Déclaration de M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur le développement agricole des zones de montagne, les aides apportées à ces zones rurales, l'avenir de ces régions, Haute-Vallée de la Bruche - La Plaine (Bas-Rhin) le 26 octobre 2007<br>

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Circonstance : 23ème congrès de l'Association Nationale des Elus de la Montagne dans la Haute-Vallée de la Bruche - La Plaine (Bas-Rhin) le 26 octobre 2007

Texte intégral

Monsieur le Président, cher Martial,
Monsieur le Secrétaire général,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Président du Conseil régional,
Monsieur le Président du Conseil général,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Vice Président de l'Association européenne des Elus de la Montagne,
Monsieur le Délégué Interministériel à l'Aménagement et à la Compétitivité des Territoires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
C'est pour moi, un très grand plaisir de retrouver aujourd'hui les élus de la montagne. Président du Conseil général de Savoie pendant 17 ans, parlementaire de ce département pendant 23 ans, je n'ai rien oublié des difficultés mais aussi des atouts de nos vallées et de nos sommets.
Merci, Monsieur le Président, de m'avoir donné l'occasion de renouer ce contact. Je suis particulièrement heureux de me retrouver ici, aujourd'hui parmi vous. Lorsque j'observe, monsieur le Président, la liste de vos prédécesseurs, Louis Besson, qui a été le premier président puis plusieurs fois ministre, Patrick Ollier, président de commission à l'assemblée nationale, Michel Bouvard, aujourd'hui président de la caisse des dépôts, je constate la grande qualité des élus de la montagne.
Depuis plus de 35 ans maintenant, l'Etat a développé des outils au service de nos territoires les plus difficiles. Votre association a largement contribué à leur création et je connais, Monsieur le Président, votre vigilance, qui n'a d'ailleurs d'égale que celle de vos prédécesseurs, sur leur pérennité et leur actualisation. Je vais y revenir.
Mais votre congrès intervient à un moment capital. Un moment où se clôt la réflexion du Grenelle de l'environnement où les Assises de l'agriculture préparent les positions françaises dans le bilan de santé de la PAC et la révision de l'après 2013 et à quelques jours de l'ouverture des Assises de la forêt.
Je souhaite vous faire partager nos réflexions et la méthode.
2007, année de mise en oeuvre du Plan de développement rural hexagonal
La politique en faveur des zones de montagne est, pour une large part, née en France. Mais sans l'Union européenne, nous ne pourrions pas, je le dis clairement, mettre en oeuvre une politique de soutien, au niveau où elle est désormais.
Le Plan de développement, dont les Préfets de région achèvent actuellement la mise en place les procédures opérationnelles, offre à notre pays un champ d'action large.
Sur la période 2007-2013, la dotation attribuée à la France par l'Union européenne est de 6,4 Milliards d'euros.
Les territoires ruraux métropolitains bénéficieront de :
* 5,7 milliards d' euros de l'Union européenne,
* 6,3 milliards d'euros de l'Etat,
* 1,6 milliard d'euros des collectivités territoriales,
soit, au total, plus de 13,5 Milliards d' euros.
Toute période de transition fait naître des doutes, parfois même de la suspicion. Le passage d'une période de programmation à l'autre n'a pas échappé à cette règle.
J'entends dire, ici ou là, que la montagne serait oubliée, sacrifiée même !
Certes, le programme hexagonal n'a été approuvé qu'en juillet, ce qui n'a pas contribué à lever les doutes. Pourtant, nous sommes parmi les premiers à avoir un programme opérationnel.
Les programmes de Corse et des DOM sont encore en phase d'instruction par les services de la Commission.
Nos outils sont donc stabilisés pour les cinq ans à venir. Pour certains d'entre eux, qui ne concernent que l'agriculture, ils sont nationaux, pour d'autres, ils connaissent au moins an niveau des enveloppes affectées des déclinaisons régionales. Ces outils tiennent naturellement, et c'est leur rôle, une place essentielle dans le maintien et le développement des territoires de montagne.
Le maintien en montagne d'exploitations agricoles dynamiques permet à la fois :
- de développer des activités de production agroalimentaire de qualité dans nos montagnes ;
- d'y réaliser d'autres objectifs, comme le maintien des populations rurales ou le développement d'activités telles que le tourisme.
Les aides publiques pour les activités agricoles en montagne sont justifiées :
- parce que les possibilités d'utilisation des terres sont fortement limitées ;
- parce que les coûts de production y sont élevés et croissants.
