Texte intégral
Q- Ce matin, d'abord, avez-vous des nouvelles des enfants ? Proviennent-ils de camps de réfugiés ? Est-ce que ce sont des orphelins ?
R- On sait que ce sont 103 enfants, âgés de 1 à 12 ans, mais majoritairement de 3 à 8 ans, qui, bien qu'ils soient choqués, se portent bien. C'est la raison pour laquelle les enfants sont ma première préoccupation, et qu'on a demandé aux organisations des Nations unies d'aller à leurs côtés, comme le HCR, la Croix Rouge, ou l'UNICEF, pour bien s'assurer qu'ils soient en bonne santé. Donc, ils prennent en charge, ils sont à l'orphelinat officiel d'Abéché, qui dispose d'infirmières et d'assistantes sociales.
Q- Oui, mais sont-ils orphelins ?
R- C'est une question à laquelle on répondra dans quelques jours, parce que l'enquête est en cours, par les organisations, les Nations Unies, mais aussi par les autorités.
Q- Mais d'après ce que l'on sait déjà, sont-ils du Darfour ou du Tchad ?
R- Pareil, pour cette question, on le saura aussi dans les jours qui viennent, parce que ce sont des tout-petits, donc, il faut les interroger, il faut prendre le temps, sans les bousculer, donc, cela prend un peu de temps, on le saura bientôt.
Q- Certains enfants ont raconté devant micros d'Europe 1 et caméras, qu'on avait promis à leur père de leur donner du travail, et un jour une voiture. Alors qui promettait, qui leur promettait ? Et puis, y at- il des chefs locaux, des trafiquants d'enfants, ou des familles qui ont pu donner, offrir ou vendre ces enfants, d'abord ?
R- Pour les détails de cette opération, je crois que l'enquête nous le dira, encore une fois. Mais ce que l'on sait, nous, de notre côté, c'est que, l'Arche de Zoé, dès le mois de juin en a eu vent, d'une opération de 1.000 à 10.000 enfants du Darfour. C'est le Secrétariat général de l'Autorité centrale pour l'adoption, c'est un peu compliqué, qui a découvert l'affaire, suite aux appels des familles intéressées. Ensuite, nous, on a fait un communiqué de mise en garde sur le site du ministère : le 9 juillet, on a signalé l'affaire auprès du procureur de la République ; ensuite, le 30 juillet, on a réuni les ONG qui ont toutes condamné unanimement cette opération ; le 31 juillet, le président de l'association dont vous parliez à l'instant a été convoqué par ma directrice de cabinet pour lui dire notre vive opposition à l'opération ; le 3 aôut, on recommunique auprès des familles pour les appeler à la vigilance...
Q- Et pourtant, et pourtant, ils parlent !
R- Et pourtant, ils partent, parce que l'Association...
Q- Est-ce que cela veut dire que l'Etat, le Quai d'Orsay, est impuissant devant de telles méthodes ou opérations clandestines ?
R- Pas du tout ! L'association avait été claire, mais l'association avait multiplié les opérations de dissimulation et les fausses informations.
Q- Par exemple ?
R- L'opération était annoncée au Darfour et absolument pas au Tchad. Je suis moi-même allée au Darfour pour vérifier le travail des ONG sur place. Deuxièmement, l'association parlait au début "d'adoption", et absolument pas "d'accueil", comme ils le font aujourd'hui. Ensuite, l'association s'appelait "Arche de Zoé", à Paris, et s'appelle "Children rescue" au Tchad. "Children rescue" étant censée, non pas rapatrier les enfants, mais installer un centre psychosocial sur place pour une période de deux ans. Et enfin, le vol lui-même, le vol de l'avion, était... Enfin, il y a eu des techniques de dissimulation du vol.
Q- Comment peut-on dissimuler un vol ?
R- En changeant l'immatriculation, par exemple, qui n'est pas la même quand il part de N'Djamena pour Abéché, et quand il part d'Abéché pour Paris.
