Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à "LCI" le 21 novembre 2007, sur la grève dans les services publics de transports et la négociation entamée entre le gouvernement et les syndicats concernant la réforme des régimes spéciaux de retraite.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- Le Conseil des ministres va boucler aujourd'hui le collectif budgétaire. Alors, la France va finir l'année budgétaire avec quel déficit ?

R.- Avec un déficit de l'ordre de 3,3 milliards d'euros...

Q.- C'est un peu moins pire que prévu ; est-ce une bonne nouvelle ?

R.- C'est une façon de voir les choses. Ce qui était prévu, c'était 42 milliards d'euros, c'est ce qu'avait voté le Parlement en 2007, fin 2006 pour l'année 2007, en exécution budgétaire, c'est-à-dire la capacité à exécuter le budget, à réguler les dépenses, à les maîtriser, également avoir quelques ressources supplémentaires sur le plan de la fiscalité, nous amène à un déficit qui est moindre que celui qui était prévu, c'est-à-dire, de l'ordre de 38 milliards d'euros. Alors, c'est beaucoup trop encore. Et évidemment, le Gouvernement ne s'en satisfait pas. Donc, il y a encore beaucoup de travail.

Q.- Donc, c'est beaucoup trop, mais l'année prochaine vous remettez...

R.-...Mais c'est mieux, mais c'est mieux.

Q.- L'année prochaine, pour 2008, vous prévoyez à nouveau presque 42 milliards !

R.- Oui, oui.

Q.-...alors, que vous n'êtes pas...

R.- Oui, on prévoit, l'année prochaine, un déficit inférieur à celui qui avait prévu en 2007, à quelques centaines de millions près. J'ai bien l'intention aussi, dans l'exécution du budget tout au long de l'année 2008, de faire mieux.

Q.- Etes-vous optimiste sur la croissance - 0,7 au troisième trimestre - ?

R.- Je suis optimiste sur l'idée qu'on puisse atteindre l'équilibre des finances publiques en 2012. Le président de la République nous y a fortement incités, a pris cet engagement vis-à-vis de nos partenaires européens. On est là-dessus.

Q.- Mais 2010... ?

R.- 2010, c'est aussi ce qu'on a dit et répété régulièrement, c'est possible s'il y a un taux de croissance qui est supérieur au taux de croissance qu'on affiche aujourd'hui dans les budgets. Ce n'est pas du tout impossible, mais aujourd'hui, dans une vision prudente, ce n'est pas ce sur quoi on se fonde. Donc, 2010, si la croissance est au rendez-vous ; 2012, c'est-à-dire à la fin du quinquennat, si la croissance est ce qu'elle est aujourd'hui.

Q.- "Il faut savoir terminer une grève", a dit, N. Sarkozy, hier, en citant M. Thorez. La fin des grèves, est-ce pour aujourd'hui, ou n'est-on pas en train de se faire déborder par les radicaux à la base ? On a vu des actes de sabotages cette nuit sur les lignes de TGV, dénonce la SNCF.

R.- Les Français en ont marre, et ils ont raison ! C'est-à-dire que, il y a un moment donné, on est empêchés de vivre ou d'aller travailler pour des raisons parfois qu'on ne comprend pas. Et je vois ce que c'est. J'habite Chantilly, je vois ce que c'est que, aujourd'hui, les grèves. Je pense qu'il faut arrêter à un moment donné parce que tout est sur la table, parce que les positions des uns et des autres ont été exposées, parce que le Gouvernement a bougé, il est ferme sur les principes. Evidemment, il faut réformer les régimes spéciaux, et en n'étant pas fermés à la négociation, c'est ce qui a été le cas depuis le début avec X. Bertrand, le Premier ministre, le président de la République. Donc, à un moment donné, il faut dire "stop à la grève !", et puis se remettre autour d'une table, c'est ce qui va se passer cet après-midi. Et j'espère que les discussions dans les entreprises, à la RATP, à la SNCF, cet après-midi, amèneront les syndicats à décider la sortie définitive de la grève.

Q.- N'est-ce pas déjà trop tard ? Est-ce que, à la base, on le voit avec ces actes sabotages, on le voit avec la détermination de ceux qui veulent maintenir les 37,5 années de cotisations, n'est-on pas dans une forme de radicalisation qui est de poursuivre la grève ?

R.- 70 % de ces deux entreprises, qui sont les plus visibles, la RATP et la SNCF, ne sont pas en grève, donc il y a à peu près 30 ou 25 %, je ne sais pas, on verra les chiffres aujourd'hui, de grévistes. Donc, on voit bien que c'est une grève qui s'étiole, c'est une grève qui, aujourd'hui, commence à manquer un peu d'oxygène. Et quand on voit des actes de radicalisation, c'est la preuve que, en réalité, on n'est plus sur le sujet, on est dans de l'idéologie. Et les actes de radicalisation comme ceux-là, je ne sais pas d'où ils viennent, mais c'est une affaire de police, et c'est une affaire de justice.

