Déclaration de M. Christian Estrosi, secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer, sur le projet de loi organique tendant à renforcer les institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française, à l'Assemblée nationale le 22 novembre 2007.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Les deux projets de loi, organique et ordinaire, dont le Gouvernement vous saisit aujourd'hui, après leur adoption par le Sénat, sont nés d'un constat unanime: les institutions issues du statut d'autonomie de la Polynésie française, mises en place en 2004 ne peuvent plus fonctionner avec l'efficacité et la légitimité suffisantes. (I) L'équilibre des pouvoirs et le respect des valeurs républicaines ne sont plus garantis.
Je suis souvent allé à la rencontre des Polynésiens et des Polynésiennes et en ai acquis la certitude qu'il fallait donner, dans ce ce territoire, un souffle nouveau à la démocratie locale.
J'ai ressenti une très forte attente dans l'opinion publique polynésienne et cette attente, nous n'avons pas le droit de la décevoir. (II) C'est le devoir de l'Etat impartial et respectueux de tous ses administrés, de ne pas se soustraire à son obligation d'être le garant et régulateur des institutions.
L'Etat est parfaitement dans son rôle en prenant l'initiative de cette réforme, puisqu'elle ne vise qu'à améliorer la gouvernance politique de la Polynésie française et donc la vie des Polynésiens.
Le statut du 27 février 2004 a fait le choix de l'autonomie renforcée de la Polynésie française dans la République. Ce pari était ambitieux : donner davantage de compétences à une collectivité qui a démontré, de statut en statut, son aptitude à se gouverner librement et dans la stabilité. La Polynésie française a d'ailleurs connu un formidable développement économique pendant la période 1990-2004. Cette ambition, le Parlement français l'a faite sienne à plusieurs reprises, et toujours dans le sens d'une autonomie, toujours plus étendue et toujours plus responsable : en 1977 ; en 1984 et en 1990 ; en 1996 ; et enfin en 2004.
Aujourd'hui, notre devoir est de répondre aux préoccupations de la population et de remédier aux dysfonctionnements avérés de leurs institutions.
Ce sont simplement les objectifs de stabilité et de transparence, qui justifient ces deux projets de loi. Envers la Polynésie française, le Gouvernement se sent tenu par une obligation de moyen. (III)
I. - Le constat est simple : la situation est bloquée. L'efficacité et la légitimité manquent désormais aux institutions de la Polynésie française pour remplir leur mission.
Notre objectif n'a pas changé.
Nous souhaitons vivement persévérer dans la voie de l'autonomie librement choisie au sein de la République. C'est le statut le plus adapté à l'histoire de la Polynésie. C'est celui que souhaitent majoritairement conserver ses habitants.
Mais il faut bien constater que le statut de 2004 n'a pas tenu toutes ses promesses... le mode de scrutin alors retenu, a conduit à l'élection d'une assemblée de la Polynésie française, toujours en fonctions, sans réelle majorité claire et dans l'incapacité de se doter d'un exécutif stable.
Cette instabilité, qui sévit depuis déjà trois ans et demi, est désormais devenue un frein à la mise en oeuvre des projets dont la Polynésie française a légitimement et objectivement besoin. Nos compatriotes polynésiens ne comprennent pas que tant de projets soient différés pour des raisons qui leurs semblent mauvaises.
Car, et ils n'ont cessé de me le dire chaque fois que je me suis rendu à leur rencontre, les Polynésiens ne supportent plus la situation actuelle, (qui n'est pas sans rappeler celle de la IVème République finissante).
Ils ne supportent plus les « poisons et les délices » d'une vie politique qui se résume à des censures à répétition, à la paralysie des institutions et à l'inaction d'une classe politique locale qui ne se remet pas en question.
Ils ne supportent plus que la politique locale fonctionne sur elle-même et pour elle-même, sans résoudre les problèmes - et ils sont nombreux - de leur vie quotidienne : le pouvoir d'achat ; le logement ; l'éloignement des archipels, avec ce que cela induit en termes d'inégalité dans l'accès aux soins ou aux études ; l'accès aux moyens modernes de communication à haut débit ; etc...