Je souhaite m'y attarder quelques instants.
* les ICHN
Environ 60 % des bénéficiaires de l'ICHN sont en zone de montagne, ils représentent 56 % des surfaces primées et près de 80 % du montant total distribué. Celui-ci atteint 520 millions d'euros en 2007 dont 55 % proviennent des fonds communautaires.
La revalorisation des 25 premiers hectares est, cette année, de 5 % supplémentaires. La revalorisation atteint désormais 35 % en montagne et 30 % en zones Piémont et défavorisées Je souhaite pouvoir atteindre le plus rapidement possible l'objectif d'une revalorisation de 50 % des 25 premiers hectares.
Entre 1997 et 2007, le montant moyen d'indemnités compensatrices de handicap perçu par un exploitant aura très exactement doublé. Ce montant est passé de 2 650 euros à 5 300 euros en dix ans. Il était de 3 763 euros en 2001. Je ne pense pas que beaucoup d'aides publiques aient connu une telle évolution. Elle est juste : il suffit de comparer charges et revenus des exploitants de montagne et de plaine.
Ces indemnités sont en cours de versement. Les délais habituels sont tenus.
* les aides de mécanisation
L'aide à la mécanisation a été rétablie. Je dispose cette année de 1 million d'euros, somme qui sera abondée par certaines collectivités locales. Mais je dois souligner que la sous-consommation de cette ligne au cours des dernières années avait conduit mon anté-prédécesseur à la supprimer.
* les aides aux bâtiments d'élevage
J'en viens aux bâtiments d'élevage. Le plan lancé en 2005 est victime de son succès. Il était prévu et financé pour 5 000 dossiers par an, ce qui correspondait à l'estimation des besoins par la profession comme par l'administration. Il en a enregistré près de 20 000 en 2 ans. Dans le même temps les montagnards ont eu le sentiment d'être fondus dans la masse.
Il n'en est rien: En 2004, l'ancien dispositif « bâtiments en montagne » bénéficiait de 23 millions d'euros pour l'année. En 2005-2006, parmi les 11 000 dossiers subventionnés, 28 % provenaient de la zone montagne et ils ont bénéficié de 42 % des crédits soit 42 millions d'euros par an. L'aide moyenne est supérieure de 11 000 euros soit 35 % pour les projets situés en montagne par rapport à ceux situés dans le reste du territoire.
Au moment où j'ai pris mes fonctions, plus de 9 000 dossiers étaient en instance. Il fallait réagir vite. Je l'ai fait avec le soutien du Premier ministre. J'ai, à la fois, dû réviser le plan en le rendant plus restrictif, sans remettre en cause les spécificités des jeunes agriculteurs et de la montagne. Ils continueront à bénéficier de bonus significatifs et j'ai abondé les crédits disponibles qui passent avec les crédits européens de 104 à 150 millions pour cette année.
* les prêts aux jeunes agriculteurs
Les jeunes agriculteurs, pour leur part, sont très attentifs à la bonification des taux d'intérêt des prêts qu'ils souscrivent au moment de l'installation. Le retard pris en début d'année dans la signature des conventions avec les banques, le renchérissement du coût de l'argent et les nouvelles procédures ont grandement compliqué ce dossier.
Les taux des prêts bonifiés sont de 1 % en montagne et de 2,5 % ailleurs. Le relèvement des taux du marché entraîne un surcoût pour cette action de 30 % actuellement. C'est ainsi qu'au 31 août, 43 millions d'euros étaient engagés contre 32 millions d'euros à la même date en 2006. J'ai pris l'engagement d'honorer toutes les demandes nouvelles d'ici la fin de l'année.
Reste la question du plafond d'aides à l'installation à 55 000 euros qui pose désormais difficultés là où les collectivités locales avaient décidé d'accompagner l'installation.
Ce plafond est dans le règlement de développement rural, sa révision sera difficile mais la France la demandera.
* la PHAE
La PHAE 1 arrive à son terme cette année. Elle verra son enveloppe exactement reconduite en 2008. Ce qui doit permettre à tous les bénéficiaires actuels d'y souscrire de nouveau pour cinq ans. Toutefois, le choix fait à la demande des organisations professionnelles nationales, d'une mesure unique au plan national, plutôt que de mesures régionalisées pose des problèmes comme j'ai pu m'en rendre compte dans le Cantal, vendredi dernier. Mes collaborateurs examinent, au vu des premiers dossiers engagés en PHAE2, les améliorations qui peuvent être apportées au système.