Q.- Combien cette grève coûte-t-elle à la France - on parle au total de 3 milliards d'euros, de 0,1 point de croissance - ?

R.- C. Lagarde a donné des chiffres... Il est toujours très difficile d'avoir des chiffres exacts, c'est évidemment bien compliqué, c'est probablement, 300 ou 400 millions, je reprends le chiffre évoqué par C. Lagarde...

Q.- Par jour ?

R.- Par jour, bien sûr. Donc, ce sont des sommes considérables, et ce sont des sommes que la France ne peut pas se permettre de ne pas...d'affronter. On ne peut pas perdre 300, 400, 500 millions d'euros par jour sans réagir. Il faut que cela s'arrête, on a besoin de croissance. Et ce n'est pas par la grève qu'on obtiendra la croissance, c'est par le consensus, c'est par la discussion, c'est par la négociation, mais c'est aussi par la décision et par le changement. La clé du pouvoir d'achat en France, c'est la réforme, c'est de changer aujourd'hui un certain nombre de façons de faire, de produire, d'étudier en France, pour être dans un pays plus compétitif. C'est la compétitivité, la clé du pouvoir d'achat.

Q.- Alors, les négociations de cet après-midi vont tourner autour des compensations en échange donc de cette réforme des régimes spéciaux. On parle de 80 à 100 millions d'euros par an rien que pour la SNCF. C'est trop, c'est trop généreux ?

R.- On manie beaucoup de chiffres avant même que ces négociations ne commencent vraiment, que cette phase de négociations ne commence. Je ne peux pas...

Q.- On n'attire pas les mouches avec du vinaigre ?

R.- Oui, peut-être, mais en même temps, le coût même de faire perdurer les régimes spéciaux, c'est probablement plus d'1 milliard d'euros, et ce sont des sujets qui doivent être tout simplement mis en balance. Que l'on soit fermes sur les principes des régimes spéciaux, les 40 ans, etc., c'est un point indiscutable et le Gouvernement l'a rappelé à plus d'une reprise. Mais qu'en même temps, il y ait des discussions sur les conditions de travail, sur les salaires, sur la façon de préparer sa retraite, etc., etc., bien évidemment, il faut ces discussions. Ce ne sont pas des compensations, c'est qu'à un moment donné, on doit, bien évidemment essayer de faire en sorte que, les uns et les autres se retrouvent. Heureusement qu'on peut faire cela.

Q.- A terme, c'est quand même l'usager qui va payer pour tout cela ?

R.- Non, parce que il faut sortir des régimes spéciaux, parce que cela coûte très très cher, et parce que aussi, cela crée une inégalité, une différence entre les Français, dont ni les uns, ni les autres ne sont responsables, mais parce que c'est comme cela et il faut en sortir. Et à ce point-là, il faut bien évidemment qu'on puisse inscrire d'autres éléments de négociations : les conditions de travail ou la manière de prendre sa retraite, la capacité de préparer sa retraite, tout cela doit être...Mais tout cela est une négociation d'entreprises.

Q.- Faut-il ajouter que, dans les entreprises mais aussi au niveau de l'Etat, le paiement d'une partie des jours de grève pourrait inciter à la reprise du travail plus vite ?

R.- Je ne veux pas m'exprimer là-dessus, mais enfin le principe est quand même très clair depuis de nombreuses années : les jours de grève ne sont pas des jours payés, évidemment, et heureusement, parce que sinon c'est une incitation en réalité à la prolongation du conflit. Donc, les jours de grève ne sont pas des jours payés.

Q.- Un fonctionnaire sur trois hier était en grève. Prenez-vous cela comme un sérieux avertissement au Gouvernement ?

R.- Je ne veux pas faire de chiffrage, mais c'est moins que ce qu'on pensait, et que ce que pensaient d'ailleurs les organisations syndicales. C'est en même temps, un taux significatif de grève, 30 %, 15 % probablement dans la fonction publique territoriale, 11 % dans la fonction publique hospitalière. Donc, c'est un chiffre important. Et je pense que c'est un chiffre qui doit amener à discuter sur le sujet du pouvoir d'achat, sur la façon dont on calcule, mais aussi la façon dont, à terme, on augmente les fonctionnaires - réduction des effectifs contre augmentations de salaires, augmentation de la responsabilité des autres, enfin beaucoup de sujets qui sont sur la table.

Q.- Pouvez-vous freiner sur la baisse des effectifs pour que les conditions de travail des fonctionnaires soient bonnes ?

