Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des Lois,
Monsieur le Président de la Délégation pour l'Union Européenne,
Monsieur le rapporteur,
Mesdames et messieurs les sénateurs,
Voici soixante ans qu'en France, avec détermination et constance, l'intérêt national épouse l'ambition européenne ; soixante ans que la passion française trouve dans l'aventure européenne son horizon, son aboutissement, l'élargissement de ses perspectives aux dimensions plus vastes de notre continent ; soixante ans que le rêve européen reçoit de l'initiative française ses élans et ses caps.
Soixante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Europe est plus qu'une ambition, plus qu'une aventure, plus qu'un rêve : elle est cette réalisation commune à laquelle 27 pays libres se sont joints, pour s'accorder mutuellement les garanties de la paix et partager les réussites de l'intégration économique et monétaire.
Gouvernements de gauche et de droite, de l'Ouest et de l'Est, tous ont bâti notre maison commune.
Elle est sans équivalent au monde.
L'entreprise européenne est une entreprise inédite, radicalement nouvelle. Nulle part ailleurs un tel défi n'a été lancé.
Unir un continent ravagé par des siècles de guerres, d'hostilité.
Créer un ensemble continental cohérent, quand les anciens empires européens avaient laissé le souvenir de tant de luttes.
Construire les moyens d'agir collectivement, tout en préservant les spécificités nationales si chèrement conquises.
La construction européenne est en train de réussir ce pari que beaucoup jugeaient insensé. L'Union européenne a beaucoup de compétences, beaucoup de pouvoirs ; mais sa force ne vient ni de la contrainte armée, ni de la domination d'une coalition d'Etats sur les autres.
Sa force, c'est la libre volonté d'union qui joint ses Etats membres.
Les élargissements successifs en sont la preuve éclatante.
Sa force, c'est son mode de décision démocratique, que ce soit au Conseil ou au Parlement européen - et ce caractère démocratique est notablement renforcé par le Traité de Lisbonne.
Sa force, c'est la synthèse entre les institutions démocratiques de l'Union et l'identité préservée des Etats membres - et le Traité de Lisbonne réaffirme clairement cette synthèse.
La seule vraie force de contrainte qui régisse l'Union, c'est le respect du droit, pierre angulaire de la construction européenne. Le règne du droit démocratiquement élaboré a remplacé en Europe le règne de la violence comme moyen de contrainte ultime. C'est un progrès fondamental, qui fait de l'Europe une vraie terre de civilisation, et un exemple pour d'autres régions du monde.
C'est afin de saluer le rôle du droit européen que j'ai profité de ma rencontre avec Jean-Claude Juncker vendredi dernier à Luxembourg pour accomplir la première visite d'un Premier ministre français auprès de la Cour de Justice de l'Union européenne
Constatons-le une fois de plus, avec une reconnaissance particulière pour ceux dont le courage a précédé et préparé nos efforts : devant cet exceptionnel objet de fierté qu'est l'Europe, les hésitations, les lenteurs, les réticences ont toujours cédé le pas.
Ils doivent continuer de le faire aujourd'hui.
Faut-il le rappeler ? J'ai été moi-même contre le Traité de Maastricht - traité imparfait, dans lequel les avancées économiques de la construction ne recevaient pas, selon moi, une contrepartie politique suffisante. Je n'ai pas été le seul à redouter l'avènement d'une Europe boiteuse, incapable de gouverner comme il l'aurait fallu l'intégration économique poussée qu'elle se promettait d'atteindre.
J'ai constaté depuis, comme beaucoup, que mes craintes n'étaient pas infondées.
Aujourd'hui, le Traité de Lisbonne leur répond et les apaise. A l'heure où l'accueil des anciens pays de l'Est exige une adaptation de nos procédures, Le Traité de Lisbonne clarifie le fonctionnement politique de l'Europe, et il en renforce opportunément les structures.
Encore cette satisfaction institutionnelle n'est-elle pas la seule raison de mon intervention : d'autres motifs relèvent de mon sentiment intime, et je sais qu'ils parlent des Français.
Dans le projet européen converge, Mesdames et messieurs les sénateurs, l'essentiel de nos héritages culturels et humains.