Q- Donc, vous dites qu'il y a eu dissimulation et mensonges ?
R- Il y a eu dissimulation et il y a eu mensonge, fausses informations, et ce qui a contribué à brouiller les pistes.
Q- Vous dites que le 9 juillet, vous saisissez la justice. La justice répond par une information judiciaire fin octobre, trois mois après ; le dégât est fait !
R- De toutes les façons, le juge intervient sur le caractère illégal de l'adoption, sur les éléments de ce genre, mais pas forcément sur l'opération.
Q- Vous l'alertez, il ne répond que trois mois après ! Il y a une lenteur de la justice.
R- Non, on ne peut pas dire cela. La justice...
Q- On peut reconnaître ?
R- La justice fait ce qu'elle peut. Donc pour le reste, c'était plus de l'opérationnel sur le terrain dont il s'agissait pour agir.
Q- C'est bien de protéger la justice dans ses lenteurs...Deuxièmement, l'armée française a transporté des éléments de "l'Arche de Zoé". Comment cela se fait-il ? A-t-elle été bernée aussi ?
R- On le saura, parce que on a, d'un côté, un pilote belge, des Espagnols, des Français, enfin, bref ; l'opération a pris des canaux divers et variés, qu'il s'agit de décortiquer pour comprendre les détails des interventions diverses.
Q- "L'Arche de Zoé" avait donc de l'argent qui a été distribué. Savez-vous quelle est l'origine de cet argent ? D'où et qui, et de qui ?
R- Lorsqu'on a convoqué E. Breteau, pour lui demander comment il comptait mener l'opération - le chef de "l'Arche de Zoé" -, il avait expliqué qu'il allait réunir 600.000 euros par dons privés, hors contribution des familles. Donc, ce que l'on sait depuis c'est que, des familles sont intervenues pour dire qu'elles avaient donné des chèques. Donc, il reste là à décortiquer l'écheveau des responsabilités de l'origine de l'argent. Mais en tout cas, l'Etat, le Quai d'Orsay, n'a à aucun moment participé du financement de cette opération, bien qu'il l'ait demandé à l'époque du tsunami, puisque "l'Arche de Zoé" sévissait déjà...
Q- Donc, vous avez demandé, il devrait y avoir des réponses précises de la justice et de l'armée française ?
R- Nous collaborons, donc nous allons nous réunir pour un petit peu démêler tout ceci, en interministériel, comme c'est le cas traditionnellement.
Q- Une fois que l'affaire est partie... Le président du Tchad, I. Deby, qui employait des soldats de 10 à 12 ans, lui, est scandalisé ! Il parle de trafic d'enfants, d'organes, de pédophilie. La France le suit-elle dans ses réactions peut-être un peu rapides ?
R- Nous comprenons la colère du président Déby, et c'est pour cela que dès samedi soir, B. Kouchner s'est entretenu avec lui ; hier soir, le président Sarkozy s'est entretenu avec lui au téléphone également, pour condamner avec la même vigueur l'opération. Quant au qualificatif du délit, je crois que ce sera à la justice tchadienne de le faire, et la justice française également qui est saisie. Donc nous en saurons plus à ce moment-là sur le qualificatif.
Q- Vous confirmez que le président Sarkozy a eu la nuit dernière I. Déby ; M. Sarkozy a condamné l'opération qu'il juge "illégale, inacceptable". Donc vous savez, vous savez, elle est illégale ?
R- Oui, elle est illégale l'opération, nous-mêmes, nous le disons depuis le début.
Q- La France réclame-t-elle le retour en France des "six plus trois" - les trois journalistes -, réclame-t-elle leur expulsion du Tchad, d'ores et déjà ?
