Entretien de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, dans "Les Echos" du 2 novembre 2007, notamment sur la future ratification du Traité européen simplifié, les relations entre la Banque centrale européenne et l'Eurogroupe et sur les conclusions du Grenelle de l'environnement dans le cadre de la politique communautaire.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Energies News - Les Echos - Les Echos

Texte intégral

Q - Le président Sarkozy avait promis la ratification du traité réformant les institutions européennes pour le mois de décembre. Ce calendrier paraît intenable...
R - Le processus va être enclenché dès le 14 décembre par la saisine du Conseil constitutionnel, au lendemain de la signature du traité par les Vingt-sept chefs d'Etat et de gouvernement. Il faut compter ensuite deux à trois semaines pour obtenir la réponse du Conseil. Dans le cas, probable, où il décide une révision de la Constitution, nous devrions soumettre, début janvier, un projet de loi discuté par les commissions des assemblées en vue de l'établissement d'un congrès qui se tiendra fin janvier. Une fois modifiée la constitution française, le vote des deux Chambres à la majorité simple devrait intervenir début février.
Q - D'ici là, la polémique qui renaît, notamment au PS, sur la nécessité d'en passer à nouveau par un référendum sera calmée ?
R - Les choses vont dans le bon sens, au sein du Parti socialiste. C'est le cas de François Hollande comme de Pierre Moscovici, de Jack Lang, de Bertrand Delanoë, de Ségolène Royal ou d'Elisabeth Guigou. Cela fait beaucoup de responsables socialistes... Laurent Fabius, lui, reste un fidèle au référendum.
Q - La procédure parlementaire ne va-t-elle pas donner à l'opinion publique le sentiment d'avoir été flouée ?
R - C'est, bien sûr, ce que recherchent ceux qui viennent de rouvrir le débat sur le référendum. Mais nous avons apporté des réponses à ceux qui avaient voté "non" en mai 2005. Il ne s'agit plus d'un traité constitutionnel, mais d'un simple traité d'où tous les symboles - et personnellement je le regrette - ont disparu. La troisième partie liée aux politiques les plus libérales a disparu. La concurrence comme "objectif" de l'Union européenne redevient ce qu'elle doit être, un moyen de progression du marché intérieur. Nous avons rajouté deux éléments demandés par les tenants du "non" : un protocole contraignant sur les services publics ; l'octroi aux parlements nationaux de plus de moyens de contrôle sur les décisions communautaires.
Par ailleurs on ne peut parler d'une décision prise en catimini : lors de la campagne présidentielle, le candidat Nicolas Sarkozy avait très clairement indiqué qu'il procéderait par voie de ratification parlementaire. Il s'agit d'un contrat avec ses partenaires européens pris devant le peuple français. La France se doit d'honorer ses engagements. L'enjeu européen est trop important pour jouer pour la seconde fois la "rue de la frousse"... Dernier point, je suis étonné que certains, notamment à gauche, considèrent que, sans référendum, il n'y a plus de démocratie. Depuis quand la démocratie représentative est-elle un déni de démocratie ? Est-ce que l'on a dit cela pour l'abolition de la peine de mort en 1981, pour les lois de décentralisation en 1982, qui faisaient suite à un référendum négatif en 1969 ? Au moins vingt-quatre pays sur vingt-sept vont procéder à la ratification du nouveau traité par voie parlementaire.
Q - Ce traité améliore le fonctionnement de l'eurogroupe. Cela suffira-t-il à lui donner un nouvel élan ?
R - L'eurogroupe était un "non être". Son existence est désormais consacrée par un protocole du traité. Celui-ci permet d'ailleurs aux membres de l'eurogroupe de discuter de politique budgétaire, des programmes de stabilité et de croissance ou de grandes orientations de politique économique sans être obligé d'en référer aux autres ministres des Finances. De plus, l'eurogroupe aura une plus grande visibilité dans les enceintes internationales comme le G8 ou le FMI. Durant notre présidence de l'Union européenne, nous nous appuierons sur ces dispositions pour renforcer la coordination économique en dépassant la stricte sphère budgétaire pour parler, au sein de l'eurogroupe, d'inflation, des prix de l'énergie, des taux de change, de la stabilité financière.
Q - Les relations entre la BCE et l'eurogroupe sont-elles moins tendues que l'été dernier et le déclenchement de la crise financière?
R - Nous sommes entrés dans un dialogue plus apaisé avec la BCE, dans le respect de son indépendance. Les querelles sur les taux d'intérêt sont dépassées, la BCE a bien géré la crise financière en alimentant en liquidités le marché bancaire et les points de vue se sont rapprochés sur les taux de change. Tout le monde est d'accord pour pointer la sous-évaluation du yuan et du yen : pour la première fois, en novembre, le président de la BCE, M. Jean-Claude Trichet, le président de l'eurogroupe Jean-Claude Juncker et le commissaire européen Joaquin Almunia se rendront ensemble à Pékin. Agir dans l'unité me semble très utile. D'autant que les Chinois ont tout intérêt à ce que la croissance reste solide en Europe et à rééquilibrer leur croissance.
Q - En attendant, l'euro vole de record en record vis à vis du dollar ?
