Texte intégral
Suspension et reprise de séance
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
La parole est à M. Laurent Fabius, premier orateur inscrit.
M. Laurent Fabius. Monsieur le Premier ministre, en vous voyant tout à l'heure monter à la tribune, en écoutant vos propos, en appréciant l'accueil très chaleureux...
M. Arnaud Lepercq. Enthousiaste !
M. Laurent Fabius. ... que votre majorité a réservé à votre discours, je ne pouvais m'empêcher de penser au spectacle identique auquel nous avions assisté il y a un peu moins de six mois (exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre)....
M. le président. Ne commençons pas, mes chers collègues, je vous en prie !
M. Laurent Fabius. ... lorsque, engageant votre responsabilité sur une déclaration de politique générale, vous nous aviez présenté les propositions qui étaient alors les vôtres.
Même si je regrette d'en avoir pris connaissance aussi tardivement, j'ai écouté, comme chacune et chacun de nous, vos propositions. Et je pense que chacun reconnaîtra qu'il y a une différence singulière entre le discours que vous nous teniez voilà six mois - je l'ai relu - et les propos que vous avez prononcés cet après-midi.
Que s'est-il passé entre-temps ? A l'époque, vous nous disiez avec beaucoup d'assurance que, malgré les difficultés, vous viendriez à bout du problème de l'emploi, que les prélèvements seraient abaissés, que, la facture sociale, selon les termes mêmes de M. le Président de la République, serait réduite. Moins de six mois plus tard, chacun peut juger !
M. Michel Péricard. Six mois, c'est court !
M. Laurent Fabius. Pourtant, entre-temps, aucun bouleversement de politique internationale n'est intervenu qui justifie un tel changement de cap. Que s'est-il donc passé, mes chers collègues ? Seulement deux événements très simples, évidents, dont personne ici ne disconviendra : d'une part, la fin de la campagne présidentielle et le retour aux réalités après les discours quelque peu éthérés qui avaient été tenus durant celle-ci (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre) ; d'autre part, personne n'en disconviendra non plus, cinq mois et demi de pratique gouvernementale.
M. Arthur Dehaine. C'est court !
M. Laurent Fabius. C'est peut-être court, mais pour le pays il y a des semestres qui comptent triple ! ("Les vôtres !" sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Et chacun conviendra que, dans le pays, s'est installé tout sauf la confiance !
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Attendez !
M. Laurent Fabius. Néanmoins, cet après-midi, c'est cette confiance que vous nous demandez. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Monsieur le président, je peux, bien sûr - et je le ferai volontiers -, continuer à parler en étant sans cesse interrompu, mais cela risque d'allonger la durée de notre séance, de pénaliser les orateurs suivants et, du point de vue de la courtoisie, ce n'est peut-être pas l'exemple à donner. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. Protestations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
La justification à cette demande, c'est que vous ne trouvez pas la confiance dans le pays, et vous ne la trouverez pas non plus, monsieur le Premier ministre, dans la méthode que vous avez choisie - très particulière, en vérité - qui a consisté à faire discuter l'Assemblée nationale pendant deux jours, presque trois, alors que nous ne connaissions pas vos propositions, à présenter celles-ci aujourd'hui entre seize heures et dix-sept heures, à nous accorder deux petites heures pour répondre par oui ou par non et, ensuite, compte tenu du choix que vous avez fait de procéder très largement par ordonnances, à nous interdire, dans plusieurs domaines en tout cas, l'usage du droit d'amendement et toute possibilité de contrôle.
Je voudrais, à la fois par rapport à ce texte et de façon plus large, m'arrêter un instant sur cette procédure des ordonnances. Car, mes chers collègues, lorsqu'on écoute attentivement ce que nous a dit tout à l'heure le Premier ministre, on comprend bien que l'essentiel de ce qui nous est proposé sera fait par ordonnances.
Pourquoi cette procédure ? Vous nous avez dit, monsieur le Premier ministre : parce que c'est urgent. Mais qui réfléchit un peu à cet argument ne peut très longtemps le défendre : d'abord, parce que l'actuelle majorité est en place depuis presque trois ans et qu'elle sait de longue date que se pose un problème majeur d'équilibre des régimes sociaux ; ensuite, parce que vous-même, monsieur le Premier ministre, qui êtes hautement averti de ces choses, vous dirigez le Gouvernement depuis déjà presque six mois et que vous n'avez certainement pas découvert ces jours derniers, l'énormité des problèmes qui se posent. De sorte que l'urgence dont on nous parle ne me semble pas être la " clé" qui explique que vous recouriez à la procédure des ordonnances.
Alors on me dira : il y a des précédents. C'est parfaitement exact. Il y en a à gauche, surtout durant les années 1981-1983, et il y en a de nombreux à droite, y compris dans les années récentes. Oui, mais, mes chers collègues, la grande différence entre la période précédente et la période actuelle,...
M. Patrice Martin-Lalande. C'est vrai qu'il y a une différence !
M. Laurent Fabius. ... c'est que désormais, en particulier grâce à l'initiative de notre président, il n'y a plus qu'une session unique ! Donc, l'argument tiré de l'impossibilité de prolonger les débats au-delà des sessions ordinaires ou celui tiré de l'urgence qui nous empêcherait de débattre ne tiennent plus.
De sorte que - je ne pense surprendre personne en disant cela - la publication du recours aux ordonnances n'est à trouver ni dans l'urgence, ni dans je ne sais quel précédent, mais bien évidemment dans la situation politique qui est aujourd'hui celle du pays, et, en particulier, dans un certain nombre de discussions qui ont eu lieu et qui ont peut-être encore lieu au sein de la majorité parlementaire ! Je préférerais donc que les choses soient clairement posées et que, par la suite, on ne mette pas en avant des faux-semblants.
Il y a, m'a-t-il semblé, une difficulté de cohésion entre les sous-ensembles de la majorité parlementaire (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre)...
M. Georges Durand. Vous prenez vos désirs pour des réalités !
M. Jean Proriol. On verra tout à l'heure !
M. Laurent Fabius. ... et je pense que le recours aux ordonnances permet d'éluder ce problème.
Sur le fond (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de 1'Union pour la démocratie française et du Centre), ce que beaucoup d'entre vous disaient lorsque la gauche avait recours aux ordonnances, ce que beaucoup d'entre nous disions lorsque la droite utilisait la même procédure reste parfaitement valable, et encore plus lorsqu'il s'agit d'un sujet aussi essentiel que celui que nous discutons : rien ne peut remplacer le travail précis de nos commissions parlementaires, rien ne peut remplacer le travail précis et pointilleux de l'Assemblée nationale et du Sénat. C'est pourtant ce que rendra impossible le recours aux ordonnances. Aussi, je m'élève contre cette procédure particulièrement inopportune, alors même que vous prétendez rendre au Parlement un peu plus de pouvoir en matière de contrôle des dépenses sociales. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Sur le fond, je pense que chacun d'entre nous sera d'accord pour reconnaître - cela a été le cas pendant deux jours - l'importance du sujet, non pas seulement parce que la protection sociale est un élément essentiel d'égalité et de solidarité nationale, mais aussi parce qu'elle est un élément essentiel de la liberté. C'est uniquement si la protection sociale est assurée que les personnes, les familles peuvent, par une mutualisation des risques, faire face aux aléas de la maladie, de la vieillesse et du chômage.
C'est pourquoi il est si important, en termes d'égalité et de liberté, que nous confortions cet élément central du pacte républicain qui s'appelle la protection sociale.
M. André Angot. C'est ce que vous n'avez pas fait !
M. Laurent Fabius. Mais, cela étant posé, il faut reconnaître que, par rapport aux objectifs ambitieux de 1945, par rapport au préambule de la Constitution de 1946, qui déjà en définissait les termes, notre protection sociale souffre aujourd'hui de plusieurs défauts, de plusieurs insuffisances qu'avec vos mots vous avez soulignés, monsieur le Premier ministre.
D'abord, il y a une inégalité, une injustice criante. Plusieurs orateurs l'ont citée au cours de ces deux jours : l'espérance de vie diffère de neuf ans entre un ouvrier et un cadre, aujourd'hui, en France, en 1995 !
De même, il y a des insuffisances également criantes en matière d'efficacité. Vous ne les avez pas rappelées, mais d'autres l'ont fait : alors que la moyenne des remboursements se situe en Europe aux alentours de 85 p. 100, elle est en France de 73 p. 100 seulement ! Ce n'est donc plus de préserver une situation qu'il s'agit, mais bien de combler un retard.
Et lorsque l'on ajoute à tout cela que le plan que vous nous présentez est le dix-neuvième plan depuis 1967 (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre)...
M. André Fanton. Pas vous !
M. Laurent Fabius. ... et que, d'une année sur l'autre - pour ne pas vous gêner je prendrai comme références les années 1994 et 1995 -, les dépenses de santé ont augmenté dans des proportions telles que cela équivaut presque à la moitié du budget de l'enseignement supérieur, on voit bien que ni l'égalité, ni l'efficacité, ni la maîtrise ne sont aujourd'hui assurées.
M. Gratien Ferrari. Nous l'avons dit !
M. Laurent Fabius. Les propositions que vous nous avez faites, monsieur le Premier ministre, visent - tout au moins je les ai comprises ainsi - à y remédier. Aussi, afin que les choses soient claires entre nous, vais-je, passant en revue les différents risques, confronter vos propositions et les nôtres. Même si l'information est fraîche, j'espère ne pas déformer la réalité.
La branche famille d'abord. Il est évident qu'un problème se pose dans ce domaine, compte tenu à la fois de la démographie et des déséquilibres financiers. Nombreux sont ceux qui sur ces bancs souhaitent réagir.
La première réaction concrète que vous nous annoncez, monsieur le Premier ministre, si j'ai bien suivi, est d'abord le gel des prestations familiales pour 1996, à quoi il faut ajouter, sauf erreur de ma part, une amputation que vous n'avez pas précisée dans son détail de 2,5 milliards de ces mêmes prestations familiales.
Mais allons plus loin. Vous nous dites : pour le moment, ne changeons rien, mais l'idée à laquelle je réfléchis et que je proposerai le moment venu à l'Assemblée est celle de la fiscalisation. Je sais bien qu'il s'agit d'une question complexe, mais je veux dire, d'entrée de jeu, que sur cette question, nous ne pourrons pas être d'accord avec vous.
Pourquoi ? D'abord parce que la fiscalisation présentera, quelles que soient ses modalités, l'inconvénient de rendre imposables des dizaines, voire des centaines de milliers de contribuables qui aujourd'hui ne le sont pas, avec les conséquences annexes qui ne manqueront pas de s'y attacher - beaucoup sont maires parmi nous et pourraient les énumérer -, notamment la cessation de la gratuité pour toute une série de services publics et des répercussions en chaîne sur la taxe d'habitation. Les « économies » que, le cas échéant, cela
permettra de faire sur le budget de l'Etat ne seront pas nécessairement réinvesties le moment venu dans la politique familiale, qui en a pourtant tant besoin.
C'est pourquoi, monsieur le Premier ministre, nous préférerions pour notre part une modulation des allocations familiales. Pendant longtemps, on a pu défendre l'idée qu'il fallait une uniformité des prestations, quelles que soient la situation de fortune et les ressources de ceux à qui elles étaient servies. Oui mais voilà, nous sommes entrés, depuis déjà pas mal de temps - et cela ne se terminera pas demain - dans une période où l'argent public est rare. Et, dès lors, il faut avoir l'honnêteté de reconnaître que les sommes allouées à des familles à hauts ou à très hauts revenus, qui n'en ont pas nécessairement besoin, seront de fait prises à des familles très modestes ou appartenant à des classes moyennes, qui en ont terriblement besoin.
Notre proposition, qui fixe un seuil assez élevé, à 30 000 francs de revenu mensuel net ou davantage, vise à moduler les prestations familiales, non pour procéder à des économies, mais, même si un redéploiement est nécessaire, pour permettre d'enclencher la prestation dès le premier enfant. Avec l'aménagement du temps de travail et une politique d'équipements publics, cela complétera la grande politique familiale qui est nécessaire et dont les décisions que vous nous annoncez, en particulier le gel des prestations familiales, laisse mal augurer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Je m'attacherai à être très précis sur la deuxième question, qui concerne le régime vieillesse. Vous avez, monsieur le Premier ministre, dans un propos très ramassé et très dense, abordé une série de points. J'en ai relevé trois qui nous différencient et même nous opposent.
Le premier concerne la prestation autonomie, ou prestation dépendance, tombée au feu des divisions majoritaires. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. - « Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Vous avez tous entendu, mes chers collègues, M. le Premier ministre nous expliquer que cette prestation autonomie, jugée hier soir, à cette tribune, indispensable par M. Barrot, ministre des affaires sociales, ne serait pas mise en oeuvre avant le 1er janvier 1997. (Applaudissements sur la bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.) Nous continuons à considérer que cette prestation est indispensable. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République).
Mme Suzanne Sauvaigo. Pourquoi ne l'avez-vous pas créée ?
M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues !
M. Laurent Fabius. Je comprends que ce que je dis vous égratigne.
Nous estimons qu'il ne faudra pas introduire de différences entre les départements en fonction de leur richesse. Néanmoins, cette prestation est une nécessité, rappelée par tous et, donc, pour la mettre en oeuvre, le plus tôt, qui, si j'ai bien compris, ne sera pas le 1er janvier 1996, sera le mieux.
Le deuxième point de différence entre nous concerne les quelques mots - je ne sais s'ils sont explicites ou sibyllins - que vous avez prononcés à propos de la répartition et de la capitalisation. Vous avez réaffirmé avec solennité, faisant référence aux propos de M. le Président de la République, votre attachement fondamental à la répartition. Mais, immédiatement après, vous nous avez confirmé qu'au mois de janvier de l'an prochain seraient examinés par notre assemblée des propositions de loi ou un projet de loi qui, quel qu'en soit le titre, signifient l'ouverture de la capitalisation.
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Et alors ?
M. Jean-Louis Goasduff. Nous sommes là pour faire des propositions !
M. Laurent Fabius. Aujourd'hui, les gens se posent légitimement des questions sur leur retraite telle qu'elle est établie, c'est-à-dire par répartition. En effet, l'équilibre du régime est difficile. Certains, pris isolément, pensent, parce que c'est séduisant, qu'ils peuvent compléter leur retraite en cotisant à un fonds de capitalisation. Oui mais voilà, si l'on additionne tous les individus pour en faire ce qu'on appelle la collectivité nationale, on comprend que, comme le système de répartition n'est pas équilibré, et que son futur est incertain, tout ce qui sera consacré à la capitalisation sera prélevé sur l'épargne disponible pour la répartition. Cela signifie, qu'on le veuille ou non, que, si l'on ouvre le champ, profitable pour certains, de la capitalisation, un système de retraite à deux vitesses s'instaurera en France, et la répartition en supportera les conséquences. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la république et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Sur la question des régimes spéciaux, que vous avez abordée en quelques phrases, les mots que vous avez prononcés nous inquiètent hautement. Vous avez immédiatement fait ressortir, reprenant un discours qui avait été abandonné il y a seulement peu de temps, les avantages, pour vous illégitimes, des fonctionnaires. Vous avez parlé du passage de 37,5 annuités à 40 annuités sans ajouter immédiatement - pourtant, vous êtes, comme moi, fonctionnaire - que les primes ne sont pas prises en compte dans la base de la retraite future. Mais vous nous avez inquiétés davantage encore lorsque vous avez pris comme exemple de ce qu'il faudrait faire à l'égard des fonctionnaires de l'État le régime de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, dont tous les élus ici présents savent à quel point elle est déséquilibrée. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la république et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Mme Suzanne Sauvaigo. A cause de vous !
M. Francis Delattre. Evidemment ! Vous l'avez ponctionnée !
M. Laurent Fabius. Si, pour des raisons que je ne connais pas,- vous vouliez porter atteinte à ce qui est un élément du statut des fonctionnaires - le pacte entre leur employeur, l'État, et eux-mêmes qui ont décidé de le servir -, vous créeriez des difficultés considérables. Nous sommes partisans de la transparence, mais nous refusons qu'on fasse une fois de plus des fonctionnaires les boucs émissaires des difficultés de la société française. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre).
Le troisième point que je veux évoquer commence par un rapprochement de nos positions et finit par une divergence. Il s'agit du problème de la santé et de l'assurance maladie. Mes collègues du groupe socialiste, radicaux de gauche et moi-même avons entendu avec ravissement, avec délices, prononcer des mots qui, il y a quelques années, ont déclenché des cortèges de médecins et d'autres professions, à la tête desquels beaucoup d'entre vous, se trouvaient, mes chers collègues de la majorité.
M. Didier Boulaud. Ils ont la mémoire courte !
M. Laurent Fabius. Vous nous avez parlé de codage des actes, de références médicales opposables, d'informatisation des cabinets médicaux, de coordination des hôpitaux, de ceci, de cela. C'est, mot pour mot, les dispositions de la loi Teulade, dont les décrets n'ont pu être pris parce que le RPR et l'UDF s'y sont opposés avec énergie entre 1993 et 1995.
(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Mais, après tout, je ne peux qu'être satisfait que des idées émises bien avant nous par les organisations mutualistes et par beaucoup d'autres rassemblent désormais autour d'elles votre majorité, même si c'est tardif. Bravo !
De même avons-nous noté avec plaisir - mais encore faudra-t-il voir le contenu car le diable est dans les détails, et, des mots, on en entend beaucoup ! - votre engagement en faveur de l'universalité de la protection maladie. Nous avons également pris acte de votre intérêt - c'était un peu plus allusif - pour la prévention, qui est évidemment fondamentale en France et doit d'abord concerner les étudiants, puis les médecins, ainsi que de votre intérêt pour la médecine du travail et la médecine scolaire.
Tour cela ne peut que nous rassembler. Et comme il s'agit de points très importants, que nous développons depuis longtemps en exposant nos thèses (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre), je ne peux que m'en réjouir. Autant, sur d'autres points, j'ai insisté sur les différences qui nous séparaient, autant, sur ce point, je vous dis mon plaisir que vous nous rejoigniez. Encore faudra-t-il traduire cela en actes ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Au-delà de l'accueil enthousiaste réservé à certaines de vos propositions, lorsque vous envisagez de modifier la rémunération des médecins, d'avoir recours à titre expérimental - il ne faut choquer personne - à un système de forfait, et pas seulement à la médecine à l'acte, bref, lorsque vous mettez en cause, même si c'est timidement, le système du laisser-faire, en vertu duquel les dépenses sont libres et les chèques payés par la sécurité sociale, et finalement par les assurés sociaux, vous nous trouverez à vos côtés - ou
vous serez aux nôtres, je ne sais -, mais il n'y a aucune raison pour créer une différence là où il n'y en a pas.
Quant aux modifications de structures que vous avez ébauchées, il faudra les étudier dans le détail, voir comment elles seront appliquées. Des structures régionalisées ? Pourquoi pas ! Quant à la gestion des caisses, si nous avons bien compris, vous mettez fin à un certain paritarisme puisque le Gouvernement prévoit de faire siéger dans leurs conseils, selon des conditions qui restent à définir - et, malheureusement, vous procéderez par ordonnances -, des représentants des syndicats, des patrons, des personnalités qualifiées,
peut-être des parlementaires.
Nous ne nous prononçons pas a priori, nous jugerons sur pièces. Mais nous ne pourrons pas corriger le cours des choses puisque, je le répète, tout cela se fera par ordonnances.
De même, nous n'avons pu qu'enregistrer avec plaisir ce que vous nous avez dit sur la modification des fondements mêmes du prélèvement dans les entreprises. Chacun sait que le travail est malheureusement en train de se modifier, qu'il fuit, et qu'il faut donc trouver des bases susceptibles de mieux assurer le prélèvement dans l'avenir. Vous avez évoqué la prise en compte de la valeur ajoutée et du résultat brut d'exploitation. Certains feront d'autres propositions. Comme nous défendons cette suggestion depuis longtemps, nous ne
pourrons que vous accompagner lorsque vous traduirez cette idée dans les faits.
Disant cela, j'arrive à la question clef, celle du financement.
Pendant le court délai offert par la suspension de séance - une petite demi-heure - , nous avons fait procéder à une évaluation par des experts, certainement excellents ; peut-être, d'ailleurs, étaient-ce les mêmes que les vôtres. (Sourires.) Nous n'avançons donc pas n'importe quels chiffres.
Je veux d'abord éliminer un faux débat, celui de l'établissement de ce qu'un autre a appelé les responsabilités 50 milliards pour le déficit de 1988-1992 et 180 milliards pour celui de 1993-1995.
Pour l'apurement des déficits, vous avez pris - c'est une controverse plutôt interne - le chiffre de 230 milliards de francs. Pour faire bonne mesure, vous l'avez arrondi à 250 milliards. Non, monsieur le Premier ministre : c'est de 120 milliards qu'il s'agit ! Car, pour ce qui est du reste, le gouvernement de M. Balladur avait augmenté la CSG pour apurer les dettes. Si je comprends bien, vous voulez donc instaurer une cotisation pour apurer des dettes qui étaient déjà apurées. Restons dans les limites de l'épure : ce n'est pas de 250 milliards qu'il s'agit mais de 120 milliards.