R- Pour l'instant, les ressortissants français sont encore en garde à vue. Vous savez qu'ils ont été mis en garde à vue une fois 48 heures, puis renouvelés une fois. Donc, on va attendre la fin de la garde à vue pour savoir quelle va être l'accusation, pour savoir ce que l'on fait. Mais ce que je peux dire jusqu'à présent c'est que l'on va dissocier le sort des trois journalistes de celui des autres acteurs de l'opération, parce que, évidemment, si une démarche journalistique est avérée, il est évident qu'on ne pourra pas accorder le même traitement ou infliger le même traitement aux journalistes qu'aux autres opérateurs.
Q- Mais vous nous dites, ce matin, que la France va veiller à la sécurité, à la défense des Français, peut-être même des Européens, puisqu'il y a huit Espagnols. D'ailleurs, y a-t-il des démarches communes franco-espagnoles ?
R- Bien sûr. Hier soir même, j'étais encore en contact téléphonique avec mon homologue espagnol, et nous ne cessons de nous parler. Parce que l'ambassade de France apporte un soutien logistique aux ressortissants espagnols qui sont emprisonnés. Mais il y a une chose qui est sûre, c'est qu'il faut quand même dire que l'action humanitaire nécessite un minimum de sérieux et de retenue. Qu'il ne faut pas se lancer dans des opérations comme celle-là, même avec les meilleures intentions au monde. Et comme vous savez, l'enfer est pavé de bonnes intentions. Et je pense qu'il est important qu'il y ait une responsabilité individuelle de ceux qui se lancent dans de telles opérations. On dit : "pourquoi l'Etat n'a-t-il pas empêché cette opération ?". L'Etat, a tout fait : l'Etat a prévenu, l'Etat a alerté ; maintenant, il y a aussi la responsabilité individuelle des gens, quand ils se lancent dans des opérations comme celle-là, malgré les préventions, il faut qu'ils sachent qu'ils encourent les conséquences de leurs actions. Donc il faut qu'ils en soient conscients. Mais la France étant bonne mère, nous serons auprès de ces ressortissants français pour les protéger au maximum, pour garantir leurs droits, et jamais nous les lâcherons, il faut que les familles des ressortissants le sachent.
Q- Oui, mais l'ambassadeur de France a-t-il eu raison de dire à N'Djamena, que "les responsables répondront de leurs actes au Tchad", autrement dit, seront jugés, ou on accepte qu'ils soient jugés, c'est la loi tchadienne, par les tribunaux du Tchad ?
R- Le Tchad est un pays souverain, qui applique sa législation, pas plus sévèrement s'il s'agit de Français ou pour d'autres. Néanmoins, il y a une chose qui est sûre, c'est que si 100 enfants français avaient été enlevés du Lot-et-Garonne pour être emmenés au Tchad, je ne suis pas sûre que l'opinion publique française aurait apprécié. Donc nous comprenons la colère des autorités tchadiennes, mais nous serons aux côtés de nos ressortissants pour leur apporter une protection consulaire maximale.
Q- D'accord. D'ailleurs, cela provoque une sorte d'inquiétude. Combien y a-t-il de ressortissants français au Tchad ?
R- Il y en a à peu près 1500.
Q- Et alors ? Ne craignent-ils pas, eux... ? Il peut y avoir des craintes. M. Messier me disait tout à l'heure qu'en Afrique et au Tchad, on peut accuser les Français d'être des voleurs d'enfants, à cause de cela... ? !!
R- Le Tchad est un pays ami. L'Afrique, le Tchad, ne sont pas une Nation de sauvages, excusez-moi ! Mais pourquoi imaginer tout de suite, que les petits enfants, ou les ressortissants français vont être avalés tout cru par ces méchants tchadiens ?! Je ne crois pas que l'on puisse réfléchir en ces termes.
Q- D'accord, on ne va pas jusque-là...
R- On fait confiance en nos amis tchadiens, et il n'y a pas de raison de croire des excès de ce type.
Q- Si les six français rentrent en France, que leur arrive-t-il ? Seront-ils poursuivis et
peut-être jugés ?
