Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec plaisir que j'ouvre la deuxième édition des « Rencontres stratégiques de l'agriculture » que vous organisez avec la Commission européenne. C'est une heureuse initiative pour plusieurs raisons :
- le titre est juste : oui, l'agriculture est stratégique, c'est même un actif stratégique pour l'Europe,
- la période est opportune : la France exercera la présidence de l'Union européenne au cours du second semestre de 2008,
- l'Europe, c'est ici et ce n'est pas l'ailleurs, c'est nous et ce n'est pas les autres. Il est important de tisser ce lien, je m'y emploie en faisant le tour des capitales européennes,
- les participants sont le reflet de notre société avec une innovation que je veux saluer : la présence des élèves d'une classe de terminale du Lycée jules FERRY du 9ème arrondissement de Paris.
Vous allez réfléchir au cours de cette journée sur une perspective : l'agriculture européenne en 2013 et sur 4 thèmes : les territoires, les nouvelles technologies, le développement durable et les pays du sud.
L'horizon et les thèmes que vous avez définis rejoignent mon analyse ainsi que mon ambition et me renforce dans la conviction qu'il faut agir maintenant.
1. Mon analyse : un contexte en profonde évolution
L'agriculture est de retour. Jamais, elle n'a été autant sur le devant de la scène. Les rapports des plus hautes instances internationales, et je pense à la Banque mondiale, le renchérissement de notre alimentation, les titres des grands quotidiens, les débats autour du Grenelle de l'Environnement en sont l'illustration la plus visible.
Notre horizon :
* c'est une planète plus peuplée et des comportements alimentaires dans le monde qui se modifient,
* ce sont des prix des matières premières, dont les matières premières agricoles, à la hausse, alors qu'en 20 ans les prix agricoles ont été, en France, divisés par 2,
* ce sont des risques sanitaires plus fréquents, parce que nous voyageons, parce que les produits s'échangent, parce que le climat se réchauffe,
* c'est une sensibilité croissante de nos concitoyens sur la préservation de nos ressources naturelles. Elles ne sont ni gratuites, ni inépuisables,
* c'est une nouvelle donne économique qui fait de l'écologie, une des composantes de notre développement.
Derrière toutes ces questions, c'est d'agriculture dont on parle. Elle est au coeur de deux grands défis de nos sociétés :
* le premier d'entre eux, c'est le défi démographique : notre planète comptera 9 milliards d'individus en 2050, soit 3 milliards de plus qu'aujourd'hui. Et phénomène récent, les pays émergents qui connaissent de forts taux de croissance consomment et consommeront plus de produits carnés ou laitiers. L'agriculture devra produire plus pour nourrir. Ces chiffres devraient interroger le continent européen qui sera le seul à voir sa population diminuer.
* le second défi, c'est le défi environnemental : notre planète doit être protégée. Elle use plus de ressources qu'elle n'en renouvelle. L'agriculture est un acteur incontournable de la préservation des ressources naturelles, de la biodiversité et de la lutte contre les pollutions. Elle devra désormais concilier performance économique et efficacité écologique dans une approche de développement durable. Cette nouvelle donne concerne toutes les agricultures du monde. Elle conditionne leur pérennité et donc leur capacité à nourrir une population mondiale en forte progression. Elle concerne également tout notre appareil productif qui devra s'orienter vers l'éco-croissance.
Ce double défi renouvelle, vous le sentez, l'avenir de l'agriculture. Il s'invite déjà dans l'actualité avec la flambée des prix de plusieurs matières premières agricoles : doublement du prix du blé, du soja, forte augmentation des cours des produits laitiers. Le phénomène est mondial, jamais les stocks mondiaux n'ont été aussi bas. Certains vous diront que cette hausse est la résultante d'aléas climatiques successifs dans les pays exportateurs. C'est incontestablement vrai : les deux sécheresses en Australie ont accru les tensions sur les marchés, mais elles n'en sont pas le déclencheur.
Ce qui se passe sur les marchés de toutes les matières premières et pas seulement des matières premières agricoles doit être vu comme le vrai signal d'une nouvelle époque. Le directeur de l'Institut de recherche sur les politiques alimentaires a déclaré, la semaine dernière, lors d'une conférence de presse à Pékin « le monde mange plus qu'il ne produit ». L'INRA dans son étude sur PAC 2013 soulignait de son côté que la production agricole devra doubler dans le monde d'ici 2050 pour répondre à la seule demande alimentaire. Et il ne faut pas oublier que le réchauffement climatique va encore aggraver l'insécurité alimentaire. Ce sont donc des marchés agricoles plus instables, une forte volatilité des prix, des prix durablement plus élevés qu'au cours des dernières années, qui constitueront le nouveau cadre de l'exercice de l'activité agricole.