L'expérience démocratique, universitaire, scientifique et industrielle : autant de domaines dans lesquels l'histoire a donné à nos pays le privilège d'une fertilité séculaire !
Nous sommes - vous, moi, Français, Européens - les détenteurs d'un grand patrimoine intellectuel, artistique, philosophique et institutionnel commun. De Londres à Athènes, de Madrid à Varsovie, nous sommes les héritiers de cet espace à la fois charnel et imaginaire où nos manières de vivre et de penser s'enracinent.
Je vous livre cette conviction personnelle telle qu'elle m'a toujours guidé : plus le XXIe siècle se révélera secoué de tensions nouvelles, travaillé par le déplacement des lignes de partage, tiraillé de conflits, plus grande nous apparaîtra la valeur de l'espace d'équilibre européen !
Au service de cet idéal de progrès et de rayonnement, le président de la République a réclamé la constitution d'un groupe de réflexion, capable de projeter sur l'avenir les traits de notre projet européen. Le Conseil de décembre 2007 a décidé la création du groupe "Horizon 2020-2030" présidé par Felipe Gonzales. Ce groupe veut poser sans détour les questions que l'Europe adresse à notre génération, et dont la réflexion institutionnelle ne doit pas faire oublier la primauté.
Quelle modèle de société voulons-nous pour l'Union ?
Quelle identité ?
Quelles frontières ?
Quelle civilisation désirons-nous construire ensemble ?
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Ces grandes interrogations coïncident avec l'étape institutionnelle que nous devons franchir aujourd'hui.
Avec le Traité de Lisbonne, la France reprend la main en Europe ; et c'est l'Europe elle-même qui se trouve relancée.
Il y a quelques mois seulement, sous le coup de notre hésitation, l'Europe marquait un temps d'arrêt. Le double "non" français et néerlandais l'entravait. L'inquiétude et le doute tournaient tous les regards contre nous ; et pourquoi ? Parce que nous les éprouvions nous-mêmes.
Nicolas Sarkozy a pesé de toute sa volonté pour que soit dépassée cette querelle franco-française qui s'est révélée sans issue.
Il a compris que les partisans du "non" et ceux du "oui" , s'ils ne s'accordaient pas sur une même idée de l'Europe, partageaient le même désir de la voir avancer. Il s'est alors efforcé de transcender les clivages qui, en divisant la France, immobilisaient l'Europe. Il s'est engagé, pendant la campagne présidentielle, à ce qu'aboutissent, rapidement, nos points de consensus. Sa promesse était réaliste, transparente. Elle a été invariable : négocier un nouveau traité, plus simple, qui concrétise les avancées institutionnelles urgentes, tout en prenant acte des craintes exprimées par le "non" majoritaire ; une fois ce traité négocié, le faire valider le plus rapidement possible par le Parlement.
Tout au long de sa campagne, Nicolas Sarkozy a énoncé à haute voix sa stratégie pour l'Europe. Personne, je dis bien personne, ne peut lui reprocher d'être resté fidèle à ce qu'il avait dit, fidèle à ce qu'il a fait.
C'est fort de la confiance que les Français lui ont accordé que le président de la République, en coordination avec Madame Angela Merkel, présidente de l'Union, a négocié le Traité nouveau.
Et c'est forts de cette même volonté que nous allons faire aujourd'hui un pas essentiel vers sa ratification.
Mesdames et messieurs les sénateurs,
Convenons que l'action du président de la République, en prenant la mesure des craintes françaises, a fait tomber devant nous la plupart des obstacles à ce vote.
Premier obstacle, la nature même du texte. La notion de constitution paraissait redoutable, elle a disparu. Le Traité de Lisbonne complète et affine les traités existants. Il respecte le Traité sur l'Union Européenne et le Traité sur la Communauté Européenne, rebaptisé "Traité sur le fonctionnement de l'Union", sans se placer au-dessus d'eux. Les symboles constitutionnels ont disparu.
Deuxième obstacle, la concurrence libre et non faussée, dont le texte de 2005 faisait un objectif pour l'Europe. Le texte actuel la replace au rang plus juste de "moyen" du dynamisme économique.