Et pendant ce temps, les dossiers stagnent.
Le simple exemple du contrat de projet, que le Gouvernement avait prévu de proposer à la Polynésie pour un montant de 416 millions d'euros et qui n'a toujours pu être signé, est éloquent :
Ce contrat, préparé en concertation par l'Etat et le gouvernement polynésien, est prêt depuis des mois. Il pose les bases d'un développement économique et social durable pour amener la Polynésie à répondre aux grands défis d'aménagement qui sont les siens : accès de tous les Polynésiens à un service public de distribution pérenne d'eau potable, préservation des lagons, création de réseaux d'assainissement adaptés au développement du tourisme, au logement social, à la rénovation urbaine....
Je ne veux pas croire que les élus polynésiens, dans leur diversité, ne puissent se saisir d'une telle opportunité, afin d'améliorer le quotidien de nos concitoyens.
Les dossiers n'avancent pas, car l'Etat n'a pas en face de lui un partenaire assuré d'une longévité dans l'action : l'autonomie ne fonctionne donc plus comme elle le devrait.
Car à quoi peut bien servir une autonomie condamnée à l'impuissance ?
Quelle est la crédibilité et la légitimité d'un statut qui reconnaît à la Polynésie française de très larges compétences, si elle n'est pas en mesure de les exercer dans la durée ?
Il existe donc bien, pour l'Etat, une forme de devoir constitutionnel d'intervention, lorsque la situation institutionnelle et politique est à ce point instable, et même bloquée.
Cette intervention est très attendue par l'opinion publique locale. J'ai pu constater, d'ailleurs, que, entendant ce que leur disait la population, les voix qui s'élevaient contre le présent projet de loi organique ont faibli... Sans doute parce qu'elles n'ont pas rencontré, dans l'opinion publique locale, un écho si favorable ?
Je relève que si l'assemblée de la Polynésie française a émis un avis officiellement « négatif » sur le projet de loi organique, elle n'en a pas pour autant rejeté le contenu, loin de là : elle a en effet approuvé la majorité des mesures contenues dans le texte, et en particulier celles sur la transparence.
L'Etat se devait donc d'agir : il le fait ici, à l'Assemblée nationale, aujourd'hui, comme il l'a fait au Sénat. De façon impartiale, en tirant les leçons, toutes les leçons, d'un passé désormais révolu.
Il faut tout de même rappeler, à cette tribune, que l'opinion publique s'est récemment, et à deux reprises, exprimé en faveur d'une « rupture » avec les habitudes anciennes. Nicolas SARKOZY, en a pris l'engagement, pendant la campagne électorale, devant tous nos compatriotes polynésiens.
Et il a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés en Polynésie française à l'occasion du deuxième tour de l'élection présidentielle. En juin dernier, nos compatriotes de Polynésie française ont élu deux députés, sur un programme de « rupture ».
La dernière expression démocratique des Polynésiens s'est donc clairement prononcée en faveur d'un profond changement d'avec avec l'ordre ancien, dans le respect de l'autonomie. Dans ces conditions, le retour aux urnes, avec l'abréviation du mandat de l'assemblée élue en 2004, répond à un souci de re-légitimer les institutions de la Polynésie française.
II. - Stabilité et transparence, ce sont bien là nos deux objectifs, ceux qui rencontrent l'adhésion du plus grand nombre de nos concitoyens de Polynésie française, tous attachés aux valeurs de la démocratie et de la responsabilité.
Car il ne faut pas s'y tromper : c'est parce que nous croyons en l'autonomie, c'est parce que nous faisons confiance aux Polynésiens, que nous voulons d'abord leur rendre, à eux-mêmes, les clefs d'une autonomie dont ils se croient, aujourd'hui, exclus et dépossédés.
