Point de presse de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, notamment sur les politiques intégrées de compétitivité et sur la question des brevets au niveau européen, à Bruxelles le 22 novembre 2007.

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Circonstance : Conseil compétitivité, à Bruxelles le 22 novembre 2007

Texte intégral

Le Conseil Compétitivité a été marqué par deux points très importants : les conclusions sur les politiques intégrées de compétitivité et la discussion, qui progresse, sur les brevets. Je vous dirai également un mot sur le "mieux légiférer" et la directive sur l'utilisation des biens à temps partagé.
En ce qui concerne les politiques intégrées de compétitivité, en quelques mois les vues de nos partenaires, celles de la commission et les préoccupations françaises ont convergé pour faire en sorte que la stratégie de Lisbonne soit enrichie à la fois sur la politique industrielle et de recherche, sur la dimension extérieure de la compétitivité et sur les PME.
Sur la politique industrielle, nous avons très clairement affirmé la nécessité de doter l'Europe d'une base industrielle forte et dynamique. La politique industrielle doit s'exprimer très clairement et sans honte dans différents secteurs, comme l'automobile, les biotechnologies, les télécommunications et le numérique. Nous avons donc véritablement affirmé une stratégie industrielle forte et notre souhait d'avoir des politiques de recherche et d'innovation orientées en fonction des besoins des secteurs. C'est le cas dans l'aéronautique avec l'initiative "ciel propre". C'est également le cas dans le domaine des médicaments ou des nanotechnologies. Ensuite, il y a la nécessité d'établir un lien très fort entre la compétitivité et la lutte contre le réchauffement climatique. Cela a été très clairement affirmé ce matin par le commissaire Verheugen et par certaines délégations, dont la nôtre. Le Commissaire en a également parlé au dîner d'hier soir. Il faudra donc qu'il y ait une cohérence entre ce qui a été dit aujourd'hui dans ces conclusions sur les politiques intégrées de compétitivité et ce qui sera dit par la commission dans le cadre du paquet "énergie - climat" qu'elle devrait présenter au mois de janvier prochain. Vous le savez, ce paquet constituera le socle de la Présidence française sur ces sujets pendant le second semestre 2008. L'un des moyens de concilier les exigences de compétitivité avec le fait que l'Europe soit exemplaire en matière de lutte contre le réchauffement climatique est de rééquilibrer les efforts que fait l'Europe, par rapport à ses partenaires qui ne respectent pas les objectifs de Kyoto et qui ne seraient pas aussi allants que l'Europe aux conférences de Bali ou de Poznan. Pour cela, il faudrait mettre en place des mécanismes d'ajustement aux frontières.
Le deuxième élément fort de ces politiques intégrées en matière de compétitivité, qui seront discutées au Conseil européen le 14 décembre prochain, c'est la dimension extérieure de la compétitivité. C'est un souci que nous partageons avec nos amis allemands. Une initiative a été prise par la chancelière Merkel et par le président de la République française. Nous affirmons de façon claire avec nos amis allemands que nous sommes en faveur d'une Europe ouverte. Nous savons que l'ouverture et la mondialisation offrent beaucoup plus d'avantages que d'inconvénients. Mais nous souhaitons que l'ouverture se fasse dans le respect du principe de réciprocité. C'est ce qui a été admis dans les conclusions de ce Conseil : il doit y avoir une réciprocité des comportements dans le cadre d'une Europe ouverte. Tout le monde en est convenu. Ce n'est absolument pas du protectionnisme, c'est la façon de faire de la concurrence équitable dans un monde ouvert. Il faut que chacun puisse retirer des bénéfices réciproques de l'ouverture internationale. Cette approche a prévalu dans les conclusions.
Troisième élément, c'est le développement d'une véritable politique en faveur des PME. C'est une priorité de la France, mais aussi de certains de nos partenaires. Je pense à nos amis italiens, portugais, espagnols, ou allemands qui y sont également très sensibles. La commission a préparé pour le 1er semestre 2008 toute une série de mesures concrètes de soutien aux PME dans le cadre d'un "Small Business Act européen". Cela permettra à l'Europe d'être sur un pied d'égalité avec les Etats-Unis, le Japon ou le Canada. C'est important. Ce que nous souhaitons maintenant, c'est compléter cette action. Nous allons nous y employer sous présidence slovène, au prochain Conseil européen et au Conseil économique de printemps. Nous souhaitons qu'une réflexion soit engagée sur la définition d'une "PME communautaire" et que l'on puisse avancer sur des seuils permettant aux PME de bénéficier de ces mesures d'accompagnement.
