Interview de Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communicaiton, à RTL le 18 janvier 2008, sur la suppression de la publicité sur les chaînes de télévision publique et le financement de l'audiovisuel public.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


J.-M. Aphatie.- Bonjour, C. Albanel.
 
R.- Bonjour.
 
Q.- P. de Carolis, président de France Télévisions, publie une tribune dans le Monde datée d'aujourd'hui. Il détaille les incertitudes qui sont les siennes après l'annonce par le Président N. Sarkozy de la disparition de la publicité comme source de financement dans l'audiovisuel public. Il apparaît que P. de Carolis, président de France Télévisions, n'a été ni associé à cette réforme, ni informé. Il l'a appris comme tout le monde quand le Président l'a dévoilée. Est-ce que P. de Carolis a l'autorité nécessaire, aujourd'hui, suffisante pour mener à bien cette réforme ?
 
R.- Tout à fait. Je crois qu'on travaille de toute façon constamment avec les dirigeants de France Télévisions et depuis fort longtemps. Et bien sûr, nous continuons et encore plus que jamais à travailler avec eux, précisément sur le contrat de service public qui va être au coeur de cette réforme de France Télévisions.
 
Q.- Mais c'est extraordinaire d'imaginer qu'un Etat est dirigé de la façon suivante : celui qui dirige France Télévisions n'est même pas informé de cette réforme majeure. Comment vous l'expliquez ça ?
 
R.- Vous savez dans un Etat ! Dans un Etat, je crois qu'il y a des décisions qui sont un peu "décisions fondatrices". Bon. Et je pense ... On sait très bien qu'il y avait un débat depuis fort longtemps, même depuis de très nombreuses années, sur le financement de France Télévisions et de l'audiovisuel public d'ailleurs dans son ensemble. L'été dernier, d'ailleurs, on s'était dit : qu'est-ce qu'on fait ? Faut-il augmenter un petit peu la redevance ? L'ajuster ? Mais faut-il ajouter plus de publicité ? Ou alors gardons le contrat actuel d'objectifs ?
 
Q.- P. de Carolis demandait davantage de publicité.
 
R.- Et personnellement, je m'étais prononcée pour qu'on n'aille pas plus loin dans la voie de plus de publicité, parce que je me disais : on va atteindre l'identité de la chaîne. Et c'est quelque chose qu'il faut éviter. Donc, le débat, il était sur la table. Je crois  
 
 
C. Albanel
 
RTL 7h50
 
Vendredi 18 janvier 2008
 
 
J.-M. Aphatie.- Bonjour, C. Albanel.
 
R.- Bonjour.
 
Q.- P. de Carolis, président de France Télévisions, publie une tribune dans le Monde datée d'aujourd'hui. Il détaille les incertitudes qui sont les siennes après l'annonce par le Président N. Sarkozy de la disparition de la publicité comme source de financement dans l'audiovisuel public. Il apparaît que P. de Carolis, président de France Télévisions, n'a été ni associé à cette réforme, ni informé. Il l'a appris comme tout le monde quand le Président l'a dévoilée. Est-ce que P. de Carolis a l'autorité nécessaire, aujourd'hui, suffisante pour mener à bien cette réforme ?
 
R.- Tout à fait. Je crois qu'on travaille de toute façon constamment avec les dirigeants de France Télévisions et depuis fort longtemps. Et bien sûr, nous continuons et encore plus que jamais à travailler avec eux, précisément sur le contrat de service public qui va être au coeur de cette réforme de France Télévisions.
 
Q.- Mais c'est extraordinaire d'imaginer qu'un Etat est dirigé de la façon suivante : celui qui dirige France Télévisions n'est même pas informé de cette réforme majeure. Comment vous l'expliquez ça ?
 
R.- Vous savez dans un Etat ! Dans un Etat, je crois qu'il y a des décisions qui sont un peu "décisions fondatrices". Bon. Et je pense ... On sait très bien qu'il y avait un débat depuis fort longtemps, même depuis de très nombreuses années, sur le financement de France Télévisions et de l'audiovisuel public d'ailleurs dans son ensemble. L'été dernier, d'ailleurs, on s'était dit : qu'est-ce qu'on fait ? Faut-il augmenter un petit peu la redevance ? L'ajuster ? Mais faut-il ajouter plus de publicité ? Ou alors gardons le contrat actuel d'objectifs ?
 
Q.- P. de Carolis demandait davantage de publicité.
 
R.- Et personnellement, je m'étais prononcée pour qu'on n'aille pas plus loin dans la voie de plus de publicité, parce que je me disais : on va atteindre l'identité de la chaîne. Et c'est quelque chose qu'il faut éviter. Donc, le débat, il était sur la table. Je crois que quand le Président de la République prend une décision effectivement personnelle, en disant : réfléchissez à comment faire pour qu'on arrête la publicité et qu'on construise vraiment, qu'on fasse le choix de la culture, de la qualité, du service public, sans être...
 
Q.- Parce que ça n'était pas le cas jusqu'à présent ? Ca n'était pas la qualité sur le service public jusqu'à présent ?
 