R - Ce n'est pas un problème européen. La faiblesse du dollar, liée au ralentissement de la croissance américaine et à la persistance des déséquilibres financiers, risque de durer. En outre, le dollar évolue sur les bases du marché ce qui n'est pas le cas d'autres devises plus "dirigées" en Asie. Je n'ai jamais pensé que le cours du dollar était piloté par la Maison Blanche...
Cela dit, un euro fort permet d'atténuer les tensions inflationnistes, de limiter les conséquences du pétrole cher. Imaginez ce que serait la ponction sur le pouvoir d'achat des ménages européens s'ils ne bénéficiaient pas de cette "protection" monétaire...
Q - Reste que si, au nom de la lutte contre l'inflation, la BCE relevait ses taux, le 6 novembre, cela pénaliserait la croissance en Europe ?
R - Moins nous nous exprimerons sur ce sujet, mieux cela vaudra. Je pense que la BCE prendra sa décision de la manière la plus sage.
Q - N'aurez-vous pas un problème de crédibilité, lorsque la présidence française va proposer une convergence accrue des politiques économiques, si la France affiche un déficit public accru ?
R - Si nous ne respectons pas nos engagements, nous aurons des difficultés à demander aux autres de renforcer notre coordination. Mais nous respectons le pacte de stabilité. Ce dernier offre une certaine flexibilité budgétaire à condition de mener des réformes structurelles. C'est cette marge que nous allons utiliser cette année. Les Allemands ont utilisé cette souplesse en 2004. En outre, cela dépendra de la croissance. C'est aussi une nouveauté du pacte de stabilité réformé. Mais il est vrai que nos partenaires ont plus de marge que nous pour faire face à un ralentissement de cycle.
Q - Les Allemands n'ont-ils été plus courageux que nous en matière de réformes ?
R - En Allemagne, Gerhard Schröder puis Angela Merkel ont procédé à des réformes profondes et ont bénéficié de la relance de l'activité internationale au bon moment. Nous, nous avons trop attendu pour la réforme des régimes de retraite, du financement de la protection sociale, du marché du travail. Aujourd'hui, on ne le fait pas dans le meilleur environnement possible.
Q - Le Grenelle de l'environnement vient de s'achever. Les mesures annoncées sont-elles toujours compatibles avec celles adoptées par le Conseil européen, en mars dernier ?
R - Les conclusions du Grenelle de l'environnement s'insèrent parfaitement dans la politique communautaire. Un point pose problème : nous avons décidé un moratoire sur une catégorie d'OGM, le "Monsanto 810", qui résiste aux pesticides et a été reconnu valide au niveau européen il y a plusieurs années. Nous pensons qu'il vaut mieux en suspendre la culture en attendant le résultat des expertises scientifiques. Lorsque nous aurons ces résultats, nous discuterons au niveau européen. Mais sur le principe général de la culture des OGM décidé au niveau communautaire, nous sommes prêts à procéder à la réelle transposition de la directive européenne.
Plus généralement, la présidence française va chercher à prolonger le Grenelle de l'environnement. Nos partenaires ont été surpris par la méthode et réalisé que la France faisait de l'écologie un nouveau paradigme politique. On va essayer de promouvoir une fiscalité écologique européenne avec plusieurs aspects : des incitations via les taux de TVA pour développer des produits propres sur le marché européen, qu'il s'agisse des automobiles ou de l'habitat ; la prise en compte du coût écologique des produits européens face aux pays tiers et voir si l'on peut instaurer un mécanisme d'ajustement aux contraintes carbone aux frontières de l'Union qui soit compatible avec les règles de l'OMC.
L'idée de la présidence française est de faire de l'Union européenne un leader international de la lutte contre le réchauffement climatique.
Q - Le fait que la France est une puissance nucléaire la dispensera-t-elle des mêmes efforts que nos partenaires ?
R - Nous voulons d'abord rassurer les opinions publiques. Les pays qui produisent de l'énergie nucléaire ont de bons résultats en matière d'émission de CO2. C'est un fait. Mais nous devons améliorer et harmoniser nos pratiques de contrôle des installations nucléaires. Nous devons aussi mener une réflexion sur la gestion des déchets nucléaires et sur la recherche nucléaire.
Nous plaiderons, ensuite, qu'il n'est pas incompatible d'accroître la part des énergies renouvelables pour réduire les gaz à effets de serre et de comptabiliser le nucléaire.
Q - Vous vous rendez à Bruxelles mardi prochain avec le ministre du Budget Eric Woerth pour défendre le monopole français sur les jeux d'argent. Quels seront vos arguments ?
R - Nous considérons que le système français est parfaitement compatible avec le droit communautaire et on ne voit pas pourquoi une procédure d'infraction à notre encontre serait fondée. Ce n'est d'ailleurs pas la priorité du marché intérieur que d'uniformiser les règles en matière de jeux. Donc nous nous défendrons. Pour autant, nous sommes prêts à évoluer et à tenir compte des évolutions technologiques mais à condition qu'un certain nombre de paramètres soient respectés : lutte contre le blanchiment, lutte contre l'addiction aux jeux, le respect du caractère mutuel des jeux. Il ne faut pas oublier que le sport et la filière équine, qui emploie 60.000 personnes, sont en grande partie financés par la Française des Jeux ou les paris sportifs. Nous exigerons un cahier des charges très précis sur le respect de ces obligations. Si nous ne trouvons pas un accord, nous reviendrons à une application stricte de la loi française.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 novembre 2007