R- Il y a déjà une information judiciaire qui est ouverte à l'encontre de l'association pour "adoption illégale", etc., donc il y a quand même pas mal de chefs d'accusation en cours. Mais évidemment, s'il y a un transfert, ils seront jugés pour l'opération qu'ils ont menée. Et de toutes les façons, qu'ils soient jugés en France ou au Tchad, il faut savoir que la coopération entre les autorités tchadiennes et françaises est très étroite. Et donc, nous garderons l'oeil sur le sort de nos ressortissants, et donc que les familles se rassurent, malgré les erreurs commises par cette association, les délits commis, nous serons aux côtés de nos ressortissants pour leur assurer un maximum de protection.
Q- Vous excluez qu'il s'agisse de militants sincères et exaltés de l'humanitaire, des sortes de pieds nickelés de l'humanitaire ?
R- Mon sentiment, après avoir rencontré les familles qui cherchaient à accueillir ces enfants c'est que ces familles me semblaient sincères et me semblaient de bonne foi. L'association, c'est autre chose, nous les avons prévenus, nous avons prévenu les responsables, ils ont quand même continué à agir. Mais quelles que soient leurs bonnes intentions, il faut savoir qu'on ne peut pas agir de cette manière, sur un coup de tête, sur des émotions, sans mesurer les conséquences.
Q- Vous êtes d'accord avec La Croix qui titrait : "Un gâchis humanitaire !" ?
R- Un gâchis humanitaire, parce que, en plus, cette affaire risque d'éclabousser la communauté des ONG qui font un travail formidable sur le terrain, au Tchad comme au Darfour. Il faut donc savoir que l'affaire "Arche de Zoé" est exceptionnelle, c'est un cas marginal, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain en condamnant l'ensemble de l'action humanitaire française, notamment celle des ONG, et analyser cette affaire-là sous un regard vraiment très particulier.
Q- Et puis, il faudra peut-être lutter encore plus efficacement contre la pauvreté et le manque de tout, dans tous les pays, peut-être en Afrique.
R- Oui, sans doute. Notre coopération bilatérale en ce sens est forte.
Q- Dans un mois, la Force de paix des Nations unies et de l'Union européenne, à dominante française, doit se déployer pour sécuriser les camps de réfugiés du Darfour. Y a-t-il des risques de remise en cause ? Par exemple, N. Sarkozy et I. Déby en ont-ils parlé ?
R- La question a été posée à I. Déby, mais on savait très bien que cette affaire-là n'ayant aucun rapport avec le déploiement de la Force multidimensionnelle, il n'y a aucune conséquence possible. Et monsieur Déby nous en a assurés.
Q- Hier soir ?
R- Oui. Enfin, ces deux affaires n'ont absolument rien à voir, on a deux logiques... L'Etat français n'est absolument pas en cause dans l'affaire "Arche de Zoé", c'est une bande d'illuminés qui a monté cette opération, parce qu'ils y croyaient, je suppose. Et l'autre, c'est une opération multidimensionnelle européenne qui n'a absolument rien à voir.
Q- Avant de vous quitter, je vous pose une question sur la Birmanie. Chaque jour, une pensée pour Aung San Suu Kyi et les milliers de moines et de civils qui sont en prison ou disparus à cause de la junte. Avez-vous des nouvelles ?
R- On se tient au courant de ce qui se passe, même si c'est difficile. C'est difficile parce que les moyens de communications ne sont pas si simples, mais nous restons aux côtés du peuple birman, c'est d'ailleurs pour cela que B. Kouchner s'est rendu pour une tournée asiatique, en ce moment, où je devais l'accompagner d'ailleurs, si je n'avais été retenue par cette affaire "Arche de Zoé".
Q- Il n'est pas en Birmanie, mais il est autour de la Birmanie, en espérant entrer en Birmanie ?