Qu'est-ce que cela représente et qui paiera ? En année pleine, le prélèvement sera compris entre 47,5 milliards et 57,5 milliards. Et ce n'est pas pour après-demain, comme les réformes de structures, c'est pour tout de suite !
Les familles qui s'intéressent à nos débats ou les personnes seules seront sensibles aux chiffres que je vais indiquer. Ils ne figuraient pas dans vos propositions car vous ne pouviez pas tout dire, mais, concrètement, avec votre plan, pour une personne retraitée qui vit seule et dont le revenu mensuel est de 5 000 francs - nous en connaissons beaucoup dans nos circonscriptions, cela fait un revenu annuel de 60 000 francs -, l'effet de la contribution dédiée au cantonnement de la dette sera de 0,5 p. 100, soit 300 francs, et l'effet de la cotisation maladie pour 1996 de 1,2 p. 100, soit 720 francs. Total : 1 020 francs.
Perte de pouvoir d'achat pour cette personne qui gagne 5 000 francs : 1,7 p. 100 au titre de la première tranche. Si, comme vous l'avez laissé entendre, vous étendez l'assiette de la CSG à cette catégorie qui n'entre pas dans les minima sociaux, cela fera encore 1 440 francs, donc 2 460 francs au total.
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. Par an !
M. Laurent Fabius. Enfin, cette personne qui perçoit 5 000 francs payera à nouveau 1,2 p. 100 au titre de la cotisation maladie car M. le Premier ministre a proposé - peut-être ne l'avez-vous pas entendu - 1,2 p. 100 en 1996 et à nouveau 1,2 p. 100 en 1997. Cela signifie que le retraité dont je parle payera, avec ces dispositions, 3 180 francs de prélèvements supplémentaires...
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. Par an !
M. Laurent Fabius. ... par an, c'est-à-dire qu'il perdra 5,3 p. 100 de son pouvoir d'achat.
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. Vos calculs sont faux !
M. le Premier ministre. Vous êtes embarrassé !
M. Laurent Fabius. J'ai insisté sur trois aspects. D'abord sur la justice. Vous avez pris, il y a peu de jours, la décision d'augmenter le forfait hospitalier. Coût 2 100 francs par mois.
M. le Premier ministre. Mais 2 100 francs pour qui ?
M. Laurent Fabius. Pour ceux qui restent un mois à l'hôpital !
M. Charles Fèvre. C'est laborieux !
M. Laurent Fabius. Il y a lieu de m'écouter attentivement, monsieur le Premier ministre, compte tenu de ce que je vais dire sur la justice de cette mesure.
Alors que les gens qui n'ont pas des ressources importantes devront payer ce forfait hospitalier, l'article 6 du projet de loi de finances, que nous allons adopter demain, prévoit, à hauteur de 50 p. 100, une exonération des successions professionnelles, jusqu'à 100 millions de francs par personne.
Je pense que cela n'est pas conforme à la justice.
Eu égard à la situation très difficile de notre pays, effectuer un prélèvement de 50 milliards qui portera pour l'essentiel sur les ménages et très peu, quoi qu'on dise, sur les entreprises, y compris pharmaceutiques, revient à introduire un facteur récessif supplémentaire.
Mais la maîtrise de l'ensemble dépendra, comme je l'ai dit, des conditions d'application de ces mesures. Jusqu'à présent, vous en avez présenté les grandes lignes, nous verrons plus tard pour les détails.
Votre plan, monsieur le Premier ministre, est intéressant sur certains points concernant les structures (« Ah! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre) et lorsque vous reprenez, pour assurance maladie, des idées que la gauche défend depuis longtemps et que vous avez toujours combattues. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. -
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Mais il représentera, pour tous les Français qui nous écoutent, en particulier pour les ménages les plus modestes, des prélèvements supplémentaires.
Je crains qu'il n'offre l'image d'un plan où l'on prélève beaucoup sans savoir si l'on parviendra, à terme, à équilibrer les systèmes de protection sociale qu'on entend conforter.
M. Adrien Zeller. Ce n'est pas vrai !
M. Laurent Fabius. Monsieur le Premier ministre, j'ai dit en commençant mon exposé que je vous voyais montant à cette tribune, il y a six mois, dans un autre contexte. Vous nous demandez aujourd'hui notre confiance. Nous sommes dans la même situation que la majorité des Français. Nous pensons qu'il faut défendre la protection sociale, qu'il faut la réformer. Mais, pour le faire, eu égard à votre bilan, nous n'avons pas confiance en vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Huées et exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz.
M. Maxime Gremetz. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les députés, chacun reconnaît la sécurité sociale comme un élément essentiel de la solidarité. Le plan du Gouvernement, que nous avons eu peu de temps pour étudier, se présente, derrière des apparences de justice et d'égalité, comme une remise en cause profonde du régime français de protection sociale.
Si annoncer l'égalité devant l'assurance maladie est juste, l'égalité et la justice n'existent pas dans le projet pour la retraite, puisque le Gouvernement prévoit d'augmenter les cotisations des retraités, de reporter l'application de l'allocation dépendance et de mettre en cause la retraite des fonctionnaires.
La justice est également absente pour les familles, qui seront durement frappées par l'imposition des allocations familiales et leur blocage en 1996.
Surtout, au nom de l'équité, le Gouvernement, au moment où il privatise Pechiney, veut procéder à une étatisation-régionalisation des décisions contre les usagers eux-mêmes. La démocratie, ce serait, monsieur le Premier ministre, de procéder tout de suite à des élections aux différentes caisses. Au contraire, votre objectif est de recomposer les directions des caisses par ordonnance, de manière à appliquer rigoureusement des économies de gestion programmées, notamment pour les hôpitaux. Une réforme constitutionnelle
éloignera un peu plus les assurés de leur sécurité sociale, qui est leur bien commun, pour laquelle ils cotisent et qu'ils ont vocation à gérer.
Si vous insistez sur la qualité intangible des soins, vous n'en soumettez pas moins les médecins, à un contrôle individuel permanent et tatillon pour ajuster les rémunérations à un niveau de dépenses préétabli et sans rapport avec la situation des malades.
En ce qui concerne la réduction de la dette dans l'immédiat, s'il faut prendre en compte des mesures comme la contribution des laboratoires pharmaceutiques et le développement des médicaments génériques, la plupart des mesures épargnent les entreprises et frappent lourdement les salariés et les retraités. C'est le cas notamment de ce "remboursement de la dette sociale", une CSG bis au taux de 0,5 p. 100 sur tous les revenus, qui risque de durer bien plus de treize ans.
Assurer l'avenir de notre système de protection sociale, tel est bien l'enjeu du débat d'aujourd'hui. On peut l'aborder de deux manières : soit en posant la question du financement de la protection sociale comme moyen de répondre aux besoins de la population, soit en décidant a priori de réduire les dépenses. Pour notre part, nous faisons le choix de la première solution.
Chacun reconnaît aujourd'hui que les dépenses de santé, en raison même de l'allongement de la vie et des progrès scientifiques et technologiques, sont en progression. En quoi cela serait-il choquant ?
En quoi serait-il choquant d'augmenter les dépenses de la branche vieillesse alors que le nombre des retraités va croissant ?
En quoi serait-il choquant d'augmenter les dépenses de la branche famille pour répondre aux besoins et aux exigences du familles ?
En quoi serait-il choquant d'augmenter les dépenses de la branche accidents du travail et maladies professionnelles pour assurer une meilleure prévention dans l'entreprise et une meilleure réparation des risques professionnels ?
Vous, vous faites le choix de réduire les dépenses de la sécurité sociale. Si on vous laissait mettre en place votre réforme, ce serait, je le dis en pesant mes mots, un véritable recul de civilisation que vivrait notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste. - Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République.)
Ce serait le retour à l'accès aux soins en fonction de ses revenus, comme quand, avant 1945, un Français sur deux jouissait d'une protection sociale.
Ce serait le retour à l'aide sociale et non la reconnaissance du droit à élever ses enfants grâce aux allocations familiales.
Ce serait une rente versée à l'issue de la vie active, si on a pu épargner, et non le respect du droit à la retraite.
On nous avait annoncé un grand débat national sur l'avenir de notre système de protection sociale. Il a été réduit, tout le monde en convient, à un débat dont les assurés sociaux, les médecins, les organisations représentatives ont été exclus.
La richesse des auditions de la mission commune d'information sur la sécurité sociale témoigne du manque à gagner résultant, pour l'ensemble des partenaires, de l'absence d'un grand débat national. L'attachement des Français à la sécurité sociale - dont témoigne le succès de la journée d'action d'hier - vous aurait conduit, si ce débat avait été mené à l'échelle du pays tout entier, à tenir réellement compte des propositions formulées.
En effet, et c'est un phénomène nouveau, de plus en plus nombreux sont ceux qui contestent les choix de la finance au détriment de l'intérêt des hommes et du pays. Nous ne sommes pas les seuls à récuser une orientation qui tourne le dos aux engagements pris par le candidat Jacques Chirac. Rappelons ses paroles fortes : "Il n'est pas fatal que le travail soit plus taxé que le capital, que le coût de la protection sociale repose essentiellement sur des salaires qui stagnent." Mais au lendemain de sa rencontre avec le chancelier Kohl, M. Chirac explique que sa priorité est devenue la réduction des déficits, conformément aux critères d'austérité de Maastricht et aux recommandations du Fonds monétaire international.
M. Jean-Claude Lefort. Eh oui !
M. Maxime Gremetz. Quelles sont les raisons du déficit ?
M. André Gérin. La dictature de l'argent !
M. Maxime Gremetz. Et d'ailleurs, monsieur le Premier ministre, de quel déficit s'agit-il ? Car la majorité des organisations auditionnées en contestent l'ampleur et les causes.
La première de ces causes - que vous avez « oubliée » - est évidemment le chômage, qui prive aujourd'hui la sécurité sociale de 200 milliards de francs de recettes.
La relance économique sur des bases saines, pour stopper la progression du chômage, qui conduit à des situations de plus en plus dramatiques, passe par une augmentation du pouvoir d'achat.
Augmenter les salaires et le pouvoir d'achat de l'ensemble des prestations se traduirait par une relance de la consommation, donc de la production, et par des créations d'emplois.
Ne pourrait-on pas y consacrer une partie des 63 milliards de francs de profits réalisés par les entreprises et gaspillés dans la spéculation ? Augmenter d'au moins 1 000 francs les salaires inférieurs à 15 000 francs coûterait 200 milliards de francs et rapporterait 100 milliards supplémentaires à la sécurité sociale. Une augmentation de 1 p. 100 de la masse salariale accroîtrait les ressources de la sécurité sociale de 12 milliards de francs.
La deuxième raison du déficit, ce sont les exonérations de cotisations sociales consenties aux entreprises depuis vingt ans, au nom de l'emploi.
Et pourtant, le chômage ne cesse de s'amplifier. Les exonérations explosent en 1995 pour atteindre 50 milliards de francs, et 70 milliards sont prévus pour 1996. Au total, les exonérations atteindront 150 milliards en trois ans !
Les exonérations de cotisations sociales non compensées ont coûté, depuis 1989, 37,5 milliards de francs aux trois caisses nationales du régime général. Toutes les organisations syndicales et familiales ont relevé ce fait comme une des raisons du déficit. Nous proposons, pour notre part, de supprimer les exonérations et les aides accordées aux entreprises sans contrepartie en matière d'emploi.
M. André Gérin. Très bien !
M. Maxime Gremetz. Autre raison du déficit, relevée également par la Cour des comptes : le non-recouvrement des dettes patronales. Elles sont évaluées à une centaine de milliards de francs, dont 40 milliards récupérables immédiatement.
D'autres dépenses ne relevant pas de la sécurité sociale sont à sa charge. La gestion du RMI et de l'allocation aux adultes handicapés diminue d'autant ses ressources. Les charges indues supportées par l'assurance maladie sont évaluées à 50 milliards par Marc Blondel.
M. Daniel Colin. Ce n'est pas une référence !
M. Maxime Gremetz. Une réaffectation de ces sommes au budget de l'Etat semble, vous en conviendrez, nécessaire.
Et puis il y a les intérêts de la dette : par l'intermédiaire du Fonds de solidarité vieillesse, le remboursement à la Caisse des dépôts et consignations des intérêts dus par la sécurité sociale se chiffre à 6,7 milliards de francs pour 1994 et 1995. De 1996 à 2008, les intérêts et le remboursement de la dette seront de 12,5 milliards de francs par an. Au total, ce sont près de 180 milliards, dont plus de 60 milliards au titre des intérêts, qui seront mis à la charge des assurés. C'est ainsi que l'augmentation de la CSG en juillet 1993 avait été affectée au Fonds de solidarité vieillesse.
Les réformes que vous nous soumettez, monsieur le Premier ministre, relèvent de la même logique que celles mise en oeuvre jusqu'à présent : elles sont graves et dangereuses. Elles amplifient les dispositions qui ont conduit à la situation actuelle.
C'est le cas des exonérations, dont vous avez dit vous-même, lors du débat relatif au contrat initiative-emploi, qu'elles n'avaient jamais atteint une telle ampleur. Depuis vingt ans, on nous présente les mêmes recettes. Nous n'en voulons plus. Il faut changer, il faut réformer, il faut essayer autre chose que de toujours accentuer la pression sur les familles, les salariés, les chômeurs et les retraités, qui n'en peuvent plus.
La création d'un nouvel impôt, appelé remboursement de la dette sociale, va-t-elle permettre de s'attaquer aux causes réelles du déficit ? Cet impôt va-t-il mettre à contribution les revenus financiers, les placements spéculatifs, l'argent qui dort ? Non puisque vous envisagez en fait de taxer une nouvelle fois les salariés et les retraités, qui financent déjà à 93 p. 100 la CSG, quand le capital n'y contribue qu'à 7 p. 100.
Une augmentation de la CSG, comme la création d'un nouvel impôt ponctionnant les familles de 30 milliards de francs, aggravera une nouvelle fois la vie des gens. Ce sera une nouvelle injustice qui accentuera la fracture sociale. Cette mesure ne fera que ralentir encore la consommation, et donc l'emploi.
On nous répète avec constance qu'il faut abaisser le « coût » du travail, que les « charges » sociales sont trop lourdes. La mission parlementaire en a discuté longuement. De nombreux interlocuteurs ont jugé que nos cotisations sociales se situaient dans la moyenne des pays industrialisés.
Même Jean Gandois, le président du CNPF reconnaît, au nom de l'Institut de l'entreprise, que « la baisse du coût du travail n'aurait pas un rôle décisif dans l'amélioration de l'emploi ».
M. Jean-Michel Dubernard, Gandois-Gremetz, même combat ! (Sourires.)
M. Maxime Gremetz. Eh oui !
Une brochure du ministère de l'économie et des finances, intitulée Sept raisons d'investir en France, indique que les coûts salariaux en France sont les plus bas des onze pays les plus industrialisés et les plus riches. Le taux de l'impôt sur les sociétés - faut-il le rappeler ? - est passé de 50 à 33 p. 100.
Toutes les organisations auditionnées par la mission d'information ont proposé avec force, sous des formes diversifiées, de ne pas faire cotiser uniquement les salariés.
L'exclusion des revenus du capital et des revenus financiers du financement de la sécurité sociale a été soulignée.
Au lieu de reconduire et d'amplifier des mesures qui ont déjà été utilisées, nous faisons d'autres propositions. Comme le suggère l'ensemble des organisations syndicales dans leur déclaration commune, pourquoi ne pas créer une cotisation sociale sur les revenus financiers qui ne sont pas réinvestis socialement ? Une telle mesure - dont vous ne voulez pas entendre parler parce que vous ne voulez pas toucher au capital - rapporterait immédiatement 77 milliards de francs à la sécurité sociale.
Plusieurs intervenants auditionnés par la mission commune ont également insisté sur la nécessité de taxer le capital.
Des ressources nouvelles permettraient de faire évoluer la sécurité sociale pour répondre encore mieux aux besoins.
Dans un pays où les richesses s'accroissent, où le progrès scientifique étend les chances de guérison à de nouvelles maladies, vous ne voyez que par la réduction des dépenses de santé, sous prétexte qu'elles sont en augmentation constante. Or des organisations de médecins, lors de leur audition, ont noté qu'aucune étude ne permettait de dire qu'elles augmentaient plus vite que dans d'autres pays. Même l'Observatoire français des conjonctures économiques indique que « l'augmentation du volume de la consommation médicale tend à
se rapprocher spontanément de celle du PIB potentiel ». Et l'OFCE poursuit : « Si des économies entraînent un rationnement des soins pour une partie de la population ou une baisse de la qualité des services rendus, alors le résultat pourrait être socialement négatif, sans gains macro-économiques significatifs. »
S'il s'agissait de faire des économies et de supprimer des gaspillages, nous serions pour ! Mais s'agit-il de cela ?
Ce que vous préconisez, c'est la réduction des dépenses remboursables.
Vous aviez envisagé d'instaurer une franchise de 5 ou 10 francs sur les ordonnances, ce qui aurait réduit encore l'accès aux soins.
M. le Premier ministre. Je ne l'ai pas fait !
M. Maxime Gremetz. Mais vous l'aviez envisagé ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Vous aviez envisagé cette mesure, alors que déjà un Français sur quatre renonce à se soigner pour des raisons financières. Vous n'avez pu maintenir une telle proposition devant la protestation justifiée des assurés. Vous avez dû reculer. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe communiste.)
La mise en place d'un carnet de santé pour tous pourrait s'avérer une bonne chose, si son objectif essentiel n'était pas de rationner les soins.
Le gel des honoraires médicaux en 1996, sil était maintenu, remettrait en cause l'idée même de convention médicale, laquelle, tout en permettant un accès aux soins de qualité pour tous, assurait à l'origine des revenus décents à tous les médecins.
Le refus de voir disparaître les acquis de la Libération n'est pas, comme certains veulent bien le dire, la défense de certains privilèges. Ce qui est en jeu, c'est l'existence même de notre sécurité sociale, que vous faites mine de défendre, mais dont vous poursuivez le démantèlement, entamé depuis une dizaine d'années.
En effet, après la séparation des branches, mise en oeuvre par le gouvernement de M. Balladur, et après les mesures que vous préconisez, ne resterait en place qu'une sécurité sociale minimale pour les plus démunis, le reste de la population étant livré aux compagnies d'assurances privées, qui lorgnent avec envie sur les 2 000 milliards de francs que représente le marché de la protection sociale.
Alors que le droit à la santé, aux allocations familiales, à la retraite et à la prise en charge des accidents du travail et maladies professionnelles avait été institué dans un pays ravagé par la guerre, il faudrait, cinquante ans plus tard, renoncer à ces acquis.
L'augmentation du forfait hospitalier et la diminution du budget des hôpitaux se traduiront par de nouvelles difficultés pour les malades. Votre décision de porter le forfait hospitalier à 70 francs, annoncée au moment même de la Journée mondiale du refus de la misère, ne pourra que renforcer l'inégalité devant l'accès aux soins.
M. Nicolas Forissier. Moins que ne l'ont fait les socialistes en 1991 !
M. Maxime Gremetz. Déjà, des dizaines de milliers de malades à travers la France font l'objet de mesures de saisie, parce qu'ils ne peuvent payer les frais d'hospitalisation.
L'Assistance publique de Paris a expédié, en 1994, 34 000 lettres de commandement à des malades. Des milliers de familles se voient saisir les prestations familiales pour le paiement de dettes alimentaires, constituées pour une bonne part par le forfait hospitalier. Nous proposons de supprimer le forfait hospitalier. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe communiste.)
M. Jean-Michel Dubernard. Ce n'est pas sérieux !
M. Maxime Gremetz. Mais si, c'est très sérieux et c'est même une idée moderne !
En voulant imposer l'abaissement du taux directeur des hôpitaux, vous réduisez leurs moyens de 7 milliards de francs.
Comment justifier les attaques contre l'hôpital sous prétexte qu'il représente la moitié des dépenses de la sécurité sociale ? Comme l'indiquait le secrétaire général de la CGT lors de son audition par la mission commune, le secteur hospitalier est constitué de 2 700 établissements pour le secteur privé et de 1 000 établissements pour le secteur public.
Le service public hospitalier représente un pilier essentiel de notre système de soins, associé à la médecine libérale. Grâce à ses investissements, financés par la sécurité sociale, notre pays est à la pointe de la recherche dans certains domaines, comme le laser.
La suppression de dizaines de milliers de lits, la fermeture d'hôpitaux et de maternités remettent gravement en cause le droit de chacun à être soigné dans de bonnes conditions.
La décentralisation devrait au contraire permettre de répondre au plus près aux besoins des gens.
Au lieu de porter des coups à l'hôpital, nous proposons au contraire de lui donner des moyens supplémentaires pour mieux assurer ses missions. Faire le choix de la santé coûte cher ! Mais pas plus sans doute que les gâchis que représentent les prix exorbitants de certaines spécialités pharmaceutiques ou la facturation en double de séjours dans certaines cliniques privées, qui jouent sur les entrées et les sorties. Les grands groupes pharmaceutiques sont parmi les cinquante entreprises qui réalisent les plus belles marges bénéficiaires.
