Interview de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, à LCI le 23 janvier 2008, sur les propositions du rapport de M. Attali, la flexisécurité et la représentativité syndicale.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- Le Gouvernement doit-il appliquer en bloc les recommandations du rapport Attali, remis aujourd'hui au président de la République, comme l'exige son auteur ?
 
R.- Nous devons débattre de l'ensemble des propositions de J. Attali. C'est vrai qu'il en a certaines qui sont décoiffantes mais il ne faut pas avoir peur du débat.
 
Q.- Débattre c'est enterrer ?
 
R.- Pour ce serait enterrer ? Ce n'est pas ce que vient de vous dire. Au contraire, je crois qu'il faut bien peser le pour et le contre de chacune des mesures ; bien voir aussi la cohérence de l'ensemble. Et puis, je souhaite que J. Attali fasse, d'une certaine façon, le service après-vente de son rapport, qu'il explique pourquoi. Qu'il explique pour chacune des mesures les avantages et les inconvénients, et pourquoi il nous dit qu'il y a une cohérence d'ensemble. Mais c'est vrai que ce n'est pas avec de l'eau tiède qu'on va relever les défis de demain. Parce que, l'enjeu avec le rapport Attali, c'est d'aller chercher une croissance qui nous manque par rapport à nombre de nos voisins européens. Eh bien, il faut parler de tout, sans tabou, sans tabou. Je crois qu'il ne faut plus avoir peur aujourd'hui en France du débat. Et puis, aussi, ce sera au Parlement, bien sûr, de se prononcer ; il faudra qu'il y ait des majorités. Mais je souhaite qu'il fasse de la pédagogie maintenant.
 
Q.- L'erreur est peut-être de sortir ce rapport à quelques semaines des municipales et des cantonales ?
 
R.- La vie politique française n'est pas rythmée par les élections intermédiaires, par les élections locales. Il n'y a pas un bon ou un mauvais moment pour poser les débats. Il faut plutôt savoir si la classe politique et la société française dans leur ensemble savent porter des débats de société. Et que l'on n'a pas aussitôt une opposition qui n'a aucune idée par ailleurs, qui cherche aussitôt à s'emparer de telle ou telle proposition. Il faut de la maturité si l'on veut lever les tabous dans notre pays.
 
Q.- Alors, quelques exemples, avec des réponses brèves, un peu comme dans "Oui - Non" cher M. Field...
 
R.- Vous me demandez le contraire de ce que je viens de vous dire donc ?
 
Q.- Votre sentiment, alors, votre impulsion du débat. En tant que ministre du Travail, êtes-vous favorable à la déréglementation de certaines professions : taxis, coiffeurs, pharmaciens ?
 
R.- Ça dépend comment on présente les choses, ça dépend les avantages et les inconvénients. Mais de dire non en bloc, non, je ne suis pas partant pour dire non en bloc sur chacune des propositions que vous évoquez. Sur la question, notamment, par exemple, des taxis, cela veut dire quoi ? Qu'on voudrait apporter un service supplémentaire pour qu'il y ait davantage de taxis, c'est bien cela l'idée ?
 
Q.- Moins chers, plus de taxis.
 
R.-...Bon. Est-on condamnés pour autant à faire n'importe quoi, n'importe comment ? Est-ce qu'on ne peut pas en parler avec les professions ? Est-ce que les professions sont bloquées par nature ? Je ne le crois pas. Je pense qu'il faut parler de l'ensemble des sujets et de chacune des mesures. Et puis après, on tranchera. C'est la responsabilité politique. Mais n'ayons pas peur des débats.
 
Q.- Le recours à l'immigration, dans les professions touchées par une pénurie de main-d'oeuvre ?
 
R.- On sait pertinemment qu'avec l'immigration choisie, nous nous donnons les moyens de maîtriser l'immigration, ce qui n'a pas été le cas hier, ni avant-hier, et aussi de pouvoir répondre aux besoins dans les années qui viennent.
 
Q.- Des quotas par profession ?
 