R- Non, il est à Singapour et en Thaïlande, parce qu'il espère influer légitimement sur les voisins de la Birmanie qui ont des relations économiques fortes avec ce pays.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 octobre 2007
R- On sait que ce sont 103 enfants, âgés de 1 à 12 ans, mais majoritairement de 3 à 8 ans, qui, bien qu'ils soient choqués, se portent bien. C'est la raison pour laquelle les enfants sont ma première préoccupation, et qu'on a demandé aux organisations des Nations unies d'aller à leurs côtés, comme le HCR, la Croix Rouge, ou l'UNICEF, pour bien s'assurer qu'ils soient en bonne santé. Donc, ils prennent en charge, ils sont à l'orphelinat officiel d'Abéché, qui dispose d'infirmières et d'assistantes sociales.
Q- Oui, mais sont-ils orphelins ?
R- C'est une question à laquelle on répondra dans quelques jours, parce que l'enquête est en cours, par les organisations, les Nations Unies, mais aussi par les autorités.
Q- Mais d'après ce que l'on sait déjà, sont-ils du Darfour ou du Tchad ?
R- Pareil, pour cette question, on le saura aussi dans les jours qui viennent, parce que ce sont des tout-petits, donc, il faut les interroger, il faut prendre le temps, sans les bousculer, donc, cela prend un peu de temps, on le saura bientôt.
Q- Certains enfants ont raconté devant micros d'Europe 1 et caméras, qu'on avait promis à leur père de leur donner du travail, et un jour une voiture. Alors qui promettait, qui leur promettait ? Et puis, y at- il des chefs locaux, des trafiquants d'enfants, ou des familles qui ont pu donner, offrir ou vendre ces enfants, d'abord ?
R- Pour les détails de cette opération, je crois que l'enquête nous le dira, encore une fois. Mais ce que l'on sait, nous, de notre côté, c'est que, l'Arche de Zoé, dès le mois de juin en a eu vent, d'une opération de 1.000 à 10.000 enfants du Darfour. C'est le Secrétariat général de l'Autorité centrale pour l'adoption, c'est un peu compliqué, qui a découvert l'affaire, suite aux appels des familles intéressées. Ensuite, nous, on a fait un communiqué de mise en garde sur le site du ministère : le 9 juillet, on a signalé l'affaire auprès du procureur de la République ; ensuite, le 30 juillet, on a réuni les ONG qui ont toutes condamné unanimement cette opération ; le 31 juillet, le président de l'association dont vous parliez à l'instant a été convoqué par ma directrice de cabinet pour lui dire notre vive opposition à l'opération ; le 3 aôut, on recommunique auprès des familles pour les appeler à la vigilance...
Q- Et pourtant, et pourtant, ils parlent !
R- Et pourtant, ils partent, parce que l'Association...
Q- Est-ce que cela veut dire que l'Etat, le Quai d'Orsay, est impuissant devant de telles méthodes ou opérations clandestines ?
R- Pas du tout ! L'association avait été claire, mais l'association avait multiplié les opérations de dissimulation et les fausses informations.
Q- Par exemple ?
R- L'opération était annoncée au Darfour et absolument pas au Tchad. Je suis moi-même allée au Darfour pour vérifier le travail des ONG sur place. Deuxièmement, l'association parlait au début "d'adoption", et absolument pas "d'accueil", comme ils le font aujourd'hui. Ensuite, l'association s'appelait "Arche de Zoé", à Paris, et s'appelle "Children rescue" au Tchad. "Children rescue" étant censée, non pas rapatrier les enfants, mais installer un centre psychosocial sur place pour une période de deux ans. Et enfin, le vol lui-même, le vol de l'avion, était... Enfin, il y a eu des techniques de dissimulation du vol.
Q- Comment peut-on dissimuler un vol ?
R- En changeant l'immatriculation, par exemple, qui n'est pas la même quand il part de N'Djamena pour Abéché, et quand il part d'Abéché pour Paris.
Q- Donc, vous dites qu'il y a eu dissimulation et mensonges ?