R.- Non L'idée, c'est que, la fonction publique d'Etat puisse être au fur et à mesure du temps, enfin, que les gens qui partent en retraite ne soient pas systématiquement remplacés, on a donné un chiffre qui est 1 sur 2, on sera à 1 sur 3 en 2008, et puis, c'est d'adapter le service public aussi à cela, de réfléchir sur la qualité du service public, "à la française", parce qu'on y est attachés. Mais les effectifs de fonction publique vont diminuer au fur et à mesure du temps dans les années, et c'est l'intérêt des fonctionnaires. C'est l'intérêt des fonctionnaires parce que, en réduisant les effectifs, en même temps, on conduit à des parcours, à des carrières professionnelles, je pense plus intéressantes, redimensionnées, avec une réflexion sur la qualité, la façon dont ont fait le service public, et en même temps, nous renvoyons vers les fonctionnaires une partie des économies réalisées, on le fera dès 2008, puisque il y aura 23.000 postes environ de moins, et les fonctionnaires pourront bénéficier de cela. Ce n'est pas la seule façon de gagner du pouvoir d'achat, bien sûr, mais c'est une façon de gagner du pouvoir d'achat aussi.

Q.- Quand le Président va-t-il parler du pouvoir d'achat, pouvoir d'achat de tous les Français ? Demain, après-demain ?

R.- Je n'ai pas l'information exacte. Il a indiqué qu'il parlerait dans les prochains jours, mais je pense qu'il faut que pour la parole du Président ait tout son poids, il faut que l'horizon soit un peu dégagé. Donc, on va voir aujourd'hui. C'est du jour par jour. On va voir aujourd'hui ce que vont donner ces importantes négociations dans les entreprises.

Q.- On annonce une piste de travail qui serait pour le pouvoir d'achat un treizième mois de salaire, sans charges, voire sans impôt sur le revenu. Est-ce une bonne piste ?

R.- On annonce beaucoup de choses, on verra. Je ne peux pas évidemment prendre partie. Le Président dira ce qu'il a à dire le moment venu, il consulte beaucoup, il écoute, nous verrons bien.

Q.- Cela coûterait très cher à l'Etat quand même !

R.- Je ne vais pas faire de spéculation, donc je ne vais pas "pré annoncer"...C'est au Président de dire ce qu'il a à dire. Tout ce que je sais, c'est que nous devons poursuivre le rythme des réformes, cela c'est très important, et on doit se redonner des perspectives très vite après les régimes spéciaux, après la réforme de l'autonomie des universités. Il y a beaucoup de choses qui sont sur la table aujourd'hui, on doit aller plus loin, parce que c'est en allant plus loin, c'est en réformant plus vite, plus au fond, plus en équité aussi, plus en égalité, et aussi, plus en efficacité qu'on transformera la France. Et si on doit aller chercher la croissance supplémentaire, parce que c'est celle-ci qui conditionne le pouvoir d'achat, c'est comme cela qu'on doit faire. Donc, de la négociation, de l'ouverture, de la discussion, mais aussi de la décision.

Q.- Vous êtes en train de décrire le Grenelle du pouvoir d'achat que souhaite F. Hollande ? Etes-vous d'accord avec sa proposition ?

R.- Que veut-il dire ? D'abord, cela fait beaucoup de "Grenelle". Et je pense qu'il faut se mettre autour d'une table à un moment donné certainement, mais C. Lagarde le fait. Je vous ferais juste remarquer qu'il y a des conférences sur le pouvoir d'achat et sur les salaires, que C. Lagarde a lancées il y a quelques semaines. Il suffit de poursuivre cela. Evidemment qu'il faut en discuter, évidemment qu'il faut discuter en France. Mais il y a, d'un côté, les mesures concrètes, rapides, immédiates sur le pouvoir d'achat, c'était le cas par exemple sur les heures supplémentaires. Allons jusqu'au bout du dispositif...

Q.- Ça marche ?

R.- Mais oui, ça marche ! Ça a commencé au 1er octobre, on est le 21 novembre. Donc, laissez... Ce sont des millions de Français qui, sur leur feuille de paye à la fin du mois d'octobre et à la fin du mois de novembre auront plus d'argent. Les fonctionnaires ont accès à ce dispositif, c'est 14 %% de plus. Si ce n'est pas du pouvoir d'achat, je ne sais pas ce que c'est ! C'est 14 % de plus sur la feuille de paye pour quelqu'un qui fait 1 heure supplémentaire. Et de plus, on a permis à plus de fonctionnaires, tous les [agents] catégories B maintenant peuvent faire des heures supplémentaires. Donc, toute la mesure aussi s'installe.

Q.- Promettez-vous là, aujourd'hui, que vous n'augmenterez pas les impôts après les municipales ?

R.- Ce n'est pas dans l'état d'esprit du Gouvernement. On a tout fait pour plutôt les réduire dès le mois de juillet. Pour la première fois les prélèvements obligatoires dans l'ensemble de la richesse nationale vont diminuer. Donc, il n'y a pas d'idée d'augmentation des impôts, bien évidemment. Ce qu'il faut, c'est réduire les déficits publics par la maîtrise de la dépense et par la croissance.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 21 novembre 2007