Troisième obstacle, effacé lui aussi, l'incertitude sur le rôle des parlements nationaux. Le Traité de Lisbonne le renforce dans des proportions tout à fait remarquables. Pour la première fois, grâce au contrôle de subsidiarité, un Traité européen vous ouvre la possibilité de peser sur les propositions de la Commission.
Conformément au désir des Français, le même traité renforce le rôle et les compétences des Etats et des collectivités territoriales. Il précise et éclaire leurs prérogatives. Il indique ainsi, explicitement, que la sécurité nationale reste "de la seule responsabilité de chaque Etat membre". Pour préserver les services publics, auquel l'attachement de nos concitoyens est régulièrement rappelé, le rôle déterminant des autorités nationales, régionales et locales dans leur organisation se voit désormais garanti.
Enfin, et c'est là le principal motif d'optimisme, le Traité de Lisbonne assure à l'Europe des moyens d'action renouvelés.
Je suis convaincu que les Français, dans leur majorité, ne se défient pas d'une Europe qui bouge, qui décide, qui intervient.
Ce qu'ils redoutent, c'est le contraire : c'est une Europe inerte, pesante. C'est l'Europe engoncée dans des procédures, qui la ralentissent et la condamnent à l'impuissance.
Le Traité de Lisbonne éloigne cette menace par plusieurs dispositions.
D'abord le choix d'un président du Conseil européen, élu pour deux ans et demi renouvelables, va conférer à l'institution politique suprême un visage et une stabilité.
La nomination d'un Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, jouissant de moyens renforcés, permettra à l'Union de développer une véritable politique extérieure commune.
Le nouveau Traité ouvre la possibilité, pour un groupe d'Etats, de créer des "coopérations structurées" dotées de pouvoirs larges. Il crée, pour la Défense européenne, ce cadre d'action dont des crises régionales rappellent régulièrement la nécessité.
Le Traité instaure un processus de décision plus démocratique et plus efficace. Il élargit le champ de la majorité qualifiée, mesure de bon sens propre à surmonter les blocages que la règle du consensus occasionnait inévitablement, dans une Europe plus vaste et plus nombreuse.
Au Conseil, les pays les plus peuplés comme la France seront favorisés par le choix de la "double majorité" comme mode de vote.
Le Parlement européen verra ses pouvoirs renforcés. Ce sont là les gages d'un progrès de la vie démocratique en Europe.
Mesdames et messieurs les sénateurs, le Traité de Lisbonne ne s'arrête pas à ces dispositions institutionnelles.
Pour coordonner nos politiques économiques, il institutionnalise l'Eurogroupe, et lui confère un pouvoir de décision.
Le défi énergétique s'annonce, avec le défi environnemental, comme l'un des grands défis du siècle prochain. Pour le relever, le nouveau Traité instaure le principe essentiel de la solidarité entre les Etats membres. Il offre au Conseil la possibilité d'adopter les mesures nécessaires, en cas de difficulté d'approvisionnement énergétique.
Chaque pays possède, en matière sociale, ses approches, ses traditions et ses exigences. Pour qu'elles soient reconnues de manière respectueuse, les partenaires sociaux se voient confirmés dans leurs missions. Le Traité de Lisbonne instaure une clause sociale générale, de portée très large. Aux termes de cette clause, l'Union devra prendre les exigences sociales en compte dans l'ensemble de ses politiques. Par ce biais, je veux le répéter devant vous, la pérennité de nos services publics reçoit de l'Europe une garantie exceptionnelle, la plus forte depuis les prémices de notre engagement communautaire.
Tous ici, nous avons redit notre détermination à faire de l'Europe un vaste espace de liberté, de sécurité et de justice. Et bien pour y parvenir, le Traité de Lisbonne améliore la manière dont peuvent être traités, au niveau européen, des sujets comme l'immigration, légale ou illégale, le rapprochement des législations pénales. Pour mieux lutter contre la criminalité transfrontalière, le Traité attribue à Eurojust des moyens plus conséquents. Il prévoit la possibilité de créer un parquet européen. Il dote enfin l'Union d'une Charte des Droits fondamentaux jouissant d'une valeur juridique égale à celle de Traités.