R- Il y a eu dissimulation et il y a eu mensonge, fausses informations, et ce qui a contribué à brouiller les pistes.
Q- Vous dites que le 9 juillet, vous saisissez la justice. La justice répond par une information judiciaire fin octobre, trois mois après ; le dégât est fait !
R- De toutes les façons, le juge intervient sur le caractère illégal de l'adoption, sur les éléments de ce genre, mais pas forcément sur l'opération.
Q- Vous l'alertez, il ne répond que trois mois après ! Il y a une lenteur de la justice.
R- Non, on ne peut pas dire cela. La justice...
Q- On peut reconnaître ?
R- La justice fait ce qu'elle peut. Donc pour le reste, c'était plus de l'opérationnel sur le terrain dont il s'agissait pour agir.
Q- C'est bien de protéger la justice dans ses lenteurs...Deuxièmement, l'armée française a transporté des éléments de "l'Arche de Zoé". Comment cela se fait-il ? A-t-elle été bernée aussi ?
R- On le saura, parce que on a, d'un côté, un pilote belge, des Espagnols, des Français, enfin, bref ; l'opération a pris des canaux divers et variés, qu'il s'agit de décortiquer pour comprendre les détails des interventions diverses.
Q- "L'Arche de Zoé" avait donc de l'argent qui a été distribué. Savez-vous quelle est l'origine de cet argent ? D'où et qui, et de qui ?
R- Lorsqu'on a convoqué E. Breteau, pour lui demander comment il comptait mener l'opération - le chef de "l'Arche de Zoé" -, il avait expliqué qu'il allait réunir 600.000 euros par dons privés, hors contribution des familles. Donc, ce que l'on sait depuis c'est que, des familles sont intervenues pour dire qu'elles avaient donné des chèques. Donc, il reste là à décortiquer l'écheveau des responsabilités de l'origine de l'argent. Mais en tout cas, l'Etat, le Quai d'Orsay, n'a à aucun moment participé du financement de cette opération, bien qu'il l'ait demandé à l'époque du tsunami, puisque "l'Arche de Zoé" sévissait déjà...
Q- Donc, vous avez demandé, il devrait y avoir des réponses précises de la justice et de l'armée française ?
R- Nous collaborons, donc nous allons nous réunir pour un petit peu démêler tout ceci, en interministériel, comme c'est le cas traditionnellement.
Q- Une fois que l'affaire est partie... Le président du Tchad, I. Deby, qui employait des soldats de 10 à 12 ans, lui, est scandalisé ! Il parle de trafic d'enfants, d'organes, de pédophilie. La France le suit-elle dans ses réactions peut-être un peu rapides ?
R- Nous comprenons la colère du président Déby, et c'est pour cela que dès samedi soir, B. Kouchner s'est entretenu avec lui ; hier soir, le président Sarkozy s'est entretenu avec lui au téléphone également, pour condamner avec la même vigueur l'opération. Quant au qualificatif du délit, je crois que ce sera à la justice tchadienne de le faire, et la justice française également qui est saisie. Donc nous en saurons plus à ce moment-là sur le qualificatif.
Q- Vous confirmez que le président Sarkozy a eu la nuit dernière I. Déby ; M. Sarkozy a condamné l'opération qu'il juge "illégale, inacceptable". Donc vous savez, vous savez, elle est illégale ?
R- Oui, elle est illégale l'opération, nous-mêmes, nous le disons depuis le début.
Q- La France réclame-t-elle le retour en France des "six plus trois" - les trois journalistes -, réclame-t-elle leur expulsion du Tchad, d'ores et déjà ?
