Interview de Mme Rachida Dati, ministre de la justice, à "Europe 1" le 30 octobre 2007, portant notamment sur la mise en oeuvre de la réforme de la carte judiciaire.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- En fin de matinée, vous serez en Corse. Avant le Conseil des ministres, vous allez poursuivre votre tour de France des cours d'appel pour révéler votre réforme de la carte judiciaire. Est-ce qu'en Corse vous maintenez tous les tribunaux ?
R- Les chefs de cour et les préfets m'ont fait part de propositions et de suggestions de schémas d'organisation pour la justice en Corse, je suis en train de regarder ces schémas. Je verrai les élus tout à l'heure, nous allons encore en discuter, et puis, les annonces, les propositions définitives seront annoncées, seront faites d'ici deux semaines.
Q- Cela veut dire que vous décidez au dernier moment ?
R- Je ne décide pas au dernier moment, je décide en fonction des ajustements à faire, en intégrant l'aménagement du territoire, des préoccupations... C'est-à-dire que quand on va sur le terrain, on se rend compte qu'il y a des choses qu'on a oublié d'intégrer ou qu'il est important de ne pas oublier.
Q- C'est pourquoi vous visitez toutes les cours d'appel ?
R- Il est important que je puisse me rendre dans toutes les cours d'appel, pour me rendre compte moi-même du schéma d'organisation et du nouveau schéma d'organisation de la justice, par respect pour les personnes qui rendent la justice, mais aussi, puisque les schémas et les propositions viennent du terrain, il est important que j'aille sur le terrain pour l'exposer.
Q- Et c'est à dire qu'à la fin des déplacements, la réforme de la carte judiciaire sera prête, et vous la ferez. Pourquoi vous voulez la faire avant le mois de mars, avant les élections municipales ?
R- La réforme de la carte judiciaire, tout le monde est d'accord pour la faire. C'est vrai que...
Q- On ne dirait pas ! Quand on voit les manifestations, on ne dirait pas mais on n'en reparlera.
R- D'autres gardes des Sceaux, et non des moindres, ont essayé avant moi. Non pas que je sois meilleure qu'eux, simplement, aujourd'hui, tout le monde s'accorde à ce qu'elle se fasse. Pourquoi ? Parce que la justice ne peut plus fonctionner comme elle fonctionnait en 1958. Aujourd'hui, il y a eu quelques faits divers, et il y a eu le dernier drame d'Outreau qui a quand même marqué les Français. Donc, du drame d'Outreau, il y a une loi qui a été votée par le Parlement le 5 mars dernier, qui nous oblige à créer ce qu'on appelle des "pôles de l'instruction". Alors cela paraît technique : il s'agit d'avoir des magistrats mieux formés, mieux encadrés pour traiter des affaires à l'instruction très complexes. Donc je suis obligée par la loi de créer ces pôles de l'instruction avant le 1er mars 2008.
Q- Avant le 1er mars et ce sera fait. Il y a parfois des réactions plutôt sympathiques des élus de gauche, plus dures de la part des élus de la majorité de l'UMP. Est-ce que N. Sarkozy vous encourage à aller vite pour cette réforme ?
R- C'est un engagement présidentiel, cette réforme de la carte judiciaire, donc le président de la République souhaite que cet engagement soit tenu dans la concertation, ce qui se fait, et puis dans la déclinaison, cour d'appel par cour d'appel.
Q- Est-ce qu'il y a trop de tribunaux en France ?
R- Ce n'est pas un problème de nombre, ce n'est pas une réforme mécanique. La carte judiciaire date de 1958 ; c'est quoi la carte judiciaire ? Ce sont les implantations des lieux où l'on rend la justice ; les lieux où on rend la justice aujourd'hui, en 2007, datent de 1958. On n'a touché ni aux périmètres ni aux moyens de rendre la justice.
Q- Vous fermez ou vous maintenez selon quels critères ?
R- On réforme. Il s'agit de supprimer des structures mais de maintenir la justice de proximité. Aujourd'hui, la justice de proximité n'est plus la même qu'en 1958. Si je prends quelques contentieux, par exemple les affaires familiales, c'est un contentieux...
Q- Les divorces, les tutelles, les surendettements...
R- ...C'est un contentieux de proximité qui, aujourd'hui, n'est pas dans les tribunaux d'instance, il est dans les tribunaux de grande instance. On devrait réfléchir pour voir si ces contentieux ne peuvent pas être plus dans la proximité.
Q- Et quand vous fermez un tribunal d'instance, qui rend la justice ? Quel est le service ? Où se fait le service de la justice ?
