Interview de Mme Fadela Amara, secrétaire d'Etat chargée de la politique de la ville, à "France Inter" le 22 janvier 2008, sur les grandes lignes de son plan pour les banlieues, nécessitant une réforme de la fiscalité locale et de la dotation de solidarité urbaine (DSU).

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- Vous êtes donc en direct de Vaux-en-Velin, ville où vous allez présenter aujourd'hui, les grandes lignes de votre réflexion sur la banlieue. Dites-nous en quelques mots quelle est la philosophie d'ensemble de ce texte ?

R.- La philosophie de ce texte, en réalité, c'est de créer une nouvelle dynamique pour les quartiers. L'idée, en fait, c'est de faire en sorte que, dans les quartiers, ça change concrètement. C'est pour cela qu'on a mis en place, dès le départ, les concertations territoriales, alors qu'à l'époque, on me pressait, tout de suite, de faire une sorte de plan dans lequel on mettrait quelques dispositifs, une sorte de catalogue. J'ai refusé tout de suite parce je pense qu'il était important que les gens des quartiers participent à l'élaboration de ce programme pour la banlieue, de cette nouvelle dynamique. Et puis, surtout qu'ils deviennent acteurs de cette politique de la Ville, et qu'on construise ensemble une politique de la Ville sur mesure qui colle complètement à la réalité du terrain.

Q.- Vous avez donc fait un tout de France des quartiers. Dans quel état les avez-vous trouvés ?

R.- En réalité, Il y a deux bilans. D'abord, je les ai trouvés "punchy" avec la volonté de se battre, avec l'envie de réussir malgré toutes les difficultés, les discriminations, l'exclusion, la misère pour certains. Mais en même temps, j'ai vu une France qui est très pauvre et qui est dans une situation qui, si nous ne réagissons pas, risque d'être extrêmement délicate et très très difficile. Donc, il y a une vraie tension. Mais il y a aussi une attente extraordinaire et un espoir très fort. C'est pour cela que nous avons une responsabilité énorme.

Q.- Que signifie "délicate et difficile" ? Un risque d'émeutes encore une fois ?

R.- Je ne sais pas s'il faut parler d'émeutes. En tout cas, une chose est sûre, c'est que là on sent que c'est à fleur de peau et que les gens, même y compris les adultes, ont vraiment envie que cela change dans les cités, que toutes les promesses qui ont été faites... certaines ont été tenus, je voudrais quand même rendre hommage à tous mes prédécesseurs, ils ne faut pas dire que des choses n'ont pas été faites. Mais c'est vrai qu'il y a un vrai besoin aujourd'hui et qu'il nous faut vraiment travailler et répondre surtout aux besoins. C'est ce qui va être fait. C'est la détermination du président de la République, du Premier ministre et de tout le Gouvernement.

Q.- Il faut aussi dites vous, "casser les préjugés sur la banlieue". Où sont-ils ? Qui les colporte ces préjugés ?

R.- Je pense que les médias, vous m'en excuserez, portent quand même un minimum de responsabilités.

Q.- C'est toujours notre faute !

R.- Non, pas toujours, il vous arrive de dire des choses justes. Plaisanterie [mise] à part, en fait, malheureusement certains médias ont participé à stigmatiser les banlieues. Je pense aussi que, chez nous, dans notre pays il y a une élite, qui se reproduit plutôt entre eux et qui est aux manettes du pays, qui refuse justement la diversité de notre peuple. Et donc, il y a quelques difficultés. Ce qui est valable d'ailleurs pour les jeunes issus de l'immigration ou qui appartiennent aux classes populaires, c'est valable aussi pour les femmes. La difficulté des femmes à pouvoir émerger, elle a existée : il a fallu de longues luttes pour y arriver. Et encore, ce n'est pas gagné !

Q.- On a eu le sentiment d'un immense cafouillage au sommet de l'Etat autour de votre réflexion sur la banlieue. N'est-ce pas dommageable pour votre combat ? N. Sarkozy devait venir ; il ne vient pas ! Le plan devait être annoncé fortement aujourd'hui, il le sera beaucoup plus tard ! Tout cela va dans le mauvais sens non ?