Dans ce contexte, ma conviction est faite : l'agriculture devra produire plus et mieux Et la nouveauté, c'est la simultanéité entre le plus et le mieux. Or, notre politique agricole commune est en décalage au regard de cette nouvelle donne et elle doit évoluer. Elle a su le faire dans le passé :
* elle a, tout d'abord, su accompagner la fantastique mutation de l'agriculture européenne et en faire une des plus puissantes du monde. C'était le contrat scellé dans le Traité de Rome
* Puis au fil des ans, elle a su s'adapter aux évolutions des marchés et de son environnement social et environnemental avec l'instauration des quotas laitiers, le gel des terres, la conditionnalité des aides, la politique de développement rural.
* Elle doit, aujourd'hui, conduire une nouvelle évolution en devenant davantage une politique alimentaire, agricole et territoriale.
C'est mon ambition : construire avec la Commission, le Parlement européen et mes collègues des autres Etats-membres une véritable stratégie pour notre agriculture. La politique agricole a été et elle doit rester une politique européenne de développement d'un de nos actifs stratégiques majeurs : l'agriculture. A ceux qui en dénoncent son coût, je voudrai simplement rappeler que cette PAC ne représente aujourd'hui que 40% du budget européen, contre 70% à la fin des années 80, et qu'elle n'en représentera plus qu'un tiers dans moins de 5 ans. Et n'oublions pas que le budget européen, c'est à peine 1% de la richesse que nous créons. Enfin, l'absence de PAC ne nous coûterait-elle pas plus cher ? 100 euros par an et par européen est-ce trop pour la sécurité sanitaire, la qualité et la diversité de notre alimentation, pour les emplois dans les territoires, pour la richesse de nos paysages mais également pour notre rayonnement international ?
2. Mon ambition : construire un projet
Mon ambition, c'est de dessiner de nouvelles perspectives pour l'agriculture pour 2013. C'est de remettre l'agriculture au centre du jeu Ces perspectives, elles doivent être débattues, partagées au sein de notre pays tout d'abord, par les agriculteurs bien sûr mais également par la société.
Elles devront l'être au niveau européen. Mon expérience de Commissaire européen m'a enseigné la vertu du débat. Alors que l'on présente la Commission comme une machine qui impose, je pense au contraire que l'on devrait s'inspirer des formes du débat qu'elle a su instaurer en son sein. Je voudrai en donner un exemple : plus personne ne croyait à la fin des années 90 à l'avenir de la politique régionale européenne dont j'avais la charge en tant que Commissaire et un grand nombre de pays ne pensait qu'?? la supprimer. Par la pédagogie, par le dialogue, avec du temps, cette politique, à mes yeux, essentielle pour la cohésion territoriale de notre continent a été sauvée. C'est cette démarche que j'ai proposée pour l'agriculture :
* tout d'abord, en installant au niveau national les Assises de l' Agriculture auxquelles j'ai fixé comme objectifs de dessiner dans le consensus ce cadre pour notre avenir et de faire des propositions pour adapter en conséquence l'ensemble de nos dispositifs.
* ensuite, en entamant le tour des capitales européennes. Je l'aurai terminé avant que ne démarre la présidence française le 1er juillet prochain : j'aurai rencontré chaque Ministre de l'agriculture des 26 Etats-membres dans son pays.
Après 2 mois et demi de réflexion et d'échanges, la France a arrêté une position sur les objectifs d'une politique agricole renouvelée qui a été validée par le Conseil des Ministres le 20 novembre dernier. Cette position a été débattue et adoptée à l'unanimité par les familles professionnelles agricoles, les industriels de l'agroalimentaire, les distributeurs, les consommateurs et les associations de protection de la nature.