R- Les tribunaux d'instance, c'est un magistrat tout seul dans un tribunal isolé. Le magistrat d'instance, pour l'essentiel, fait par exemple les tutelles. Les tutelles, c'est protéger des personnes qui sont dans des incapacités temporaires ou définitives. Donc, sur les tutelles, donc sur ces personnes vulnérables, le magistrat et le greffier se déplaceront auprès de ces personnes pour pouvoir prendre des décisions pour les protéger. Il est important de dire que la magistrature, les magistrats et les greffiers, - ce qui est déjà possible aujourd'hui - se déplaceront auprès des personnes qui ne peuvent pas le faire. Simplement, quand on est dans un tribunal d'instance, il y a un juge tout seul, donc il ne peut pas tout faire.
Q- Pourquoi la réforme déclenche tant de protestations ? Partout où vous allez, il y a quelquefois des applaudissements et quelquefois des sifflets et du chahut. A quoi cela tient-il ?
R- Mais j'entends les inquiétudes, c'est normal, la carte n'a pas été touchée depuis 1958. Vous arrivez et vous dites, "on va revoir, on va supprimer des structures". Mais on va revoir le service, parce que nous maintenons la justice de proximité, elle est maintenue.
Q- Oui, mais vous le dites, vous le répétez ici, mais vous entendez les syndicats vous répéter que vous voulez démanteler le service public de la justice de proximité.
R- Il est important que la justice se rende au plus près des Français, et en particulier des plus démunis, des plus modestes ; c'est un engagement que nous avons. Quand on supprime une structure ou on la reconfigure, au contraire, on renforce ses moyens pour la justice qui est utile et nécessaire. Je vous donne juste un exemple : il y a environ une centaine de tribunaux d'instance, où dans lesquels il n'y a ni magistrat ni fonctionnaire, ni greffier.
Q- Ils seront fermés ?
R- Ils ne sont pas fermés...
Q- Ils seront fermés !
R- Non.
Q- Il y aura des services de justice, mais ils seront fermés ?
R- Il s'agira de regrouper des moyens, d'avoir des magistrats plus regroupés, qui puissent travailler en équipe, avec des mutualisations de moyens sur la gestion administrative, qui ne sont pas des missions dévolues aux magistrats.
Q- On va dire que c'est une justice de pénurie.
R- Non, pas du tout !
Q- Parce que vous avez 4,5 de plus pour le budget 2008, c'est bien, mais beaucoup disent que cela ne suffit pas dans l'état où est la justice.
R- Eh bien justement, quelle est la justice aujourd'hui, comment doit-elle être rendue, qu'est-ce qu'on attend de la justice aujourd'hui ? Il est important, avant de parler de moyens, de dire qu'est-ce qu'on attend de la justice aujourd'hui.
Q- On dit que, globalement, c'est au moins le tiers de tous les tribunaux de grande instance ou d'instance qui seront fermés ou qui disparaîtront, au moins le tiers !
R- Ce n'est pas une réforme mécanique, c'est une réforme de qualité de la justice. Nous reconfigurons, nous revoyons, nous redéfinissons la justice de proximité. C'est un engagement pour les personnes les plus démunies et les plus modestes, il y aura plus de justice, ce n'est pas moins de justice.
Q- Même ceux qui reconnaissent la nécessité d'une réforme de la carte judiciaire se plaignent du manque de concertation de la méthode R. Dati. Ils disent que les décisions sont prises au dernier moment, région par région, et qu'il n'y a pas la concertation. Par exemple, vous aviez installé le Comité national consultatif que vous deviez revoir, consulter ; il n'y a pas eu de rencontre. Et quand vous les recevrez peut-être ou quand vous les réunirez, ce sera trop tard, tout sera fait.
R- Ce Comité consultatif a été installé le 27 juin dernier. Les membres de ce comité, ce sont des représentants des organisations professionnelles et syndicales. J'ai fait un discours, je leur ai donné à peu près le schéma, la réflexion que nous avions sur la réforme de la carte judiciaire. Ils ont émis des propositions et des contributions ; ils devaient me faire part de leurs contributions et leurs propositions pour le 30 septembre dernier...
Q- Par écrit ?
R- Par écrit. Ils l'ont fait, tout est en ligne !
Q- Donc ce n'est pas la peine de les réunir ?
R- Tout est en ligne ! J'ai pris ces contributions, j'ai pris ces propositions qui, je le rappelle, sont des orientations très générales. Ce ne sont pas des schémas cour d'appel par cour d'appel, ce sont des orientations très générales, et puis des principes qui peuvent présider à la réforme de la carte judiciaire. Je les ai intégrés dans les schémas que nous proposons.
Q- Alors pourquoi se plaint-on de la méthode Dati ?