Ces propositions, je vous le dis, seraient autrement plus efficaces que les vôtres pour le bien-être de la population et l'avenir du pays.
M. Nicolas Forissier. Quel discours hallucinant !
M. Maxime Gremetz. L'augmentation de la cotisation maladie des retraités est également une mesure injuste.
L'évolution des cotisations sociales a profité au grand patronat. La part salariale a en effet progressé de 14,86 p. 100 à 20,25 p. 100, pendant que la part patronale, issue elle-même des richesses créées par les salariés a diminué de 34,6 p. 100 à 30,28 p. 100.
Il est question d'élargir l'assiette des cotisations. Mais à qui ? Au capital ou une nouvelle fois à ceux qui, déjà, ne peuvent plus payer?
Nous proposons de diminuer la part salariale et d'augmenter la part patronale, en modulant les cotisations sociales en fonction de la politique de l'emploi suivie - favoriser les entreprises qui créent des emplois, pénaliser celles qui licencient - et en prenant en compte la valeur ajoutée créée.
Les retraités ont cotisé toute leur vie professionnelle à la caisse vieillesse. Pourquoi devraient-ils être encore une fois pénalisés ? Doit-on pénaliser les retraités de l'augmentation fabuleuse de l'espérance de vie ?
Le président de la Caisse nationale d'assurance vieillesse, lors de son audition, était d'avis que ce n'est pas un changement de technique qui permettra de régler les problèmes rencontrés. Effectivement, des mesures doivent être mises en oeuvre pour prendre en compte l'allongement de la durée de vie, la réduction du temps de cotisation, due notamment à la prolongation des études et au chômage.
Il faisait également remarquer que la France est le pays d'Europe dans lequel le taux d'activité des cinquante-soixante ans est le plus faible. Il est tout de même paradoxal que les salariés les plus âgés ne soient plus en activité et qu'en même temps des mesures soient prises, qui conduisent à reculer l'âge de départ à la retraite.
Pour toute réponse à cette question qui appelle des solutions neuves, vous voulez augmenter les cotisations vieillesse.
Il faudrait également aligner la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle du régime général.
Encore une fois, pourquoi ne pas inverser cette logique qui tend à niveler par le bas, et abroger les dispositions du gouvernement de M. Balladur qui ont fait passer la durée de cotisation de trente-sept annuités et demie à quarante.
Abaisser l'âgé de la retraite à soixante ans pour tous, à cinquante-cinq ans pour les femmes et les salariés ayant effectué des travaux pénibles, porter le montant de la pension à 75 p. 100 du salaire, augmenter les pensions de 600 francs sont des aspirations légitimes qu'il est possible de financer.
De telles mesures seraient plus justes et plus efficaces que la capitalisation, ardemment souhaitée par les compagnies d'assurances pour accroître encore plus leurs profits.
L'abandon de la prestation autonomie que certains parlementaires proposent, que vous proposez, monsieur le Premier ministre, irait à l'encontre des aspirations des personnes âgées. Il s'agissait de l'un des grands projets sur lesquels votre gouvernement s'était engagé. Si vous y renonciez cela serait insupportable pour nombre de familles, d'autant que les structures d'hébergement, déjà en nombre insuffisant, sont à des prix inabordables pour la majorité des personnes concernées.
Comme la Caisse vieillesse et la plupart des organisations et associations concernées, nous pensons que cette prestation relève de la sécurité sociale. La dépendance n'est qu'un aspect du vieillissement. C'est un risque qui doit être reconnu en tant que tel.
Quant à la branche famille, imposer les prestations familiales se traduirait par des difficultés accrues pour les familles. Mon amie Janine Jambu est intervenue sur cette question. Je ne m'y étendrai pas.
La non-revalorisation des allocations familiales au 1er janvier et votre volonté de les soumettre à l'impôt aggraveront encore les difficultés des familles. En les taxant une nouvelle fois sous prétexte de vous en prendre aux catégories aisées, 2 900 000 familles seraient touchées par cette mesure, dont 300 000 deviendraient imposables.
Je terminerai par la branche accidents du travail et maladies professionnelles dont on parle en général peu.
Pourtant, le principe édicté il y a cinquante ans est toujours d'actualité. En faisant financer les accidents du travail et les maladies professionnelles par ceux qui en sont responsables, il incitait ces derniers à prévenir plutôt qu'à guérir. Il dégageait, dans le même temps, le régime général de frais ne lui incombant pas.
L'aggravation des conditions de travail, l'intensification des rythmes du travail, se traduisent par une augmentation des accidents du travail et des maladies professionnelles. Et encore les pressions exercées par le grand patronat à l'égard des victimes conduisent-elles à une sous-estimation.
Si l'origine professionnelle des cancers professionnels était reconnue, 30 milliards de francs actuellement payés par l'assurance maladie le seraient par la branche accidents du travail et maladies professionnelles, financée exclusivement par les employeurs.
Parce que les Français sont attachés à la sécurité sociale, vous affirmez vouloir la défendre, monsieur le Premier ministre. Mais, au nom de ces principes, vous voulez faire accepter, comme les gouvernements précédents, des ponctions supplémentaires et des mesures conduisant à son démantèlement. Le refus de taxer le capital vous conduit à attaquer encore plus le pouvoir d'achat des familles, qui sera diminué de 200 francs à 400 francs par mois.
Le choix que vous faites aujourd'hui d'engager la responsabilité de votre gouvernement est significatif des difficultés que vous rencontrez pour faire adopter votre projet. La majorité vous donnera, je n'en doute pas, un chèque en blanc pour légiférer par ordonnances et éviter un grand débat public. Cette procédure est antidémocratique et inacceptable.
Toutefois les Français ne vous laisseront pas casser la sécurité sociale, comme ils se sont opposés aux ordonnances de 1967. L'accord historique signé entre toutes les confédérations syndicales en témoigne. Elles peuvent compter sur nous pour être à leur côté afin de la défendre et de la promouvoir.
Avec l'ensemble des syndicats, des mutuelles, des organisations de médecins, nous allons poursuivre le débat dans la voie du rassemblement de tous ceux qui ne veulent pas que l'on traite la maladie et les retraites comme une marchandise.
Nous contribuerons à la rénovation de la sécurité sociale, à sa modernisation, non pour limiter son champ d'application, mais, au contraire, pour qu'elle réponde encore mieux aux besoins de notre temps. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Péricard.
M. Michel Péricard. Monsieur le Premier ministre, rude constat, rude réalité, projet réaliste, courageux, équitable, réforme en profondeur, voilà les mots que j'ai envie de prononcer d'entrée de jeu en m'exprimant devant vous au nom du groupe RPR.
Ce n'est pas à vous que j'apprendrai, monsieur le Premier ministre, que l'engagement politique de tous les gaullistes se fonde sur la foi inébranlable dans la capacité séculaire de la France à se redresser. Cette capacité, il vous revient, il nous revient de l'assumer aujourd'hui, et c'est avec courage que nous le ferons, puisqu'il s'agit de l'un de nos biens les plus chers, la solidarité.
M. Arnaud Lepercq. Très bien !
M. Michel Péricard. La protection sociale est inséparable de nos principes républicains. Là est l'enjeu véritable ; là se condensent l'exemplarité de notre système et les valeurs qui fondent sa pérennité.
Pour relever ce défi de la reconstruction du pacte républicain, nous sommes aujourd'hui à vos côtés, monsieur le Premier ministre, et nous serons, dans deux ans, prêts pour le rendez-vous avec les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
L'urgence et l'importance d'une réforme de la sécurité sociale, cela fait des années que tout le monde en parle, ici en particulier. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Cela fait des années que l'on répète une litanie bien connue, sans jamais opérer les choix et les arbitrages qui s'imposent. (" Très bien ! " sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Ce débat solennel, sur lequel vous engagez aujourd'hui la responsabilité de votre gouvernement, vous nous l'avez promis au nom de la transparence. Vous nous avez demandé aussi de vous renouveler notre confiance, car vous avez saisi la hauteur capitale et vitale des enjeux qui déterminent l'avenir de la société française. Nous partageons cette analyse avec vous.
La véritable ferveur qui s'est manifestée dans les rues de Paris le 7 mai dernier à l'annonce de la victoire de Jacques Chirac, de la part, notamment, de nombreux jeunes et d'adolescents, fut sans précédent.
Si l'on parvient à comprendre les sources de cet espoir, qui est avant tout un espoir moral, peut-être appréciera-t-on avec plus de précision et de justesse les "fractures" de la société française. Alors seulement il nous sera possible de comprendre le bien-fondé de la politique que vous nous proposez aujourd'hui de soutenir.
Votre rôle, monsieur le Premier ministre, est d'accomplir les réformes dont le Président de la République, Jacques Chirac, a annoncé et fixé l'esprit. Vous pouvez, à cette fin vous appuyer, vous le savez, sur les députés gaullistes, sur tous les députés gaullistes ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Le débat a eu lieu. Il fut intense mais nous sommes aujourd'hui rassemblés comme toujours, dès que l'intérêt supérieur du pays est en jeu. Or il est aujourd'hui en cause ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Parmi les quatre chantiers prioritaires que vous avez fixés à votre gouvernement, après les mesures d'urgence des premiers mois, figure une réforme de structures - le mot, aujourd'hui, paraît particulièrement bien choisi - celle de la sécurité sociale.
Il s'agit d'assurer l'avenir de notre protection sociale parce qu'elle constitue la seule réponse possible au fléau de l'exclusion. Elle en est le seul antidote de nature à assurer à chaque Français des conditions de vie dignes et décentes.
La source de l'exclusion, nous le savons tous, est le chômage, qui gangrène le corps social, compromet tous nos équilibres économiques et financiers. Les élus gaullistes ont débattu, parfois avec passion, tant ils savent et mesurent l'urgence des problèmes et des enjeux. Après vous avoir attentivement écouté, et vous avoir répondu, comme vous avez pu le constater, ils vont, dans quelques instants, vous renouveler solennellement leur confiance unanime car vous avez décidé de rompre avec les politiques de facilité.
Là réside le véritable changement, celui qui consiste à se détourner résolument des politiques qui ont fait tripler le chômage en deux septennats. Là est le changement, dans un gouvernement qui applique une véritable politique de redressement social.
Après vous avoir écouté, monsieur le Premier ministre, nous nous sommes posé trois questions.
D'abord, l'effort demandé est-il justifié ? Nous répondons oui. Qui oserait encore sérieusement soutenir le contraire ? Le trou s'est transformé en un gouffre, en un abysse, dont plus personne n'ose mesurer la profondeur. Je ne joue pas inconsidérément avec la peur et je ne cite pas trop de chiffres destinés à effrayer, en décrivant des situations d'une gravité exceptionnelle. Néanmoins les chiffres que l'on connaît justifient la nécessité de l'effort. Que dis-je, ils accusent. Ces chiffres appellent et commandent notre action. Ils dictent la rigueur et je me félicite, avec toute la majorité qui vous soutient, monsieur le Premier ministre, que le Gouvernement s'engage à faire baisser le déficit de moitié en 1996, comme vous l'avez annoncé devant la représentation nationale, avec des mesures applicables dès le 1er janvier prochain.
Ne nous laissons pas troubler outre mesure par les slogans, les manifestations ou les menaces de M. Gremetz. Ceux qui vous critiquent, monsieur le Premier ministre, sont les mêmes qui ont voulu réhabiliter la dépense publique. Les Français ne sont pas dupes. Certains pyromanes se déguisent un peu trop vite en pompiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Deuxième question : l'effort demandé est-il légitime ? Là encore, la réponse est oui. Qui oserait le contester ?
L'évidence de cet effort s'impose à tous. Nous entrons dans une nouvelle phase du redressement de la France. Il nous faut donc revenir, au plus vite, à une situation d'équilibre de nos finances publiques et de nos comptes sociaux qui nous permettra de baisser les prélèvements obligatoires. Nous pourrons, à ce prix, tenir le double objectif que vous avez fixé : engager une réduction structurelle des déficits ; consolider les principes de justice et d'efficacité de notre système social.
Troisième question : l'effort demandé est-il équitable ? Nous vous répondons sans l'ombre d'une hésitation : oui il est équitable et l'équité n'est pas un vain mot.
Il y aura équité dans le principe de la généralisation et de l'universalisation de la couverture maladie. Tout notre système est fondé sur cette double ambition : unité et universalité. Tous les Français doivent en bénéficier. Il est donc équitable que l'effort soit partagé par la nation tout entière : par les actifs et par les inactifs, par les fonctionnaires et les salariés du secteur privé, car nous sommes tous des citoyens conscients et responsables.
L'équité sera également assurée pour le remboursement de !a dette, avec la contribution nouvelle, exceptionnelle et temporaire. Tous les revenus seront frappés, à l'exception des minimums sociaux et des produits d'épargne populaire. Dans un contexte financier terriblement contraignant, j'y vois une preuve de votre sincère volonté de justice. Elle est aussi la nôtre !
On voit encore l'équité, et surtout la lucidité, dans votre choix courageux et détermin?? de responsabiliser les acteurs du corps social : les professions de santé, par une maîtrise accrue des dépenses médicales et par la réforme hospitalière ; les assurés sociaux y compris les familles.
Attention, cependant, car la lucidité exige contractualisation et obligation de résultat !
C'est encore la lucidité qui vous a conduit à décider l'entrée en vigueur de la prestation autonomie au 1er janvier 1997. Monsieur le Premier ministre, vous connaissez notre attachement à cette prestation. Nous l'avons réitéré hier, au cours de notre réunion. Elle permettra de créer des milliers d'emplois.
Il faut une certaine surdité - je n'emploie pas de mot plus désagréable parce que l'intéressé n'est plus dans l'hémicycle - pour avoir entendu, comme M. Fabius, que cette prestation était abandonnée. Nous l'avons attendue, pendant quatorze ans. Ils peuvent donc l'attendre durant quelques mois. (Applaudissement sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.) Ce report semble raisonnable. Il est vrai que j'ai ressenti quelque gène dans les propos de l'orateur du groupe socialiste, au point qu'il a parfois été obligé de reconnaître les mérites de votre projet. Il a dû se retrancher derrière une laborieuse démonstration, inexacte naturellement, de ce que paierait un retraité disposant de 5 000 francs par mois. Il est vrai qu'il ne doit pas en connaître beaucoup. (Rires et applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Mme Véronique Neiertz. C'est honteux !
M. Michel Péricard. Dans son rapport annuel au Parlement, base du débat que nous avons eu depuis lundi dans cet hémicycle, votre gouvernement a clairement établi la gravité de ce qu'il appelle "la spirale d'endettement de la sécurité sociale". Pour garantir sa survie, il nous faut donc ramener le régime général à l'équilibre dès 1997.
Je ne reprendrai pas toutes les mesures de redressement énergiques que vous venez de détailler, monsieur le Premier ministre. Je constate simplement qu'il nous reste deux années pour équilibrer les comptes et prévenir l'implosion du système.
Votre pari est ambitieux et audacieux. Je crois pouvoir dire que, sur tous les bancs de cet hémicycle, nous refusons un énième plan de la sécurité sociale !
Vous avez opéré le choix courageux de la réforme de structures. L'effort sera donc partagé, selon une juste mesure de l'état gravissime de notre protection sociale, lequel nécessite des mesures équitables de redressement. Le paradoxe, mes chers collègues, est que, dans une situation de crise économique, le social menace de tuer le social. Il est cruel, car il aboutit à ce que les plus faibles pâtissent toujours en premier et le plus durement.
Le remède n'ira pas sans privations ni contraintes. Que chacun assume ses responsabilités ! Nous prendrons les nôtres ! Les corporatismes ne doivent pas paralyser la France au point de l'affaiblir durablement et d'appauvrir les Français.
M. André Fanton. Très bien !
M. Michel Péricard. Nous avons besoin d'union quand l'essentiel est menacé. Chacun peut légitimement prétendre défendre ses intérêts mais nous, ici, élus de la nation, nous ne représentons aucun intérêt particulier. Nous sommes responsables de tous les Français. Nous sommes responsables de l'avenir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Après les efforts accomplis sur le budget, les Français comprendront, j'en suis sûr, la volonté du Gouvernement de conduire une gestion responsable et courageuse.
Si je suis bien informé, monsieur le Premier ministre, le Président de la République a dit ce matin aux membres du Gouvernement qu'il fallait « résister aux oppositions conservatrices d'où qu'elles viennent et qui ne manqueront pas de s'exprimer ». Or ce n'est pas de notre côté que vous trouverez les conservateurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre)
Les règles nouvelles que vous préconisez, monsieur le Premier ministre, associées à une politique de cohésion sociale, sont le plus sûr chemin pour sortir de l'impasse ! Vous avez une volonté politique forte. Le groupe RPR n'en doute pas et il la partage avec vous !
Le diagnostic établi, les solutions fortes construites, il fallait choisir les voies politiques et juridiques adéquates. Ne dévions donc pas ce débat en lui donnant un caractère qu'il n'a pas. Vous avez choisi, avec pragmatisme, courage et réalisme, de recourir à la fois à des projets de loi, à une révision de la Constitution et à des ordonnances. Là encore nous vous soutenons et approuvons vos décisions. Elles permettront d'associer étroitement le Parlement à cette grande oeuvre et de répondre à l'urgence.
Les ordonnances sont consubstantielles au fond de la réforme ! Sachons donc, en toute connaissance de cause, nous mobiliser pour le but. Aujourd'hui, seul compte le résultat de la réforme. Ce résultat nous importe pardessus tout.
Déjà, en 1967, le général de Gaulle lui-même avait décidé de solliciter du Parlement, par le biais de son gouvernement, l'autorisation de légiférer par ordonnances. C'est dans ce cadre que la majorité d'alors a mis en oeuvre des réformes essentielles et durables dans le domaine social : la création de l'ANPE, la généralisation de l'assurance chômage, la réforme de l'organisation de la sécurité sociale. Aujourd'hui, n'ayons donc aucune appréhension, aucun complexe devant le projet que vous nous proposez.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, vingt années de pression du chômage ont créé une situation quasi inextricable.
Nous sommes à un tournant économique et social historique. Nous sommes condamnés à la réussite de cette politique que nous propose aujourd'hui le Gouvernement. L'enjeu final, c'est l'équilibre social de notre pays, qui est aujourd'hui menacé ; nous le voyons tous chaque semaine dans nos circonscriptions.
Je le disais dès le début de mon intervention : rude constat, rude réalité en effet. Nous croyons encore bénéficier du meilleur système de protection sociale au monde. Hélas ! Ce n'est pas vrai. Toutes prestations confondues, nous avons aujourd'hui l'un des taux les plus bas de remboursement des pays de l'OCDE. Le gaspillage a trop duré. Aujourd'hui, avec votre réforme, les intentions ou les discours ne tiennent plus lieu de réalité. On ne parle plus pour se dispenser d'agir !
Votre ambition est d'éclaircir l'horizon au long terme ! Nous partageons cette ambition. L'ampleur et la portée de cette réforme sont sans précédent. Elles garantissent et consolident un équilibre durable de notre système de protection sociale. Certains vous menacent d'impopularité ? Nous savons que l'impopularité est un autre nom du courage et les Français sont reconnaissants à ceux qui savent faire preuve de courage.
Les gaullistes n'ont pas pour habitude de soutenir le gouvernement en se cachant derrière leur vote. je viens de vous en donner la preuve. D'ailleurs, de quelle utilité serait aujourd'hui, pour le Gouvernement et pour la République, le soutien d'une majorité fantôme ?
Monsieur le Premier ministre, puissiez-vous, une seconde fois, par notre vote de confiance renouvelé, être personnellement investi du devoir de surmonter et de briser les conservatismes ! Le groupe RPR est à vos côtés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. le président. La parole est à M. Gilles de Robien.
M. Gilles de Robien. Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, nous sommes à un moment de vérité, de lucidité et aussi de gravité.
Monsieur le Premier ministre, en engageant votre responsabilité, en nous demandant la confiance, vous attendez un geste politique fort de notre majorité, majorité la plus large, majorité pluraliste, mais majorité unie. Le groupe UDF y appartient totalement et, sans avoir à se forcer, croyez-le bien, il vous assure de sa confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République.)
Sur le sujet majeur et grave de la protection sociale, qui concerne la relation essentielle que chaque homme ou chaque femme entretient avec la vie, avec la vieillesse et même avec la mort, essayons de dépasser le cadre de la conjoncture, des divergences qui peuvent être légitimes et des oppositions qui sont souvent partisanes. Nous sommes là pour définir ensemble le socle du pacte social qu'attendent les Français pour aborder le siècle prochain avec un pacte social consolidé et surtout durable.
Autour de nous - nous le constatons bien - les esprits évoluent rapidement. Une sorte d'heureuse prise de conscience collective commence à voir le jour dans notre pays sur ce sujet. Dirigeants politiques, responsables syndicaux, élus locaux, acteurs sociaux, citoyens de toutes catégories et de toutes générations le pressentent. Nous sommes vraiment à un tournant historique de la solidarité. A une époque où la dérision règne souvent en maître et où il est de bon ton de critiquer le monde politique, notre sens des responsabilités, à nous, les élus de l'UDF et - nous venons de l'entendre - du RPR ne sera pas pris en défaut. Il sera même porté à notre crédit quand le recul du temps fera mieux apparaître les enjeux que nous aurons osé aborder et les défis que nous aurons su relever.