R.- Non. Je suis très sereine et très confiante. J'ai vraiment confiance dans le président de la République et le Premier ministre, sur leur volonté et leur détermination pour que cela change dans les cités. A la fois dans le bâti - cela à déjà commencé grâce à l'ANRU qu'a créée Borloo. On est donc dans la rénovation urbaine. Et il nous faut pour nous, à travers cette nouvelle dynamique, "cet espoir banlieues, une dynamique pour la France", ce projet pour les cités, il nous faut créer une rénovation sociale. Même s'il y a eu des discussions et des débats autour de la manière dont on voit les choses dans les cités. C'est vrai que moi, qui viens des quartiers, je connais parfaitement la situation. J'ai une ambition énorme qui est partagée par l'ensemble du Gouvernement. Mais c'est vrai que cela n'empêche pas les débats. C'est-à-dire je pense profondément qu'il faut des politiques spécifiques pour les quartiers en très grandes difficultés, et notamment, pour les gens qui accumulent les handicaps sociaux. C. Boutin, la ministre de la Ville et du Logement, pense qu'il faut plutôt avoir un projet global. Dans l'objectif, c'est ce qu'il nous faut faire. C'est-à-dire atteindre justement cet idéal de projet "ville qui englobe tout les quartiers", puisque les quartiers font partie de la ville. Mais pour l'instant, il nous faut quand même, malheureusement, au nom du rétablissement de l'égalité territoriale et de la justice sociale, il nous faut quand même mettre des politiques spécifiques pour atteindre justement cette égalité.

Q.- La Cour des comptes a fait un constat extrêmement sévère sur la politique de la Ville sur son coût son efficacité ou son inefficacité. Comment avez-vous reçu ces critiques ?

R.- Avec beaucoup de sérénité. Puisque quand j'étais responsable associative, je faisais partie des gens qui râlaient, en disant qu'on a l'impression que cela n'avance pas et que tout est trop complexe, kafkaïen, opaque... Donc, je retrouve un petit peu les critiques constructives que fait le rapport de la Cour des comptes, dont on a tenu compte pour l'élaboration justement de ce programme pour la banlieue. Evidemment aussi, le rapport du Sénat ; les élus qui ont aussi dit des choses très intéressantes et qui vont exactement dans le même sens. Nous avons décidé... C'est pour cela que ce n'est pas un catalogue de mesures, la construction de cette politique de la Ville et ce plan que nous avons voulu pour la banlieue. L'idée en fait, c'est vraiment de changer la philosophie, c'est vraiment aussi de changer de méthode de travail. Se pose la question de la gouvernance au niveau national, se pose la question de la gouvernance au niveau local. Par exemple, je pense très fortement qu'il faut que le binôme préfet/maire soit renforcé et qu'on redonne un peu plus de responsabilité aux maires. C'est le meilleur acteur de proximité. Il connaît bien ses administrés et les territoires. C'est à lui aussi de décliner, pour construire cette politique de la ville sur-mesure. C'est à lui, et on compte sur lui justement pour que cela se passe bien, avec évidemment le préfet à ses côtés.

Q.- On va avoir le temps d'entrer...

R.- Je voudrais juste rajouter...

Q.- Oui, allez-y !

R.- Je voudrais quand même rajouter aussi que, pour réussir la sortie de ces quartiers prioritaires, pour qu'ils redeviennent la norme et qu'ils redeviennent des quartiers populaires, il nous faut poser le débat de la réforme de la fiscalité locale et de la DSU -la dotation de solidarité urbaine. Donc, cela ne fait pas partie d'un catalogue de mesures. C'est un vrai débat politique ! Il nous faut, évidemment, - j'ai entendu les associations des maires de banlieues de gauche et de droite qui disent la même chose - pour réussir le pari que nos banlieues qui sont en difficultés soit traitées comme n'importe quelle banlieue et quartiers dans laquelle il fait bon vivre, il nous faut passer par cette réforme là.

Q.- Une question de politique plus générale sur la politique chiffrée d'expulsions qui choque votre collègue au Gouvernement, J.-P. Jouyet. Il l'a dit nettement et "c'était une indignation morale". Et vous ?

R.- Je rejoindrais ce que dit mon collègue Monsieur Jouyet. J'ai toujours dit que je ne comprenais pas la politique du chiffre. Je suis très attachée à la question de l'immigration et de la gestion de l'immigration, à la manière dont on gère. J'entends évidemment qu'une tolérance zéro pour l'immigration, cela ne peut pas exister ; l'ouverture des frontières avec une fausse générosité non plus. Il nous faut être intelligent. Organiser justement cette immigration, et je dirais le flux migratoire, au niveau national mais y compris au niveau européen, me semble la meilleure logique. Mais avec un volet humain, c'est-à-dire que j'aimerais, je souhaiterais qu'on montre de plus en plus les politiques de co-développement aussi. Parce que cela me semble intéressant ! Il faut bien s'imaginer que les gens n'immigrent pas, pour beaucoup d'entre eux par plaisir, mais tout simplement parce qu'ils crèvent la dalle chez eux.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 janvier 2008