Le premier de ces objectifs, c'est assurer l'indépendance et la sécurité alimentaire de plus de 400 millions de consommateurs européens. Cette indépendance : c'est l'assurance d'un approvisionnement régulier, accessible, la sécurité : c'est la garantie sanitaire. Mais cet objectif, c'est aussi défendre notre alimentation dans sa diversité, ses goûts, ses saveurs. Je ne me résous pas à l'uniformisation de notre modèle alimentaire. Et puis, face aux tensions prévisibles des marchés, l'alimentation des européens ne doit pas être laissée à la spéculation et au moins disant sanitaire ou environnemental. Voilà pourquoi il faut reparler de préférence européenne. C'est cela la préférence européenne. Cette préférence européenne, ce n'est pas du protectionnisme, ce n'est pas transformer l'Union européenne en forteresse. La préférence communautaire, ce n'est pas un outil ringard, au contraire, elle doit être renforcée, modernisée dans son approche. Au-delà des tarifs douaniers qu'il faut préserver, la préférence européenne que nous devons porter à l'OMC ce sont des normes sanitaires, environnementales, sociales, c'est également le respect de la propriété intellectuelle et de règles d'origine. Nous devons cesser d'être naïfs. Et, si le cycle de Doha devait échouer, ne serait-il pas temps de repenser la gouvernance de l'agriculture dans les instances internationales ?
Le deuxième objectif de cette politique renouvelée, c'est participer aux équilibres alimentaires mondiaux. Il ne s'agit pas d'abord d'exporter nos produits, mais d'apporter notre contribution à la solution d'un des drames de notre temps : la faim qui frappe aujourd'hui 850 millions de personnes. Mais nous savons que la solution à ce fléau passe par le développement des agricultures vivrières. La Banque mondiale qui vient de publier son dernier rapport consacré à l'agriculture et le développement ...25 ans après le précédent le confirme en affirmant qu'investir dans le secteur agricole est le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté. Enfin ! Aurions-nous envie de dire : le dogme de la libéralisation des échanges pour réduire les inégalités de développement, porté par Doha, appelé le cycle du développement aurait-il vécu ?
Le troisième objectif de cette politique, c'est contribuer à la lutte contre les changements climatiques et à l'amélioration de l'environnement. Le défi pour demain est tout à fait nouveau : répondre à l'augmentation de la demande alimentaire mondiale et construire, en s'appuyant sur l'innovation, une agriculture économe de ses intrants et respectueuse des milieux. La politique de l'environnement n'est pas en dehors de la politique agricole. Elle constitue même une nouvelle voie du développement de l'agriculture qui peut ainsi participer au desserrement de la contrainte de l'épuisement des énergies fossiles. A cet égard, la politique agricole commune participe totalement à la stratégie de Lisbonne qui veut faire de l'économie européenne la plus compétitive du monde. Je refuse les délocalisations agricoles.
Le quatrième objectif de cette politique, c'est préserver les équilibres des nos territoires. L'agriculture européenne constitue l'armature économique et sociale de 90% de notre espace qui est un espace peuplé, vivant, cultivé, générateur de richesse et d'emplois. Et, l'on sait tous que la disparition des exploitations agricoles entraîne la fermeture des paysages et le départ d'activités. Dans une économie largement ouverte, des bassins de production peuvent rapidement se délocaliser. C'est donc l'activité agricole dans ces terroirs qu'il faut consolider pour leur permettre de valoriser leurs atouts, je pense notamment à la montagne.
Avec ces objectifs partagés, la France sera offensive sans attendre et sans arrogance. Nous souhaitons faire bouger les lignes dès 2008.
3. Nous allons agir sans attendre
Notre stratégie est double :
- utiliser le bilan de santé de la PAC pour introduire les modifications nous permettant de décliner notre projet,
- et engager un débat d'orientation sur les perspectives de la politique agricole après 2013.
Ce sont les deux objectifs que je fixe à la présidence française.
Nous allons tout d'abord utiliser le bilan de santé que nous conclurons fin 2008. Cet exercice, dont nous connaissons le contour depuis le 20 novembre dernier, nous l'abordons avec ouverture et exigence. Vous l'avez compris. Nos objectifs, nous allons les traduire dès 2008 pour mieux pérenniser la PAC en 2013. Si je voulais illustrer mon propos, voici les leviers que je souhaite bouger :
Premier levier, conserver des instruments efficaces pour stabiliser les marchés qui sont par nature instables et que tous les experts nous annoncent encore plus volatils à l' avenir. Sur ce point, je suis en désaccord avec la Commission qui estime que les agriculteurs peuvent avec des aides découplées répondre aux signaux des marchés. Sans régulation, l'Union européenne ne pourra ni garantir la sécurité des consommateurs qui seront confrontés à la grande volatilité des prix, ni participer aux équilibres alimentaires mondiaux. Je me battrai donc pour qu'au sein du premier pilier de la PAC, on dispose de dispositifs permettant de gérer les risques et les crises. Il ne s'agit pas de s'accrocher aux instruments du passé, mais de conserver ceux qui sont efficaces, d'en instaurer de nouveaux s'appuyant sur une responsabilisation des agriculteurs et des filières. Nous y travaillons.
