bassin d'habitat concerné par un projet de rénovation, la production de logements sociaux dans le cadre de l'augmentation de l'offre (Plan de Cohésion Sociale) et de la reconstitution (ANRU) soit très sensiblement supérieure aux opérations de démolition. A la chronologie « démolition-reconstruction » qui s'est progressivement imposée dans le fait doit succéder celle de la « reconstruction-démolition ». L'ANRU s'est parfois transformée en guichet de financement pour les projets des élus qui ne trouvaient pas d'argent par ailleurs ; nous ne pouvons pas nous en satisfaire.
Cette action d'ordre chirurgical sur quelques quartiers spécifiques était nécessaire car ces lieux avaient été petit à petit exclus de la ville. A présent tout l'enjeu de cette politique est de réintégrer ces quartiers dans le tissu urbain.
Par ailleurs, en tout état de cause l'urbain ne peut pas absorber toute la politique de la ville. La rénovation urbaine ne pourra jamais, à elle seule, redonner de la douceur de vivre aux quartiers déshérités, de l'emploi aux chômeurs, de l'attractivité aux commerces, de la vertu aux délinquants, de la sécurité aux habitants.
Je reviens sur cette notion de quartier fragile. Je prends cette image qui correspond à ce qui se passe dans une famille. Une famille peut avoir une personne fragiles, parce que malade ou handicapées. Cette personne n'est pas exclue. Au contraire, cette personne fragile fait partie de la famille et tout le monde l'accompagne, l'aide, le soutient. Dans la ville, il y a des quartiers fragiles : c'est la communauté humaine qui doit en prendre le même soin que cet enfant fragile dans une famille.
Venons-en aux pistes de réflexions auxquelles je voudrais vous associer
Vous l'aurez compris ma politique de la ville, n'est pas une politique du bâti, ce n'est pas davantage une politique des quartiers : c'est une politique en faveur des hommes, des femmes et des enfants. Aussi, si je souhaite que nous continuions à traiter les lieux, j'insiste pour que nous nous occupions des gens qui les habitent.
Cette ville est un lieu de circulation, d'échange et de rencontre des hommes. Et si elle est constituée d'une agglomération de quartiers, avec leur identité et leur population propres, notre travail est de faire en sorte qu'aucun d'entre eux ne se transforme en isolat ou en prison du quotidien.
L'enjeu principal est donc d'organiser la circulation des hommes, leur rencontre, l'interpénétration et l'interdépendance des quartiers. Pour réussir la construction de 500 000 nouveaux logements par an, c'est la question qui me préoccupe et à laquelle je vous demande de réfléchir.
Les formes urbaines et la mobilité doivent être au coeur du fonctionnement urbain.
D'abord, il y a la question des fonctions d'un lieu de vie.
Parce qu'elle est d'abord un lieu d'échange, la ville doit rassembler sur son territoire l'ensemble des fonctions nécessaires aux habitants. Après des années où nous avons éclaté les différentes fonctions aux quatre coins de la ville et spécialisé les quartiers, il apparaît aujourd'hui que la qualité de la vie quotidienne passe à l'évidence par la diversification de l'usage des lieux de vie dans chaque quartier des villes. Il faut pouvoir disposer d'une diversité de fonctions, au niveau des services, des équipements mais aussi de l'activité. Chacun, au sein d'un territoire, doit pouvoir avoir accès aux services et à une offre d'emploi.
J'ai noté avec intérêt que cette matinée était clôturée par Monsieur Jacques SAVATIER, directeur des affaires territoriales du groupe La Poste. C'est un bon choix car La Poste est l'exemple même d'un service dont le maillage structure la ville. Je sais bien qu'aujourd'hui La Poste joue un rôle essentiel de banque des pauvres. Dans les évolutions qui nous sont imposées, je veillerai à ce que les conditions de cette présence dans les quartiers fragiles, et plus généralement auprès de populations fragiles, soient préservées.