Exclus et dépossédés parce qu'ils ont le sentiment que le statut de la Polynésie française ne leur appartient plus, entravé par quelque jeux politiciens.
Le renouvellement de l'assemblée de la Polynésie française est bien la première des conditions pour redonner confiance aux Polynésiens dans leurs institutions autonomes. Mais si cette condition est nécessaire, elle n'est pas suffisante.
En effet, à quoi servirait-il de renouveler l'assemblée de la Polynésie française sans apporter au statut de 2004 des éléments de stabilité, de responsabilité et de transparence dont l'expérience récente montre qu'ils lui font défaut ?
Stabilité car le renversement du gouvernement de la Polynésie française ne sera plus aussi facile qu'aujourd'hui. Il ne faudra pas seulement s'unir pour détruire, il faudra s'unir pour construire : voilà la définition de la motion de censure « constructive ».
La procédure budgétaire est désormais accompagnée d'un mécanisme destiné à s'assurer que le budget sera toujours voté ; précisons que ce n'est pas parce que la situation ne s'est encore jamais présentée en Polynésie française qu'il ne faut pas prendre les dispositions nécessaires pour éviter qu'elle survienne à l'avenir !
Stabilité, encore, avec un mode de scrutin à deux tours, qui assure la représentation de chacun des archipels, qui maintient la représentation du pluralisme, avec la proportionnelle. Les alliances se feront désormais, devant les électeurs, au grand jour.
Nous préférons ce système, clair et respectueux de la diversité géographique et politique de la Polynésie française à toute autre transposition du mode de scrutin régional.
D'abord, parce que la réintroduction de la prime majoritaire ne serait pas comprise, surtout dans le cadre d'un scrutin à un seul tour, un temps envisagé.... Ensuite, parce que je crois à la représentation des archipels librement garantie par la loi : ce sont les électeurs des archipels qui doivent élire leurs représentants, et il n'appartient à personne de leur dicter ce choix.
Stabilité, enfin, avec la modification du mode d'élection du président de la Polynésie française et avec l'allongement de la durée du mandat de président de l'assemblée de la Polynésie française.
Transparence, ensuite. Parce que les Polynésiens doivent pouvoir constater par eux-mêmes comment ils sont gouvernés par ceux qu'ils ont choisis. C'est l'application de l'article 15 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Ces dispositions sur la transparence, exigées par tous, renforceront la légitimité de l'autonomie. C'est parce qu'ils sauront que, désormais, les règles du jeu ont changé, que nos compatriotes polynésiens auront confiance en leurs représentants.
C'est parce que ces règles nouvelles auront été établies, conformément aux engagements du Chef de l'Etat, que nos compatriotes de métropole auront de la Polynésie française, une image renouvelée, une confiance retrouvée.
III. - Car nous sommes tous ici tenus à une obligation de moyens, dans une démarche qui doit être une démarche de vérité, de transparence, dans un esprit de dialogue.
Les Polynésiens souhaitent de tout leur coeur que leurs élus reviennent à l'essence même de la politique : la gestion de la cité, au sein de la République et dans le respect de la Constitution et du droit qui en est issu.
L'exigence d'une moralisation de la vie publique en Polynésie française s'est imposée à tous. Et les derniers rapports de la Cour des comptes prouvent à quel point il y a urgence à agir en ce sens.
Il n'y a dans ce texte aucune mesure qui touche à la répartition des compétences entre l'Etat et la Polynésie française. Mais, l'autonomie dans la République, cela ne signifie pas l'autonomie des élus par rapport aux règles constitutionnelles et aux lois. Cela suppose, au contraire, une plus grande responsabilité, car il n'y a pas de compétences étendues sans responsabilité étendue.
Il n'y a aucune démarche d'ingérence dans le débat politique local. La seule volonté de l'Etat est de continuer à avancer avec la Polynésie française, en privilégiant l'intérêt général.
Stabilité, transparence et démocratie locale : voici les objectifs de ce projet de loi !