En ce qui concerne les brevets, le gouvernement français considère qu'il est primordial d'améliorer le système des brevets dans l'Union européenne : c'est un élément central de l'innovation pour un certain nombre d'entreprises. Il faut réduire le coût de dépôt des brevets en Europe, sécuriser le système de dépôts et faciliter la résolution des litiges. C'est un élément essentiel de notre compétitivité, notamment pour les PME. La France a fait des efforts dans ce domaine et a voté la ratification du Protocole de Londres. Nous souhaitons que l'on dispose d'un système juridictionnel communautaire. Le rapport présenté par la Présidence portugaise va dans ce sens. Nos amis slovènes sont également intervenus pour dire qu'ils travailleraient sur la base de ce rapport sous leur présidence. Nous avons fait savoir avec d'autres partenaires, italiens, britanniques, que nous étions prêts à aider la présidence slovène pour finaliser un accord sur la juridiction communautaire des brevets. Nous avons expliqué à nos partenaires que chacun devait faire des efforts dans ce domaine, parce que la compétitivité, la compétition mondiale n'attendent pas. Nous avons besoin d'un système unique de résolution des litiges et nous avons besoin d'un brevet communautaire.
Enfin, deux autres points à considérer : la Présidence a présenté son rapport de progrès sur le processus "mieux légiférer". Les choses évoluent dans le bon sens. Pour nous, il est important que le "mieux légiférer" ne signifie pas le "moins légiférer". Chacun en a conscience : le Conseil, tout comme la commission qui, dans sa communication sur la révision du Marché unique, évoque la nécessité d'une convergence par le haut, ou le Parlement européen qui a lui rappelé que l'harmonisation devait se poursuivre à chaque fois qu'elle était nécessaire. C'est également notre conception et je crois qu'une convergence s'opère.
Enfin, le dernier sujet sur lequel je souhaite insister est le projet de directive sur l'utilisation des biens à temps partagé. Nous sommes vraiment dans l'Europe du concret. Il fallait réviser cette directive pour tenir compte des nouveaux produits qui entrent dans cette catégorie de biens à temps partagé et des nouvelles pratiques apparues sur le marché, dans le domaine immobilier, ou du leasing ou dans d'autres domaines. Ce qui est important, et nos partenaires et la Présidence en sont convenus, c'est de voir comment articuler ce texte révisé avec l'instrument plus horizontal de protection des consommateurs. Nous avons dit très clairement que nous étions en faveur d'un instrument horizontal pour la protection des consommateurs. La commission a pris un certain retard dans sa proposition. Nous souhaitons pouvoir rattraper ce retard et agir au plus vite. C'est pourquoi nous avons demandé à ce que l'harmonisation soit la plus poussée possible dans le projet de directive révisée. Cela nous paraît un domaine dans lequel l'harmonisation est extrêmement importante.
Q - Est-ce qu'une future directive européenne sur le SBA serait dérogatoire à l'OMC ? L'idée de mécanisme d'ajustement aux frontières fait-il l'objet d'un accord ou cela devra-t-il être développé ?
R - Sur la première question, la convergence se fait d'avantage sur ce que devrait être un "Small Business Act" au niveau européen plutôt que sur la possibilité d'inclure ce "Small Business Act" dans le cadre de négociations OMC. Il n'y a ni opposition, ni accord de la commission, compte tenu des prérogatives qui sont les siennes, dans le cadre des négociations OMC et de son pouvoir d'initiative. Nous n'avons pas de proposition qui soit sur la table. Nous souhaitons encore pouvoir convaincre la commission avec d'autres partenaires. Mais aujourd'hui, ce qui était en jeu, c'est la mise en place d'un "Small Business Act" au niveau européen, indépendamment de l'état des négociations dans le cadre de l'OMC et des propositions de la commission en ce domaine.
Sur les mécanismes d'ajustement, cela n'a pas été évoqué explicitement aujourd'hui, cela a été plutôt discuté hier soir au dîner avec le commissaire Verheugen. Le Commissaire a souligné que l'on devait réfléchir à ces mécanismes d'ajustement. Pourquoi est-ce que l'on emploie le terme de "mécanismes d'ajustement" ? Parce que cela peut recouvrir différents éléments. Vous savez que pour certains, dont nous faisons partie, il faut réfléchir à des mécanismes de taxation. Il est également possible de réfléchir à l'utilisation d'instruments de défense commerciale. Je crois que ce qui est apparu hier, c'est une volonté commune de reconnaître qu'il est nécessaire d'être exemplaire en terme de lutte contre le réchauffement climatique et qu'il faut aussi avoir des exigences élevées en termes de compétitivité. Le seul moyen de régler cette dichotomie est de pouvoir disposer d'instruments d'ajustement. C'est le principe qui, aujourd'hui, fait l'objet d'une reconnaissance, et d'une convergence entre les partenaires. C'est ce principe que la commission veut pousser. Nul doute que cela sera discuté dans le cadre du Conseil européen puis, plus en détails lorsque nous aurons la proposition de la commission dans le cadre du paquet énergie-climat. Ce sera à la commission de dire quels sont les instruments compatibles avec l'OMC et qui devraient permettre que ces deux objectifs tout aussi importants, soient bien conciliables.
Q - Quels sont les problèmes de base pour arriver au brevet communautaire ?