Ici et maintenant, mes chers collègues, ce sont bien les valeurs et les réalités de la protection sociale que nous cherchons à défendre tous ensemble. C'est une certaine idée de la générosité nationale que nous veillons à protéger et à pérenniser. C'est vraiment l'un des principes fondateurs de notre démocratie, la fraternité, à laquelle nous voulons donner tout son sens dans une application concrète, durable et ambitieuse.
Dans cette perspective, il est naturel et heureux qu'un débat, un vrai débat, quelquefois vif d'ailleurs, se soit ouvert sur les modalités de la réforme à mettre en oeuvre. Il est normal, à cette occasion, que des contradictions apparaissent et que, au final, sur un sujet aussi complexe, des arbitrages soient nécessaires et qu'ils soient rendus. Comment ne pas voir que la confrontation des idées est non seulement inévitable, mais souhaitable parfois, et même indispensable ? Comment accepter de réduire cet enjeu formidable à un
simple enjeu politicien ou partisan ?
Le groupe UDF, dans les commissions, dans les groupes de travail, a emprunté la voie de la sagesse. Loin des positions qui sont dogmatiques parfois, des solutions miracles, de conservatismes professionnels - autant d'attitudes que rejettent maintenant de façon majoritaire les Français -, une élémentaire clairvoyance nous conduit à constater ensemble et à admettre les dérives d'un système, certes prestigieux, peut-être même unique au monde, mais d'un système qui a cinquante ans et qui a été progressivement détourné de son idéal d'origine.
Dans la conception initiale de la sécurité sociale, une belle chaîne de solidarité unissait les acteurs du travail à ceux qui, physiquement, ne pouvaient plus travailler, pour quelques jours ou parfois davantage, et à ceux qui, moralement, ne devaient plus travailler à la fin d'une vie bien remplie ; les employeurs et les employés contribuaient ainsi, hors de toute tutelle étatique et politique, au bien-être des malades et des retraités. Formidable conquête et formidable rapprochement des intérêts syndicaux et patronaux au
profit du bien commun ! Formidable socle du "vouloir vivre ensemble" dont parlait Renan.
Sans doute exemplaire en période de croissance et de faible chômage, portée avec succès par les « trente glorieuses » et les facilités de l'expansion et de la croissance, la machine s'est mise brutalement à déraper, s'est emballée au point de porter en elle des stigmates de la crise française : centralisation du système, opacité des procédures, fixité des méthodes, non-renouvellement des instances de décision depuis trop longtemps. Résultat ? Face à une croissance poussive et aux crises économiques, malgré les expédients de tout genre année après année, les plans successifs et les incantations répétées, la machine à produire du progrès social s'est métamorphosée en machine à produire des déficits.
L'opposition a dit à cette tribune que certains déficits, comme des embonpoints, sont aussi des signes de bonne santé. Permettez-moi de vous dire, mes chers collègues, qu'aujourd'hui l'opposition a tort pour le sujet qui nous préoccupe. Les déficits français vont de pair avec une dégradation manifeste de notre protection sociale.
Lorsque j'évoque la crise de la protection sociale, je ne vois pas une suite de chiffres ou bien une pile de rapports, d'études complexes et abstraits. Non, nous voyons tous, les uns et les autres, les milliers de RMIstes dans nos villes et dans la vôtre aussi, monsieur le Premier ministre, leur souci quotidien d'économiser sur la santé un jour, sur la nourriture parfois, trop souvent. Nous partageons leur inquiétude pour leurs enfants face au retour des maladies censées disparues, comme la tuberculose, ou nouvelles, telles que
le sida. Ne rien faire et laisser faire serait vraiment une attitude coupable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République.) Réformer en la matière, c'est renforcer le seul lien social qui subsiste quand la société doute ou se fracture ou se trouve au bord de la révolte. C'est ce que vous avez voulu faire, avec courage, monsieur le Premier ministre, et nous ne pouvons que nous en réjouir. C'est la tâche et l'honneur de votre
Gouvernement. C'est la tâche et l'honneur de notre majorité. (Applaudissements sur les mêmes bancs.) Ce lien social, c'est celui qui assure l'équilibre de notre communauté nationale : l'accès pour tous à une santé de qualité, le droit à une retraite décente, la possibilité de fonder une famille. Il est de notre devoir, précisément parce que les temps sont difficiles, d'affirmer et de pérenniser une nouvelle solidarité plus responsable et plus humaine.
Pour retrouver l'élan qui fait cruellement défaut et qui était celui de la création de la protection sociale il y a cinquante ans, nous devons surmonter immédiatement un double défi : d'une part, trouver les moyens de résorber les déficits accumulés, d'autre part, parvenir à l'équilibre durable du système de protection sociale.
La première partie de l'exercice concerne les recettes et n'est évidemment pas la plus agréable. Nous savons tous que, sans un accroissement des prélèvements, nous ne pourrons que très difficilement résorber le déficit accumulé. Nous souhaitions assortir, monsieur le Premier ministre, cet éventuel effort supplémentaire demandé aux Français de deux conditions, sur lesquelles nous vous remercions de nous avoir entendus.
La première de ces conditions est que ces nouveaux prélèvements - je pense notamment à la création du remboursement de dette sociale, le RDS - soient exclusivement consacrés à la résorption de la dette passée et à elle seule. Nous souhaitons cependant que cette contribution soit, autant que possible, davantage limitée dans le temps. Vous annoncez treize années. Toutefois, il n'est pas interdit de penser que, la croissance revenue, et donc les salaires revenus, nous pourrions réduire cette durée. Pourquoi ne pas être optimistes et
penser que peut-être en huit ans, neuf ans, dix ans, onze ans, nous pourrons résorber les dettes accumulées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République.) Vous savez bien, monsieur le Premier ministre, que les Français sont portés par un sentiment de « ras-le-bol fiscal » qui rendrait intolérable un impôt supplémentaire à venir pour une dépense nouvelle.
M. Jean-Louis Idiart. Eh oui !
M. Gilles de Robien. Sur ce point, monsieur le Premier ministre, et sans altérer du tout la confiance qui unit la majorité à votre gouvernement, l'UDF se doit d'appeler votre attention : puiser de manière massive et durable dans le revenu des Français pour financer des dépenses incontrôlées en constante progression ne peut évidemment que renforcer les déséquilibres financiers, risquer d'asphyxier notre économie, et finalement aggraver le malaise social et mettre en péril le lien social.
Notre groupe est donc favorable au principe de la prestation autonomie, que vous avez évoquée, destinée aux personnes âgées en situation de dépendance. Il s'agit d'une mesure annoncée, promise, généreuse, qui correspond vraiment à une réelle attente et à un authentique progrès social. Nous souhaitons, comme vous, que cette nouvelle prestation soit le résultat - on pourrait presque dire la récompense - du rétablissement de l'équilibre retrouvé des comptes sociaux. La solidarité envers nos aînés est devenue un véritable enjeu de société.
La dispersion croissante des cellules familiales, le vieillissement de la population française, les dramatiques situations de solitude et de détresse que peut engendrer le milieu urbain, nous invitent, mes chers collègues, à ne pas oublier les nouvelles demandes de solidarité. Cependant la prise en compte de ces demandes ne peut être réellement assurée que si l'assainissement de nos comptes sociaux et la guérison de notre système de santé sont préalablement garantis. C'est cette décision que vous avez prise et qui rejoint la nôtre.
Elle est sage et réaliste. Nous vous en remercions.
Elle me conduit logiquement à notre deuxième condition : nous voulons être sûrs que, grâce aux réformes structurelles qui seront engagées, ce nouvel effort des Français pour apurer le passif sera bien le dernier de cette ampleur et pour longtemps.
D'éminents députés de notre groupe, Pierre Méhaignerie, Denis Jacquat, Jean-Luc Préel, Hervé Novelli, ont de façon très opportune insisté sur la force de la réforme à engager, en particulier dans le domaine des dépenses de santé.
La solidarité responsable que nous appelons de nos voeux doit imprégner toute l'action des années à venir. Adrien Zeller l'a parfaitement évoqué lundi en insistant sur les notions de responsabilité, de contrat et de réciprocité des engagements.
Le groupe UDF souhaite profiter de cette tribune pour rappeler cinq grands axes qu'il a affirmés tout au long de ce débat.
Premier axe : le renforcement du rôle du Parlement. Dans l'esprit de la loi du 25 juillet 1994, qui permet l'information du Parlement sur l'état des comptes sociaux, il nous faut franchir une nouvelle étape dans notre mission de contrôle. La représentation nationale devrait pouvoir, chaque année, définir les orientations générales et les objectifs de notre politique sociale. C'est bien d'avoir connaissance du bilan ; c'est mieux de pouvoir, dès l'origine, indiquer la marche à suivre et fixer l'évolution des dépenses de santé en
rapport avec l'état de notre PIB. Le financement par l'impôt de notre déficit justifie le contrôle parlementaire, que vous proposez aujourd'hui. Nous vous remercions de la confiance que vous faites au Parlement.
Ce renforcement du rôle du Parlement serait utilement complété - cette suggestion m'a été faite récemment - par l'installation d'un haut comité pour la santé, qui pourrait évaluer les politiques, recenser les progrès scientifiques, observer l'état sanitaire de notre pays, conseiller les décideurs, comparer avec les différents systèmes étrangers. C'est une proposition très sérieuse. Peut-être aurions-nous pu, mes chers collègues - peut-être ! - éviter des drames récents et durables si un tel haut comité avait existé dans les années passées.
Deuxième axe : le souci de proximité. L'objectif est de mettre fin à la distance qui sépare les Français de leur système. De ce point de vue, comme l'a dit Pierre Méhaignerie, le niveau régional, voire local dans certains cas, semble le plus pertinent. Nous souhaitons, comme vous, que chaque région dispose d'une enveloppe sociale qu'elle contractualiserait
ensuite avec chaque acteur régional de la santé en fonction d'objectifs précis. Or la véritable innovation consistait bien - nous l'avions appelée de nos voeux - dans la mise en place de mécanismes correcteurs. L'idée d'une agence sociale régionale regroupant les différentes caisses et l'État avait été également émise par notre groupe et s'inscrit bien dans ce souci de lisibilité et de proximité.
Il faudra veiller cependant à ce que les caisses puissent disposer d'une autonomie suffisante pour éviter un fonctionnement qui risquerait d'être trop administratif.
A cette condition, la subsidiarité permettra, sur le fond, une meilleure gestion et, sur la forme, une diminution de la bureaucratie. Faisons disparaître ensemble du vocabulaire, si vous le voulez bien, l'expression quelquefois malheureuse « guichet de la sécu ».
Troisième axe : la démocratie. Le groupe UDF a rappelé à de nombreuses reprises son soutien au principe du paritarisme. Pour autant, ce paritarisme n'a de raison d'être qu'à condition d'être démocratique, transparent et responsable. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Paritarisme démocratique d'abord, en souhaitant des partenaires sociaux qu'ils élisent aux dates statutaires leurs représentants. Est-il normal que les dernières élections à la Caisse nationale d'assurance maladie remontent à plus de dix ans ? Non, nous souhaitions des élections. Vous préférez, semble-t-il, la désignation.
Paritarisme transparent, ensuite, en invitant les partenaires sociaux à offrir la plus grande publicité à leurs travaux. De ce point de vue, il faut effectivement envisager que les différentes caisses proposent à (...) d'intégrer leur conseil d'administration.
Paritarisme responsable, enfin, car dans ce contexte de crise, la démagogie, heureusement minoritaire de rares porte-parole syndicaux. n'est plus acceptable. Les partisans du « ni-ni » - ni réforme, ni impôt - seraient les vrais fossoyeurs de la sécurité sociale s'ils persistaient à entretenir sciemment les illusions et les peurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République.)
Quatrième axe : la rationalisation. Je parle à dessein de rationalisation et non de rationnement. En effet, l'idée n'est pas de dépenser moins, mais bien de dépenser mieux. Les débats qui ont précédé ont montré qu'il n'y avait pas d'opposition entre le souci de bonne gestion et l'intérêt de 1'usager, qu'il soit malade ou retraité.
Pour ce qui concerne les dépenses de santé, chacun s'accorde sur les moyens de parvenir à une vraie maîtrise médicalisée. Informatisation des cabinets médicaux et des hôpitaux, codification des actes, contrats avec les laboratoires pharmaceutiques, références médicales opposables, carnet médical pour tous, revalorisation du médecin de famille, pourquoi pas ? Cela nous semble aller dans le bon sens : ce sont les solutions avancées par notre famille politique. Elles sont largement reprises par votre projet. Il faut sans tarder les mettre en application.
Je ne voudrais pas terminer ce chapitre de la rationalisation sans rendre hommage au personnel soignant des hôpitaux et des cliniques. Ce débat parlementaire ne doit pas être leur procès, mais leur réhabilitation.
M. Arthur Paecht. Très bien!
M. Gilles de Robien. En première ligne avec les malades, tous les jours et toutes les nuits, ils sont aujourd'hui les principales victimes de l'anarchie de notre carte hospitalière, de notre carte sanitaire, (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République.) Ils sont même quelquefois les victimes de la modernisation excessive, qui en est une des conséquences. L'hôpital doit rechercher une harmonie disparue entre l'homme et la machine, entre la performance technologique, salutaire bien sûr, et la valorisation des richesses humaines reconnues par tous.
Cinquième et dernier axe de réformes : l'équité dans l'effort. Le groupe UDF souhaite maintenir et améliorer, autant que faire se peut, l'équité de notre système de protection sociale. A cet égard, nous comprenons la fiscalisation des allocations familiales ainsi que l'augmentation de la cotisation maladie des retraités imposables sur le revenu.
Monsieur le président Fabius, vous avez cité tout à l'heure l'exemple de retraités qui, gagnant 5 000 F par mois, seraient pénalisés. Permettez-moi de vous faire remarquer que ceux-là ne sont pas imposables sur le revenu. Par conséquent, ils ne sont pas touchés par ce prélèvement. Je ne veux pas laisser courir ce bruit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du rassemblement pour la République - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous rétablissons ici la solidarité entre les générations. Et je suis sûr que les personnes retraitées qui ont un certain revenu le comprennent, car elles, plus que d'autres, ont en elles ce sentiment de solidarité...
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Très bien !
M. Gilles de Robien. ... pour avoir vécu la naissance de la protection sociale en 1945. Nous ne pouvons qu'apprécier le souci d'équité que vous manifestez, monsieur le Premier ministre, en prévoyant l'universalité du régime d'assurance maladie. Ce faisant, vous confirmez l'égalité de tous à l'accès aux soins.
Contrôle parlementaire, proximité, démocratie, rationalisation, équité : voilà les cinq impératifs en fonction desquels le groupe UDF apprécie le contenu du plan que vous nous proposez, monsieur le Premier ministre.
Bien sûr, nous en avons conscience, il n'est pas possible en quelques semaines de vouloir réformer en profondeur notre système et de prétendre tout régler. C'est pourquoi, parallèlement aux réformes annoncées, le groupe UDF a souhaité que s'ouvrent quelques chantiers de réformes. J'en citerai trois. Le premier, c'est le plan épargne-retraite auquel, vous le savez, notre groupe est très attaché et sur lequel nous avons noté votre volonté d'organiser très bientôt un débat parlementaire, avec une discussion commune. Nous vous remercions d'avoir répondu favorablement à votre souhait. Le deuxième, sur les régimes spéciaux de retraite, pour lesquels la commission de réforme annoncée devra associer le Parlement. Enfin, la réforme de notre carte sanitaire constituera le troisième chantier.
Cette série de propositions novatrices doit permettre de remettre à flot la protection sociale en évitant de nombreux gaspillages. Ce faisant, nous ne pouvons oublier la priorité de nos priorités, la lutte contre la première forme d'exclusion sociale et le principal responsable de ces déficits sociaux : le chômage. Or, nous le savons tous dans cet hémicycle, l'emploi ne peut être favorisé que par un retour à une croissance active et continue, qui serait dangereusement compromise par un niveau excessif de prélèvements.
A l'évidence, la logique économique rejoint tout à fait l'aspiration sociale. On ne peut sérieusement envisager de nouvelles conquêtes sociales et de nouveaux droits sans évidemment un effort de rigueur dans la gestion, mais surtout sans un recul très net du nombre de demandeurs d'emploi. Plus d'emplois, c'est plus de cotisations, c'est donc plus de progrès social possible. L'UDF est convaincue que l'efficacité de l'économie de marché doit être mise au service de la justice sociale. Or, en la matière, de grands progrès restent à faire.
Si nous voulons avec ardeur réformer notre système actuel de protection sociale, c'est aussi parce que nous savons que notre société risque de se lézarder, que des failles importantes, des fractures brutales menacent d'entraîner certaines catégories ou certaines zones vers la marginalisation. Nous ne voulons pas réformer pour réformer ; nous voulons réformer pour retrouver les marges d'action qui nous permettront de restaurer et de conforter le pacte républicain.
A quoi servirait d'assurer les prestations élémentaires de santé ou de retraite, si le phénomène, notamment urbain, de dislocation du corps social subsistait durant des années ou, pire, gagnait encore du terrain ? Que signifie la retraite pour un RMIste ? Que signifie « politique familiale » pour le chômeur en fin de droits, menacé éventuellement d'expulsion ? A quoi servirait de soigner les corps si les têtes restent malades ?
Notre préoccupation constante en matière de solidarité nous renvoie aussi au grand chantier annoncé de la réforme fiscale. Dès à présent, nous voyons bien qu'une nouvelle définition du rôle et des moyens de l'État est à l'ordre du jour. Ces sujets peuvent mobiliser la majorité tout entière et passionner les Français. L'expérience que nous venons de vivre, en tout cas, est éloquente.
Ensemble, monsieur le Premier ministre, avec votre gouvernement, avec cette majorité qui a manifesté son enthousiasme à l'annonce de votre plan, n'hésitons pas à aller plus loin : les Français sont réceptifs. N'hésitons pas à aller plus loin dans la mise à plat, sereine et responsable, des systèmes publics de redistribution et des modes d'intervention souvent trop étatiques. L'occasion nous est donnée d'associer tous les acteurs concernés, du sommet de l'Etat aux citoyens, dans un vaste et durable mouvement de réforme, amorcé avec ce premier débat sur la protection sociale, mais qui le dépasse largement et en appelle bien d'autres.
Allons plus loin encore dans la voie du réformisme pragmatique. L'attitude réformiste, si elle est authentique et persévérante, est de nature à sortir la France de la morosité, à dégager de nouveaux horizons, à débloquer notre société un peu trop repliée en cette fin de siècle sur ses inquiétudes et ses peurs. Le groupe UDF se permet d'insister sur la nécessité d'ouvrir largement la concertation et de favoriser réellement la participation des Français et de leurs représentants au processus des réformes.
Le temps ont changé. La population française, je le crois vraiment, est portée aujourd'hui par de nouvelles aspirations, en particulier l'aspiration au dialogue, à la concertation, et les dirigeants politiques se doivent d'en tenir compte. C'est la question de confiance que nous posent quotidiennement nos concitoyens. Aucune vérité révélée ne peut plus venir d'en haut, de façon autoritaire, directive ou péremptoire. La véritable autorité naît de l'animation des contre-pouvoirs et non de la concentration excessive des pouvoirs. De ce point de vue, la revalorisation du rôle du Parlement est au coeur d'une petite révolution culturelle qui intéresse le pays tout entier.
Monsieur le Premier ministre, vous nous demandez la confiance, Bien entendu, nous vous l'accordons volontiers. Il faut bien sûr nous écouter, et vous nous écoutez. Vous avez voulu qu'un débat s'ouvre, en toute liberté, à l'Assemblée nationale. Il a été riche d'idées, d'avancées et de pédagogie. Des critiques sur ce débat ont été entendues, quelquefois même de la part de certains membres de votre gouvernement. Ce ne sont que de petits dérapages. (Exclamations sur les bancs du groupe communiste.)
A l'avenir, il faudra sans doute améliorer nos méthodes de travail et libérer davantage le temps pour la réflexion, puis pour la parole. Compte tenu de l'urgence et de l'objet de la réforme, la voie des ordonnances se justifie. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous souhaitons néanmoins pouvoir discuter, précisément et sérieusement, de leur contenu.
Monsieur le Premier ministre, vous avez demandé la confiance. Le groupe UDF la renouvelle naturellement, en vous demandant de profiter du formidable gisement d'idées qui, à l'Assemblée nationale et dans le pays, est à votre disposition. L'esprit de réforme qui anime votre Gouvernement, qui anime le groupe UDF ne peut se concevoir sans l'esprit d'ouverture et sans un partenariat équilibré. C'est, à nos yeux, dans cette perspective que s'inscrivent toutes les actions fortes, durables et légitimes que nous sommes prêts à aborder ensemble. En tout cas, monsieur le Premier ministre, l'intérêt national et l'action du Gouvernement commandent que la majorité vous soutienne ; nous le faisons bien volontiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour 1a démocratie française et du Centre et groupe du Rassemblement pour la République.)