Les Polynésiens décideront ensuite de confier les rênes de leur gouvernement à ceux qu'ils en jugent dignes. Et le Gouvernement de la République travaillera loyalement avec les nouveaux élus, quels qu'ils soient.
Je suis un homme profondément épris de démocratie et de liberté, je suis extrêmement attaché à la diversité des territoires, qui font toute notre richesse humaine. C'est pourquoi je veux aussi tendre la main aux élus de la Polynésie française, afin qu'ils se réconcilient avec leurs électeurs et retrouvent leur légitimité politique.
Mais je pense aussi, que lorsqu'on se prévaut d'une légitimité politique, il faut se donner les moyens, les ressources et les compétences pour exercer sa mission.
Le Gouvernement a donc décidé de donner aux communes de Polynésie française des compétences renforcées dans un certain nombre de domaines de proximité, avec les ressources correspondantes. J'ai d'ailleurs tout récemment signé une convention afin qu'ils disposent, dans les sept ans à venir, d'une fonction publique communale, sur le fondement de l'ordonnance de 2005 que le Parlement a ratifiée, il y a quelques mois.
J'ai soumis récemment au Conseil des ministres une ordonnance étendant aux communes de Polynésie française les acquis de la décentralisation et de l'intercommunalité, outil de mutualisation de leurs moyens et de leurs compétences.
En même temps, j'ai fait supprimer le contrôle de l'Etat a priori. Les communes polynésiennes vont devenir -enfin - des communes de droit commun de la République. C'est un gage de confiance très important, à mon sens, envers les Polynésiens !
Une nouvelle loi organique sera présentée au Parlement, en 2008, pour accroître sensiblement les compétences et les moyens des communes de Polynésie française, car il n'y aura pas de stabilisation politique durable dans le Pays, sans une véritable autonomie des communes par rapport aux autorités territoriales de Papeete.
Qui pourrait donc prétendre que le Gouvernement organise un recul de l'autonomie locale, au moment même où il accroît sensiblement celles des communes ?
Je tiens à réaffirmer de la manière la plus solennelle qu'en aucun cas, l'autonomie de la Polynésie française de saurait être remise en cause.
L'accusation qui nous est parfois faite de vouloir « départementaliser» le pays est profondément injuste et sans aucun fondement. Je m'en suis d'ailleurs longuement expliqué avec les membres de l'assemblée de Polynésie, lors de mon dernier déplacement.
Je reviendrai sur ces amendements au fil de leur discussion, mais je puis d'ores et déjà vous annoncer qu'un accord presque complet pourra être donné par le Gouvernement aux propositions de votre Commission des Lois.
Le Sénat a déjà enrichi le texte de divers ajustements très pertinents, en ce qui concerne particulièrement :
les élections à l'assemblée territoriale, avec le relèvement des seuils prévus pour l'admission à la répartition des sièges et pour être présent au second tour ;
l'élection du président de la Polynésie française ;
mais également, avec des dispositions concernant la transparence financière, les communes ou les lois de Pays.
Le Gouvernement se montrera particulièrement ouvert et à la recherche des meilleures solutions pour parvenir au but qui est le même pour nous tous : conforter l'autonomie de la Polynésie française en lui donnant les moyens des fonctionner efficacement et dans la durée, conformément à la volonté des Polynésiens eux-mêmes.
Notre seul souci est d'assurer leur bien être au sein de la République et de faire progresser un territoire qui le mérite et qui nous est si cher.
J'affirme avec force devant vous qu'il y a urgence à légiférer !
Urgence à redresser l'économie de la Polynésie française !
Urgence à retourner devant les urnes et rétablir un partenariat loyal et efficace avec l'État, pour construire un développement équilibré, équitable et respectueux de l'identité polynésienne.
C'est pourquoi le Gouvernement vous demande, Mesdames et Messieurs les Députés, de bien vouloir adopter les deux projets de loi qui vous sont soumis.Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 26 novembre 2007