* l'aide aux filières
Enfin, les filières disposent, quant à elles, d'outils nouveaux pour prendre en compte les spécificités montagnardes dans le respect du cadre européen actuel. Ceux-ci ont été présentés devant le groupe « Montagne » que j'ai réuni le 17 octobre dernier et où vous étiez représenté, je ne m'attarde pas.
En m'excusant d'avoir volontairement été dans les détails, je veux aussi souligner que le PDRH comme le Ministère d'ailleurs, sont aussi au service de la ruralité.
A ce titre, toutes les politiques conduites en montagne, je pense, par exemple, au pastoralisme, sont l'objet d'attention en lien étroit avec les Ministres compétents sur les différents sujets. Faute de temps, je ne m'y attarderai pas cette année.
Mesdames et Messieurs, je veux vous assurer de ma vigilance pour poursuivre cette politique en faveur de l'agriculture de montagne mais les doutes exprimés m'interpellent.
Cette politique mérite d'être mieux identifiée peut-être, d'être rénovée sans doute. La montagne doit être prise en compte dans les débats à venir. C'est pourquoi, j'ai proposé au Premier ministre de nommer un parlementaire en mission pour conduire ce bilan et cette réflexion. Pierre MOREL A L'HUISSIER, Député de la Lozère, a accepté cette mission. Je l'en remercie.
Je voudrais maintenant vous parler d'avenir. On disait de l'agriculture qu'elle était du passé, qu'elle était dépassée. Elle est sur le devant de la scène. Elle y restera, parce qu'elle est au coeur des enjeux de demain. Et demain se prépare maintenant. Pour ne pas subir notre avenir. Pour le construire.
Construire l'avenir
La conviction que je me suis forgée au fil de ma vie publique entre le Conseil général de Savoie ,la Commission européenne, le Ministère de l'Ecologie ou celui des Affaires Etrangères, et mon passage chez Mérieux, c'est que l'agriculture est au coeur de tous les grands sujets de nos sociétés, partout où se trouvent les défis de demain, au coeur des préoccupations de nos concitoyens : ce qui les inquiète, ce qui les réunit dans des instants de convivialité autour des repas... Alors, pas de complexe, oui l'agriculture est source de modernité, oui l'agriculture peut constituer une réponse aux défis de notre planète. Alors, allons-y, sans complexe, sans nostalgie, sans états d'âme.
C'est le moment :
* la dynamique gouvernementale et la détermination politique de changement sont totales avec une nouvelle performance et une nouvelle gouvernance. A nous d'en tirer parti,
* une clause de rendez-vous en 2008, une réforme en 2013 dans un contexte européen où la France s'est remise au centre du jeu avec le Traité simplifié et face à une échéance : la présidence française de l'Union. A nous de transformer une crainte du changement en perspective,
* de nouveaux points de repère : le défi alimentaire et le défi énergétique. Ils nous enseignent tout simplement ce que nos sociétés riches avaient oublié : la première fonction de l'agriculture, c'est de produire. Produire pour nourrir les hommes depuis la nuit des temps et désormais produire pour desserrer la contrainte de l'épuisement des énergies fossiles. J'en rajouterai un : le défi de la santé publique avec le lien entre alimentation et santé que l'agriculture ne peut ignorer.
* un sentiment diffus mais assez fort chez les agriculteurs : on est au bout des systèmes que l'on s'est efforcé d'ajuster au mieux, au fil des ans. L'accélération dans le temps des réformes est l'illustration de leurs limites ou de leurs fins programmées.
Mon objectif est de saisir cette opportunité et la transformer en atout pour l'agriculture, dans le débat public.
Et le long terme, c'est inscrire l'agriculture dans le développement durable. Qui dit une agriculture durable, dit une agriculture...
- créatrice de croissance économique,
- responsable et respectueuse de l'environnement,
- porteuse de progrès social et d'un progrès pour la société.
C'est presque une banalité, devant un auditoire comme le vôtre, de rappeler que l'agriculture ce ne sont pas simplement des produits qui s'échangent sur des marchés, ce sont d'abord des hommes et des femmes, des paysages, des territoires, du lien social, une vision du rapport de l'homme à la nature, au vivant, et de l'alimentation. Mais, cette réalité aujourd'hui a une valeur.