R.- C'est d'ailleurs ce que nous avons voulu indiquer, d'aller vers une politique de quotas pour choisir notre immigration.
 
Q.- Basculer des cotisations sociales vers la TVA et la CSG, une sorte de résurrection de la TVA sociale, êtes-vous pour ?
 
R.- Là aussi, vous posez la question de façon terriblement réductrice. Pour dire quoi ? Est-ce que demain, il faudra augmenter la TVA ? Vous pensez bien qu'on ne va pas prendre une mesure qui pénaliserait le pouvoir d'achat des Français. Nous cherchons en permanence à valoriser le pouvoir d'achat, on ne va pas faire le contraire.
 
Q.- Ca aide l'emploi...
 
R.- Maintenant, est-ce qu'il faut moins taxer le travail ? Bien sûr. Je suis frappé en ce moment, parce que chaque semaine, je me rends dans les entreprises pour parler du dispositif heures supplémentaires qui marche comme jamais on n'aurait imaginé qu'il marchait - plus de la moitié des entreprises y ont déjà eu recours. Les salariés aujourd'hui, disent : "Monsieur le ministre, on paye trop de charges !". Eh bien, quand vous avez aujourd'hui des salariés qui vous disent qu'ils payent trop de charges sur leur travail, cela veut dire qu'il y a des inquiétudes sur le modèle social, il faut donc moins taxer le travail, trouver d'autres solutions. Est-ce que on peut trouver des solutions qui ne pénalisent pas le pouvoir d'achat ? Oui, je le crois.
 
Q.- Prononcer un licenciement économique, avec, comme motif "réorganisation de l'entreprise, amélioration de la compétitivité", cela sera-t-il possible ?
 
R.- Là aussi, vous faites du "Oui-Non". On est en train de casser le débat proposé par J. Attali. Vous savez qu'il y a certains des cas que vous avez évoqués, qui sont parfois reconnus par les juges. Maintenant, sur tous ces sujets-là, on a choisi une méthode en France : d'en parler avec les partenaires sociaux. Et on s'aperçoit avec l'accord qu'ils ont signé lundi au siège du Medef...
 
Q.- On va y revenir.
 
R.-...eh bien, qu'il n'y a plus de sujets tabous, parce qu'on est même prêt aujourd'hui à discuter dans l'entreprise des modalités de rupture, sans aller forcément devant le juge. Cela montre bien que la société française est en train de se débloquer.
 
Q.- Plus de supermarché pour baisser les prix et augmenter le pouvoir d'achat ?
 
R.- Là, c'est une question que vous me posez à moi, ou au secrétaire d'Etat à la Consommation qui est L. Chatel ?
 
Q.- A vous.
 
R.- A moi ? Eh bien, sur tous ces sujets-là... Je ne vais pas vous faire les 314 mesures !
 
Q.- Mais à Saint-Quentin dans l'Aisne, par exemple, plus de supermarché ça tue le petit commerce ou c'est possible ?
 
R.- On sait bien qu'il y a eu avec les supermarchés des craintes sur le commerce à différentes époques. On sait aussi que sur les supermarchés il y a eu des créations d'emplois. Est-ce que l'équilibre aujourd'hui est satisfaisant ? Si vous demandez à certains parlementaires, ils vous diront que oui ; d'autres, vous diront que non. Là aussi, les avantages et les inconvénients. Est-ce qu'on est capable, encore une fois, aujourd'hui, de dépasser tous ces blocages ? Oui. Mais vous, vous êtes en train de me faire faire l'exercice parfait pour tuer le débat créé par J. Attali.
 
Q.- Alors, dernière question : l'Aisne, votre département, l'Aisne, est-il une structure obsolète compte tenu de sa proximité avec Paris ? L'échelon départemental n'est-il plus bon ?
 
R.- Vous parlez de mon département ou vous parlez de "la structure départementale" ?
 
Q.- Le vôtre, le vôtre...
 
R.- Le Conseil général ?
 
Q.- Supprimer le Conseil général, supprimer l'Aisne... ?
 