M. le président. Le débat est clos.
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
La parole est à M. Laurent Fabius, premier orateur inscrit.
M. Laurent Fabius. Monsieur le Premier ministre, en vous voyant tout à l'heure monter à la tribune, en écoutant vos propos, en appréciant l'accueil très chaleureux...
M. Arnaud Lepercq. Enthousiaste !
M. Laurent Fabius. ... que votre majorité a réservé à votre discours, je ne pouvais m'empêcher de penser au spectacle identique auquel nous avions assisté il y a un peu moins de six mois (exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre)....
M. le président. Ne commençons pas, mes chers collègues, je vous en prie !
M. Laurent Fabius. ... lorsque, engageant votre responsabilité sur une déclaration de politique générale, vous nous aviez présenté les propositions qui étaient alors les vôtres.
Même si je regrette d'en avoir pris connaissance aussi tardivement, j'ai écouté, comme chacune et chacun de nous, vos propositions. Et je pense que chacun reconnaîtra qu'il y a une différence singulière entre le discours que vous nous teniez voilà six mois - je l'ai relu - et les propos que vous avez prononcés cet après-midi.
Que s'est-il passé entre-temps ? A l'époque, vous nous disiez avec beaucoup d'assurance que, malgré les difficultés, vous viendriez à bout du problème de l'emploi, que les prélèvements seraient abaissés, que, la facture sociale, selon les termes mêmes de M. le Président de la République, serait réduite. Moins de six mois plus tard, chacun peut juger !
M. Michel Péricard. Six mois, c'est court !
M. Laurent Fabius. Pourtant, entre-temps, aucun bouleversement de politique internationale n'est intervenu qui justifie un tel changement de cap. Que s'est-il donc passé, mes chers collègues ? Seulement deux événements très simples, évidents, dont personne ici ne disconviendra : d'une part, la fin de la campagne présidentielle et le retour aux réalités après les discours quelque peu éthérés qui avaient été tenus durant celle-ci (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre) ; d'autre part, personne n'en disconviendra non plus, cinq mois et demi de pratique gouvernementale.
M. Arthur Dehaine. C'est court !
M. Laurent Fabius. C'est peut-être court, mais pour le pays il y a des semestres qui comptent triple ! ("Les vôtres !" sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Et chacun conviendra que, dans le pays, s'est installé tout sauf la confiance !
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Attendez !
M. Laurent Fabius. Néanmoins, cet après-midi, c'est cette confiance que vous nous demandez. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Monsieur le président, je peux, bien sûr - et je le ferai volontiers -, continuer à parler en étant sans cesse interrompu, mais cela risque d'allonger la durée de notre séance, de pénaliser les orateurs suivants et, du point de vue de la courtoisie, ce n'est peut-être pas l'exemple à donner. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. Protestations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
La justification à cette demande, c'est que vous ne trouvez pas la confiance dans le pays, et vous ne la trouverez pas non plus, monsieur le Premier ministre, dans la méthode que vous avez choisie - très particulière, en vérité - qui a consisté à faire discuter l'Assemblée nationale pendant deux jours, presque trois, alors que nous ne connaissions pas vos propositions, à présenter celles-ci aujourd'hui entre seize heures et dix-sept heures, à nous accorder deux petites heures pour répondre par oui ou par non et, ensuite, compte tenu du choix que vous avez fait de procéder très largement par ordonnances, à nous interdire, dans plusieurs domaines en tout cas, l'usage du droit d'amendement et toute possibilité de contrôle.
Je voudrais, à la fois par rapport à ce texte et de façon plus large, m'arrêter un instant sur cette procédure des ordonnances. Car, mes chers collègues, lorsqu'on écoute attentivement ce que nous a dit tout à l'heure le Premier ministre, on comprend bien que l'essentiel de ce qui nous est proposé sera fait par ordonnances.
Pourquoi cette procédure ? Vous nous avez dit, monsieur le Premier ministre : parce que c'est urgent. Mais qui réfléchit un peu à cet argument ne peut très longtemps le défendre : d'abord, parce que l'actuelle majorité est en place depuis presque trois ans et qu'elle sait de longue date que se pose un problème majeur d'équilibre des régimes sociaux ; ensuite, parce que vous-même, monsieur le Premier ministre, qui êtes hautement averti de ces choses, vous dirigez le Gouvernement depuis déjà presque six mois et que vous n'avez certainement pas découvert ces jours derniers, l'énormité des problèmes qui se posent. De sorte que l'urgence dont on nous parle ne me semble pas être la " clé" qui explique que vous recouriez à la procédure des ordonnances.
Alors on me dira : il y a des précédents. C'est parfaitement exact. Il y en a à gauche, surtout durant les années 1981-1983, et il y en a de nombreux à droite, y compris dans les années récentes. Oui, mais, mes chers collègues, la grande différence entre la période précédente et la période actuelle,...
M. Patrice Martin-Lalande. C'est vrai qu'il y a une différence !
M. Laurent Fabius. ... c'est que désormais, en particulier grâce à l'initiative de notre président, il n'y a plus qu'une session unique ! Donc, l'argument tiré de l'impossibilité de prolonger les débats au-delà des sessions ordinaires ou celui tiré de l'urgence qui nous empêcherait de débattre ne tiennent plus.
De sorte que - je ne pense surprendre personne en disant cela - la publication du recours aux ordonnances n'est à trouver ni dans l'urgence, ni dans je ne sais quel précédent, mais bien évidemment dans la situation politique qui est aujourd'hui celle du pays, et, en particulier, dans un certain nombre de discussions qui ont eu lieu et qui ont peut-être encore lieu au sein de la majorité parlementaire ! Je préférerais donc que les choses soient clairement posées et que, par la suite, on ne mette pas en avant des faux-semblants.
Il y a, m'a-t-il semblé, une difficulté de cohésion entre les sous-ensembles de la majorité parlementaire (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre)...
M. Georges Durand. Vous prenez vos désirs pour des réalités !
M. Jean Proriol. On verra tout à l'heure !
M. Laurent Fabius. ... et je pense que le recours aux ordonnances permet d'éluder ce problème.
Sur le fond (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de 1'Union pour la démocratie française et du Centre), ce que beaucoup d'entre vous disaient lorsque la gauche avait recours aux ordonnances, ce que beaucoup d'entre nous disions lorsque la droite utilisait la même procédure reste parfaitement valable, et encore plus lorsqu'il s'agit d'un sujet aussi essentiel que celui que nous discutons : rien ne peut remplacer le travail précis de nos commissions parlementaires, rien ne peut remplacer le travail précis et pointilleux de l'Assemblée nationale et du Sénat. C'est pourtant ce que rendra impossible le recours aux ordonnances. Aussi, je m'élève contre cette procédure particulièrement inopportune, alors même que vous prétendez rendre au Parlement un peu plus de pouvoir en matière de contrôle des dépenses sociales. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Sur le fond, je pense que chacun d'entre nous sera d'accord pour reconnaître - cela a été le cas pendant deux jours - l'importance du sujet, non pas seulement parce que la protection sociale est un élément essentiel d'égalité et de solidarité nationale, mais aussi parce qu'elle est un élément essentiel de la liberté. C'est uniquement si la protection sociale est assurée que les personnes, les familles peuvent, par une mutualisation des risques, faire face aux aléas de la maladie, de la vieillesse et du chômage.
C'est pourquoi il est si important, en termes d'égalité et de liberté, que nous confortions cet élément central du pacte républicain qui s'appelle la protection sociale.
M. André Angot. C'est ce que vous n'avez pas fait !
M. Laurent Fabius. Mais, cela étant posé, il faut reconnaître que, par rapport aux objectifs ambitieux de 1945, par rapport au préambule de la Constitution de 1946, qui déjà en définissait les termes, notre protection sociale souffre aujourd'hui de plusieurs défauts, de plusieurs insuffisances qu'avec vos mots vous avez soulignés, monsieur le Premier ministre.
D'abord, il y a une inégalité, une injustice criante. Plusieurs orateurs l'ont citée au cours de ces deux jours : l'espérance de vie diffère de neuf ans entre un ouvrier et un cadre, aujourd'hui, en France, en 1995 !
De même, il y a des insuffisances également criantes en matière d'efficacité. Vous ne les avez pas rappelées, mais d'autres l'ont fait : alors que la moyenne des remboursements se situe en Europe aux alentours de 85 p. 100, elle est en France de 73 p. 100 seulement ! Ce n'est donc plus de préserver une situation qu'il s'agit, mais bien de combler un retard.
Et lorsque l'on ajoute à tout cela que le plan que vous nous présentez est le dix-neuvième plan depuis 1967 (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre)...
M. André Fanton. Pas vous !
M. Laurent Fabius. ... et que, d'une année sur l'autre - pour ne pas vous gêner je prendrai comme références les années 1994 et 1995 -, les dépenses de santé ont augmenté dans des proportions telles que cela équivaut presque à la moitié du budget de l'enseignement supérieur, on voit bien que ni l'égalité, ni l'efficacité, ni la maîtrise ne sont aujourd'hui assurées.
M. Gratien Ferrari. Nous l'avons dit !
M. Laurent Fabius. Les propositions que vous nous avez faites, monsieur le Premier ministre, visent - tout au moins je les ai comprises ainsi - à y remédier. Aussi, afin que les choses soient claires entre nous, vais-je, passant en revue les différents risques, confronter vos propositions et les nôtres. Même si l'information est fraîche, j'espère ne pas déformer la réalité.
La branche famille d'abord. Il est évident qu'un problème se pose dans ce domaine, compte tenu à la fois de la démographie et des déséquilibres financiers. Nombreux sont ceux qui sur ces bancs souhaitent réagir.
La première réaction concrète que vous nous annoncez, monsieur le Premier ministre, si j'ai bien suivi, est d'abord le gel des prestations familiales pour 1996, à quoi il faut ajouter, sauf erreur de ma part, une amputation que vous n'avez pas précisée dans son détail de 2,5 milliards de ces mêmes prestations familiales.
Mais allons plus loin. Vous nous dites : pour le moment, ne changeons rien, mais l'idée à laquelle je réfléchis et que je proposerai le moment venu à l'Assemblée est celle de la fiscalisation. Je sais bien qu'il s'agit d'une question complexe, mais je veux dire, d'entrée de jeu, que sur cette question, nous ne pourrons pas être d'accord avec vous.
Pourquoi ? D'abord parce que la fiscalisation présentera, quelles que soient ses modalités, l'inconvénient de rendre imposables des dizaines, voire des centaines de milliers de contribuables qui aujourd'hui ne le sont pas, avec les conséquences annexes qui ne manqueront pas de s'y attacher - beaucoup sont maires parmi nous et pourraient les énumérer -, notamment la cessation de la gratuité pour toute une série de services publics et des répercussions en chaîne sur la taxe d'habitation. Les « économies » que, le cas échéant, cela
permettra de faire sur le budget de l'Etat ne seront pas nécessairement réinvesties le moment venu dans la politique familiale, qui en a pourtant tant besoin.
C'est pourquoi, monsieur le Premier ministre, nous préférerions pour notre part une modulation des allocations familiales. Pendant longtemps, on a pu défendre l'idée qu'il fallait une uniformité des prestations, quelles que soient la situation de fortune et les ressources de ceux à qui elles étaient servies. Oui mais voilà, nous sommes entrés, depuis déjà pas mal de temps - et cela ne se terminera pas demain - dans une période où l'argent public est rare. Et, dès lors, il faut avoir l'honnêteté de reconnaître que les sommes allouées à des familles à hauts ou à très hauts revenus, qui n'en ont pas nécessairement besoin, seront de fait prises à des familles très modestes ou appartenant à des classes moyennes, qui en ont terriblement besoin.
Notre proposition, qui fixe un seuil assez élevé, à 30 000 francs de revenu mensuel net ou davantage, vise à moduler les prestations familiales, non pour procéder à des économies, mais, même si un redéploiement est nécessaire, pour permettre d'enclencher la prestation dès le premier enfant. Avec l'aménagement du temps de travail et une politique d'équipements publics, cela complétera la grande politique familiale qui est nécessaire et dont les décisions que vous nous annoncez, en particulier le gel des prestations familiales, laisse mal augurer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Je m'attacherai à être très précis sur la deuxième question, qui concerne le régime vieillesse. Vous avez, monsieur le Premier ministre, dans un propos très ramassé et très dense, abordé une série de points. J'en ai relevé trois qui nous différencient et même nous opposent.
Le premier concerne la prestation autonomie, ou prestation dépendance, tombée au feu des divisions majoritaires. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. - « Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Vous avez tous entendu, mes chers collègues, M. le Premier ministre nous expliquer que cette prestation autonomie, jugée hier soir, à cette tribune, indispensable par M. Barrot, ministre des affaires sociales, ne serait pas mise en oeuvre avant le 1er janvier 1997. (Applaudissements sur la bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.) Nous continuons à considérer que cette prestation est indispensable. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République).
Mme Suzanne Sauvaigo. Pourquoi ne l'avez-vous pas créée ?
M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues !
M. Laurent Fabius. Je comprends que ce que je dis vous égratigne.
Nous estimons qu'il ne faudra pas introduire de différences entre les départements en fonction de leur richesse. Néanmoins, cette prestation est une nécessité, rappelée par tous et, donc, pour la mettre en oeuvre, le plus tôt, qui, si j'ai bien compris, ne sera pas le 1er janvier 1996, sera le mieux.
Le deuxième point de différence entre nous concerne les quelques mots - je ne sais s'ils sont explicites ou sibyllins - que vous avez prononcés à propos de la répartition et de la capitalisation. Vous avez réaffirmé avec solennité, faisant référence aux propos de M. le Président de la République, votre attachement fondamental à la répartition. Mais, immédiatement après, vous nous avez confirmé qu'au mois de janvier de l'an prochain seraient examinés par notre assemblée des propositions de loi ou un projet de loi qui, quel qu'en soit le titre, signifient l'ouverture de la capitalisation.
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Et alors ?
M. Jean-Louis Goasduff. Nous sommes là pour faire des propositions !
M. Laurent Fabius. Aujourd'hui, les gens se posent légitimement des questions sur leur retraite telle qu'elle est établie, c'est-à-dire par répartition. En effet, l'équilibre du régime est difficile. Certains, pris isolément, pensent, parce que c'est séduisant, qu'ils peuvent compléter leur retraite en cotisant à un fonds de capitalisation. Oui mais voilà, si l'on additionne tous les individus pour en faire ce qu'on appelle la collectivité nationale, on comprend que, comme le système de répartition n'est pas équilibré, et que son futur est incertain, tout ce qui sera consacré à la capitalisation sera prélevé sur l'épargne disponible pour la répartition. Cela signifie, qu'on le veuille ou non, que, si l'on ouvre le champ, profitable pour certains, de la capitalisation, un système de retraite à deux vitesses s'instaurera en France, et la répartition en supportera les conséquences. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la république et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Sur la question des régimes spéciaux, que vous avez abordée en quelques phrases, les mots que vous avez prononcés nous inquiètent hautement. Vous avez immédiatement fait ressortir, reprenant un discours qui avait été abandonné il y a seulement peu de temps, les avantages, pour vous illégitimes, des fonctionnaires. Vous avez parlé du passage de 37,5 annuités à 40 annuités sans ajouter immédiatement - pourtant, vous êtes, comme moi, fonctionnaire - que les primes ne sont pas prises en compte dans la base de la retraite future. Mais vous nous avez inquiétés davantage encore lorsque vous avez pris comme exemple de ce qu'il faudrait faire à l'égard des fonctionnaires de l'État le régime de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, dont tous les élus ici présents savent à quel point elle est déséquilibrée. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la république et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Mme Suzanne Sauvaigo. A cause de vous !
M. Francis Delattre. Evidemment ! Vous l'avez ponctionnée !
M. Laurent Fabius. Si, pour des raisons que je ne connais pas,- vous vouliez porter atteinte à ce qui est un élément du statut des fonctionnaires - le pacte entre leur employeur, l'État, et eux-mêmes qui ont décidé de le servir -, vous créeriez des difficultés considérables. Nous sommes partisans de la transparence, mais nous refusons qu'on fasse une fois de plus des fonctionnaires les boucs émissaires des difficultés de la société française. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre).
Le troisième point que je veux évoquer commence par un rapprochement de nos positions et finit par une divergence. Il s'agit du problème de la santé et de l'assurance maladie. Mes collègues du groupe socialiste, radicaux de gauche et moi-même avons entendu avec ravissement, avec délices, prononcer des mots qui, il y a quelques années, ont déclenché des cortèges de médecins et d'autres professions, à la tête desquels beaucoup d'entre vous, se trouvaient, mes chers collègues de la majorité.
M. Didier Boulaud. Ils ont la mémoire courte !
M. Laurent Fabius. Vous nous avez parlé de codage des actes, de références médicales opposables, d'informatisation des cabinets médicaux, de coordination des hôpitaux, de ceci, de cela. C'est, mot pour mot, les dispositions de la loi Teulade, dont les décrets n'ont pu être pris parce que le RPR et l'UDF s'y sont opposés avec énergie entre 1993 et 1995.
(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Mais, après tout, je ne peux qu'être satisfait que des idées émises bien avant nous par les organisations mutualistes et par beaucoup d'autres rassemblent désormais autour d'elles votre majorité, même si c'est tardif. Bravo !
De même avons-nous noté avec plaisir - mais encore faudra-t-il voir le contenu car le diable est dans les détails, et, des mots, on en entend beaucoup ! - votre engagement en faveur de l'universalité de la protection maladie. Nous avons également pris acte de votre intérêt - c'était un peu plus allusif - pour la prévention, qui est évidemment fondamentale en France et doit d'abord concerner les étudiants, puis les médecins, ainsi que de votre intérêt pour la médecine du travail et la médecine scolaire.
Tour cela ne peut que nous rassembler. Et comme il s'agit de points très importants, que nous développons depuis longtemps en exposant nos thèses (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre), je ne peux que m'en réjouir. Autant, sur d'autres points, j'ai insisté sur les différences qui nous séparaient, autant, sur ce point, je vous dis mon plaisir que vous nous rejoigniez. Encore faudra-t-il traduire cela en actes ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Au-delà de l'accueil enthousiaste réservé à certaines de vos propositions, lorsque vous envisagez de modifier la rémunération des médecins, d'avoir recours à titre expérimental - il ne faut choquer personne - à un système de forfait, et pas seulement à la médecine à l'acte, bref, lorsque vous mettez en cause, même si c'est timidement, le système du laisser-faire, en vertu duquel les dépenses sont libres et les chèques payés par la sécurité sociale, et finalement par les assurés sociaux, vous nous trouverez à vos côtés - ou
vous serez aux nôtres, je ne sais -, mais il n'y a aucune raison pour créer une différence là où il n'y en a pas.
Quant aux modifications de structures que vous avez ébauchées, il faudra les étudier dans le détail, voir comment elles seront appliquées. Des structures régionalisées ? Pourquoi pas ! Quant à la gestion des caisses, si nous avons bien compris, vous mettez fin à un certain paritarisme puisque le Gouvernement prévoit de faire siéger dans leurs conseils, selon des conditions qui restent à définir - et, malheureusement, vous procéderez par ordonnances -, des représentants des syndicats, des patrons, des personnalités qualifiées,
peut-être des parlementaires.
Nous ne nous prononçons pas a priori, nous jugerons sur pièces. Mais nous ne pourrons pas corriger le cours des choses puisque, je le répète, tout cela se fera par ordonnances.
De même, nous n'avons pu qu'enregistrer avec plaisir ce que vous nous avez dit sur la modification des fondements mêmes du prélèvement dans les entreprises. Chacun sait que le travail est malheureusement en train de se modifier, qu'il fuit, et qu'il faut donc trouver des bases susceptibles de mieux assurer le prélèvement dans l'avenir. Vous avez évoqué la prise en compte de la valeur ajoutée et du résultat brut d'exploitation. Certains feront d'autres propositions. Comme nous défendons cette suggestion depuis longtemps, nous ne
pourrons que vous accompagner lorsque vous traduirez cette idée dans les faits.
Disant cela, j'arrive à la question clef, celle du financement.
Pendant le court délai offert par la suspension de séance - une petite demi-heure - , nous avons fait procéder à une évaluation par des experts, certainement excellents ; peut-être, d'ailleurs, étaient-ce les mêmes que les vôtres. (Sourires.) Nous n'avançons donc pas n'importe quels chiffres.
Je veux d'abord éliminer un faux débat, celui de l'établissement de ce qu'un autre a appelé les responsabilités 50 milliards pour le déficit de 1988-1992 et 180 milliards pour celui de 1993-1995.
Pour l'apurement des déficits, vous avez pris - c'est une controverse plutôt interne - le chiffre de 230 milliards de francs. Pour faire bonne mesure, vous l'avez arrondi à 250 milliards. Non, monsieur le Premier ministre : c'est de 120 milliards qu'il s'agit ! Car, pour ce qui est du reste, le gouvernement de M. Balladur avait augmenté la CSG pour apurer les dettes. Si je comprends bien, vous voulez donc instaurer une cotisation pour apurer des dettes qui étaient déjà apurées. Restons dans les limites de l'épure : ce n'est pas de 250 milliards qu'il s'agit mais de 120 milliards.