R.- Si. Bien sûr qu'il y avait déjà... vraiment il y avait déjà une bonne qualité et on allait tout à fait dans le bon sens, et d'ailleurs sous l'impulsion des dirigeants, P. de Carolis et P. Duhamel. Mais il n'empêche qu'on était quand même dans une logique où on disait : faites plus de culture mais aussi faites plus de publicités, parce que vous en avez besoin.
 
Q.- Vous avez dit, C. Albanel : France Télévisions allait dans le bon sens. Ce n'est pas ce que pense visiblement F. Fillon, invité du "Grand Jury" à propos de la suppression de la publicité sur France Télévisions, il a dit ceci. Ecoutez.
 
F. Fillon (archives du "Grand Jury") : "Je me mets à la place de chaque citoyen qui paie sa redevance. Je dis : pourquoi est-ce qu'on me demande de payer une redevance pour regarder une télévision qui est identique à la télévision commerciale ?"
 
Q.- La "France Télévisions" identique à la télévision commerciale, dit F. Fillon. Vous partagez ce sentiment ?
 
R.- Non, je crois que ce n'est pas mon sentiment. Je ne pense pas que F. Fillon ait voulu dire qu'elle était identique. C'est la crainte ...
 
Q.- Ah, il l'a dit.
 
R.- C'est la crainte qu'au fond elle le devienne en fixant des objectifs de pub qui sont toujours plus forts.
 
Q.- Il a dit : "c'est identique".
 
R.- Moi je pense qu'actuellement, les programmes sont des programmes tout à fait intéressants. On sait tous, il y a eu les "Maupassant", l'émission de télé hier à 23 heures, "Envoyé Spécial", etc. Il y avait beaucoup d'émissions naturellement qui étaient "identité service public". Il n'empêche qu'il fallait aussi constamment aller chercher de l'audience, aller chercher de la pub. Par exemple, à l'époque - je pense à une émission qui a disparu mais qui était, par exemple - "C'est mon choix". Tout le monde savait qu'elle était là parce qu'elle faisait grande audience et vraiment pour aller chercher la publicité ; et elle n'avait pas réellement -je vous donne cet exemple- mais elle n'avait pas réellement sa place sur le service public. Il y avait là une logique et je crois que c'est très important culturellement de rompre avec cette espèce de grand écart permanent. C'est un vrai choix. D'autres pays d'ailleurs l'ont fait ; et bon voilà ... On est devant un challenge ; et quand le Président Sarkozy nous dit : "Réfléchissez ! Dites-moi comment faire ! Mais je veux le faire". Il porte un projet qui est un projet de société, voire de civilisation, comme le mot actuellement est souvent employé ; et je crois que c'est vrai.
 
Q.- Le challenge, C. Albanel, c'est de trouver maintenant combien d'argent exactement pour compenser intégralement, a dit le président de la République, hier, les ressources de France Télévisions ?
 
R.- Le challenge c'est précisément la question que pose P. de Carolis, c'est compenser intégralement.
 
Q.- Quelle est la somme qu'il faut trouver ?
 
R.- Cela veut dire, autour de 800 millions d'euros, mais en fait davantage puisque effectivement, le temps de la publicité, il faudra évidemment faire des émissions pendant le temps de la publicité.
 
Q.- Vous l'évaluez à combien le "davantage" ?
 
R.- L'ensemble, c'est certainement 1 milliard d'euros.
 
Q.- Et à quel moment direz-vous les décisions que vous prenez pour trouver ce milliard d'euros ?
 
R.- Ecoutez, c'est en cours actuellement mais il faut savoir quand même parce qu'il y a beaucoup de propos alarmistes. Mais il y a évidemment des ressources. On sait que, par exemple, l'ensemble de la téléphonie mobile, c'est à peu près 40 milliards d'euros. On sait que l'ensemble de la téléphonie... la téléphonie mobile seule et les abonnements d'Internet, c'est autour de 20 milliards d'euros. Tous les équipements télés, ordinateurs, etc., l'ensemble, c'est 17 milliards d'euros.
 
Q.- Mais vous entendez la colère des fabricants de télévision, par exemple qui disent : encore une taxe ! On va nous taxer encore.
 
R.- Bien sûr. Mais les pistes qu'a lancées le Président, c'était : il a parlé de taxes infinitésimales. Donc, quand même très, très peu, c'est-à-dire que jamais, jamais, on ne dépasserait un maximum d'1% bien sûr ; et d'autre part, de taxer les recettes de pub supplémentaires des chaînes privées. Et là, il y a quand même une forte logique puisque de toute façon, il y a une grande part de cette publicité qui va se diriger vers les chaînes privées, qu'elles soient taxées à hauteur justement de ce qu'elles vont recevoir en plus. Voilà.
 
Q.- Pas plus d'1% ça veut dire : un produit qui vaut 1.000 euros n'aura pas plus de 10 euros de taxes pour financer l'audiovisuel public ?
 
R.- Ça serait le grand maximum.
 