Deuxième levier, c'est une plus grande équité dans le soutien. Je partage l'analyse de la Commission sur la difficulté à justifier dans la durée des aides calées exclusivement sur des références historiques, ce que nous avions décidé en France de privilégier en 2003. Les hectares de fruits et légumes, depuis la réforme de ce secteur en juin dernier, vont devenir admissibles aux DPU mais sans DPU, faute de budget. Cette situation sera également difficile à tenir. Je souhaite ouvrir le débat avec la profession sur l'ensemble de ces questions.
Troisième levier, consolider les bassins de production menacés par la libéralisation de nos politiques. Nous devons soutenir les productions liées aux territoires : la production laitière en zones de montagne, les productions animales à l'herbe ou l'agriculture biologique. Je souhaite le faire dans le cadre du premier pilier.
Quant au développement rural, nous en avons besoin. Cette politique est indispensable à la cohésion de nos territoires : elle finance la politique de la montagne, la politique de l'installation, l'adaptation des pratiques agricoles, la dynamique des espaces ruraux. Mais je diverge avec la Commission sur un point : ce n'est pas en détricotant la première politique économique de l'Union que l'on peut construire d'autres politiques. Vous le savez, je suis partisan d'une plus grande mutualisation de nos politiques en Europe. Je le redis : mon projet, ce n'est pas de transformer la PAC en politique de développement rural. Mais de promouvoir davantage de politiques communes en Europe.
L'ambition de la présidence française ne s'arrêtera pas là. J'ouvrirai, lors du Conseil Informel des Ministres de l'Agriculture à Annecy les 21, 22 et 23 septembre prochains un débat d'orientation sur les perspectives de la PAC de l'après 2013 sur la base des objectifs que nous avons arrêtés. C'est la volonté que le Président de la République a exprimée à Rennes en septembre dernier. Le calendrier communautaire nous laisse du temps avant les rendez-vous budgétaires de 2010, mais il y a urgence. 2009 sera, en effet, une année largement neutralisée pour l'Union européenne avec les élections européennes en juin et le renouvellement de la Commission européenne en septembre.
Ce débat, qui est un débat politique au sens noble du terme, il faut que nous l'ayons : il n'est pas nouveau et il oppose deux conceptions de l'Europe :
- une Union qui se réduit à une zone de libre échange ouverte à l'extérieur. Cette vision de l'Europe est portée par certains de nos partenaires européens. Ce n'est pas la mienne, cela n'a jamais été la mienne. Et mon propos n'est pas lié au département ministériel dont j'ai la responsabilité aujourd'hui,
- une Union, puissance politique, qui est un marché régulé, une communauté solidaire avec des politiques intégrées. Vous l'avez compris, c'est ma conception de l'Europe. Il n'y pas de politique forte sans institution forte : et je veux saluer la signature cette semaine du Traité de Lisbonne.
Mais cette conception de l'agriculture , nous ne l'imposerons pas. J'en débats déjà avec nos partenaires quand je les rencontre. Et, il ne vous a pas sûrement pas échappé que les déclarations communes qui ressortent de ces échanges en Pologne, en Roumanie, convergent sur la vision d'une économie agricole régulée.
Je vous remercie de l'occasion que vous m'avez donnée d'exprimer ma vision de l'agriculture européenne et qui rejoint ma vision de l'Europe :
- une Europe européenne et indépendante ?
- et non une Europe sous influence et sous-traitante.
Je vous souhaite des débats riches et constructifs tout au long de cette journée et encore bravo pour cette ambition de reconnecter le débat national avec le débat européen.
Et vous les jeunes du lycée Jules Ferry qui connaissez vraisemblablement peu l'agriculture, sachez qu'elle est dans votre quotidien à travers votre alimentation, qu'elle façonne votre cadre de vie, qu'elle est un actif stratégique dans la construction européenne et qu'elle sera un des acteurs majeurs d'un développement durable pour notre planète.