Qu'est-ce que cela représente et qui paiera ? En année pleine, le prélèvement sera compris entre 47,5 milliards et 57,5 milliards. Et ce n'est pas pour après-demain, comme les réformes de structures, c'est pour tout de suite !
Les familles qui s'intéressent à nos débats ou les personnes seules seront sensibles aux chiffres que je vais indiquer. Ils ne figuraient pas dans vos propositions car vous ne pouviez pas tout dire, mais, concrètement, avec votre plan, pour une personne retraitée qui vit seule et dont le revenu mensuel est de 5 000 francs - nous en connaissons beaucoup dans nos circonscriptions, cela fait un revenu annuel de 60 000 francs -, l'effet de la contribution dédiée au cantonnement de la dette sera de 0,5 p. 100, soit 300 francs, et l'effet de la cotisation maladie pour 1996 de 1,2 p. 100, soit 720 francs. Total : 1 020 francs.
Perte de pouvoir d'achat pour cette personne qui gagne 5 000 francs : 1,7 p. 100 au titre de la première tranche. Si, comme vous l'avez laissé entendre, vous étendez l'assiette de la CSG à cette catégorie qui n'entre pas dans les minima sociaux, cela fera encore 1 440 francs, donc 2 460 francs au total.
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. Par an !
M. Laurent Fabius. Enfin, cette personne qui perçoit 5 000 francs payera à nouveau 1,2 p. 100 au titre de la cotisation maladie car M. le Premier ministre a proposé - peut-être ne l'avez-vous pas entendu - 1,2 p. 100 en 1996 et à nouveau 1,2 p. 100 en 1997. Cela signifie que le retraité dont je parle payera, avec ces dispositions, 3 180 francs de prélèvements supplémentaires...
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. Par an !
M. Laurent Fabius. ... par an, c'est-à-dire qu'il perdra 5,3 p. 100 de son pouvoir d'achat.
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. Vos calculs sont faux !
M. le Premier ministre. Vous êtes embarrassé !
M. Laurent Fabius. J'ai insisté sur trois aspects. D'abord sur la justice. Vous avez pris, il y a peu de jours, la décision d'augmenter le forfait hospitalier. Coût 2 100 francs par mois.
M. le Premier ministre. Mais 2 100 francs pour qui ?
M. Laurent Fabius. Pour ceux qui restent un mois à l'hôpital !
M. Charles Fèvre. C'est laborieux !
M. Laurent Fabius. Il y a lieu de m'écouter attentivement, monsieur le Premier ministre, compte tenu de ce que je vais dire sur la justice de cette mesure.
Alors que les gens qui n'ont pas des ressources importantes devront payer ce forfait hospitalier, l'article 6 du projet de loi de finances, que nous allons adopter demain, prévoit, à hauteur de 50 p. 100, une exonération des successions professionnelles, jusqu'à 100 millions de francs par personne.
Je pense que cela n'est pas conforme à la justice.
Eu égard à la situation très difficile de notre pays, effectuer un prélèvement de 50 milliards qui portera pour l'essentiel sur les ménages et très peu, quoi qu'on dise, sur les entreprises, y compris pharmaceutiques, revient à introduire un facteur récessif supplémentaire.
Mais la maîtrise de l'ensemble dépendra, comme je l'ai dit, des conditions d'application de ces mesures. Jusqu'à présent, vous en avez présenté les grandes lignes, nous verrons plus tard pour les détails.
Votre plan, monsieur le Premier ministre, est intéressant sur certains points concernant les structures (« Ah! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre) et lorsque vous reprenez, pour assurance maladie, des idées que la gauche défend depuis longtemps et que vous avez toujours combattues. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre. -
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Mais il représentera, pour tous les Français qui nous écoutent, en particulier pour les ménages les plus modestes, des prélèvements supplémentaires.
Je crains qu'il n'offre l'image d'un plan où l'on prélève beaucoup sans savoir si l'on parviendra, à terme, à équilibrer les systèmes de protection sociale qu'on entend conforter.
M. Adrien Zeller. Ce n'est pas vrai !
M. Laurent Fabius. Monsieur le Premier ministre, j'ai dit en commençant mon exposé que je vous voyais montant à cette tribune, il y a six mois, dans un autre contexte. Vous nous demandez aujourd'hui notre confiance. Nous sommes dans la même situation que la majorité des Français. Nous pensons qu'il faut défendre la protection sociale, qu'il faut la réformer. Mais, pour le faire, eu égard à votre bilan, nous n'avons pas confiance en vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Huées et exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz.
M. Maxime Gremetz. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les députés, chacun reconnaît la sécurité sociale comme un élément essentiel de la solidarité. Le plan du Gouvernement, que nous avons eu peu de temps pour étudier, se présente, derrière des apparences de justice et d'égalité, comme une remise en cause profonde du régime français de protection sociale.
Si annoncer l'égalité devant l'assurance maladie est juste, l'égalité et la justice n'existent pas dans le projet pour la retraite, puisque le Gouvernement prévoit d'augmenter les cotisations des retraités, de reporter l'application de l'allocation dépendance et de mettre en cause la retraite des fonctionnaires.
La justice est également absente pour les familles, qui seront durement frappées par l'imposition des allocations familiales et leur blocage en 1996.
Surtout, au nom de l'équité, le Gouvernement, au moment où il privatise Pechiney, veut procéder à une étatisation-régionalisation des décisions contre les usagers eux-mêmes. La démocratie, ce serait, monsieur le Premier ministre, de procéder tout de suite à des élections aux différentes caisses. Au contraire, votre objectif est de recomposer les directions des caisses par ordonnance, de manière à appliquer rigoureusement des économies de gestion programmées, notamment pour les hôpitaux. Une réforme constitutionnelle
éloignera un peu plus les assurés de leur sécurité sociale, qui est leur bien commun, pour laquelle ils cotisent et qu'ils ont vocation à gérer.
Si vous insistez sur la qualité intangible des soins, vous n'en soumettez pas moins les médecins, à un contrôle individuel permanent et tatillon pour ajuster les rémunérations à un niveau de dépenses préétabli et sans rapport avec la situation des malades.
En ce qui concerne la réduction de la dette dans l'immédiat, s'il faut prendre en compte des mesures comme la contribution des laboratoires pharmaceutiques et le développement des médicaments génériques, la plupart des mesures épargnent les entreprises et frappent lourdement les salariés et les retraités. C'est le cas notamment de ce "remboursement de la dette sociale", une CSG bis au taux de 0,5 p. 100 sur tous les revenus, qui risque de durer bien plus de treize ans.
Assurer l'avenir de notre système de protection sociale, tel est bien l'enjeu du débat d'aujourd'hui. On peut l'aborder de deux manières : soit en posant la question du financement de la protection sociale comme moyen de répondre aux besoins de la population, soit en décidant a priori de réduire les dépenses. Pour notre part, nous faisons le choix de la première solution.
Chacun reconnaît aujourd'hui que les dépenses de santé, en raison même de l'allongement de la vie et des progrès scientifiques et technologiques, sont en progression. En quoi cela serait-il choquant ?
En quoi serait-il choquant d'augmenter les dépenses de la branche vieillesse alors que le nombre des retraités va croissant ?
En quoi serait-il choquant d'augmenter les dépenses de la branche famille pour répondre aux besoins et aux exigences du familles ?
En quoi serait-il choquant d'augmenter les dépenses de la branche accidents du travail et maladies professionnelles pour assurer une meilleure prévention dans l'entreprise et une meilleure réparation des risques professionnels ?
Vous, vous faites le choix de réduire les dépenses de la sécurité sociale. Si on vous laissait mettre en place votre réforme, ce serait, je le dis en pesant mes mots, un véritable recul de civilisation que vivrait notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste. - Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République.)
Ce serait le retour à l'accès aux soins en fonction de ses revenus, comme quand, avant 1945, un Français sur deux jouissait d'une protection sociale.
Ce serait le retour à l'aide sociale et non la reconnaissance du droit à élever ses enfants grâce aux allocations familiales.
Ce serait une rente versée à l'issue de la vie active, si on a pu épargner, et non le respect du droit à la retraite.
On nous avait annoncé un grand débat national sur l'avenir de notre système de protection sociale. Il a été réduit, tout le monde en convient, à un débat dont les assurés sociaux, les médecins, les organisations représentatives ont été exclus.
La richesse des auditions de la mission commune d'information sur la sécurité sociale témoigne du manque à gagner résultant, pour l'ensemble des partenaires, de l'absence d'un grand débat national. L'attachement des Français à la sécurité sociale - dont témoigne le succès de la journée d'action d'hier - vous aurait conduit, si ce débat avait été mené à l'échelle du pays tout entier, à tenir réellement compte des propositions formulées.
En effet, et c'est un phénomène nouveau, de plus en plus nombreux sont ceux qui contestent les choix de la finance au détriment de l'intérêt des hommes et du pays. Nous ne sommes pas les seuls à récuser une orientation qui tourne le dos aux engagements pris par le candidat Jacques Chirac. Rappelons ses paroles fortes : "Il n'est pas fatal que le travail soit plus taxé que le capital, que le coût de la protection sociale repose essentiellement sur des salaires qui stagnent." Mais au lendemain de sa rencontre avec le chancelier Kohl, M. Chirac explique que sa priorité est devenue la réduction des déficits, conformément aux critères d'austérité de Maastricht et aux recommandations du Fonds monétaire international.
M. Jean-Claude Lefort. Eh oui !
M. Maxime Gremetz. Quelles sont les raisons du déficit ?
M. André Gérin. La dictature de l'argent !
M. Maxime Gremetz. Et d'ailleurs, monsieur le Premier ministre, de quel déficit s'agit-il ? Car la majorité des organisations auditionnées en contestent l'ampleur et les causes.
La première de ces causes - que vous avez « oubliée » - est évidemment le chômage, qui prive aujourd'hui la sécurité sociale de 200 milliards de francs de recettes.
La relance économique sur des bases saines, pour stopper la progression du chômage, qui conduit à des situations de plus en plus dramatiques, passe par une augmentation du pouvoir d'achat.
Augmenter les salaires et le pouvoir d'achat de l'ensemble des prestations se traduirait par une relance de la consommation, donc de la production, et par des créations d'emplois.
Ne pourrait-on pas y consacrer une partie des 63 milliards de francs de profits réalisés par les entreprises et gaspillés dans la spéculation ? Augmenter d'au moins 1 000 francs les salaires inférieurs à 15 000 francs coûterait 200 milliards de francs et rapporterait 100 milliards supplémentaires à la sécurité sociale. Une augmentation de 1 p. 100 de la masse salariale accroîtrait les ressources de la sécurité sociale de 12 milliards de francs.
La deuxième raison du déficit, ce sont les exonérations de cotisations sociales consenties aux entreprises depuis vingt ans, au nom de l'emploi.
Et pourtant, le chômage ne cesse de s'amplifier. Les exonérations explosent en 1995 pour atteindre 50 milliards de francs, et 70 milliards sont prévus pour 1996. Au total, les exonérations atteindront 150 milliards en trois ans !
Les exonérations de cotisations sociales non compensées ont coûté, depuis 1989, 37,5 milliards de francs aux trois caisses nationales du régime général. Toutes les organisations syndicales et familiales ont relevé ce fait comme une des raisons du déficit. Nous proposons, pour notre part, de supprimer les exonérations et les aides accordées aux entreprises sans contrepartie en matière d'emploi.
M. André Gérin. Très bien !
M. Maxime Gremetz. Autre raison du déficit, relevée également par la Cour des comptes : le non-recouvrement des dettes patronales. Elles sont évaluées à une centaine de milliards de francs, dont 40 milliards récupérables immédiatement.
D'autres dépenses ne relevant pas de la sécurité sociale sont à sa charge. La gestion du RMI et de l'allocation aux adultes handicapés diminue d'autant ses ressources. Les charges indues supportées par l'assurance maladie sont évaluées à 50 milliards par Marc Blondel.
M. Daniel Colin. Ce n'est pas une référence !
M. Maxime Gremetz. Une réaffectation de ces sommes au budget de l'Etat semble, vous en conviendrez, nécessaire.
Et puis il y a les intérêts de la dette : par l'intermédiaire du Fonds de solidarité vieillesse, le remboursement à la Caisse des dépôts et consignations des intérêts dus par la sécurité sociale se chiffre à 6,7 milliards de francs pour 1994 et 1995. De 1996 à 2008, les intérêts et le remboursement de la dette seront de 12,5 milliards de francs par an. Au total, ce sont près de 180 milliards, dont plus de 60 milliards au titre des intérêts, qui seront mis à la charge des assurés. C'est ainsi que l'augmentation de la CSG en juillet 1993 avait été affectée au Fonds de solidarité vieillesse.
Les réformes que vous nous soumettez, monsieur le Premier ministre, relèvent de la même logique que celles mise en oeuvre jusqu'à présent : elles sont graves et dangereuses. Elles amplifient les dispositions qui ont conduit à la situation actuelle.
C'est le cas des exonérations, dont vous avez dit vous-même, lors du débat relatif au contrat initiative-emploi, qu'elles n'avaient jamais atteint une telle ampleur. Depuis vingt ans, on nous présente les mêmes recettes. Nous n'en voulons plus. Il faut changer, il faut réformer, il faut essayer autre chose que de toujours accentuer la pression sur les familles, les salariés, les chômeurs et les retraités, qui n'en peuvent plus.
La création d'un nouvel impôt, appelé remboursement de la dette sociale, va-t-elle permettre de s'attaquer aux causes réelles du déficit ? Cet impôt va-t-il mettre à contribution les revenus financiers, les placements spéculatifs, l'argent qui dort ? Non puisque vous envisagez en fait de taxer une nouvelle fois les salariés et les retraités, qui financent déjà à 93 p. 100 la CSG, quand le capital n'y contribue qu'à 7 p. 100.
Une augmentation de la CSG, comme la création d'un nouvel impôt ponctionnant les familles de 30 milliards de francs, aggravera une nouvelle fois la vie des gens. Ce sera une nouvelle injustice qui accentuera la fracture sociale. Cette mesure ne fera que ralentir encore la consommation, et donc l'emploi.
On nous répète avec constance qu'il faut abaisser le « coût » du travail, que les « charges » sociales sont trop lourdes. La mission parlementaire en a discuté longuement. De nombreux interlocuteurs ont jugé que nos cotisations sociales se situaient dans la moyenne des pays industrialisés.
Même Jean Gandois, le président du CNPF reconnaît, au nom de l'Institut de l'entreprise, que « la baisse du coût du travail n'aurait pas un rôle décisif dans l'amélioration de l'emploi ».
M. Jean-Michel Dubernard, Gandois-Gremetz, même combat ! (Sourires.)
M. Maxime Gremetz. Eh oui !
Une brochure du ministère de l'économie et des finances, intitulée Sept raisons d'investir en France, indique que les coûts salariaux en France sont les plus bas des onze pays les plus industrialisés et les plus riches. Le taux de l'impôt sur les sociétés - faut-il le rappeler ? - est passé de 50 à 33 p. 100.
Toutes les organisations auditionnées par la mission d'information ont proposé avec force, sous des formes diversifiées, de ne pas faire cotiser uniquement les salariés.
L'exclusion des revenus du capital et des revenus financiers du financement de la sécurité sociale a été soulignée.
Au lieu de reconduire et d'amplifier des mesures qui ont déjà été utilisées, nous faisons d'autres propositions. Comme le suggère l'ensemble des organisations syndicales dans leur déclaration commune, pourquoi ne pas créer une cotisation sociale sur les revenus financiers qui ne sont pas réinvestis socialement ? Une telle mesure - dont vous ne voulez pas entendre parler parce que vous ne voulez pas toucher au capital - rapporterait immédiatement 77 milliards de francs à la sécurité sociale.
Plusieurs intervenants auditionnés par la mission commune ont également insisté sur la nécessité de taxer le capital.
Des ressources nouvelles permettraient de faire évoluer la sécurité sociale pour répondre encore mieux aux besoins.
Dans un pays où les richesses s'accroissent, où le progrès scientifique étend les chances de guérison à de nouvelles maladies, vous ne voyez que par la réduction des dépenses de santé, sous prétexte qu'elles sont en augmentation constante. Or des organisations de médecins, lors de leur audition, ont noté qu'aucune étude ne permettait de dire qu'elles augmentaient plus vite que dans d'autres pays. Même l'Observatoire français des conjonctures économiques indique que « l'augmentation du volume de la consommation médicale tend à
se rapprocher spontanément de celle du PIB potentiel ». Et l'OFCE poursuit : « Si des économies entraînent un rationnement des soins pour une partie de la population ou une baisse de la qualité des services rendus, alors le résultat pourrait être socialement négatif, sans gains macro-économiques significatifs. »
S'il s'agissait de faire des économies et de supprimer des gaspillages, nous serions pour ! Mais s'agit-il de cela ?
Ce que vous préconisez, c'est la réduction des dépenses remboursables.
Vous aviez envisagé d'instaurer une franchise de 5 ou 10 francs sur les ordonnances, ce qui aurait réduit encore l'accès aux soins.
M. le Premier ministre. Je ne l'ai pas fait !
M. Maxime Gremetz. Mais vous l'aviez envisagé ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Vous aviez envisagé cette mesure, alors que déjà un Français sur quatre renonce à se soigner pour des raisons financières. Vous n'avez pu maintenir une telle proposition devant la protestation justifiée des assurés. Vous avez dû reculer. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe communiste.)
La mise en place d'un carnet de santé pour tous pourrait s'avérer une bonne chose, si son objectif essentiel n'était pas de rationner les soins.
Le gel des honoraires médicaux en 1996, sil était maintenu, remettrait en cause l'idée même de convention médicale, laquelle, tout en permettant un accès aux soins de qualité pour tous, assurait à l'origine des revenus décents à tous les médecins.
Le refus de voir disparaître les acquis de la Libération n'est pas, comme certains veulent bien le dire, la défense de certains privilèges. Ce qui est en jeu, c'est l'existence même de notre sécurité sociale, que vous faites mine de défendre, mais dont vous poursuivez le démantèlement, entamé depuis une dizaine d'années.
En effet, après la séparation des branches, mise en oeuvre par le gouvernement de M. Balladur, et après les mesures que vous préconisez, ne resterait en place qu'une sécurité sociale minimale pour les plus démunis, le reste de la population étant livré aux compagnies d'assurances privées, qui lorgnent avec envie sur les 2 000 milliards de francs que représente le marché de la protection sociale.
Alors que le droit à la santé, aux allocations familiales, à la retraite et à la prise en charge des accidents du travail et maladies professionnelles avait été institué dans un pays ravagé par la guerre, il faudrait, cinquante ans plus tard, renoncer à ces acquis.
L'augmentation du forfait hospitalier et la diminution du budget des hôpitaux se traduiront par de nouvelles difficultés pour les malades. Votre décision de porter le forfait hospitalier à 70 francs, annoncée au moment même de la Journée mondiale du refus de la misère, ne pourra que renforcer l'inégalité devant l'accès aux soins.
M. Nicolas Forissier. Moins que ne l'ont fait les socialistes en 1991 !
M. Maxime Gremetz. Déjà, des dizaines de milliers de malades à travers la France font l'objet de mesures de saisie, parce qu'ils ne peuvent payer les frais d'hospitalisation.
L'Assistance publique de Paris a expédié, en 1994, 34 000 lettres de commandement à des malades. Des milliers de familles se voient saisir les prestations familiales pour le paiement de dettes alimentaires, constituées pour une bonne part par le forfait hospitalier. Nous proposons de supprimer le forfait hospitalier. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe communiste.)
M. Jean-Michel Dubernard. Ce n'est pas sérieux !
M. Maxime Gremetz. Mais si, c'est très sérieux et c'est même une idée moderne !
En voulant imposer l'abaissement du taux directeur des hôpitaux, vous réduisez leurs moyens de 7 milliards de francs.
Comment justifier les attaques contre l'hôpital sous prétexte qu'il représente la moitié des dépenses de la sécurité sociale ? Comme l'indiquait le secrétaire général de la CGT lors de son audition par la mission commune, le secteur hospitalier est constitué de 2 700 établissements pour le secteur privé et de 1 000 établissements pour le secteur public.
Le service public hospitalier représente un pilier essentiel de notre système de soins, associé à la médecine libérale. Grâce à ses investissements, financés par la sécurité sociale, notre pays est à la pointe de la recherche dans certains domaines, comme le laser.
La suppression de dizaines de milliers de lits, la fermeture d'hôpitaux et de maternités remettent gravement en cause le droit de chacun à être soigné dans de bonnes conditions.
La décentralisation devrait au contraire permettre de répondre au plus près aux besoins des gens.
Au lieu de porter des coups à l'hôpital, nous proposons au contraire de lui donner des moyens supplémentaires pour mieux assurer ses missions. Faire le choix de la santé coûte cher ! Mais pas plus sans doute que les gâchis que représentent les prix exorbitants de certaines spécialités pharmaceutiques ou la facturation en double de séjours dans certaines cliniques privées, qui jouent sur les entrées et les sorties. Les grands groupes pharmaceutiques sont parmi les cinquante entreprises qui réalisent les plus belles marges bénéficiaires.