Ensuite, il faut soulever le débat de l'étalement urbain. En effet, peut-il y avoir échange, fonction première de la ville, sans proximité ? En deux mots, l'étalement urbain est-il compatible avec l'idée même de ville ? Entre la chimère de la ville à la campagne et le spectre de l'hyperdensité, nous devons promouvoir une solution faite d'un mélange entre les différents modes de vie et d'habitation, de styles de construction. Je n'oppose pas la maison individuelle et l'habitat collectif, l'habitat dense et l'habitat diffus : il faut une complémentarité des formes. Ce qui me semble important c'est que chaque personne trouve à chaque âge de sa vie l'habitation qui lui corresponde.
La maison individuelle notamment, qui rencontre la faveur de beaucoup de nos compatriotes, doit être possible dans la mesure où les communes ont les moyens de leur fournir des équipements collectifs. C'est d'ailleurs souvent une solution demandée par les jeunes actifs avec enfants. Mais, je le redis, ces zones pavillonnaires doivent s'inscrire dans une dynamique du territoire, portée par les élus locaux. Enfin, si on veut éviter que ces zones pavillonnaires deviennent des friches urbaines avec le vieillissement de la population, il faut permettre la mobilité résidentielle.
Enfin, l'échange exige la mobilité. La mobilité des personnes bien sûr. C'est la condition pour lier les quartiers entre eux. Je ne le répéterai jamais assez, la véritable mixité sociale réside aussi dans la communication entre tous les quartiers, qui fait que nul ne soit empêché d'aller vers l'autre. Les villes se sont construites autour des voies de communication. Il ne faut pas perdre ce fait historique de vue. Lorsque l'on pense une infrastructure de transport aujourd'hui, elle ne va pas seulement desservir des habitants, elle va structurer la ville.
Cela passe par le développement général des technologies de l'information et de la communication, internet au premier chef, déjà très présentes et qui vont devenir de plus en plus nécessaires pour de très nombreux usages comme le travail et les loisirs mais aussi pour le maintien des personnes âgées à domicile. Dès à présent, nous devons apporter la fibre optique jusqu'au domicile pour tous les quartiers, pour tous les foyers au risque sinon de créer de nouvelles inégalités sociales.
La mobilité n'est pas qu'une mobilité dans l'espace à un moment donné. C'est aussi une mobilité dans le temps aux différents âges de la vie. Que ce soit pour des raisons familiales (famille qui s'agrandit, départ des enfants ...) ou des raisons professionnelles (mutations choisies ou contraintes), nous avons besoin de pouvoir nous déplacer avec le minimum de contraintes. Le marché du logement doit être le plus fluide possible.
Bien d'autres questions se posent pour mettre en oeuvre l'engagement national pour le logement.
Le souci du développement durable. Il nous amène à nous poser de nouvelles questions sur la bonne utilisation de l'espace, sur la pérennité des constructions et sur les dépenses énergétiques liées aux logements et aux déplacements. Nous devons nous y engager pour éviter les dépenses inutiles, les gâchis. Les normes et les réglementations que nous allons adopter dans les prochaines années seront-elles à la portée des plus modestes ? Pour le ministre que je suis, c'est le défi majeur du Grenelle de l'environnement. Je veux que le développement durable que nous mettrons en oeuvre donne à la dimension sociale toute la place qui lui revient pour éviter en particulier une précarité énergétique pour les plus fragiles. L'Etat, garant des grands équilibres de notre pays, devra y veiller.
La question architecturale. Plus on vit dans des conditions difficiles et modestes, plus la laideur, à mon sens, vous accable. Or, il y a aujourd'hui un manque évident de qualité architecturale dans les villes. Qui d'entre nous n'a pas été accablé par la médiocrité des centres commerciaux, des entrées de ville, des lotissements ? Tout ces lieux, parce qu'ils sont des lieux de vie quotidienne de millions de Français, ont aussi droit à la beauté. J'aimerais que nous réfléchissions à une nouvelle Charte de l'architecture qui proposerait quelques grands principes. On ne peut se lancer dans la construction de 500 000 logements en France en laissant cette question en jachère.
Des pistes de travail
Vos Assises viennent à point pour nourrir notre réflexion sur ces questions. Permettez-moi d'attirer votre attention sur quelques thèmes qui me paraissent particulièrement important.