R- La concertation, pour moi, elle vient aussi du terrain. Les chefs de cour, premiers présidents et procureurs généraux, ont fait un travail remarquable : ils ont consulté, concerté, pendant tout l'été. Ils ont réuni tous les acteurs du monde judiciaire, les préfets ont reçu tous les élus. De ces concertations, ils m'ont remis des rapports ; les rapports m'ont été remis le 30 septembre. Donc la concertation et les schémas viennent du terrain. Donc je vais les exposer sur le terrain. Donc cette concertation a eu lieu avec les personnes concernées.
Q- Donc, la réforme se fera ?
R- Oui.
Q- Vous en êtes sûre ? Il y a la grève du 29, estimez-vous qu'elle était importante, qu'elle le sera ou que, finalement, il représente l'expression d'une minorité du monde de la justice ?
R- J'ai beaucoup de respect pour toutes les formes d'expressions, qu'elles soient majoritaires ou minoritaires. Il est important d'entendre tout le monde. Donc les syndicats ont été reçus, ils continuent à être reçus à mon cabinet ; j'en reçois également, c'est comme avec les avocats. Il est important d'entendre tout le monde et d'entendre les inquiétudes. Je ne néglige pas cela. Il est important pour moi d'entendre et d'expliquer.
Q- Mais alors comment expliquez-vous ce climat ? Est-ce que vous êtes trop rapide, trop déterminée ou alors les magistrats, les greffiers, les avocats sont peut-être un peu trop conservateurs ?
R- Non, mais c'est ce que je vous disais tout à l'heure, on a rien touché depuis 1958 et on s'y met maintenant. Donc il est important aussi d'expliquer. Je le fais cour d'appel par cour d'appel, je le fais avec toutes les personnes concernées.
Q- Donc, vous ne comprenez pas, si je vous écoute bien, la critique qui vous est faite de précipitation, de manque de concertation. Vous, vous ne la comprenez pas ?
R- Je dis, j'entends les inquiétudes. On me dit qu'il n'y a pas eu de concertation", je dis que c'est faire injure aux chefs de cour ou aux préfets qui ont mené cette concertation pendant tout l'été. Donc il est important, aussi, que je puisse exposer, et je vais directement exposer ces nouvelles propositions.
Q- Quand on dit que c'est une réforme politique et que vous protégez les bastions de l'UMP, qu'est-ce que vous répondez ?
R- Je vous invite à avoir tous les schémas, puisque tout est en ligne, je suis extrêmement transparente là-dessus, et vous verrez bien que ce n'est pas une réforme de droite ou de gauche, c'est une réforme dans l'intérêt de tout le monde. Je me suis beaucoup inspirée des travaux de J. Toubon, d'H. Nallet, d'E. Guigou qui ont fait beaucoup de travail, et qui ont essayé de réformer la carte judiciaire. Et à chaque fois, ça s'est arrêté parce qu'il y a eu des résistances. Mais ce n'est pas une réforme de droite ou de gauche. La qualité de la justice, c'est ni de droite ni de gauche, et le drame d'Outreau, on ne s'est pas posé la question si l'impact est de droite ou de gauche.
Q- Une dernière question là-dessus. Le président du Conseil national des barrots P.-A. Iweins, c'est le président des bâtonniers, F. Natali, ont salué votre volonté de répondre vite aux demandes de compensations pour les avocats affectés par votre réforme. Quelles compensations et quand ?
R- Nous sommes en train d'en discuter. Nous sommes tombés d'accord sur une méthode, sur les sujets et thèmes sur lesquels nous avons discutés. Cela peut être la multipostulation ; qu'est-ce que c'est ? Les modalités de la multipostulation, c'est qu'aujourd'hui, un avocat qui est rattaché à
un tribunal ne peut pas aller plaider dans un autre tribunal. Donc de voir comment on peut étendre cela. Cela peut être la représentation obligatoire, cela peut être aussi dans le cadre de l'aide juridictionnelle, cela peut être d'intégrer la magistrature, de favoriser les passerelles.
Q- Le Conseil supérieur de la magistrature vous a donné tort hier, il est défavorable à la mutation du procureur général d'Agen B. Blais à la cour de cassation. C'est vous qui avez le pouvoir de trancher, est-ce que vous maintenez ce matin cette bonne décision ?
R- Il est important que les procureurs généraux se renouvellent. Je ne connais pas personnellement ce procureur général, je dis simplement qu'il était là-bas depuis plus de quatorze ans, il est important de renouveler à ces postes de hautes responsabilités, comme le prévoit la loi, et puis de féminiser ce corps.
Q- Vous confirmez votre décision ?
R- Oui.
Q- La justice tchadienne a transféré cette nuit à N'Djamena les membres de "l'Arche de Zoé", les journalistes. Elle les a inculpés d'enlèvement d'enfants et d'escroquerie. Est-ce que vous comprenez le Tchad ?