R.- Là aussi, telle qu'est posée la question, on laisserait penser que l'on voudrait, demain, supprimer les conseillers généraux tels qu'ils sont, et donc, supprimer les compétences du Conseil général. Ce n'est pas cela que dit J. Attali. Il pose la question pour dans dix ans. Est-ce qu'on peut mieux organiser les choses, entre les communes, les communautés d'agglomérations, les pays, les départements, les régions, l'Etat, l'Europe ? Pour moi, la question se pose aujourd'hui et elle se posera encore plus dans 10 ans, 15 ans ou 20 ans. Le rapport Attali, ce ne sont pas des mesures pour les 15 semaines qui viennent, ce sont aussi des mesures pour les 15 ans qui viennent. Posons, encore une fois, même, ce débat ! Je ne veux écarter aucun des débats posés par J. Attali, aucun. Mais j'aimerais maintenant qu'il prenne toute sa part dans la pédagogie qui va s'ouvrir.
 
Q.- L'accord sur la modernisation du marché du travail a donc été signé par quatre syndicats représentatifs sur cinq. Pourquoi les recevez-vous encore aujourd'hui ?
 
R.- A la fois, pour bien montrer qu'il y a eu la volonté politique que puisse se nouer un dialogue sur cette question de la modernisation de la réforme du marché du travail, ce qui montre bien que la réforme, ça n'est pas réservé aux seuls politiques, c'est que les partenaires sociaux peuvent la prendre à leur compte, ce qui a été fait. Et puis maintenant, nous allons avoir à retranscrire législativement cet accord...
 
Q.- Aïe !...
 
R.-...pour qu'il puisse rentrer.... Pourquoi "aïe ! " ?
 
Q.- Les parlementaires UMP vont mettre du libéralisme dedans, ils vont le durcir...
 
R.- Et pourquoi cela ?!
 
Q.- C'est leur métier.
 
R.- De mettre quoi ?
 
Q.- Ils ont été élus pour, peut-être, aller un peu plus vers les patrons et un peu moins vers les salariés ?
 
R.- Mais les temps changent. Et vous savez aussi que nous avons toujours dit que nous respecterions la volonté et l'autonomie des partenaires sociaux. Si l'on veut qu'ils se sentent en confiance, il faut conforter cette confiance. Voilà pourquoi cet accord, je l'ai indiqué, nous ne le casserons pas, nous ne le changerons pas. Mais nous voulons aussi avec cet accord, bien leur montrer que, quand eux-mêmes trouvent un point d'accord important, parce que cet accord marque à mon sens un vrai tournant dans la modernisation du marché du travail, qui appelle d'autres étapes - formation professionnelle, assurance chômage -, il faut qu'il continue à se sentir en confiance. Voilà pourquoi, sur ce texte, nous allons leur dire comment et quand nous allons pouvoir le retranscrire. Et j'ai été très attentif à ce qu'ont dit, bien sûr, le groupe UMP et le parti politique, et aussi le Parti socialiste, en disant, les uns et les autres, qu'ils respecteraient l'accord. Ce qui montre bien que quand les partenaires sociaux prennent leurs responsabilités en signant, leur prise de responsabilité est respectée.
 
Q.- Mais cette "flexi-sécurité", comme on dit, c'est la flexibilité tout de suite à l'embauche pour le salarié qui est en précarité, et c'est la sécurité s'il n'y a pas trop de crise économique ?
 
R.- Les droits des salariés sortent renforcés de cet accord. Le doublement des indemnités de licenciement, le fait que, quand on quitte une entreprise, on va garder sa mutuelle et sa prévoyance, pour soi-même et pour sa famille, de garder les droits individuels à formation. Ce sont des avancées, comme on n'aurait pas imaginé par le passé. Les sujets qui sont dans cet accord, cela faisait 25 ans qu'ils faisaient l'objet d'un blocage de part et d'autre. Cela montre que la société française, début 2008, est en train de se débloquer. Et cela montre aussi, que le dialogue social se renforce. Ce sont plutôt des bonnes nouvelles.
 