Source http://agriculture.gouv.fr, le 13 décembre 2007
Mesdames, Messieurs,
C'est avec plaisir que j'ouvre la deuxième édition des « Rencontres stratégiques de l'agriculture » que vous organisez avec la Commission européenne. C'est une heureuse initiative pour plusieurs raisons :
- le titre est juste : oui, l'agriculture est stratégique, c'est même un actif stratégique pour l'Europe,
- la période est opportune : la France exercera la présidence de l'Union européenne au cours du second semestre de 2008,
- l'Europe, c'est ici et ce n'est pas l'ailleurs, c'est nous et ce n'est pas les autres. Il est important de tisser ce lien, je m'y emploie en faisant le tour des capitales européennes,
- les participants sont le reflet de notre société avec une innovation que je veux saluer : la présence des élèves d'une classe de terminale du Lycée jules FERRY du 9ème arrondissement de Paris.
Vous allez réfléchir au cours de cette journée sur une perspective : l'agriculture européenne en 2013 et sur 4 thèmes : les territoires, les nouvelles technologies, le développement durable et les pays du sud.
L'horizon et les thèmes que vous avez définis rejoignent mon analyse ainsi que mon ambition et me renforce dans la conviction qu'il faut agir maintenant.
1. Mon analyse : un contexte en profonde évolution
L'agriculture est de retour. Jamais, elle n'a été autant sur le devant de la scène. Les rapports des plus hautes instances internationales, et je pense à la Banque mondiale, le renchérissement de notre alimentation, les titres des grands quotidiens, les débats autour du Grenelle de l'Environnement en sont l'illustration la plus visible.
Notre horizon :
* c'est une planète plus peuplée et des comportements alimentaires dans le monde qui se modifient,
* ce sont des prix des matières premières, dont les matières premières agricoles, à la hausse, alors qu'en 20 ans les prix agricoles ont été, en France, divisés par 2,
* ce sont des risques sanitaires plus fréquents, parce que nous voyageons, parce que les produits s'échangent, parce que le climat se réchauffe,
* c'est une sensibilité croissante de nos concitoyens sur la préservation de nos ressources naturelles. Elles ne sont ni gratuites, ni inépuisables,
* c'est une nouvelle donne économique qui fait de l'écologie, une des composantes de notre développement.
Derrière toutes ces questions, c'est d'agriculture dont on parle. Elle est au coeur de deux grands défis de nos sociétés :
* le premier d'entre eux, c'est le défi démographique : notre planète comptera 9 milliards d'individus en 2050, soit 3 milliards de plus qu'aujourd'hui. Et phénomène récent, les pays émergents qui connaissent de forts taux de croissance consomment et consommeront plus de produits carnés ou laitiers. L'agriculture devra produire plus pour nourrir. Ces chiffres devraient interroger le continent européen qui sera le seul à voir sa population diminuer.
* le second défi, c'est le défi environnemental : notre planète doit être protégée. Elle use plus de ressources qu'elle n'en renouvelle. L'agriculture est un acteur incontournable de la préservation des ressources naturelles, de la biodiversité et de la lutte contre les pollutions. Elle devra désormais concilier performance économique et efficacité écologique dans une approche de développement durable. Cette nouvelle donne concerne toutes les agricultures du monde. Elle conditionne leur pérennité et donc leur capacité à nourrir une population mondiale en forte progression. Elle concerne également tout notre appareil productif qui devra s'orienter vers l'éco-croissance.
Ce double défi renouvelle, vous le sentez, l'avenir de l'agriculture. Il s'invite déjà dans l'actualité avec la flambée des prix de plusieurs matières premières agricoles : doublement du prix du blé, du soja, forte augmentation des cours des produits laitiers. Le phénomène est mondial, jamais les stocks mondiaux n'ont été aussi bas. Certains vous diront que cette hausse est la résultante d'aléas climatiques successifs dans les pays exportateurs. C'est incontestablement vrai : les deux sécheresses en Australie ont accru les tensions sur les marchés, mais elles n'en sont pas le déclencheur.
Ce qui se passe sur les marchés de toutes les matières premières et pas seulement des matières premières agricoles doit être vu comme le vrai signal d'une nouvelle époque. Le directeur de l'Institut de recherche sur les politiques alimentaires a déclaré, la semaine dernière, lors d'une conférence de presse à Pékin « le monde mange plus qu'il ne produit ». L'INRA dans son étude sur PAC 2013 soulignait de son côté que la production agricole devra doubler dans le monde d'ici 2050 pour répondre à la seule demande alimentaire. Et il ne faut pas oublier que le réchauffement climatique va encore aggraver l'insécurité alimentaire. Ce sont donc des marchés agricoles plus instables, une forte volatilité des prix, des prix durablement plus élevés qu'au cours des dernières années, qui constitueront le nouveau cadre de l'exercice de l'activité agricole.
