Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur la nouvelle grille tarifaire applicable à la distribution de la presse par voie postale, Paris le 25 juin 1996.

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Circonstance : Rencontre de M. Alain Juppé avec la Fédération nationale de la presse spécialisée, Paris le 25 juin 1996

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

Vous venez, Monsieur Detailleur, avec une certaine vigueur, d'exprimer les préoccupations de votre profession.
Avant de vous répondre, point par point, permettez-moi, d'abord de vous remercier de m'avoir convié à votre déjeuner.
Il m'arrive quelquefois, le croiriez-vous, de rencontrer la presse ! Mais jamais, depuis mon arrivée à la tête du Gouvernement, autrement qu'à l'occasion des voeux traditionnels, je n'avais encore eu le plaisir de faire une intervention devant la presse sur... la presse.
Plutôt que de vous faire un discours convenu, je reprendrai si vous en êtes d'accord, chacun des thèmes qui préoccupe votre profession, en m'efforçant d'y apporter des réponses précises, concrètes et je le souhaite, satisfaisantes.
1er sujet : la Poste et les tarifs postaux
L'aide postale, avec la pratique de tarifs réduits, est le principal soutien que l'État accorde à la presse spécialisée ou non. Malgré un soutien très important de l'État (près de 2 Mds en 1996), l'opérateur postal connaît un déficit important, de l'ordre de 2,7 MdsF. L'aide postale à la presse est aujourd'hui confrontée à deux difficultés :
- vous savez que les transformations de la Poste ont des conséquences importantes sur ce service public. Si le principe du service public est bien entendu maintenu, l'entreprise Poste doit aujourd'hui s'adapter aux réalités économiques du marché.
Elle doit désormais afficher une vérité des prix qui se manifeste notamment par, la prise en compte du coût réel des services rendus. Elle doit aussi faire face à la concurrence dans des conditions loyales.
-par ailleurs, elle doit, dans le même temps tirer les leçons de l'achèvement de l'Union économique européenne et donc respecter les règles communautaires de la concurrence. Les États n'ont désormais plus la possibilité d'avoir recours aux procédés des subventions croisées.
Nous risquons donc d'être confrontés à deux risques sérieux de contentieux : avec les entreprises concurrentes de la Poste d'abord ; avec la commission européenne ensuite.
Pour toutes ces raisons, il nous faut, dès aujourd'hui, prendre les devants, en mettant en place un système concerté et acceptable globalement.
J'ajoute, mais vous le savez bien, que toutes nos actions s'inscrivent dans une perspective résolue de maîtrise et de réduction des dépenses publiques. Chaque mesure a donc une incidence sur l'équilibre que nous avons voulu.
Devant le pays, le Gouvernement s'est engagé à réduire le déficit, et il tiendra le cap. Il ne s'agit pas là d'un choix technique, mais d'un choix politique sur lequel nous ne reviendrons pas.
Je suis bien évidemment conscient des difficultés de la presse. Je sais que sa situation financière est en ce moment très délicate, en raison notamment de la hausse du prix du papier et des contraintes du marché publicitaire ; il n'est donc pas dans les intentions du Gouvernement de venir accroître ces difficultés.
Dans cet esprit, et s'agissant de l'aide postale, la position du Gouvernement est claire : une table ronde réunissant les représentants de la presse, de la Poste et de l'État a travaillé durant 6 mois. Je voudrais ici saluer l'effort et les travaux de tous ceux qui y ont participé, sous la présidence conciliante et innovante du Président Galmot.
Je salue également les progrès qui ont été accomplis dans l'évolution des positions de chacun, et notamment de la presse. Il y a eu des avancées que je qualifierai de conceptuelles, sur deux sujets, où chacun pour ce qui le concerne, - la presse, la Poste et l'État -, a su faire preuve d'un esprit d'ouverture :
- je veux parler de l'approche contractuelle et non plus réglementaire de l'aide postale, qui permet de s'orienter vers un système de prix négocié,
- je veux parler aussi de la structure de la grille tarifaire.
A quelques jours de la clôture des travaux de cette table ronde, il reste des points de divergence, en nombre limité, mais qui relèvent davantage d'une appréciation politique que de considérations techniques. Ils concernent :
- l'ampleur de la réévaluation des tarifs,
-et la différenciation dans cette réévaluation.
Sur le premier point, je ne vous rappellerais pas les enjeux que nous nous sommes fixés pour le Budget de l'État et pour la Poste. La marge de manouvre qui reste est donc réduite.
Le Président de la table ronde a fait une proposition personnelle de compromis, qui consisterait à engager un rattrapage tarifaire progressif pour les cinq prochaines années afin d'atteindre une augmentation de 50 %, avec une clause de rendez-vous sur la base d'une comptabilité analytique améliorée de la Poste et de comparaisons internationales des tarifs de presse.
Je peux me rallier à cette suggestion du Président Galmot, en précisant que nous aurons ainsi atteint la limite de ce que nous étions en mesure de proposer.
S'agissant du second point, c'est dire de la différenciation dans la réévaluation des tarifs, l'État n'exclura aucun titre. Il n'est évidemment pas dans mes intentions de remettre en cause, de quelque manière que ce soit, le principe de l'aide postale auquel je suis, comme vous très attaché. Nous considérons seulement qu'il existe une catégorie de presse qui mérite une différence de traitement en raison de sa spécificité.