Vous allez évoquer la gouvernance dans le pilotage des projets. Cette question va inéluctablement vous conduire à vous interroger sur la décentralisation et sur les niveaux pertinents d'intervention pour les collectivités. Comment par exemple, conjuguer et faire concorder les efforts entre les transports d'une part et l'urbanisme de l'autre ? Comme je le disais il y a un instant, le transport en commun structure la ville, encore faut-il que le plan local d'urbanisme tire toutes les conséquences de cette infrastructure. Dans un autre domaine, comment mettre en oeuvre la politique du logement et le droit au logement opposable ? Allons-nous vers plus de décentralisation ou vers moins de décentralisation, voire une recentralisation ? C'est une question politique important que nous allons travailler. Elle est mise particulièrement en exergue avec le droit au logement opposable dont l'application ne pourra, à terme, pas pouvoir se faire avec une responsabilité partagée entre l'Etat et les collectivités. Nous devons travailler le partage des responsabilités entre les collectivités et l'Etat. L'intercommunalité est à mon sens le périmètre d'avenir pour cette compétence.
Vous commencez vos travaux en abordant la crise du foncier. A ce titre, je tiens à dire que l'Etat doit être exemplaire pour la mobilisation du foncier. J'ai donc demandé à ce que tout soit mis en oeuvre pour mettre à disposition des terrains pour la construction de logements sociaux. 60 000 logements pourront ainsi être construits. Ce ne sera cependant pas suffisant pour répondre au défi du chantier national pour le logement. Je serai très heureuse de prendre connaissance de vos réflexions sur le sujet.
Sachez que pour ma part, j'ai bien conscience que quels que soient nos efforts, quelle que soit la bonne volonté des élus locaux, nous aurons du mal à dégager des surfaces suffisantes. Cependant, sur cette question complexe, il faut être capable d'apporter des idées nouvelles. Vous le savez probablement, j'ai proposé d'étudier une idée étonnante par sa simplicité. Pourquoi ne pas autoriser pendant une durée limitée, avec toutes les précautions nécessaires, les propriétaires qui le souhaitent à construire un étage supplémentaire sur leurs habitations ? Je suis certaine qu'en y réfléchissant très soigneusement, cette proposition qui peut sembler singulière nous aiderait à guider nos réflexions et à avancer pour développer des logements sans consommer de terrain.
Pour finir, j'aimerais revenir plus spécifiquement sur nos politiques de rénovation urbaine et évoquer avec vous la situation des centres anciens dégradés. Parce que je m'intéresse à chaque habitant de la ville, quel que soit son quartier d'habitation et parce que je constate que dans une petite centaine de villes françaises les centres anciens abritent une population plus pauvre que de nombreux quartiers en cours de rénovation urbaine, je veux m'atteler à la réhabilitation de ces centres anciens dégradés. La diversité des logements (locatifs sociaux privés, co-propriétés, propriétaires occupants...) et la fragilité des personnes qui y résident rendront l'exercice complexe. Mais la mutualisation des compétences et expériences des principaux opérateurs, et je pense ici notamment à l'Anah et l'ANRU, et l'implication nécessaire des collectivités devraient permettre de trouver des voies innovantes pour avancer sur ce dossier. Il y va des conditions de vie de milliers d'habitants. Il y va aussi de la valorisation d'un formidable patrimoine bâti aujourd'hui très sous-utilisé.
Voilà, Mesdames, Messieurs, les réflexions qui sont actuellement les miennes pour répondre à ce formidable défi qu'est la construction des 500 000 nouveaux logements par an et auxquelles je serais heureuse que vous acceptiez de réfléchir.
A l'issue de vos journées, je souhaite vous recevoir à mon ministère où une personne par table ronde pourrait me présenter les pistes de progrès que vous aurez travaillées. Ainsi, nous pourrons faire avancer le renouvellement urbain.
Pour qu'un homme soit debout, il lui faut un toit et un travail. La valeur travail a été enfin revalorisée par le Président de la République. Il nous faut aussi porter ce formidable Chantier national pour le logement auquel vous participez.
Je vous remercie.
Source http://www.logement.gouv.fr, le 15 octobre 2007