Dans ce contexte, ma conviction est faite : l'agriculture devra produire plus et mieux Et la nouveauté, c'est la simultanéité entre le plus et le mieux. Or, notre politique agricole commune est en décalage au regard de cette nouvelle donne et elle doit évoluer. Elle a su le faire dans le passé :
* elle a, tout d'abord, su accompagner la fantastique mutation de l'agriculture européenne et en faire une des plus puissantes du monde. C'était le contrat scellé dans le Traité de Rome
* Puis au fil des ans, elle a su s'adapter aux évolutions des marchés et de son environnement social et environnemental avec l'instauration des quotas laitiers, le gel des terres, la conditionnalité des aides, la politique de développement rural.
* Elle doit, aujourd'hui, conduire une nouvelle évolution en devenant davantage une politique alimentaire, agricole et territoriale.
C'est mon ambition : construire avec la Commission, le Parlement européen et mes collègues des autres Etats-membres une véritable stratégie pour notre agriculture. La politique agricole a été et elle doit rester une politique européenne de développement d'un de nos actifs stratégiques majeurs : l'agriculture. A ceux qui en dénoncent son coût, je voudrai simplement rappeler que cette PAC ne représente aujourd'hui que 40% du budget européen, contre 70% à la fin des années 80, et qu'elle n'en représentera plus qu'un tiers dans moins de 5 ans. Et n'oublions pas que le budget européen, c'est à peine 1% de la richesse que nous créons. Enfin, l'absence de PAC ne nous coûterait-elle pas plus cher ? 100 euros par an et par européen est-ce trop pour la sécurité sanitaire, la qualité et la diversité de notre alimentation, pour les emplois dans les territoires, pour la richesse de nos paysages mais également pour notre rayonnement international ?
2. Mon ambition : construire un projet
Mon ambition, c'est de dessiner de nouvelles perspectives pour l'agriculture pour 2013. C'est de remettre l'agriculture au centre du jeu Ces perspectives, elles doivent être débattues, partagées au sein de notre pays tout d'abord, par les agriculteurs bien sûr mais également par la société.
Elles devront l'être au niveau européen. Mon expérience de Commissaire européen m'a enseigné la vertu du débat. Alors que l'on présente la Commission comme une machine qui impose, je pense au contraire que l'on devrait s'inspirer des formes du débat qu'elle a su instaurer en son sein. Je voudrai en donner un exemple : plus personne ne croyait à la fin des années 90 à l'avenir de la politique régionale européenne dont j'avais la charge en tant que Commissaire et un grand nombre de pays ne pensait qu'?? la supprimer. Par la pédagogie, par le dialogue, avec du temps, cette politique, à mes yeux, essentielle pour la cohésion territoriale de notre continent a été sauvée. C'est cette démarche que j'ai proposée pour l'agriculture :
* tout d'abord, en installant au niveau national les Assises de l' Agriculture auxquelles j'ai fixé comme objectifs de dessiner dans le consensus ce cadre pour notre avenir et de faire des propositions pour adapter en conséquence l'ensemble de nos dispositifs.
* ensuite, en entamant le tour des capitales européennes. Je l'aurai terminé avant que ne démarre la présidence française le 1er juillet prochain : j'aurai rencontré chaque Ministre de l'agriculture des 26 Etats-membres dans son pays.
Après 2 mois et demi de réflexion et d'échanges, la France a arrêté une position sur les objectifs d'une politique agricole renouvelée qui a été validée par le Conseil des Ministres le 20 novembre dernier. Cette position a été débattue et adoptée à l'unanimité par les familles professionnelles agricoles, les industriels de l'agroalimentaire, les distributeurs, les consommateurs et les associations de protection de la nature.