Cette spécificité tient à la fois aux contraintes liées à l'urgence de la distribution. Vous me parlez d'une aide au lecteur ; je me permettrai de vous rappeler que les accords Laurent utilisent l'expression "aide au transport et à la distribution de la presse", précisément pour répondre à ce besoin d'urgence. La presse quotidienne d'information se trouve donc en situation particulière vis à vis de la Poste. Cette particularité tient aussi au fait qu'elle contribue plus que d'autre, toujours à cause de son mode de distribution, au pluralisme d'expression, et donc au bon fonctionnement de notre démocratie. Loin de moi l'idée de contester votre place éminente dans ce fonctionnement, mais la périodicité de vos publications spécialisées est une réalité incontournable.
Cette spécificité tient enfin au fait que c'est en son sein que l'équilibre économique des entreprises est le plus fragile, faute aussi de pouvoir compter, s'agissant de la presse d'opinion, sur les recettes publicitaires.
Pour toutes ces raisons, le principe du ciblage doit être à mon sens retenu, et je suis tout à fait disposé à en discuter les modalités d'application.
Enfin, la presse a proposé une mesure d'effet de cliquet, qui permettrait d'écrêter les hausses extrêmes qui résulteraient de la nouvelle grille tarifaire. Une telle mesure est en effet indispensable. Je suis donc prêt à l'accepter. Vous avez cité des taux d'augmentations proches de 200 % pour certains titres qui m'ont beaucoup étonné, Monsieur le Président. En effet, selon mes sources, l'augmentation moyenne des tarifs liée à la nouvelle grille et au rattrapage serait de + 26 % pour la presse spécialisée grand public et de + 65 % pour la presse spécialisée technique et professionnelle. Il faut donc raison garder !
L'État souhaite qu'un accord intervienne rapidement sur ce sujet, c'est à dire à la date prévue du 30 juin, faute de quoi, il prendra toutes ses responsabilités comme c'est son devoir de le faire.
S'agissant de votre demande de réexamen complet du stock de titres inscrits à la commission paritaire, je souscris pleinement à votre proposition et je demande que sa mise en oeuvre soit étudiée très rapidement.
Votre second sujet de préoccupation a trait à l'accès de la presse aux données publiques.
Je dirais deux choses à ce propos :
.s'agissant des conditions d'accès aux données détenues par l'administration une circulaire en date du 14 février 1994 prévoit déjà des conditions privilégiées pour la presse, en raison de sa mission de service public. Ces conditions s'appliquent également à la presse sous forme télématique.
De manière plus générale, il conviendra d'étudier un élargissement de l'accès, notamment pour prendre en compte les usages aux fins de large diffusion ou donnant lieu à des recettes commerciales.
.Pour ce qui est des modalités de concurrence entre l'Administration et le secteur privé pour la diffusion des données, je pense qu'il faut éviter une concurrence stérile et tout abus des administrations dans la collecte ou la production des données.
L'État doit veiller au respect par ses propres services des règles de concurrence. Il serait donc souhaitable que le secteur public systématise la séparation comptable de ses activités commerciales.
Notre intérêt commun étant de nous concerter sur ces questions, j'ai demandé que soit étudiée la mise en place de réunions régulières, associant les différents partenaires concernés.
Troisième sujet parmi les préoccupations que vous avez évoquées, Monsieur le Président, figure l'abattement forfaitaire accordé aux journalistes professionnels. Vous comprendrez, je pense, que sur une affaire aussi complexe, qui dépasse largement le problème des niches fiscales, je réserve à la représentation nationale la primeur de mes propositions sur la réforme de l'impôt. Quoiqu'il en soit, j'ai pris bonne note de votre demande et je l'examinerai dans le cadre de notre réflexion générale sur le sujet.
Dernier sujet enfin que vous n'avez pas évoqué, Monsieur le Président, mais qui me tient à coeur : l'encadrement juridique des services en ligne.
Vous avez souhaité valoriser vos compétences sur les réseaux de communication du futur et je ne peux que vous encourager à poursuivre dans cette voie.
Les enjeux de l'entrée de la presse sur le marché du multimédia présentent une particularité qu'il importe de prendre en compte.
Diverses questions d'ordre juridique, économique et professionnel, que vous avez tous en mémoire, se posent avec le développement de ces nouveaux services.
En tout état de cause, les réflexions menées sur ces thèmes, en liaison avec les professionnels, s'attachent à prendre en compte les principes fondamentaux qui demeurent la spécificité et l'impératif de la presse, c'est à dire la liberté de la communication, le pluralisme et la transparence.
D'ores et déjà, le Gouvernement a souhaité introduire un amendement sur la régulation des services en ligne dans le cadre du projet de loi sur la réglementation des télécommunications, en créant un comité, rattaché au CSA et composé de professionnels représentant les fournisseurs d'accès aux services, les éditeurs de services, les éditeurs de presse, les représentants des utilisateurs et des personnalités qualifiées.
Ce comité émettra des recommandations dans le domaine de la déontologie et pourra être saisi par les usagers pour donner des avis sur le respect des recommandations qu'il aura lui-même édictées. Si des faits étaient de nature à motiver des poursuites pénales, le Président du CSA, sur proposition du comité, sera tenu de les porter à la connaissance du Procureur de la République.

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

Cette rencontre m'a permis de faire le point sur des dossiers d'une actualité parfois brûlante.
Je sais que certains de mes propos ne vous font pas nécessairement plaisir. Mais j'en appelle à l'esprit de solidarité interprofessionnelle.
Oui, la presse française connaît des difficultés. Des titres disparaissent ou sont menacés de disparaître. Nous ne pouvons assister à cela sans réagir.
Je souhaite que l'ensemble de la profession participe à cette réflexion. Nous devrons sûrement améliorer notre système d'aide. Rien ne se fera sans vous, aussi, je vous demande d'être constructifs.