Acceptons-en les promesses : le Traité de Lisbonne apparaît aujourd'hui comme une chance unique de réconcilier la prudence légitime des Français avec leur ambition européenne.
Après le référendum, on nous a expliqué qu'il existait une France du oui et une France du non ; qu'une partie du pays résistait à la poursuite de la construction communautaire ; que deux camps, aux frontières nettes se dressaient l'un contre l'autre.
Et bien, la vérité, c'est qu'il n'existe qu'une seule France ; qu'elle souhaite jouer son rôle dans la construction européenne ; et que si elle a pu faire preuve de beaucoup de circonspection devant les manières d'y parvenir, elle tient, avec le Traité de Lisbonne, une réelle occasion d'accomplir sa volonté selon ses voeux.
Mesdames et messieurs les sénateurs,
La dernière décennie, jalonnée de querelles, aura été pour les institutions européennes et pour ceux qui espèrent en elles une décennie d'épreuves.
Nous avons connu le Traité d'Amsterdam - à peine signé, aussitôt remis en question.
Nous avons connu le débat entre fédéralistes et partisans d'une Europe intergouvernementale.
Au terme de ce débat, nous avons connu le Traité de Nice, délicat à négocier ; le projet constitutionnel européen, impossible à conclure.
Nous avons eu plus que notre part de lassitude et de conflit.
Aujourd'hui, avec le Traité de Lisbonne, plus réaliste, centré sur des équilibres plus respectueux du dessein français, une part du rêve original revit, une part de la ferveur initiale redevient possible.
Le rôle et les compétences des Etats membres sont réaffirmés, par-delà les inquiétudes.
Les moyens d'action de l'Union sont confortés, par-delà toute impuissance.
La parole est rendue à l'essentiel, c'est-à-dire à l'expression de nos priorités politiques.
La Présidence française du second semestre 2008, mesdames et messieurs les sénateurs, va jouir d'une faveur marquée : elle aura la possibilité de recentrer sur ces priorités un débat trop longtemps confisqué par les questions institutionnelles.
Elle aura la possibilité d'agir.
Que demandent les citoyens européens aujourd'hui ?
Une lutte efficace contre le réchauffement de la planète.
Une politique énergétique axée sur la sécurité des approvisionnements.
Une vraie politique commune de l'immigration - dont le chef du gouvernement espagnol a récemment appuyé l'idée. Une politique européenne de Défense digne de ce nom. Des mesures particulièrement vigilantes de stabilisation et de transparence pour les marchés financiers. Enfin, le lancement d'une revue générale des politiques européennes, de leur efficacité et de leur coût, analogue à la revue générale des politiques publiques que mon Gouvernement mène en France.
Entre ces priorités politiques européennes et nous, il n'y a plus que l'adhésion au Traité de Lisbonne.
Pour nous consacrer de manière durable à la préparation de l'avenir, et mettre en oeuvre les choix les plus clairs des Français, il n'y a plus qu'un texte à ratifier. La France, future présidente, sera largement responsable de la mise en oeuvre technique et politique du Traité au 1er janvier 2009.
Pour jouer dans l'Europe le rôle de moteur et de référence auquel elle prétend, elle se doit de ratifier le Traité le plus rapidement possible.
Le président de la République a décidé en conséquence de saisir le Conseil constitutionnel dès le lendemain du Conseil européen de Lisbonne, avant même d'amorcer les procédures de ratification.
Le Conseil constitutionnel s'est prononcé le 20 décembre. Sa décision a conduit à la rédaction du projet de loi qui va vous être présenté par Madame le garde des Sceaux et par Monsieur le secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes.
Ce projet de loi constitue la première étape, indispensable, à la ratification du Traité de Lisbonne par la France.
Il dépose entre vos mains de larges espérances.
Celles de la France, qui croit à son avenir européen.
Celles de l'Europe, qui guette l'impulsion française avec une attention extrême.