Q.- On passe à la négociation sur la représentativité des syndicats. Ce chantier-là est mûr. Est-ce que vous garderez le principe d'élections professionnelles généralisées, nationales, qui donnent le poids de chaque syndicat ?
 
R.- Il faut savoir qu'il y a différentes élections qui interviennent : il y a les élections prud'homales qui interviendront en décembre 2008, et je souhaite qu'on ait un taux de participation plus importante que la fois dernière...
 
Q.- Il faut donc du vote électronique ?
 
R.- Cela va commencer à se développer, notamment en Ile de France, mais je souhaite que cela puisse se généraliser. Nous travaillons en ce moment avec les partenaires sociaux pour voir de quelle façon nous pouvons augmenter le taux de participation. Il y a ensuite la question des élections dans les entreprises, et les règles de représentativité vont nous permettre de définir quelles sont les bonnes références. Mais une chose est certaine, c'est qu'au sortir de cette année 2008, les règles de représentativité auront changé dans notre pays, parce que je veux bien montrer aux salariés que s'ils se tournent vers les syndicats, en leur faisant confiance, les décisions que prendront les syndicats seront plus importantes, plus fortes et davantage respectées. C'est la question des accords majoritaires. Voilà pourquoi on ne peut pas avoir de statu quo en matière de représentativité. Mais au final, ce sont les salariés qui décideront de la place, du nombre et de la force des organisations syndicales.
 
Q.- Quand commencera la négociation pure et dure sur le régime général des retraites, la réforme 2008, et est-ce qu'on part sur l'idée que 41 ans on n'y échappera pas ?
 
R.- Première chose : réponse le 6 février. Parce qu le 6 février, il y a un agenda "Protection sociale" voulu par le président de la République, pour que l'on voie la méthode et le calendrier, parce qu'en permanence, nous avons la logique de la main tendue avec les partenaires sociaux, pour voir quel est le bon rythme. A partir de ce moment-là, nous déterminerons ce qu'il y aura aussi dans les rendez-vous des retraites de 2008. Il y aura la question de la durée de cotisation. Nous vivons plus longtemps, est-ce que l'on peut aujourd'hui avoir les compteurs bloqués ? C'est l'une des questions qu'il faut poser, parce que dans le rendez-vous de 2008, nous attendons tous des mesures généreuses : la question de la pénibilité, les petites retraites, la question du montant des pensions de retraite. Mais en face, il faut des mesures courageuses. Vous n'aurez pas de mesures généreuses s'il n'y a pas de mesures courageuses. Les uns n'iront pas sans les autres.
 
Q.- 45.000 emplois en trois ans, moins 40 % de chômage des jeunes en banlieue : F. Amara vous a-t-elle consulté avant d'annoncer ces chiffres ?
 
R.- Nous nous sommes vus, nous nous sommes vus avec Fadela, parce qu'on a un travail commun. Elle travaille avec différents ministères. Voyez ! Ce qui change aujourd'hui dans la logique gouvernementale, c'est beaucoup plus transversal que par le passé. C'est le travail entre plusieurs ministères, mais elle, elle apporte quelque chose que les uns et les autres n'ont pas : cette expérience du terrain, cette sensibilité, et puis vous verrez, une vraie efficacité.
 
Q.- Vous serez, comme ministre, évalué notamment en fonction du nombre d'heures moyen travaillées par les Français en 2008. Travailler plus pour faire travailler X. Bertrand ?
 
R.- C'est surtout faire en sorte que nous puissions libérer le travail. Nous ne réussirons à aller chercher la croissance, à être vraiment dans le peloton de tête des pays européens que si nous réussissons à libérer le travail, en travaillant plus, et à faire en sorte que l'Etat puisse aussi économiser.
 
Q.- Et vous engagez votre portefeuille là-dessus ?
 
R.- Ecoutez ! C'est aussi pour cela j'ai été nommé, pour obtenir des résultats. Les ministres ne sont pas là aujourd'hui - ne sont plus là - pour durer ; ils sont là aussi pour faire bouger les choses, et ce n'est pas seulement la volonté du président de la République, c'est ce qu'attendent les Français.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 23 janvier 2008