Le premier de ces objectifs, c'est assurer l'indépendance et la sécurité alimentaire de plus de 400 millions de consommateurs européens. Cette indépendance : c'est l'assurance d'un approvisionnement régulier, accessible, la sécurité : c'est la garantie sanitaire. Mais cet objectif, c'est aussi défendre notre alimentation dans sa diversité, ses goûts, ses saveurs. Je ne me résous pas à l'uniformisation de notre modèle alimentaire. Et puis, face aux tensions prévisibles des marchés, l'alimentation des européens ne doit pas être laissée à la spéculation et au moins disant sanitaire ou environnemental. Voilà pourquoi il faut reparler de préférence européenne. C'est cela la préférence européenne. Cette préférence européenne, ce n'est pas du protectionnisme, ce n'est pas transformer l'Union européenne en forteresse. La préférence communautaire, ce n'est pas un outil ringard, au contraire, elle doit être renforcée, modernisée dans son approche. Au-delà des tarifs douaniers qu'il faut préserver, la préférence européenne que nous devons porter à l'OMC ce sont des normes sanitaires, environnementales, sociales, c'est également le respect de la propriété intellectuelle et de règles d'origine. Nous devons cesser d'être naïfs. Et, si le cycle de Doha devait échouer, ne serait-il pas temps de repenser la gouvernance de l'agriculture dans les instances internationales ?
Le deuxième objectif de cette politique renouvelée, c'est participer aux équilibres alimentaires mondiaux. Il ne s'agit pas d'abord d'exporter nos produits, mais d'apporter notre contribution à la solution d'un des drames de notre temps : la faim qui frappe aujourd'hui 850 millions de personnes. Mais nous savons que la solution à ce fléau passe par le développement des agricultures vivrières. La Banque mondiale qui vient de publier son dernier rapport consacré à l'agriculture et le développement ...25 ans après le précédent le confirme en affirmant qu'investir dans le secteur agricole est le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté. Enfin ! Aurions-nous envie de dire : le dogme de la libéralisation des échanges pour réduire les inégalités de développement, porté par Doha, appelé le cycle du développement aurait-il vécu ?
Le troisième objectif de cette politique, c'est contribuer à la lutte contre les changements climatiques et à l'amélioration de l'environnement. Le défi pour demain est tout à fait nouveau : répondre à l'augmentation de la demande alimentaire mondiale et construire, en s'appuyant sur l'innovation, une agriculture économe de ses intrants et respectueuse des milieux. La politique de l'environnement n'est pas en dehors de la politique agricole. Elle constitue même une nouvelle voie du développement de l'agriculture qui peut ainsi participer au desserrement de la contrainte de l'épuisement des énergies fossiles. A cet égard, la politique agricole commune participe totalement à la stratégie de Lisbonne qui veut faire de l'économie européenne la plus compétitive du monde. Je refuse les délocalisations agricoles.
Le quatrième objectif de cette politique, c'est préserver les équilibres des nos territoires. L'agriculture européenne constitue l'armature économique et sociale de 90% de notre espace qui est un espace peuplé, vivant, cultivé, générateur de richesse et d'emplois. Et, l'on sait tous que la disparition des exploitations agricoles entraîne la fermeture des paysages et le départ d'activités. Dans une économie largement ouverte, des bassins de production peuvent rapidement se délocaliser. C'est donc l'activité agricole dans ces terroirs qu'il faut consolider pour leur permettre de valoriser leurs atouts, je pense notamment à la montagne.
Avec ces objectifs partagés, la France sera offensive sans attendre et sans arrogance. Nous souhaitons faire bouger les lignes dès 2008.
3. Nous allons agir sans attendre
Notre stratégie est double :
- utiliser le bilan de santé de la PAC pour introduire les modifications nous permettant de décliner notre projet,
- et engager un débat d'orientation sur les perspectives de la politique agricole après 2013.
Ce sont les deux objectifs que je fixe à la présidence française.
Nous allons tout d'abord utiliser le bilan de santé que nous conclurons fin 2008. Cet exercice, dont nous connaissons le contour depuis le 20 novembre dernier, nous l'abordons avec ouverture et exigence. Vous l'avez compris. Nos objectifs, nous allons les traduire dès 2008 pour mieux pérenniser la PAC en 2013. Si je voulais illustrer mon propos, voici les leviers que je souhaite bouger :
Premier levier, conserver des instruments efficaces pour stabiliser les marchés qui sont par nature instables et que tous les experts nous annoncent encore plus volatils à l' avenir. Sur ce point, je suis en désaccord avec la Commission qui estime que les agriculteurs peuvent avec des aides découplées répondre aux signaux des marchés. Sans régulation, l'Union européenne ne pourra ni garantir la sécurité des consommateurs qui seront confrontés à la grande volatilité des prix, ni participer aux équilibres alimentaires mondiaux. Je me battrai donc pour qu'au sein du premier pilier de la PAC, on dispose de dispositifs permettant de gérer les risques et les crises. Il ne s'agit pas de s'accrocher aux instruments du passé, mais de conserver ceux qui sont efficaces, d'en instaurer de nouveaux s'appuyant sur une responsabilisation des agriculteurs et des filières. Nous y travaillons.