Je veux croire que le Sénat sera l'interprète de cette double espérance.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 11 février 2008
Monsieur le Président de la Commission des Lois,
Monsieur le Président de la Délégation pour l'Union Européenne,
Monsieur le rapporteur,
Mesdames et messieurs les sénateurs,
Voici soixante ans qu'en France, avec détermination et constance, l'intérêt national épouse l'ambition européenne ; soixante ans que la passion française trouve dans l'aventure européenne son horizon, son aboutissement, l'élargissement de ses perspectives aux dimensions plus vastes de notre continent ; soixante ans que le rêve européen reçoit de l'initiative française ses élans et ses caps.
Soixante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Europe est plus qu'une ambition, plus qu'une aventure, plus qu'un rêve : elle est cette réalisation commune à laquelle 27 pays libres se sont joints, pour s'accorder mutuellement les garanties de la paix et partager les réussites de l'intégration économique et monétaire.
Gouvernements de gauche et de droite, de l'Ouest et de l'Est, tous ont bâti notre maison commune.
Elle est sans équivalent au monde.
L'entreprise européenne est une entreprise inédite, radicalement nouvelle. Nulle part ailleurs un tel défi n'a été lancé.
Unir un continent ravagé par des siècles de guerres, d'hostilité.
Créer un ensemble continental cohérent, quand les anciens empires européens avaient laissé le souvenir de tant de luttes.
Construire les moyens d'agir collectivement, tout en préservant les spécificités nationales si chèrement conquises.
La construction européenne est en train de réussir ce pari que beaucoup jugeaient insensé. L'Union européenne a beaucoup de compétences, beaucoup de pouvoirs ; mais sa force ne vient ni de la contrainte armée, ni de la domination d'une coalition d'Etats sur les autres.
Sa force, c'est la libre volonté d'union qui joint ses Etats membres.
Les élargissements successifs en sont la preuve éclatante.
Sa force, c'est son mode de décision démocratique, que ce soit au Conseil ou au Parlement européen - et ce caractère démocratique est notablement renforcé par le Traité de Lisbonne.
Sa force, c'est la synthèse entre les institutions démocratiques de l'Union et l'identité préservée des Etats membres - et le Traité de Lisbonne réaffirme clairement cette synthèse.
La seule vraie force de contrainte qui régisse l'Union, c'est le respect du droit, pierre angulaire de la construction européenne. Le règne du droit démocratiquement élaboré a remplacé en Europe le règne de la violence comme moyen de contrainte ultime. C'est un progrès fondamental, qui fait de l'Europe une vraie terre de civilisation, et un exemple pour d'autres régions du monde.
C'est afin de saluer le rôle du droit européen que j'ai profité de ma rencontre avec Jean-Claude Juncker vendredi dernier à Luxembourg pour accomplir la première visite d'un Premier ministre français auprès de la Cour de Justice de l'Union européenne
Constatons-le une fois de plus, avec une reconnaissance particulière pour ceux dont le courage a précédé et préparé nos efforts : devant cet exceptionnel objet de fierté qu'est l'Europe, les hésitations, les lenteurs, les réticences ont toujours cédé le pas.
Ils doivent continuer de le faire aujourd'hui.
Faut-il le rappeler ? J'ai été moi-même contre le Traité de Maastricht - traité imparfait, dans lequel les avancées économiques de la construction ne recevaient pas, selon moi, une contrepartie politique suffisante. Je n'ai pas été le seul à redouter l'avènement d'une Europe boiteuse, incapable de gouverner comme il l'aurait fallu l'intégration économique poussée qu'elle se promettait d'atteindre.
J'ai constaté depuis, comme beaucoup, que mes craintes n'étaient pas infondées.
Aujourd'hui, le Traité de Lisbonne leur répond et les apaise. A l'heure où l'accueil des anciens pays de l'Est exige une adaptation de nos procédures, Le Traité de Lisbonne clarifie le fonctionnement politique de l'Europe, et il en renforce opportunément les structures.
Encore cette satisfaction institutionnelle n'est-elle pas la seule raison de mon intervention : d'autres motifs relèvent de mon sentiment intime, et je sais qu'ils parlent des Français.