R - Les problèmes de base à résoudre pour arriver au brevet communautaire sont de deux ordres. Vous avez tout d'abord un problème linguistique. Chacun est attaché à l'utilisation de sa langue. Malgré tout, vous ne pouvez pas en rester à une situation dans laquelle vous êtes obligés de traduire tous vos brevets dans toutes les autres langues de l'Union, parce que c'est un surcoût. Nous avons ratifié en France le Protocole de Londres, pour cette raison.
Le deuxième point, c'est que l'on doit respecter l'acquis et que l'on doit s'appuyer sur l'Union européenne pour avoir des brevets efficaces qui ont les mêmes effets dans toute l'Union. Comme vous le savez, il y a une sécurisation dans les différents pays européens beaucoup plus importante qu'aux Etats-Unis. Nous devons conserver nos règles de brevetabilité européenne et communautaire et faire en sorte que les litiges en matière de brevets soient traités de la façon la plus harmonisée possible. Ensuite, vous avez la façon de procéder. Pour nous, il nous faut un système communautaire qui permette de résoudre les contentieux sur les litiges existants. Nous souhaitons donc d'abord avoir un système juridictionnel et créer un brevet communautaire qui soit bien adapté à ce système. Il faut procéder par étapes, tout en ayant ces deux objectifs en tête, pour maximiser les chances d'un accord. Ne pas progresser sur ces questions serait un handicap pour la compétitivité européenne par rapport aux Etats-Unis et au Japon, qui ont des systèmes unifiés en termes de juridiction et de brevet.
Q - Quand pensez-vous qu'il soit possible de mettre en place le système juridictionnel ?
R - Je crois que l'on peut raisonnablement arriver à des progrès importants sous présidence slovène. Les difficultés qui existent ont trait au lien entre la contrefaçon et la validité des brevets. Faut-il une distinction entre les deux ou non ? Il faut être le plus opérationnel possible, en ayant à l'esprit que lorsque vous êtes accusé de contrefaçon, le premier argument utilisé par le contrefacteur c'est de dire que "le brevet sur lequel vous m'accusez de contrefaçon n'est pas un brevet valide". Le second point, sur le plan juridictionnel, est de résoudre les questions linguistiques. A mon avis, des solutions de compromis existent et il faut se fonder sur l'accord des parties. Nous devons également avoir un double niveau juridictionnel, avec un niveau communautaire en appel et, en première instance, des juridictions décentralisées, proches des entreprises. Ce sont les idées que nous avons, on verra ce qui est possible. Nous espérons aboutir à de grands progrès sous présidence slovène. Et en tant que Présidence française, si nos amis slovènes n'ont pas terminé cette oeuvre, nous nous attacherons à trouver un consensus sur ce sujet qui nous paraît important.
Q - Sur le SBA, le commissaire Verheugen a dit qu'il n'était pas question pour la commission de prévoir des quotas pour réserver des marchés publics aux PME. Pour avoir cela, il faut que ce soit négocié d'abord au niveau de l'OMC. Pensez-vous alors que cela soit encore possible ?
R - Ce qui est important c'est de définir notre propre système au niveau européen, et que nous ayons des engagements quantifiés sur la facilitation de l'accès des PME aux commandes publiques. Lorsque vous regardez les chiffres, il n'y a pas encore de handicap déterminant mais, pour les PME les plus innovantes notamment, les start-up technologiques par exemple, il serait bon d'avoir des quotas réservés dans les marchés publics. On va essayer d'en convaincre la commission. Mais ce qui est important c'est que le principe d'une démarche visant à faciliter l'accès des PME, d'une part à des sources privilégiées de financement et d'autre part aux commandes publiques, soit accepté.
Q - Sur la révision du marché intérieur proposé par la commission cette semaine et sur les services d'intérêt général, quelle est la position française ?
R - Comme la commission, plus que d'autres, nous sommes attachés à ce que les spécificités des services d'intérêt général soient reconnues. Nous sommes très profondément attachés à cela. Nous pensons que vous savez que l'on doit veiller à l'égal accès des citoyens à des services d'intérêt général de qualité, sûrs et abordables. Nous estimons toujours que c'est une dimension essentielle du marché intérieur. Nous nous félicitons du protocole qui existe dans le projet de traité. C'est pour nous une avancée fondamentale. C'est un progrès indéniable. Nous considérons que ce protocole est un point de départ et que ce n'est pas un point d'arrivée. C'est cela l'essentiel. Je ne crois pas que dans la communication de la commission, il ait été acté que le protocole était un point d'arrivée. Donc si nous sommes d'accord d'un côté pour dire "c'est un point de départ" et, de l'autre, pour constater qu'il n'est pas dit que c'est un point d'arrivée, il y a une place pour le dialogue et pour avancer. Nous comprenons que la commission doit travailler avec différentes traditions, différentes sensibilités, qu'elle ne peut pas tout faire en même temps. Nous allons donc respecter deux principes : le premier c'est le pragmatisme, c'est à dire que nous verrons ce que donne la démarche de la commission sur l'application du protocole dans un cadre sectoriel ; le second, c'est une grande vigilance. Nous verrons si l'approche sectorielle permet au protocole de donner tous les fruits que nous attendons. Nous ferons ensuite un point avec la commission.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 novembre 2007