Deuxième levier, c'est une plus grande équité dans le soutien. Je partage l'analyse de la Commission sur la difficulté à justifier dans la durée des aides calées exclusivement sur des références historiques, ce que nous avions décidé en France de privilégier en 2003. Les hectares de fruits et légumes, depuis la réforme de ce secteur en juin dernier, vont devenir admissibles aux DPU mais sans DPU, faute de budget. Cette situation sera également difficile à tenir. Je souhaite ouvrir le débat avec la profession sur l'ensemble de ces questions.
Troisième levier, consolider les bassins de production menacés par la libéralisation de nos politiques. Nous devons soutenir les productions liées aux territoires : la production laitière en zones de montagne, les productions animales à l'herbe ou l'agriculture biologique. Je souhaite le faire dans le cadre du premier pilier.
Quant au développement rural, nous en avons besoin. Cette politique est indispensable à la cohésion de nos territoires : elle finance la politique de la montagne, la politique de l'installation, l'adaptation des pratiques agricoles, la dynamique des espaces ruraux. Mais je diverge avec la Commission sur un point : ce n'est pas en détricotant la première politique économique de l'Union que l'on peut construire d'autres politiques. Vous le savez, je suis partisan d'une plus grande mutualisation de nos politiques en Europe. Je le redis : mon projet, ce n'est pas de transformer la PAC en politique de développement rural. Mais de promouvoir davantage de politiques communes en Europe.
L'ambition de la présidence française ne s'arrêtera pas là. J'ouvrirai, lors du Conseil Informel des Ministres de l'Agriculture à Annecy les 21, 22 et 23 septembre prochains un débat d'orientation sur les perspectives de la PAC de l'après 2013 sur la base des objectifs que nous avons arrêtés. C'est la volonté que le Président de la République a exprimée à Rennes en septembre dernier. Le calendrier communautaire nous laisse du temps avant les rendez-vous budgétaires de 2010, mais il y a urgence. 2009 sera, en effet, une année largement neutralisée pour l'Union européenne avec les élections européennes en juin et le renouvellement de la Commission européenne en septembre.
Ce débat, qui est un débat politique au sens noble du terme, il faut que nous l'ayons : il n'est pas nouveau et il oppose deux conceptions de l'Europe :
- une Union qui se réduit à une zone de libre échange ouverte à l'extérieur. Cette vision de l'Europe est portée par certains de nos partenaires européens. Ce n'est pas la mienne, cela n'a jamais été la mienne. Et mon propos n'est pas lié au département ministériel dont j'ai la responsabilité aujourd'hui,
- une Union, puissance politique, qui est un marché régulé, une communauté solidaire avec des politiques intégrées. Vous l'avez compris, c'est ma conception de l'Europe. Il n'y pas de politique forte sans institution forte : et je veux saluer la signature cette semaine du Traité de Lisbonne.
Mais cette conception de l'agriculture , nous ne l'imposerons pas. J'en débats déjà avec nos partenaires quand je les rencontre. Et, il ne vous a pas sûrement pas échappé que les déclarations communes qui ressortent de ces échanges en Pologne, en Roumanie, convergent sur la vision d'une économie agricole régulée.
Je vous remercie de l'occasion que vous m'avez donnée d'exprimer ma vision de l'agriculture européenne et qui rejoint ma vision de l'Europe :
- une Europe européenne et indépendante ?
- et non une Europe sous influence et sous-traitante.
Je vous souhaite des débats riches et constructifs tout au long de cette journée et encore bravo pour cette ambition de reconnecter le débat national avec le débat européen.
Et vous les jeunes du lycée Jules Ferry qui connaissez vraisemblablement peu l'agriculture, sachez qu'elle est dans votre quotidien à travers votre alimentation, qu'elle façonne votre cadre de vie, qu'elle est un actif stratégique dans la construction européenne et qu'elle sera un des acteurs majeurs d'un développement durable pour notre planète.
Source http://agriculture.gouv.fr, le 13 décembre 2007