R- Pour l'instant, les ressortissants français sont encore en garde à vue. Vous savez qu'ils ont été mis en garde à vue une fois 48 heures, puis renouvelés une fois. Donc, on va attendre la fin de la garde à vue pour savoir quelle va être l'accusation, pour savoir ce que l'on fait. Mais ce que je peux dire jusqu'à présent c'est que l'on va dissocier le sort des trois journalistes de celui des autres acteurs de l'opération, parce que, évidemment, si une démarche journalistique est avérée, il est évident qu'on ne pourra pas accorder le même traitement ou infliger le même traitement aux journalistes qu'aux autres opérateurs.
Q- Mais vous nous dites, ce matin, que la France va veiller à la sécurité, à la défense des Français, peut-être même des Européens, puisqu'il y a huit Espagnols. D'ailleurs, y a-t-il des démarches communes franco-espagnoles ?
R- Bien sûr. Hier soir même, j'étais encore en contact téléphonique avec mon homologue espagnol, et nous ne cessons de nous parler. Parce que l'ambassade de France apporte un soutien logistique aux ressortissants espagnols qui sont emprisonnés. Mais il y a une chose qui est sûre, c'est qu'il faut quand même dire que l'action humanitaire nécessite un minimum de sérieux et de retenue. Qu'il ne faut pas se lancer dans des opérations comme celle-là, même avec les meilleures intentions au monde. Et comme vous savez, l'enfer est pavé de bonnes intentions. Et je pense qu'il est important qu'il y ait une responsabilité individuelle de ceux qui se lancent dans de telles opérations. On dit : "pourquoi l'Etat n'a-t-il pas empêché cette opération ?". L'Etat, a tout fait : l'Etat a prévenu, l'Etat a alerté ; maintenant, il y a aussi la responsabilité individuelle des gens, quand ils se lancent dans des opérations comme celle-là, malgré les préventions, il faut qu'ils sachent qu'ils encourent les conséquences de leurs actions. Donc il faut qu'ils en soient conscients. Mais la France étant bonne mère, nous serons auprès de ces ressortissants français pour les protéger au maximum, pour garantir leurs droits, et jamais nous les lâcherons, il faut que les familles des ressortissants le sachent.
Q- Oui, mais l'ambassadeur de France a-t-il eu raison de dire à N'Djamena, que "les responsables répondront de leurs actes au Tchad", autrement dit, seront jugés, ou on accepte qu'ils soient jugés, c'est la loi tchadienne, par les tribunaux du Tchad ?
R- Le Tchad est un pays souverain, qui applique sa législation, pas plus sévèrement s'il s'agit de Français ou pour d'autres. Néanmoins, il y a une chose qui est sûre, c'est que si 100 enfants français avaient été enlevés du Lot-et-Garonne pour être emmenés au Tchad, je ne suis pas sûre que l'opinion publique française aurait apprécié. Donc nous comprenons la colère des autorités tchadiennes, mais nous serons aux côtés de nos ressortissants pour leur apporter une protection consulaire maximale.
Q- D'accord. D'ailleurs, cela provoque une sorte d'inquiétude. Combien y a-t-il de ressortissants français au Tchad ?
R- Il y en a à peu près 1500.
Q- Et alors ? Ne craignent-ils pas, eux... ? Il peut y avoir des craintes. M. Messier me disait tout à l'heure qu'en Afrique et au Tchad, on peut accuser les Français d'être des voleurs d'enfants, à cause de cela... ? !!
R- Le Tchad est un pays ami. L'Afrique, le Tchad, ne sont pas une Nation de sauvages, excusez-moi ! Mais pourquoi imaginer tout de suite, que les petits enfants, ou les ressortissants français vont être avalés tout cru par ces méchants tchadiens ?! Je ne crois pas que l'on puisse réfléchir en ces termes.
Q- D'accord, on ne va pas jusque-là...
R- On fait confiance en nos amis tchadiens, et il n'y a pas de raison de croire des excès de ce type.
Q- Si les six français rentrent en France, que leur arrive-t-il ? Seront-ils poursuivis et
peut-être jugés ?