Dans le projet européen converge, Mesdames et messieurs les sénateurs, l'essentiel de nos héritages culturels et humains.
L'expérience démocratique, universitaire, scientifique et industrielle : autant de domaines dans lesquels l'histoire a donné à nos pays le privilège d'une fertilité séculaire !
Nous sommes - vous, moi, Français, Européens - les détenteurs d'un grand patrimoine intellectuel, artistique, philosophique et institutionnel commun. De Londres à Athènes, de Madrid à Varsovie, nous sommes les héritiers de cet espace à la fois charnel et imaginaire où nos manières de vivre et de penser s'enracinent.
Je vous livre cette conviction personnelle telle qu'elle m'a toujours guidé : plus le XXIe siècle se révélera secoué de tensions nouvelles, travaillé par le déplacement des lignes de partage, tiraillé de conflits, plus grande nous apparaîtra la valeur de l'espace d'équilibre européen !
Au service de cet idéal de progrès et de rayonnement, le président de la République a réclamé la constitution d'un groupe de réflexion, capable de projeter sur l'avenir les traits de notre projet européen. Le Conseil de décembre 2007 a décidé la création du groupe "Horizon 2020-2030" présidé par Felipe Gonzales. Ce groupe veut poser sans détour les questions que l'Europe adresse à notre génération, et dont la réflexion institutionnelle ne doit pas faire oublier la primauté.
Quelle modèle de société voulons-nous pour l'Union ?
Quelle identité ?
Quelles frontières ?
Quelle civilisation désirons-nous construire ensemble ?
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Ces grandes interrogations coïncident avec l'étape institutionnelle que nous devons franchir aujourd'hui.
Avec le Traité de Lisbonne, la France reprend la main en Europe ; et c'est l'Europe elle-même qui se trouve relancée.
Il y a quelques mois seulement, sous le coup de notre hésitation, l'Europe marquait un temps d'arrêt. Le double "non" français et néerlandais l'entravait. L'inquiétude et le doute tournaient tous les regards contre nous ; et pourquoi ? Parce que nous les éprouvions nous-mêmes.
Nicolas Sarkozy a pesé de toute sa volonté pour que soit dépassée cette querelle franco-française qui s'est révélée sans issue.
Il a compris que les partisans du "non" et ceux du "oui" , s'ils ne s'accordaient pas sur une même idée de l'Europe, partageaient le même désir de la voir avancer. Il s'est alors efforcé de transcender les clivages qui, en divisant la France, immobilisaient l'Europe. Il s'est engagé, pendant la campagne présidentielle, à ce qu'aboutissent, rapidement, nos points de consensus. Sa promesse était réaliste, transparente. Elle a été invariable : négocier un nouveau traité, plus simple, qui concrétise les avancées institutionnelles urgentes, tout en prenant acte des craintes exprimées par le "non" majoritaire ; une fois ce traité négocié, le faire valider le plus rapidement possible par le Parlement.
Tout au long de sa campagne, Nicolas Sarkozy a énoncé à haute voix sa stratégie pour l'Europe. Personne, je dis bien personne, ne peut lui reprocher d'être resté fidèle à ce qu'il avait dit, fidèle à ce qu'il a fait.
C'est fort de la confiance que les Français lui ont accordé que le président de la République, en coordination avec Madame Angela Merkel, présidente de l'Union, a négocié le Traité nouveau.
Et c'est forts de cette même volonté que nous allons faire aujourd'hui un pas essentiel vers sa ratification.
Mesdames et messieurs les sénateurs,
Convenons que l'action du président de la République, en prenant la mesure des craintes françaises, a fait tomber devant nous la plupart des obstacles à ce vote.
Premier obstacle, la nature même du texte. La notion de constitution paraissait redoutable, elle a disparu. Le Traité de Lisbonne complète et affine les traités existants. Il respecte le Traité sur l'Union Européenne et le Traité sur la Communauté Européenne, rebaptisé "Traité sur le fonctionnement de l'Union", sans se placer au-dessus d'eux. Les symboles constitutionnels ont disparu.
Deuxième obstacle, la concurrence libre et non faussée, dont le texte de 2005 faisait un objectif pour l'Europe. Le texte actuel la replace au rang plus juste de "moyen" du dynamisme économique.
