Interview de M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, à "RFI" le 22 janvier 2008, sur les quotas de pêche, sur les propositions de la Commission européenne concernant la réduction des gaz à effet de serre et sur la décision française de suspendre la culture du maïs transgénique Monsanto en France.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

F. Rivière.- Vous êtes installé avec votre cabinet, à Bruxelles, pour toute la semaine. Tout d'abord, à quoi correspond cette délocalisation, temporaire, bien entendu ?

R.- Quand on parle d'agriculture, quand on parle de pêche, on parle des deux premières politiques économiques européennes, qui sont totalement mutualisées depuis 50 ans. On parle d'un cadre budgétaire, d'un cadre réglementaire mais pas de politique, qui se déterminent ici, avec les autres. Nous ne décidons plus tout seuls, "chacun pour soi", "chacun chez soi". Nous décidons avec les autres de ces politiques, dont je trouve très important que toute l'équipe de mon cabinet, les directeurs généraux, enfin tous ceux qui participent du côté français, et pour la France, à cette politique, connaissent leurs interlocuteurs, aient de l'attention pour eux, et que pendant une semaine, on puisse créer des liens personnels, avec le Parlement européen, où je me trouve ; avec la Commission ; avec le Conseil des ministres ; avec tous ceux qui participent à ces politiques, et qui sont 27 pays différents du nôtre, parfois, ont le sentiment qu'on est un peu lointains ou indifférents. Donc, j'ai voulu recréer ce lien. En même temps, il y a aussi l'idée que la France n'est pas à côté de l'Europe, et quelquefois, il faut reconnecter le débat européen avec le débat national.

Q.- Vous avez rendez-vous dans un peu plus d'une heure avec le commissaire européen chargé de la Pêche et des Affaires maritimes. Le président de la République, N. Sarkozy, a provoqué une certaine surprise, pour ne pas dire, une inquiétude, en annonçant ce weekend qu'il profiterait de la présidence française pour assouplir le système des quotas de pêche dans l'Union européenne. Allez-vous chercher à rassurer le commissaire tout à l'heure ?

R.- Franchement, j'ai vu le commissaire Borge, hier, déjà une fois, puisque nous avions un Conseil des ministres de l'Agriculture et de la Pêche, en réunion ; j'ai vu tous mes collègues, et je n'ai pas senti cette inquiétude. Il y a eu des questions. Le président de la République, qu'a-t-il dit, samedi, à Boulogne, j'étais à ses côtés ? Il a dit, que la gestion des quotas de pêche pouvait être améliorée et modernisée, qu'il fallait remettre à plat cette gestion. Il n'a pas mis en cause les quotas eux-mêmes, et encore moins la politique commune de la pêche, dont nous avons besoin. Et j'avais dit moi-même la même chose au mois de décembre, quand, au lendemain d'une nuit complète de négociations, de marchandages, un peu archaïques franchement, j'avais dit que le système méritait d'être modernisé. Par exemple, attribuer les quotas sur une période de trois ans, à la fois, pour protéger mieux la ressource et pour donner de la visibilité aux marins pêcheurs qui investissent, rapprocher le point de vue des scientifiques et le point de vue des marins pêcheurs qui, eux aussi, savent de quoi ils parlent quand ils pêchent, qu'ils voient bien l'état des ressources. Voilà deux voies où on peut améliorer le système, et ce n'est pas autre chose qu'a dit le président de la République. Nous voulons améliorer cette gestion des quotas tout en préservant la politique commune de la pêche.

Q.- Est-ce que l'efficacité des quotas aujourd'hui est absolument prouvée ?

R.- Pour autant que ces quotas traduisent et soient fondés sur de vraies observations justes de l'état de la ressource. C'est un peu le décalage qu'on observe entre ce que constatent les marins pêcheurs ; quelquefois ils disent : il y a moins de poisson dans telle espèce ou il y en a plus. Il y a un décalage entre ce que disent les scientifiques et ce sur quoi se fonde la Commission européenne. Donc, il faut, encore une fois, en préservant cette politique commune de la pêche, parce que le pire serait "le chacun pour soi", le "chacun chez soi", il faut améliorer cette gestion, il ne s'agit pas d'autre chose. Et nous allons faire des propositions avec la Commission, avec les Etats membres, ça prendra du temps, mais nous allons engager cette réflexion. Les politiques européennes méritent toujours être évaluées, adaptées et améliorées.

Q.- Alors, autre sujet chaud, qui concerne le ministre de l'Agriculture que vous êtes : la Commission européenne doit annoncer demain toute une série de propositions, propositions de loi, attribuant aux pays membres des objectifs individuels chiffrés en matière de réduction des gaz à effet de serre. Plusieurs dirigeants européens ont exprimé la crainte que ces textes soient contraignants. Est-ce aussi ce que vous redoutez ?

R.- C'est un sujet qui est suivi plus précisément par J.-L. Borloo que le ministère de l'Agriculture...

Q.- En même temps, on sait que l'agriculture n'est pas totalement innocente dans les phénomènes de pollution ?