R- Il y a déjà une information judiciaire qui est ouverte à l'encontre de l'association pour "adoption illégale", etc., donc il y a quand même pas mal de chefs d'accusation en cours. Mais évidemment, s'il y a un transfert, ils seront jugés pour l'opération qu'ils ont menée. Et de toutes les façons, qu'ils soient jugés en France ou au Tchad, il faut savoir que la coopération entre les autorités tchadiennes et françaises est très étroite. Et donc, nous garderons l'oeil sur le sort de nos ressortissants, et donc que les familles se rassurent, malgré les erreurs commises par cette association, les délits commis, nous serons aux côtés de nos ressortissants pour leur assurer un maximum de protection.
Q- Vous excluez qu'il s'agisse de militants sincères et exaltés de l'humanitaire, des sortes de pieds nickelés de l'humanitaire ?
R- Mon sentiment, après avoir rencontré les familles qui cherchaient à accueillir ces enfants c'est que ces familles me semblaient sincères et me semblaient de bonne foi. L'association, c'est autre chose, nous les avons prévenus, nous avons prévenu les responsables, ils ont quand même continué à agir. Mais quelles que soient leurs bonnes intentions, il faut savoir qu'on ne peut pas agir de cette manière, sur un coup de tête, sur des émotions, sans mesurer les conséquences.
Q- Vous êtes d'accord avec La Croix qui titrait : "Un gâchis humanitaire !" ?
R- Un gâchis humanitaire, parce que, en plus, cette affaire risque d'éclabousser la communauté des ONG qui font un travail formidable sur le terrain, au Tchad comme au Darfour. Il faut donc savoir que l'affaire "Arche de Zoé" est exceptionnelle, c'est un cas marginal, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain en condamnant l'ensemble de l'action humanitaire française, notamment celle des ONG, et analyser cette affaire-là sous un regard vraiment très particulier.
Q- Et puis, il faudra peut-être lutter encore plus efficacement contre la pauvreté et le manque de tout, dans tous les pays, peut-être en Afrique.
R- Oui, sans doute. Notre coopération bilatérale en ce sens est forte.
Q- Dans un mois, la Force de paix des Nations unies et de l'Union européenne, à dominante française, doit se déployer pour sécuriser les camps de réfugiés du Darfour. Y a-t-il des risques de remise en cause ? Par exemple, N. Sarkozy et I. Déby en ont-ils parlé ?
R- La question a été posée à I. Déby, mais on savait très bien que cette affaire-là n'ayant aucun rapport avec le déploiement de la Force multidimensionnelle, il n'y a aucune conséquence possible. Et monsieur Déby nous en a assurés.
Q- Hier soir ?
R- Oui. Enfin, ces deux affaires n'ont absolument rien à voir, on a deux logiques... L'Etat français n'est absolument pas en cause dans l'affaire "Arche de Zoé", c'est une bande d'illuminés qui a monté cette opération, parce qu'ils y croyaient, je suppose. Et l'autre, c'est une opération multidimensionnelle européenne qui n'a absolument rien à voir.
Q- Avant de vous quitter, je vous pose une question sur la Birmanie. Chaque jour, une pensée pour Aung San Suu Kyi et les milliers de moines et de civils qui sont en prison ou disparus à cause de la junte. Avez-vous des nouvelles ?
R- On se tient au courant de ce qui se passe, même si c'est difficile. C'est difficile parce que les moyens de communications ne sont pas si simples, mais nous restons aux côtés du peuple birman, c'est d'ailleurs pour cela que B. Kouchner s'est rendu pour une tournée asiatique, en ce moment, où je devais l'accompagner d'ailleurs, si je n'avais été retenue par cette affaire "Arche de Zoé".
Q- Il n'est pas en Birmanie, mais il est autour de la Birmanie, en espérant entrer en Birmanie ?
R- Non, il est à Singapour et en Thaïlande, parce qu'il espère influer légitimement sur les voisins de la Birmanie qui ont des relations économiques fortes avec ce pays.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 octobre 2007