R- C'est un pays souverain. Sa justice est souveraine donc je ne ferai pas de commentaire sur la justice tchadienne. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il y a eu dès le mois de juillet dernier une enquête préliminaire qui a été faite en France par le parquet de Paris. Il y a eu des auditions en juillet et en août dernier, des personnes en lien avec cette association et le 24 octobre dernier, il y a eu une ouverture d'information sur la qualification d'exercice illicite...
Q- Cela a été lent pour ouvrir l'information judiciaire...
R- Oui, mais il y a eu une enquête préliminaire - c'est aussi de la justice une enquête préliminaire - sur la qualification d'exercice illicite d'intermédiaire en vue d'un placement d'adoption.
Q- C'est la qualification du délit par Paris ?
R- Oui, c'est la qualification sur laquelle l'information c'est ouverte.
Q- Oui, mais vous la répétez ce matin ?
R- Exercice illicite d'activité d'intermédiaire en vue de l'adoption d'un
placement d'un enfant.
Q- Il y aurait une convention franco-tchadienne en matière de justice, est-ce qu'elle permet d'expulser les 9 du Tchad et, peut-être, de les rapatrier ?
R- Le Tchad peut dire, dans le cadre de cette convention, "je laisse à la France la possibilité de traiter cette affaire judiciaire". Pour l'instant, on n'est pas allé sur cette convention. Il y a un juge d'instruction...
Q- Mais on pourrait aller sur cette convention, elle permet ?
R- Je ne ferai pas d'autres commentaires. Il y a un juge d'instruction qui est saisi, qui est en charge de l'affaire, il sera admis à avoir des actes de procédure, et nous verrons en fonction de cela.
Q- Mais le juge d'instruction peut demander librement l'application de la convention ?
R- Le juge d'instruction est libre des actes de procédure qu'il fait.
Q- Et si les neuf sont rapatriés, ils seront jugés en France ?
R- On verra, suite aux actes de procédure qui seront menés.
Q- Dans quelques jours, vous allez publier chez Grasset un livre témoignage avec un titre : "Je vous fais juge". Juge de quoi ?
R- Je n'ai jamais voulu ni écrire ni exposer d'aucune manière...
Q- Vous le faites !
R- Je corrige quelques rumeurs ou des choses qui sont fausses, qui ont été dites. Voilà, je corrige uniquement ça.
Q- Donc vous nous prenez à témoin ?
R- Non, je corrige des incorrections.
Q- Vous racontez votre itinéraire, exceptionnel et exemplaire, ça on le sait. Et vous répondez à tout, car on n'arrête pas de vous chercher. On pourrait savoir pourquoi, on pourrait se demander pourquoi... Il parait que le Canard enchaîné va consacrer demain une page entière sur l'authenticité de vos diplômes et que dans le livre vous répondez. Qu'est-ce que vous dites ?
R- Quand on me parle de faux diplômes, il faut une matérialité. Je ne
commente pas quelque chose qui est absolument infondé. Donc je n'ai
pas de commentaire à faire. Maintenant, si on veut persister là-dedans...
Moi, je n'ai pas d'autre commentaire. Cela fait partie de la
responsabilité. Je suis exposée donc on peut faire feu de tout bois en ce
qui me concerne.
Q- Mais pourquoi on s'acharne sur vous ?
R- Je n'en sais rien.
Q- Mais vous avez une petite idée...
R- Je préfère ne pas dire ma petite idée.
Q- Dites la !
R- Non.
Q- Ici on sait tout !
R- Je n'ai pas d'autre commentaire à faire.
Q- Mais c'est cela la politique, c'est dur !
R- C'est pour cela que je dis que cela fait partie de l'exposition.
Q- Et peut-être faut-il se faire élire ; est-ce que vous serez candidate aux municipales à Paris ?
R- Il y a une commission d'investiture qui va se tenir au mois de novembre au sein de l'UMP pour proposer les têtes de liste. Je suis fortement intéressée, oui.
Q- Où ? Il faut que le dise, et vous me direz oui ou non : dans le 7ème c'est ça ?
R- Oui.
Q- On vous sait proche du couple Sarkozy. Des journaux racontent que vous ne prenez plus au téléphone C. Sarkozy. C'est vrai ?
R- On parlait des ragots et des rumeurs, mais c'est de la même manière. Il y a des volontés de s'acharner sur des ragots et des rumeurs, donc, je n'ai pas d'autres commentaires à faire. Tout ce que je peux dire, c'est que je suis extrêmement fidèle en amitié.
Q- Vous voyez, vous pouvez couper court, vous pouvez couper le cou des rumeurs, en disant la vérité !
R-Eh bien voilà, je vous le dis.
Q- Donc, ce qui a été dit est faux, c'est ça ?
R- Puisque ce sont des rumeurs et des ragots, ce ne sont pas des vérités.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 octobre 2007