R.- Je dirais, au contraire, qu'elle est très proactive pour la protection de l'environnement, des paysages et de la nature. Je le disais quand j'étais ministre de l'Environnement : les agriculteurs sont les premiers écologistes. Alors, il y a actuellement des problèmes, parce que, pour remplir le contrat qui a été fixé à l'agriculture, on a utilisé des méthodes, en matière de gestion de l'eau, de l'utilisation de produits phytosanitaires, qu'il faut corriger. Et donc, nous sommes engagés dans ce domaine. Je n'ai pas peur des contraintes ou des engagements européens. S'agissant du vrai problème que pose la gestion agricole en matière d'environnement, c'est l'usage des produits phytosanitaires, nous sommes engagés dans un plan très ambitieux, plus ambitieux que beaucoup d'autres pays, de réduction de moitié des produits phytosanitaires dans notre pays dans les dix ans qui viennent. On a les méthodes de gestion de l'eau. Franchement, je veux être le ministre d'une Agriculture et d'une Pêche durables. Je l'ai dit en arrivant. C'est pour cette raison que nous avons été très engagés dans le Grenelle de l'environnement, de manière proactive pendant les quatre mois passés.

Q.- La Commission européenne a exprimé un certain nombre de doutes sur les biocarburants à l'issue d'un rapport en Grande-Bretagne, sur l'efficacité, voire sur la pollution générée par ces biocarburants. Est-ce qu'on s'achemine vers une décision surprenante, qui consisterait finalement à nous dire qu'il faut renoncer à cette option ?

R.- Franchement, je pense que ça serait une mauvaise décision que de casser ou d'interrompre cette stratégie européenne d'incorporation progressive jusqu'à 8, 10, 12 % de biocarburants dans notre consommation. Naturellement, la première génération des biocarburants a un bilan écologique légèrement positif, un bilan économique qui s'améliore, compte tenu du prix du pétrole, qui, lui, augmente. Donc, plus le prix du pétrole augmente, relativement l'intérêt économique du biocarburant, lui aussi, augmente. Il y a un travail très important de recherche qui est fait par notre pays et par d'autres, la Commission doit l'encourager pour les carburants, pour les biocarburants de deuxième génération, dont le rendement augmentera... sera multiplié par 5 avec la même surface cultivée. Je pense franchement qu'on n'a pas de choix. Notre continent a très peu de pétrole, très peu de gaz. Et si on ne diversifie pas, on sera totalement dépendants d'une ressource pétrolière qui, elle, diminue. Donc, il faut économiser. Le kilowatt ou le litre de fuel qui coûte le moins cher et qui pollue le moins c'est celui qu'on ne consomme pas. Il faut économiser, il faut diversifier les énergies renouvelables, le solaire, d'autres, et les biocarburants. Et en même temps, construire une politique commune, communautaire de gestion des ressources énergétiques.

Q.- Les Etats-Unis se sont déclarés très inquiets hier de la décision de la France de suspendre la culture du maïs transgénique, de la firme Monsanto, firme américaine, c'est la représentante américaine au Commerce qui l'a dit hier après-midi. Hier, après une rencontre avec le commissaire européen au Commerce, elle a parlé de décision non scientifique. C'est vrai que la confusion qui a entouré cette décision a sans doute rendu un peu difficile la possibilité de se faire une idée claire et nette sur la question ?

R.- J'avais dit à Mme S. Schwartz, dont vous parlez, que j'ai rencontrée à Washington il y a quelques mois, qu'il fallait bien comprendre qu'il ne s'agit pas de protectionnisme mais d'un vrai problème de société, d'un débat qui a lieu en France, en Italie, en Allemagne, très intense sur cette question des OGM. Il s'agit, s'agissant de la décision dont vous parlez que d'un seul OGM sur le maïs, le Mon-810, et un seul, d'une interruption pendant une année de la culture de ce maïs qui a été cultivé depuis quelques années en France dans des conditions légales et règlementaires par un certain nombre d'agriculteurs. Qu'est-ce que le président de la République a voulu dire ? On avait fait ce Grenelle pendant quatre mois, avec tout le monde. Il a voulu préserver l'esprit du Grenelle, et en même temps, la Haute autorité provisoire que nous avons mise en place, a exprimé des points positifs pour ce maïs transgénique, et également des interrogations sur les risques de contamination ou de dissémination. Et donc, parce qu'il y a des interrogations, le président de la République a appliqué avec beaucoup de rigueur le principe de précaution. Pas définitivement et pas pour tous les OGM, la porte n'est pas fermée. Nous prenons le temps, et je pense que c'est bien, d'aller au bout de l'évaluation scientifique, nous irons d'ailleurs au bout de cette évaluation avec nos partenaires européens puisque le même problème sur le Mon-810 se pose dans les autres pays. Et nous allons aller au bout d'un débat qui n'est pas suffisant dans notre pays pour répondre aux questions, aux inquiétudes, aux doutes dans la société. Donc, prenons ce temps, utilisons ce temps. Je le dis notamment à ceux qui sont partisans du progrès et de la recherche scientifique sur les OGM. Je ne suis pas anti OGM, donc je le dis avec beaucoup de force, prenons ce temps pour aller au bout du débat et au bout de l'évaluation scientifique et expliquons aux Américains que nous avons cette liberté, s'agissant de questions d'environnement, de prendre des décisions qui ne leur plaisent pas quelquefois et d'avoir nous-mêmes notre propre analyse scientifique qui peut ne pas correspondre à la leur quelquefois aussi.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 janvier 2008