Troisième obstacle, effacé lui aussi, l'incertitude sur le rôle des parlements nationaux. Le Traité de Lisbonne le renforce dans des proportions tout à fait remarquables. Pour la première fois, grâce au contrôle de subsidiarité, un Traité européen vous ouvre la possibilité de peser sur les propositions de la Commission.
Conformément au désir des Français, le même traité renforce le rôle et les compétences des Etats et des collectivités territoriales. Il précise et éclaire leurs prérogatives. Il indique ainsi, explicitement, que la sécurité nationale reste "de la seule responsabilité de chaque Etat membre". Pour préserver les services publics, auquel l'attachement de nos concitoyens est régulièrement rappelé, le rôle déterminant des autorités nationales, régionales et locales dans leur organisation se voit désormais garanti.
Enfin, et c'est là le principal motif d'optimisme, le Traité de Lisbonne assure à l'Europe des moyens d'action renouvelés.
Je suis convaincu que les Français, dans leur majorité, ne se défient pas d'une Europe qui bouge, qui décide, qui intervient.
Ce qu'ils redoutent, c'est le contraire : c'est une Europe inerte, pesante. C'est l'Europe engoncée dans des procédures, qui la ralentissent et la condamnent à l'impuissance.
Le Traité de Lisbonne éloigne cette menace par plusieurs dispositions.
D'abord le choix d'un président du Conseil européen, élu pour deux ans et demi renouvelables, va conférer à l'institution politique suprême un visage et une stabilité.
La nomination d'un Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, jouissant de moyens renforcés, permettra à l'Union de développer une véritable politique extérieure commune.
Le nouveau Traité ouvre la possibilité, pour un groupe d'Etats, de créer des "coopérations structurées" dotées de pouvoirs larges. Il crée, pour la Défense européenne, ce cadre d'action dont des crises régionales rappellent régulièrement la nécessité.
Le Traité instaure un processus de décision plus démocratique et plus efficace. Il élargit le champ de la majorité qualifiée, mesure de bon sens propre à surmonter les blocages que la règle du consensus occasionnait inévitablement, dans une Europe plus vaste et plus nombreuse.
Au Conseil, les pays les plus peuplés comme la France seront favorisés par le choix de la "double majorité" comme mode de vote.
Le Parlement européen verra ses pouvoirs renforcés. Ce sont là les gages d'un progrès de la vie démocratique en Europe.
Mesdames et messieurs les sénateurs, le Traité de Lisbonne ne s'arrête pas à ces dispositions institutionnelles.
Pour coordonner nos politiques économiques, il institutionnalise l'Eurogroupe, et lui confère un pouvoir de décision.
Le défi énergétique s'annonce, avec le défi environnemental, comme l'un des grands défis du siècle prochain. Pour le relever, le nouveau Traité instaure le principe essentiel de la solidarité entre les Etats membres. Il offre au Conseil la possibilité d'adopter les mesures nécessaires, en cas de difficulté d'approvisionnement énergétique.
Chaque pays possède, en matière sociale, ses approches, ses traditions et ses exigences. Pour qu'elles soient reconnues de manière respectueuse, les partenaires sociaux se voient confirmés dans leurs missions. Le Traité de Lisbonne instaure une clause sociale générale, de portée très large. Aux termes de cette clause, l'Union devra prendre les exigences sociales en compte dans l'ensemble de ses politiques. Par ce biais, je veux le répéter devant vous, la pérennité de nos services publics reçoit de l'Europe une garantie exceptionnelle, la plus forte depuis les prémices de notre engagement communautaire.
Tous ici, nous avons redit notre détermination à faire de l'Europe un vaste espace de liberté, de sécurité et de justice. Et bien pour y parvenir, le Traité de Lisbonne améliore la manière dont peuvent être traités, au niveau européen, des sujets comme l'immigration, légale ou illégale, le rapprochement des législations pénales. Pour mieux lutter contre la criminalité transfrontalière, le Traité attribue à Eurojust des moyens plus conséquents. Il prévoit la possibilité de créer un parquet européen. Il dote enfin l'Union d'une Charte des Droits fondamentaux jouissant d'une valeur juridique égale à celle de Traités.