Ces propositions, je vous le dis, seraient autrement plus efficaces que les vôtres pour le bien-être de la population et l'avenir du pays.
M. Nicolas Forissier. Quel discours hallucinant !
M. Maxime Gremetz. L'augmentation de la cotisation maladie des retraités est également une mesure injuste.
L'évolution des cotisations sociales a profité au grand patronat. La part salariale a en effet progressé de 14,86 p. 100 à 20,25 p. 100, pendant que la part patronale, issue elle-même des richesses créées par les salariés a diminué de 34,6 p. 100 à 30,28 p. 100.
Il est question d'élargir l'assiette des cotisations. Mais à qui ? Au capital ou une nouvelle fois à ceux qui, déjà, ne peuvent plus payer?
Nous proposons de diminuer la part salariale et d'augmenter la part patronale, en modulant les cotisations sociales en fonction de la politique de l'emploi suivie - favoriser les entreprises qui créent des emplois, pénaliser celles qui licencient - et en prenant en compte la valeur ajoutée créée.
Les retraités ont cotisé toute leur vie professionnelle à la caisse vieillesse. Pourquoi devraient-ils être encore une fois pénalisés ? Doit-on pénaliser les retraités de l'augmentation fabuleuse de l'espérance de vie ?
Le président de la Caisse nationale d'assurance vieillesse, lors de son audition, était d'avis que ce n'est pas un changement de technique qui permettra de régler les problèmes rencontrés. Effectivement, des mesures doivent être mises en oeuvre pour prendre en compte l'allongement de la durée de vie, la réduction du temps de cotisation, due notamment à la prolongation des études et au chômage.
Il faisait également remarquer que la France est le pays d'Europe dans lequel le taux d'activité des cinquante-soixante ans est le plus faible. Il est tout de même paradoxal que les salariés les plus âgés ne soient plus en activité et qu'en même temps des mesures soient prises, qui conduisent à reculer l'âge de départ à la retraite.
Pour toute réponse à cette question qui appelle des solutions neuves, vous voulez augmenter les cotisations vieillesse.
Il faudrait également aligner la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle du régime général.
Encore une fois, pourquoi ne pas inverser cette logique qui tend à niveler par le bas, et abroger les dispositions du gouvernement de M. Balladur qui ont fait passer la durée de cotisation de trente-sept annuités et demie à quarante.
Abaisser l'âgé de la retraite à soixante ans pour tous, à cinquante-cinq ans pour les femmes et les salariés ayant effectué des travaux pénibles, porter le montant de la pension à 75 p. 100 du salaire, augmenter les pensions de 600 francs sont des aspirations légitimes qu'il est possible de financer.
De telles mesures seraient plus justes et plus efficaces que la capitalisation, ardemment souhaitée par les compagnies d'assurances pour accroître encore plus leurs profits.
L'abandon de la prestation autonomie que certains parlementaires proposent, que vous proposez, monsieur le Premier ministre, irait à l'encontre des aspirations des personnes âgées. Il s'agissait de l'un des grands projets sur lesquels votre gouvernement s'était engagé. Si vous y renonciez cela serait insupportable pour nombre de familles, d'autant que les structures d'hébergement, déjà en nombre insuffisant, sont à des prix inabordables pour la majorité des personnes concernées.
Comme la Caisse vieillesse et la plupart des organisations et associations concernées, nous pensons que cette prestation relève de la sécurité sociale. La dépendance n'est qu'un aspect du vieillissement. C'est un risque qui doit être reconnu en tant que tel.
Quant à la branche famille, imposer les prestations familiales se traduirait par des difficultés accrues pour les familles. Mon amie Janine Jambu est intervenue sur cette question. Je ne m'y étendrai pas.
La non-revalorisation des allocations familiales au 1er janvier et votre volonté de les soumettre à l'impôt aggraveront encore les difficultés des familles. En les taxant une nouvelle fois sous prétexte de vous en prendre aux catégories aisées, 2 900 000 familles seraient touchées par cette mesure, dont 300 000 deviendraient imposables.
Je terminerai par la branche accidents du travail et maladies professionnelles dont on parle en général peu.
Pourtant, le principe édicté il y a cinquante ans est toujours d'actualité. En faisant financer les accidents du travail et les maladies professionnelles par ceux qui en sont responsables, il incitait ces derniers à prévenir plutôt qu'à guérir. Il dégageait, dans le même temps, le régime général de frais ne lui incombant pas.
L'aggravation des conditions de travail, l'intensification des rythmes du travail, se traduisent par une augmentation des accidents du travail et des maladies professionnelles. Et encore les pressions exercées par le grand patronat à l'égard des victimes conduisent-elles à une sous-estimation.
Si l'origine professionnelle des cancers professionnels était reconnue, 30 milliards de francs actuellement payés par l'assurance maladie le seraient par la branche accidents du travail et maladies professionnelles, financée exclusivement par les employeurs.
Parce que les Français sont attachés à la sécurité sociale, vous affirmez vouloir la défendre, monsieur le Premier ministre. Mais, au nom de ces principes, vous voulez faire accepter, comme les gouvernements précédents, des ponctions supplémentaires et des mesures conduisant à son démantèlement. Le refus de taxer le capital vous conduit à attaquer encore plus le pouvoir d'achat des familles, qui sera diminué de 200 francs à 400 francs par mois.
Le choix que vous faites aujourd'hui d'engager la responsabilité de votre gouvernement est significatif des difficultés que vous rencontrez pour faire adopter votre projet. La majorité vous donnera, je n'en doute pas, un chèque en blanc pour légiférer par ordonnances et éviter un grand débat public. Cette procédure est antidémocratique et inacceptable.
Toutefois les Français ne vous laisseront pas casser la sécurité sociale, comme ils se sont opposés aux ordonnances de 1967. L'accord historique signé entre toutes les confédérations syndicales en témoigne. Elles peuvent compter sur nous pour être à leur côté afin de la défendre et de la promouvoir.
Avec l'ensemble des syndicats, des mutuelles, des organisations de médecins, nous allons poursuivre le débat dans la voie du rassemblement de tous ceux qui ne veulent pas que l'on traite la maladie et les retraites comme une marchandise.
Nous contribuerons à la rénovation de la sécurité sociale, à sa modernisation, non pour limiter son champ d'application, mais, au contraire, pour qu'elle réponde encore mieux aux besoins de notre temps. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Péricard.
M. Michel Péricard. Monsieur le Premier ministre, rude constat, rude réalité, projet réaliste, courageux, équitable, réforme en profondeur, voilà les mots que j'ai envie de prononcer d'entrée de jeu en m'exprimant devant vous au nom du groupe RPR.
Ce n'est pas à vous que j'apprendrai, monsieur le Premier ministre, que l'engagement politique de tous les gaullistes se fonde sur la foi inébranlable dans la capacité séculaire de la France à se redresser. Cette capacité, il vous revient, il nous revient de l'assumer aujourd'hui, et c'est avec courage que nous le ferons, puisqu'il s'agit de l'un de nos biens les plus chers, la solidarité.
M. Arnaud Lepercq. Très bien !
M. Michel Péricard. La protection sociale est inséparable de nos principes républicains. Là est l'enjeu véritable ; là se condensent l'exemplarité de notre système et les valeurs qui fondent sa pérennité.
Pour relever ce défi de la reconstruction du pacte républicain, nous sommes aujourd'hui à vos côtés, monsieur le Premier ministre, et nous serons, dans deux ans, prêts pour le rendez-vous avec les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
L'urgence et l'importance d'une réforme de la sécurité sociale, cela fait des années que tout le monde en parle, ici en particulier. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Cela fait des années que l'on répète une litanie bien connue, sans jamais opérer les choix et les arbitrages qui s'imposent. (" Très bien ! " sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Ce débat solennel, sur lequel vous engagez aujourd'hui la responsabilité de votre gouvernement, vous nous l'avez promis au nom de la transparence. Vous nous avez demandé aussi de vous renouveler notre confiance, car vous avez saisi la hauteur capitale et vitale des enjeux qui déterminent l'avenir de la société française. Nous partageons cette analyse avec vous.
La véritable ferveur qui s'est manifestée dans les rues de Paris le 7 mai dernier à l'annonce de la victoire de Jacques Chirac, de la part, notamment, de nombreux jeunes et d'adolescents, fut sans précédent.
Si l'on parvient à comprendre les sources de cet espoir, qui est avant tout un espoir moral, peut-être appréciera-t-on avec plus de précision et de justesse les "fractures" de la société française. Alors seulement il nous sera possible de comprendre le bien-fondé de la politique que vous nous proposez aujourd'hui de soutenir.
Votre rôle, monsieur le Premier ministre, est d'accomplir les réformes dont le Président de la République, Jacques Chirac, a annoncé et fixé l'esprit. Vous pouvez, à cette fin vous appuyer, vous le savez, sur les députés gaullistes, sur tous les députés gaullistes ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Le débat a eu lieu. Il fut intense mais nous sommes aujourd'hui rassemblés comme toujours, dès que l'intérêt supérieur du pays est en jeu. Or il est aujourd'hui en cause ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Parmi les quatre chantiers prioritaires que vous avez fixés à votre gouvernement, après les mesures d'urgence des premiers mois, figure une réforme de structures - le mot, aujourd'hui, paraît particulièrement bien choisi - celle de la sécurité sociale.
Il s'agit d'assurer l'avenir de notre protection sociale parce qu'elle constitue la seule réponse possible au fléau de l'exclusion. Elle en est le seul antidote de nature à assurer à chaque Français des conditions de vie dignes et décentes.
La source de l'exclusion, nous le savons tous, est le chômage, qui gangrène le corps social, compromet tous nos équilibres économiques et financiers. Les élus gaullistes ont débattu, parfois avec passion, tant ils savent et mesurent l'urgence des problèmes et des enjeux. Après vous avoir attentivement écouté, et vous avoir répondu, comme vous avez pu le constater, ils vont, dans quelques instants, vous renouveler solennellement leur confiance unanime car vous avez décidé de rompre avec les politiques de facilité.
Là réside le véritable changement, celui qui consiste à se détourner résolument des politiques qui ont fait tripler le chômage en deux septennats. Là est le changement, dans un gouvernement qui applique une véritable politique de redressement social.
Après vous avoir écouté, monsieur le Premier ministre, nous nous sommes posé trois questions.
D'abord, l'effort demandé est-il justifié ? Nous répondons oui. Qui oserait encore sérieusement soutenir le contraire ? Le trou s'est transformé en un gouffre, en un abysse, dont plus personne n'ose mesurer la profondeur. Je ne joue pas inconsidérément avec la peur et je ne cite pas trop de chiffres destinés à effrayer, en décrivant des situations d'une gravité exceptionnelle. Néanmoins les chiffres que l'on connaît justifient la nécessité de l'effort. Que dis-je, ils accusent. Ces chiffres appellent et commandent notre action. Ils dictent la rigueur et je me félicite, avec toute la majorité qui vous soutient, monsieur le Premier ministre, que le Gouvernement s'engage à faire baisser le déficit de moitié en 1996, comme vous l'avez annoncé devant la représentation nationale, avec des mesures applicables dès le 1er janvier prochain.
Ne nous laissons pas troubler outre mesure par les slogans, les manifestations ou les menaces de M. Gremetz. Ceux qui vous critiquent, monsieur le Premier ministre, sont les mêmes qui ont voulu réhabiliter la dépense publique. Les Français ne sont pas dupes. Certains pyromanes se déguisent un peu trop vite en pompiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Deuxième question : l'effort demandé est-il légitime ? Là encore, la réponse est oui. Qui oserait le contester ?
L'évidence de cet effort s'impose à tous. Nous entrons dans une nouvelle phase du redressement de la France. Il nous faut donc revenir, au plus vite, à une situation d'équilibre de nos finances publiques et de nos comptes sociaux qui nous permettra de baisser les prélèvements obligatoires. Nous pourrons, à ce prix, tenir le double objectif que vous avez fixé : engager une réduction structurelle des déficits ; consolider les principes de justice et d'efficacité de notre système social.
Troisième question : l'effort demandé est-il équitable ? Nous vous répondons sans l'ombre d'une hésitation : oui il est équitable et l'équité n'est pas un vain mot.
Il y aura équité dans le principe de la généralisation et de l'universalisation de la couverture maladie. Tout notre système est fondé sur cette double ambition : unité et universalité. Tous les Français doivent en bénéficier. Il est donc équitable que l'effort soit partagé par la nation tout entière : par les actifs et par les inactifs, par les fonctionnaires et les salariés du secteur privé, car nous sommes tous des citoyens conscients et responsables.
L'équité sera également assurée pour le remboursement de !a dette, avec la contribution nouvelle, exceptionnelle et temporaire. Tous les revenus seront frappés, à l'exception des minimums sociaux et des produits d'épargne populaire. Dans un contexte financier terriblement contraignant, j'y vois une preuve de votre sincère volonté de justice. Elle est aussi la nôtre !
On voit encore l'équité, et surtout la lucidité, dans votre choix courageux et détermin?? de responsabiliser les acteurs du corps social : les professions de santé, par une maîtrise accrue des dépenses médicales et par la réforme hospitalière ; les assurés sociaux y compris les familles.
Attention, cependant, car la lucidité exige contractualisation et obligation de résultat !
C'est encore la lucidité qui vous a conduit à décider l'entrée en vigueur de la prestation autonomie au 1er janvier 1997. Monsieur le Premier ministre, vous connaissez notre attachement à cette prestation. Nous l'avons réitéré hier, au cours de notre réunion. Elle permettra de créer des milliers d'emplois.
Il faut une certaine surdité - je n'emploie pas de mot plus désagréable parce que l'intéressé n'est plus dans l'hémicycle - pour avoir entendu, comme M. Fabius, que cette prestation était abandonnée. Nous l'avons attendue, pendant quatorze ans. Ils peuvent donc l'attendre durant quelques mois. (Applaudissement sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.) Ce report semble raisonnable. Il est vrai que j'ai ressenti quelque gène dans les propos de l'orateur du groupe socialiste, au point qu'il a parfois été obligé de reconnaître les mérites de votre projet. Il a dû se retrancher derrière une laborieuse démonstration, inexacte naturellement, de ce que paierait un retraité disposant de 5 000 francs par mois. Il est vrai qu'il ne doit pas en connaître beaucoup. (Rires et applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Mme Véronique Neiertz. C'est honteux !
M. Michel Péricard. Dans son rapport annuel au Parlement, base du débat que nous avons eu depuis lundi dans cet hémicycle, votre gouvernement a clairement établi la gravité de ce qu'il appelle "la spirale d'endettement de la sécurité sociale". Pour garantir sa survie, il nous faut donc ramener le régime général à l'équilibre dès 1997.
Je ne reprendrai pas toutes les mesures de redressement énergiques que vous venez de détailler, monsieur le Premier ministre. Je constate simplement qu'il nous reste deux années pour équilibrer les comptes et prévenir l'implosion du système.
Votre pari est ambitieux et audacieux. Je crois pouvoir dire que, sur tous les bancs de cet hémicycle, nous refusons un énième plan de la sécurité sociale !
Vous avez opéré le choix courageux de la réforme de structures. L'effort sera donc partagé, selon une juste mesure de l'état gravissime de notre protection sociale, lequel nécessite des mesures équitables de redressement. Le paradoxe, mes chers collègues, est que, dans une situation de crise économique, le social menace de tuer le social. Il est cruel, car il aboutit à ce que les plus faibles pâtissent toujours en premier et le plus durement.
Le remède n'ira pas sans privations ni contraintes. Que chacun assume ses responsabilités ! Nous prendrons les nôtres ! Les corporatismes ne doivent pas paralyser la France au point de l'affaiblir durablement et d'appauvrir les Français.
M. André Fanton. Très bien !
M. Michel Péricard. Nous avons besoin d'union quand l'essentiel est menacé. Chacun peut légitimement prétendre défendre ses intérêts mais nous, ici, élus de la nation, nous ne représentons aucun intérêt particulier. Nous sommes responsables de tous les Français. Nous sommes responsables de l'avenir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Après les efforts accomplis sur le budget, les Français comprendront, j'en suis sûr, la volonté du Gouvernement de conduire une gestion responsable et courageuse.
Si je suis bien informé, monsieur le Premier ministre, le Président de la République a dit ce matin aux membres du Gouvernement qu'il fallait « résister aux oppositions conservatrices d'où qu'elles viennent et qui ne manqueront pas de s'exprimer ». Or ce n'est pas de notre côté que vous trouverez les conservateurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre)
Les règles nouvelles que vous préconisez, monsieur le Premier ministre, associées à une politique de cohésion sociale, sont le plus sûr chemin pour sortir de l'impasse ! Vous avez une volonté politique forte. Le groupe RPR n'en doute pas et il la partage avec vous !
Le diagnostic établi, les solutions fortes construites, il fallait choisir les voies politiques et juridiques adéquates. Ne dévions donc pas ce débat en lui donnant un caractère qu'il n'a pas. Vous avez choisi, avec pragmatisme, courage et réalisme, de recourir à la fois à des projets de loi, à une révision de la Constitution et à des ordonnances. Là encore nous vous soutenons et approuvons vos décisions. Elles permettront d'associer étroitement le Parlement à cette grande oeuvre et de répondre à l'urgence.
Les ordonnances sont consubstantielles au fond de la réforme ! Sachons donc, en toute connaissance de cause, nous mobiliser pour le but. Aujourd'hui, seul compte le résultat de la réforme. Ce résultat nous importe pardessus tout.
Déjà, en 1967, le général de Gaulle lui-même avait décidé de solliciter du Parlement, par le biais de son gouvernement, l'autorisation de légiférer par ordonnances. C'est dans ce cadre que la majorité d'alors a mis en oeuvre des réformes essentielles et durables dans le domaine social : la création de l'ANPE, la généralisation de l'assurance chômage, la réforme de l'organisation de la sécurité sociale. Aujourd'hui, n'ayons donc aucune appréhension, aucun complexe devant le projet que vous nous proposez.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, vingt années de pression du chômage ont créé une situation quasi inextricable.
Nous sommes à un tournant économique et social historique. Nous sommes condamnés à la réussite de cette politique que nous propose aujourd'hui le Gouvernement. L'enjeu final, c'est l'équilibre social de notre pays, qui est aujourd'hui menacé ; nous le voyons tous chaque semaine dans nos circonscriptions.
Je le disais dès le début de mon intervention : rude constat, rude réalité en effet. Nous croyons encore bénéficier du meilleur système de protection sociale au monde. Hélas ! Ce n'est pas vrai. Toutes prestations confondues, nous avons aujourd'hui l'un des taux les plus bas de remboursement des pays de l'OCDE. Le gaspillage a trop duré. Aujourd'hui, avec votre réforme, les intentions ou les discours ne tiennent plus lieu de réalité. On ne parle plus pour se dispenser d'agir !
Votre ambition est d'éclaircir l'horizon au long terme ! Nous partageons cette ambition. L'ampleur et la portée de cette réforme sont sans précédent. Elles garantissent et consolident un équilibre durable de notre système de protection sociale. Certains vous menacent d'impopularité ? Nous savons que l'impopularité est un autre nom du courage et les Français sont reconnaissants à ceux qui savent faire preuve de courage.
Les gaullistes n'ont pas pour habitude de soutenir le gouvernement en se cachant derrière leur vote. je viens de vous en donner la preuve. D'ailleurs, de quelle utilité serait aujourd'hui, pour le Gouvernement et pour la République, le soutien d'une majorité fantôme ?
Monsieur le Premier ministre, puissiez-vous, une seconde fois, par notre vote de confiance renouvelé, être personnellement investi du devoir de surmonter et de briser les conservatismes ! Le groupe RPR est à vos côtés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. le président. La parole est à M. Gilles de Robien.
M. Gilles de Robien. Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, nous sommes à un moment de vérité, de lucidité et aussi de gravité.
Monsieur le Premier ministre, en engageant votre responsabilité, en nous demandant la confiance, vous attendez un geste politique fort de notre majorité, majorité la plus large, majorité pluraliste, mais majorité unie. Le groupe UDF y appartient totalement et, sans avoir à se forcer, croyez-le bien, il vous assure de sa confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République.)
Sur le sujet majeur et grave de la protection sociale, qui concerne la relation essentielle que chaque homme ou chaque femme entretient avec la vie, avec la vieillesse et même avec la mort, essayons de dépasser le cadre de la conjoncture, des divergences qui peuvent être légitimes et des oppositions qui sont souvent partisanes. Nous sommes là pour définir ensemble le socle du pacte social qu'attendent les Français pour aborder le siècle prochain avec un pacte social consolidé et surtout durable.
Autour de nous - nous le constatons bien - les esprits évoluent rapidement. Une sorte d'heureuse prise de conscience collective commence à voir le jour dans notre pays sur ce sujet. Dirigeants politiques, responsables syndicaux, élus locaux, acteurs sociaux, citoyens de toutes catégories et de toutes générations le pressentent. Nous sommes vraiment à un tournant historique de la solidarité. A une époque où la dérision règne souvent en maître et où il est de bon ton de critiquer le monde politique, notre sens des responsabilités, à nous, les élus de l'UDF et - nous venons de l'entendre - du RPR ne sera pas pris en défaut. Il sera même porté à notre crédit quand le recul du temps fera mieux apparaître les enjeux que nous aurons osé aborder et les défis que nous aurons su relever.