Notre ambition, c'est de tenir les territoires, notamment en montagne là aussi, pas dans le seul intérêt des agriculteurs, mais parce que je suis convaincu que la cohésion territoriale participe de la cohésion sociale. Prôner le développement durable, c'est prôner un développement équitable entre les territoires. En tant que Commissaire européen, je me suis battu pour réduire la fracture territoriale et nous l'avons inscrit comme objectif de la politique régionale. Je n'ai pas changé d'avis.
Dans ce cadre, une de mes priorités sera de préserver les productions valorisant l'herbe, véritable ossature d'un grand nombre de territoires. Dans la perspective de l'après 2013, il nous appartiendra de revoir les objectifs assignés à ces territoires qui doivent rester des territoires de production et les politiques qui y sont attachées en recherchant une logique de développement durable.
La production n'est pas une fin en soi. Si elle ne s'accompagne pas d'une valorisation satisfaisante du produit, il n'y a pas de rémunération. Nos territoires de montagne sont déjà nombreux à avoir emprunté la voie de l'excellence, celle aussi de l'innovation associée à l'identité du territoire pour capter une meilleure valorisation du produit.
Dans cet esprit, les décisions que nous prendrons en 2008 devront répondre à deux conditions :
- il faut d'abord produire pour nourrir : cela signifie que nous devons assurer l'indépendance alimentaire de l'Europe. Pour cela, nous avons besoin de garder des instruments pour réguler les marchés, instables par nature. La Commission européenne devra se montrer ambitieuse dans ses propositions sur les mesures de gestion des crises.
- L'animation des territoires est une fonction essentielle de la politique agricole. Aucune des mesures décidées ne devra menacer l'activité de régions entières.
Trois volets du bilan de santé vont plus directement toucher la montagne.
* Découplage
La France s'opposera à un découplage plus important que celui décidé en 2003 pour les aides animales. Il s'agit de s'assurer du maintien de filières actives dans les zones où la PMTVA ou la prime à la brebis jouent un rôle déterminant, comme c'est le cas dans beaucoup de régions de montagne.
* Quotas laitiers
Notre objectif sera d'éviter la déstructuration des filières et la délocalisation de la production hors des zones fragiles, et tout particulièrement des zones de montagne, en cas de suppression des quotas.
* Modulation
La France sera ouverte sur l'idée d'un transfert plus important vers le 2ème pilier. Je compte affecter une part de la ressource procurée par la modulation pour soutenir les territoires fragilisés par l'évolution de la PAC ; je pense par exemple à certaines zones de montage où la production laitière ou ovine est menacée par le découplage et la fin des quotas. Une grande subsidiarité sera probablement nécessaire.
D'ores et déjà, je m'emploie à faire partager ce souci du devenir des territoires de montagne à plusieurs de mes collègues européens. Il nous faut tous relayer le message, quelles que soient nos fonctions.
J'ai proposé au groupe « Montagne », l'ANEM en est membre, la semaine dernière, la constitution d'un groupe de travail spécifique sur ces questions. Ses réflexions seront bien sûr exportées vers les cinq groupes de travail des Assises. Vous y serez donc associé, Monsieur le Président.
Tout cela suppose bien sûr deux préalables, sur lesquels la France sera intraitable :
- le budget de la PAC doit être garanti jusqu'à au moins 2013, comme l'engagement en a été pris ;
- la préférence communautaire doit être préservée, ce qui ne serait absolument pas le cas si un accord devait être trouvé à l'OMC sur les bases en discussion. Le Président de la République a été très clair là dessus : la France n'hésitera pas à s'opposer à un mauvais accord.
L'objectif ambitieux que je propose est tout à la fois de préparer au mieux une présidence française de l'UE réussie, de donner des perspectives de moyen et de long termes à notre secteur agricole et agroalimentaire pour prendre les bonnes décisions lors du bilan de santé et de « refonder » sur des bases solides, car partagées, le pacte essentiel entre une agriculture compétitive et durable et la société, reconnaissant ainsi la place de nos activités dans son équilibre au quotidien.
Au second trimestre, j'engagerai une consultation dans les régions .J'ai souhaité que les acteurs de terrain puissent ensemble avec les collectivités territoriales s'approprier la nouvelle donne : tracer, en fonction des objectifs et des dispositifs que nous aurons arrêtés, leur avenir et conduire les évolutions nécessaires en anticipant les échéances.
Je sais, Mesdames et Messieurs pouvoir compter sur vos contributions pour définir les orientations d'un nouveau projet pour l'agriculture, et pour le monde rural, en premier lieu la montagne qui nous est chère.
Source http://www.anem.org, le 7 novembre 2007