Acceptons-en les promesses : le Traité de Lisbonne apparaît aujourd'hui comme une chance unique de réconcilier la prudence légitime des Français avec leur ambition européenne.
Après le référendum, on nous a expliqué qu'il existait une France du oui et une France du non ; qu'une partie du pays résistait à la poursuite de la construction communautaire ; que deux camps, aux frontières nettes se dressaient l'un contre l'autre.
Et bien, la vérité, c'est qu'il n'existe qu'une seule France ; qu'elle souhaite jouer son rôle dans la construction européenne ; et que si elle a pu faire preuve de beaucoup de circonspection devant les manières d'y parvenir, elle tient, avec le Traité de Lisbonne, une réelle occasion d'accomplir sa volonté selon ses voeux.
Mesdames et messieurs les sénateurs,
La dernière décennie, jalonnée de querelles, aura été pour les institutions européennes et pour ceux qui espèrent en elles une décennie d'épreuves.
Nous avons connu le Traité d'Amsterdam - à peine signé, aussitôt remis en question.
Nous avons connu le débat entre fédéralistes et partisans d'une Europe intergouvernementale.
Au terme de ce débat, nous avons connu le Traité de Nice, délicat à négocier ; le projet constitutionnel européen, impossible à conclure.
Nous avons eu plus que notre part de lassitude et de conflit.
Aujourd'hui, avec le Traité de Lisbonne, plus réaliste, centré sur des équilibres plus respectueux du dessein français, une part du rêve original revit, une part de la ferveur initiale redevient possible.
Le rôle et les compétences des Etats membres sont réaffirmés, par-delà les inquiétudes.
Les moyens d'action de l'Union sont confortés, par-delà toute impuissance.
La parole est rendue à l'essentiel, c'est-à-dire à l'expression de nos priorités politiques.
La Présidence française du second semestre 2008, mesdames et messieurs les sénateurs, va jouir d'une faveur marquée : elle aura la possibilité de recentrer sur ces priorités un débat trop longtemps confisqué par les questions institutionnelles.
Elle aura la possibilité d'agir.
Que demandent les citoyens européens aujourd'hui ?
Une lutte efficace contre le réchauffement de la planète.
Une politique énergétique axée sur la sécurité des approvisionnements.
Une vraie politique commune de l'immigration - dont le chef du gouvernement espagnol a récemment appuyé l'idée. Une politique européenne de Défense digne de ce nom. Des mesures particulièrement vigilantes de stabilisation et de transparence pour les marchés financiers. Enfin, le lancement d'une revue générale des politiques européennes, de leur efficacité et de leur coût, analogue à la revue générale des politiques publiques que mon Gouvernement mène en France.
Entre ces priorités politiques européennes et nous, il n'y a plus que l'adhésion au Traité de Lisbonne.
Pour nous consacrer de manière durable à la préparation de l'avenir, et mettre en oeuvre les choix les plus clairs des Français, il n'y a plus qu'un texte à ratifier. La France, future présidente, sera largement responsable de la mise en oeuvre technique et politique du Traité au 1er janvier 2009.
Pour jouer dans l'Europe le rôle de moteur et de référence auquel elle prétend, elle se doit de ratifier le Traité le plus rapidement possible.
Le président de la République a décidé en conséquence de saisir le Conseil constitutionnel dès le lendemain du Conseil européen de Lisbonne, avant même d'amorcer les procédures de ratification.
Le Conseil constitutionnel s'est prononcé le 20 décembre. Sa décision a conduit à la rédaction du projet de loi qui va vous être présenté par Madame le garde des Sceaux et par Monsieur le secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes.
Ce projet de loi constitue la première étape, indispensable, à la ratification du Traité de Lisbonne par la France.
Il dépose entre vos mains de larges espérances.
Celles de la France, qui croit à son avenir européen.
Celles de l'Europe, qui guette l'impulsion française avec une attention extrême.
Je veux croire que le Sénat sera l'interprète de cette double espérance.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 11 février 2008