Ici et maintenant, mes chers collègues, ce sont bien les valeurs et les réalités de la protection sociale que nous cherchons à défendre tous ensemble. C'est une certaine idée de la générosité nationale que nous veillons à protéger et à pérenniser. C'est vraiment l'un des principes fondateurs de notre démocratie, la fraternité, à laquelle nous voulons donner tout son sens dans une application concrète, durable et ambitieuse.
Dans cette perspective, il est naturel et heureux qu'un débat, un vrai débat, quelquefois vif d'ailleurs, se soit ouvert sur les modalités de la réforme à mettre en oeuvre. Il est normal, à cette occasion, que des contradictions apparaissent et que, au final, sur un sujet aussi complexe, des arbitrages soient nécessaires et qu'ils soient rendus. Comment ne pas voir que la confrontation des idées est non seulement inévitable, mais souhaitable parfois, et même indispensable ? Comment accepter de réduire cet enjeu formidable à un
simple enjeu politicien ou partisan ?
Le groupe UDF, dans les commissions, dans les groupes de travail, a emprunté la voie de la sagesse. Loin des positions qui sont dogmatiques parfois, des solutions miracles, de conservatismes professionnels - autant d'attitudes que rejettent maintenant de façon majoritaire les Français -, une élémentaire clairvoyance nous conduit à constater ensemble et à admettre les dérives d'un système, certes prestigieux, peut-être même unique au monde, mais d'un système qui a cinquante ans et qui a été progressivement détourné de son idéal d'origine.
Dans la conception initiale de la sécurité sociale, une belle chaîne de solidarité unissait les acteurs du travail à ceux qui, physiquement, ne pouvaient plus travailler, pour quelques jours ou parfois davantage, et à ceux qui, moralement, ne devaient plus travailler à la fin d'une vie bien remplie ; les employeurs et les employés contribuaient ainsi, hors de toute tutelle étatique et politique, au bien-être des malades et des retraités. Formidable conquête et formidable rapprochement des intérêts syndicaux et patronaux au
profit du bien commun ! Formidable socle du "vouloir vivre ensemble" dont parlait Renan.
Sans doute exemplaire en période de croissance et de faible chômage, portée avec succès par les « trente glorieuses » et les facilités de l'expansion et de la croissance, la machine s'est mise brutalement à déraper, s'est emballée au point de porter en elle des stigmates de la crise française : centralisation du système, opacité des procédures, fixité des méthodes, non-renouvellement des instances de décision depuis trop longtemps. Résultat ? Face à une croissance poussive et aux crises économiques, malgré les expédients de tout genre année après année, les plans successifs et les incantations répétées, la machine à produire du progrès social s'est métamorphosée en machine à produire des déficits.
L'opposition a dit à cette tribune que certains déficits, comme des embonpoints, sont aussi des signes de bonne santé. Permettez-moi de vous dire, mes chers collègues, qu'aujourd'hui l'opposition a tort pour le sujet qui nous préoccupe. Les déficits français vont de pair avec une dégradation manifeste de notre protection sociale.
Lorsque j'évoque la crise de la protection sociale, je ne vois pas une suite de chiffres ou bien une pile de rapports, d'études complexes et abstraits. Non, nous voyons tous, les uns et les autres, les milliers de RMIstes dans nos villes et dans la vôtre aussi, monsieur le Premier ministre, leur souci quotidien d'économiser sur la santé un jour, sur la nourriture parfois, trop souvent. Nous partageons leur inquiétude pour leurs enfants face au retour des maladies censées disparues, comme la tuberculose, ou nouvelles, telles que
le sida. Ne rien faire et laisser faire serait vraiment une attitude coupable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République.) Réformer en la matière, c'est renforcer le seul lien social qui subsiste quand la société doute ou se fracture ou se trouve au bord de la révolte. C'est ce que vous avez voulu faire, avec courage, monsieur le Premier ministre, et nous ne pouvons que nous en réjouir. C'est la tâche et l'honneur de votre
Gouvernement. C'est la tâche et l'honneur de notre majorité. (Applaudissements sur les mêmes bancs.) Ce lien social, c'est celui qui assure l'équilibre de notre communauté nationale : l'accès pour tous à une santé de qualité, le droit à une retraite décente, la possibilité de fonder une famille. Il est de notre devoir, précisément parce que les temps sont difficiles, d'affirmer et de pérenniser une nouvelle solidarité plus responsable et plus humaine.
Pour retrouver l'élan qui fait cruellement défaut et qui était celui de la création de la protection sociale il y a cinquante ans, nous devons surmonter immédiatement un double défi : d'une part, trouver les moyens de résorber les déficits accumulés, d'autre part, parvenir à l'équilibre durable du système de protection sociale.
La première partie de l'exercice concerne les recettes et n'est évidemment pas la plus agréable. Nous savons tous que, sans un accroissement des prélèvements, nous ne pourrons que très difficilement résorber le déficit accumulé. Nous souhaitions assortir, monsieur le Premier ministre, cet éventuel effort supplémentaire demandé aux Français de deux conditions, sur lesquelles nous vous remercions de nous avoir entendus.
La première de ces conditions est que ces nouveaux prélèvements - je pense notamment à la création du remboursement de dette sociale, le RDS - soient exclusivement consacrés à la résorption de la dette passée et à elle seule. Nous souhaitons cependant que cette contribution soit, autant que possible, davantage limitée dans le temps. Vous annoncez treize années. Toutefois, il n'est pas interdit de penser que, la croissance revenue, et donc les salaires revenus, nous pourrions réduire cette durée. Pourquoi ne pas être optimistes et
penser que peut-être en huit ans, neuf ans, dix ans, onze ans, nous pourrons résorber les dettes accumulées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République.) Vous savez bien, monsieur le Premier ministre, que les Français sont portés par un sentiment de « ras-le-bol fiscal » qui rendrait intolérable un impôt supplémentaire à venir pour une dépense nouvelle.
M. Jean-Louis Idiart. Eh oui !
M. Gilles de Robien. Sur ce point, monsieur le Premier ministre, et sans altérer du tout la confiance qui unit la majorité à votre gouvernement, l'UDF se doit d'appeler votre attention : puiser de manière massive et durable dans le revenu des Français pour financer des dépenses incontrôlées en constante progression ne peut évidemment que renforcer les déséquilibres financiers, risquer d'asphyxier notre économie, et finalement aggraver le malaise social et mettre en péril le lien social.
Notre groupe est donc favorable au principe de la prestation autonomie, que vous avez évoquée, destinée aux personnes âgées en situation de dépendance. Il s'agit d'une mesure annoncée, promise, généreuse, qui correspond vraiment à une réelle attente et à un authentique progrès social. Nous souhaitons, comme vous, que cette nouvelle prestation soit le résultat - on pourrait presque dire la récompense - du rétablissement de l'équilibre retrouvé des comptes sociaux. La solidarité envers nos aînés est devenue un véritable enjeu de société.
La dispersion croissante des cellules familiales, le vieillissement de la population française, les dramatiques situations de solitude et de détresse que peut engendrer le milieu urbain, nous invitent, mes chers collègues, à ne pas oublier les nouvelles demandes de solidarité. Cependant la prise en compte de ces demandes ne peut être réellement assurée que si l'assainissement de nos comptes sociaux et la guérison de notre système de santé sont préalablement garantis. C'est cette décision que vous avez prise et qui rejoint la nôtre.
Elle est sage et réaliste. Nous vous en remercions.
Elle me conduit logiquement à notre deuxième condition : nous voulons être sûrs que, grâce aux réformes structurelles qui seront engagées, ce nouvel effort des Français pour apurer le passif sera bien le dernier de cette ampleur et pour longtemps.
D'éminents députés de notre groupe, Pierre Méhaignerie, Denis Jacquat, Jean-Luc Préel, Hervé Novelli, ont de façon très opportune insisté sur la force de la réforme à engager, en particulier dans le domaine des dépenses de santé.
La solidarité responsable que nous appelons de nos voeux doit imprégner toute l'action des années à venir. Adrien Zeller l'a parfaitement évoqué lundi en insistant sur les notions de responsabilité, de contrat et de réciprocité des engagements.
Le groupe UDF souhaite profiter de cette tribune pour rappeler cinq grands axes qu'il a affirmés tout au long de ce débat.
Premier axe : le renforcement du rôle du Parlement. Dans l'esprit de la loi du 25 juillet 1994, qui permet l'information du Parlement sur l'état des comptes sociaux, il nous faut franchir une nouvelle étape dans notre mission de contrôle. La représentation nationale devrait pouvoir, chaque année, définir les orientations générales et les objectifs de notre politique sociale. C'est bien d'avoir connaissance du bilan ; c'est mieux de pouvoir, dès l'origine, indiquer la marche à suivre et fixer l'évolution des dépenses de santé en
rapport avec l'état de notre PIB. Le financement par l'impôt de notre déficit justifie le contrôle parlementaire, que vous proposez aujourd'hui. Nous vous remercions de la confiance que vous faites au Parlement.
Ce renforcement du rôle du Parlement serait utilement complété - cette suggestion m'a été faite récemment - par l'installation d'un haut comité pour la santé, qui pourrait évaluer les politiques, recenser les progrès scientifiques, observer l'état sanitaire de notre pays, conseiller les décideurs, comparer avec les différents systèmes étrangers. C'est une proposition très sérieuse. Peut-être aurions-nous pu, mes chers collègues - peut-être ! - éviter des drames récents et durables si un tel haut comité avait existé dans les années passées.
Deuxième axe : le souci de proximité. L'objectif est de mettre fin à la distance qui sépare les Français de leur système. De ce point de vue, comme l'a dit Pierre Méhaignerie, le niveau régional, voire local dans certains cas, semble le plus pertinent. Nous souhaitons, comme vous, que chaque région dispose d'une enveloppe sociale qu'elle contractualiserait
ensuite avec chaque acteur régional de la santé en fonction d'objectifs précis. Or la véritable innovation consistait bien - nous l'avions appelée de nos voeux - dans la mise en place de mécanismes correcteurs. L'idée d'une agence sociale régionale regroupant les différentes caisses et l'État avait été également émise par notre groupe et s'inscrit bien dans ce souci de lisibilité et de proximité.
Il faudra veiller cependant à ce que les caisses puissent disposer d'une autonomie suffisante pour éviter un fonctionnement qui risquerait d'être trop administratif.
A cette condition, la subsidiarité permettra, sur le fond, une meilleure gestion et, sur la forme, une diminution de la bureaucratie. Faisons disparaître ensemble du vocabulaire, si vous le voulez bien, l'expression quelquefois malheureuse « guichet de la sécu ».
Troisième axe : la démocratie. Le groupe UDF a rappelé à de nombreuses reprises son soutien au principe du paritarisme. Pour autant, ce paritarisme n'a de raison d'être qu'à condition d'être démocratique, transparent et responsable. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Paritarisme démocratique d'abord, en souhaitant des partenaires sociaux qu'ils élisent aux dates statutaires leurs représentants. Est-il normal que les dernières élections à la Caisse nationale d'assurance maladie remontent à plus de dix ans ? Non, nous souhaitions des élections. Vous préférez, semble-t-il, la désignation.
Paritarisme transparent, ensuite, en invitant les partenaires sociaux à offrir la plus grande publicité à leurs travaux. De ce point de vue, il faut effectivement envisager que les différentes caisses proposent à (...) d'intégrer leur conseil d'administration.
Paritarisme responsable, enfin, car dans ce contexte de crise, la démagogie, heureusement minoritaire de rares porte-parole syndicaux. n'est plus acceptable. Les partisans du « ni-ni » - ni réforme, ni impôt - seraient les vrais fossoyeurs de la sécurité sociale s'ils persistaient à entretenir sciemment les illusions et les peurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République.)
Quatrième axe : la rationalisation. Je parle à dessein de rationalisation et non de rationnement. En effet, l'idée n'est pas de dépenser moins, mais bien de dépenser mieux. Les débats qui ont précédé ont montré qu'il n'y avait pas d'opposition entre le souci de bonne gestion et l'intérêt de 1'usager, qu'il soit malade ou retraité.
Pour ce qui concerne les dépenses de santé, chacun s'accorde sur les moyens de parvenir à une vraie maîtrise médicalisée. Informatisation des cabinets médicaux et des hôpitaux, codification des actes, contrats avec les laboratoires pharmaceutiques, références médicales opposables, carnet médical pour tous, revalorisation du médecin de famille, pourquoi pas ? Cela nous semble aller dans le bon sens : ce sont les solutions avancées par notre famille politique. Elles sont largement reprises par votre projet. Il faut sans tarder les mettre en application.
Je ne voudrais pas terminer ce chapitre de la rationalisation sans rendre hommage au personnel soignant des hôpitaux et des cliniques. Ce débat parlementaire ne doit pas être leur procès, mais leur réhabilitation.
M. Arthur Paecht. Très bien!
M. Gilles de Robien. En première ligne avec les malades, tous les jours et toutes les nuits, ils sont aujourd'hui les principales victimes de l'anarchie de notre carte hospitalière, de notre carte sanitaire, (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du Rassemblement pour la République.) Ils sont même quelquefois les victimes de la modernisation excessive, qui en est une des conséquences. L'hôpital doit rechercher une harmonie disparue entre l'homme et la machine, entre la performance technologique, salutaire bien sûr, et la valorisation des richesses humaines reconnues par tous.
Cinquième et dernier axe de réformes : l'équité dans l'effort. Le groupe UDF souhaite maintenir et améliorer, autant que faire se peut, l'équité de notre système de protection sociale. A cet égard, nous comprenons la fiscalisation des allocations familiales ainsi que l'augmentation de la cotisation maladie des retraités imposables sur le revenu.
Monsieur le président Fabius, vous avez cité tout à l'heure l'exemple de retraités qui, gagnant 5 000 F par mois, seraient pénalisés. Permettez-moi de vous faire remarquer que ceux-là ne sont pas imposables sur le revenu. Par conséquent, ils ne sont pas touchés par ce prélèvement. Je ne veux pas laisser courir ce bruit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre et du groupe du rassemblement pour la République - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous rétablissons ici la solidarité entre les générations. Et je suis sûr que les personnes retraitées qui ont un certain revenu le comprennent, car elles, plus que d'autres, ont en elles ce sentiment de solidarité...
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Très bien !
M. Gilles de Robien. ... pour avoir vécu la naissance de la protection sociale en 1945. Nous ne pouvons qu'apprécier le souci d'équité que vous manifestez, monsieur le Premier ministre, en prévoyant l'universalité du régime d'assurance maladie. Ce faisant, vous confirmez l'égalité de tous à l'accès aux soins.
Contrôle parlementaire, proximité, démocratie, rationalisation, équité : voilà les cinq impératifs en fonction desquels le groupe UDF apprécie le contenu du plan que vous nous proposez, monsieur le Premier ministre.
Bien sûr, nous en avons conscience, il n'est pas possible en quelques semaines de vouloir réformer en profondeur notre système et de prétendre tout régler. C'est pourquoi, parallèlement aux réformes annoncées, le groupe UDF a souhaité que s'ouvrent quelques chantiers de réformes. J'en citerai trois. Le premier, c'est le plan épargne-retraite auquel, vous le savez, notre groupe est très attaché et sur lequel nous avons noté votre volonté d'organiser très bientôt un débat parlementaire, avec une discussion commune. Nous vous remercions d'avoir répondu favorablement à votre souhait. Le deuxième, sur les régimes spéciaux de retraite, pour lesquels la commission de réforme annoncée devra associer le Parlement. Enfin, la réforme de notre carte sanitaire constituera le troisième chantier.
Cette série de propositions novatrices doit permettre de remettre à flot la protection sociale en évitant de nombreux gaspillages. Ce faisant, nous ne pouvons oublier la priorité de nos priorités, la lutte contre la première forme d'exclusion sociale et le principal responsable de ces déficits sociaux : le chômage. Or, nous le savons tous dans cet hémicycle, l'emploi ne peut être favorisé que par un retour à une croissance active et continue, qui serait dangereusement compromise par un niveau excessif de prélèvements.
A l'évidence, la logique économique rejoint tout à fait l'aspiration sociale. On ne peut sérieusement envisager de nouvelles conquêtes sociales et de nouveaux droits sans évidemment un effort de rigueur dans la gestion, mais surtout sans un recul très net du nombre de demandeurs d'emploi. Plus d'emplois, c'est plus de cotisations, c'est donc plus de progrès social possible. L'UDF est convaincue que l'efficacité de l'économie de marché doit être mise au service de la justice sociale. Or, en la matière, de grands progrès restent à faire.
Si nous voulons avec ardeur réformer notre système actuel de protection sociale, c'est aussi parce que nous savons que notre société risque de se lézarder, que des failles importantes, des fractures brutales menacent d'entraîner certaines catégories ou certaines zones vers la marginalisation. Nous ne voulons pas réformer pour réformer ; nous voulons réformer pour retrouver les marges d'action qui nous permettront de restaurer et de conforter le pacte républicain.
A quoi servirait d'assurer les prestations élémentaires de santé ou de retraite, si le phénomène, notamment urbain, de dislocation du corps social subsistait durant des années ou, pire, gagnait encore du terrain ? Que signifie la retraite pour un RMIste ? Que signifie « politique familiale » pour le chômeur en fin de droits, menacé éventuellement d'expulsion ? A quoi servirait de soigner les corps si les têtes restent malades ?
Notre préoccupation constante en matière de solidarité nous renvoie aussi au grand chantier annoncé de la réforme fiscale. Dès à présent, nous voyons bien qu'une nouvelle définition du rôle et des moyens de l'État est à l'ordre du jour. Ces sujets peuvent mobiliser la majorité tout entière et passionner les Français. L'expérience que nous venons de vivre, en tout cas, est éloquente.
Ensemble, monsieur le Premier ministre, avec votre gouvernement, avec cette majorité qui a manifesté son enthousiasme à l'annonce de votre plan, n'hésitons pas à aller plus loin : les Français sont réceptifs. N'hésitons pas à aller plus loin dans la mise à plat, sereine et responsable, des systèmes publics de redistribution et des modes d'intervention souvent trop étatiques. L'occasion nous est donnée d'associer tous les acteurs concernés, du sommet de l'Etat aux citoyens, dans un vaste et durable mouvement de réforme, amorcé avec ce premier débat sur la protection sociale, mais qui le dépasse largement et en appelle bien d'autres.
Allons plus loin encore dans la voie du réformisme pragmatique. L'attitude réformiste, si elle est authentique et persévérante, est de nature à sortir la France de la morosité, à dégager de nouveaux horizons, à débloquer notre société un peu trop repliée en cette fin de siècle sur ses inquiétudes et ses peurs. Le groupe UDF se permet d'insister sur la nécessité d'ouvrir largement la concertation et de favoriser réellement la participation des Français et de leurs représentants au processus des réformes.
Le temps ont changé. La population française, je le crois vraiment, est portée aujourd'hui par de nouvelles aspirations, en particulier l'aspiration au dialogue, à la concertation, et les dirigeants politiques se doivent d'en tenir compte. C'est la question de confiance que nous posent quotidiennement nos concitoyens. Aucune vérité révélée ne peut plus venir d'en haut, de façon autoritaire, directive ou péremptoire. La véritable autorité naît de l'animation des contre-pouvoirs et non de la concentration excessive des pouvoirs. De ce point de vue, la revalorisation du rôle du Parlement est au coeur d'une petite révolution culturelle qui intéresse le pays tout entier.
Monsieur le Premier ministre, vous nous demandez la confiance, Bien entendu, nous vous l'accordons volontiers. Il faut bien sûr nous écouter, et vous nous écoutez. Vous avez voulu qu'un débat s'ouvre, en toute liberté, à l'Assemblée nationale. Il a été riche d'idées, d'avancées et de pédagogie. Des critiques sur ce débat ont été entendues, quelquefois même de la part de certains membres de votre gouvernement. Ce ne sont que de petits dérapages. (Exclamations sur les bancs du groupe communiste.)
A l'avenir, il faudra sans doute améliorer nos méthodes de travail et libérer davantage le temps pour la réflexion, puis pour la parole. Compte tenu de l'urgence et de l'objet de la réforme, la voie des ordonnances se justifie. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous souhaitons néanmoins pouvoir discuter, précisément et sérieusement, de leur contenu.
Monsieur le Premier ministre, vous avez demandé la confiance. Le groupe UDF la renouvelle naturellement, en vous demandant de profiter du formidable gisement d'idées qui, à l'Assemblée nationale et dans le pays, est à votre disposition. L'esprit de réforme qui anime votre Gouvernement, qui anime le groupe UDF ne peut se concevoir sans l'esprit d'ouverture et sans un partenariat équilibré. C'est, à nos yeux, dans cette perspective que s'inscrivent toutes les actions fortes, durables et légitimes que nous sommes prêts à aborder ensemble. En tout cas, monsieur le Premier ministre, l'intérêt national et l'action du Gouvernement commandent que la majorité vous soutienne ; nous le faisons bien volontiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour 1a démocratie française et du Centre et groupe du Rassemblement pour la République.)
M. le président. Le débat est clos.