Q.- Ça c'est un engagement de la ministre de la Culture et de la Communication.
 
R.- Absolument, ça serait le grand maximum. Bien sûr.
 
Q.- À quel moment présenterez-vous la Loi ? À quelle date la présenterez-vous cette Loi, C. Albanel ?
 
R.- Ça sera au printemps de toute façon, et pour un vote avant l'été, c'est-à-dire certainement après les municipales. Et actuellement, on travaille d'arrache-pied avec justement sur cette idée de contrat de service public : Qu'est-ce que peut être la télévision ? Et ce qu'on va faire dès la semaine prochaine, on va ouvrir un Forum, un grand site dans lequel les gens pourront s'exprimer pour dire : qu'est-ce qu'ils attendent en fait de la télévision ? Qu'est-ce qu'ils souhaitent ? Et nous allons certainement aussi faire des forums en province pour aller à la rencontre des Français en leur disant : Mais au fond, qu'est-ce que vous imaginez ? Parce qu'il y a quelque chose d'important, c'est qu'on ne veut pas faire Arte 2, 3, 4 ... on veut faire une télévision toujours pour tous.
 
Q.- Application dès le 1er janvier 2009 de la nouvelle loi de financement ?
 
R.- Oui, absolument.
 
Q.- Que deviendront les 317 salariés de la Régie publicitaire de France Télévisions, C. Albanel ?
 
R.- Evidemment, il faut absolument que leur situation soit prise en compte. Cela fait partie évidemment des données de la question et les dirigeants de France Télévisions en sont extrêmement conscients et nous serons à leur côté.
 
Q.- Est-ce qu'on peut dire : Zéro licenciement pour ces salariés de la Régie publicitaire de France Télévisions ?
 
R.- Ah, je pense qu'on peut dire Zéro licenciement. Mais il appartient aux dirigeants de France Télévisions de porter évidemment ce dossier.
 
Q.- On peut le dire. Vous le dites, C. Albanel ?
 
R.- Je ne dirige pas France Télévisions ; mais je le dis, bien sûr.
 
Q.- Le Figaro assure, ce matin, que vous ne vous rendrez pas au Festival international des Programmes Audiovisuels de Biarritz qui se déroulent, la semaine prochaine. Motif, selon Le Figaro : éviter d'affronter la colère des professionnels de l'audiovisuel ?
 
R.- Ah non, pas du tout. Absolument pas. Vous savez, je ne me dérobe absolument pas. Je suis prête à les discuter avec les uns, avec les autres.
 
Q.- Vous serez à Biarritz ?
 
R.- Non, non, non, je ne vais pas à Biarritz mais je n'avais pas prévu ...
 
Q.- Ah ! Le Figaro n'a pas tort, alors !
 
R.- Mais non, mais c'est que je n'avais pas prévu d'aller à Biarritz ...
 
Q.- Dans le contexte, ce ne serait pas bien que vous y alliez ? Il y a tous les programmateurs de télé ?
 
R.- Alors là, attendez ! Vous me donnez une idée ! Je vais reconsidérer.
 
Q.- D'accord. Le président de la République a souhaité, il y a quelques jours, pendant sa conférence de presse d'ailleurs, que France 24 n'allait émettre plus qu'en français. C'est une direction que vous allez suivre ?
 
R.- Ça a été une discussion d'ailleurs qu'on a eue avec le président de la République, le Premier ministre, lors des réunions successives que nous avons actuellement. Enfin, l'idée de dire : on a envie d'être entendus, qu'il y ait un audiovisuel extérieur fort français. Et la logique, finalement, c'est qu'il soit en français parce que : est-ce qu'un auditeur anglophone ne va pas spontanément écouter davantage la BBC, CNN ? En même temps, on voit bien qu'il y a aussi un vrai enjeu à parler la langue des gens. Donc, je comprends tout à fait la position du président de la République. C'est actuellement en réflexion. Il a dit lui-même : on va en reparler parce que, voilà.
 
Q.- Ah ! On avait eu l'impression que c'était plus catégorique que ça ?
 
R.- Sa tendance spontanée, il a raison, c'est qu'une chaîne d'audiovisuelle extérieure français est en français, voilà.
 
Q.- Vous êtes dans la tempête, C. Albanel, vous le savez ?
 
R.- Ah ! Ecoutez, la tempête, c'est aussi l'occasion de défis.
 
Q.- Un ministre dans la tempête était l'invitée d'RTL ce matin.
 
C. Hondelatte : Moi, si j'étais vous, j'irais à Biarritz ! Je connais deux, trois bonnes adresses que je peux vous donner. Avec Jean-Michel, on connaît bien. Vous devriez !
 
Q.- Ah, on va suivre ça.
 
R.- C'est parce que vous m'invitez à Biarritz.
 
C. Hondelatte : Ah ! Bon, eh bien voilà.
 
Q.- Là, il faut y aller au mois de janvier.
 
C. Hondelatte : Au mois de janvier. C'est un peu plus rude, peut-être !
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 janvier 2008