Texte intégral
FRANCE SOIR. A l'issue des négociations avec les fonctionnaires, vous avez annoncé que le gouvernement n'irait pas au-delà d'une augmentation de 0,8% du point d'indice de leurs salaires. Pourquoi ?
ANDRÉ SANTINI. Les syndicats de fonctionnaires espéraient le montant de l'inflation, c'est à dire 1,6%. Mais dans l'état des finances de la France, cela est impossible. Éric Woerth et moi avions proposé 0,5% d'augmentation du point d'indice, ce qui était déjà bien. Puis nous sommes montés à 0,7% et nous avons finalement accepté de porter notre proposition à 0,8%. Ce n'est peut-être pas à la hauteur des espérances des organisations syndicales, mais c'est un vrai effort. Le point d'indice augmenterait ainsi de 0,5% au 1er mars et de 0,3% au mois d'octobre.
En tous cas, ce qui est sûr, c'est que nous voulons sortir d'une logique exclusivement centrée sur le point fonction publique, qui n'a pas vocation à couvrir seul l'inflation. C'est un instrument parmi d'autres pour augmenter la rémunération des fonctionnaires. Il faut tenir compte de tous les autres déterminants, allant des mesures catégorielles à la valorisation des heures supplémentaires par exemple. Au total, l'ensemble des mesures salariales proposées pour 2008 se traduiront par une injection d'environ 3 milliards d'euros en faveur de l'augmentation de la rémunération des agents de l'État, soit une évolution en moyenne de la fiche de paie de + 3,8 %.
FRANCE SOIR. Les syndicats de la fonction publique s'alarment de la baisse du pouvoir d'achat des fonctionnaires...
ANDRÉ SANTINI. Mais nous faisons précisément tout pour y répondre ! On a réussi à établir que 17% des fonctionnaires n'ont pas vu leur rémunération indiciaire progresser au rythme de l'inflation. Ce qui veut dire que plus de 80% d'entre eux ont bénéficié d'un traitement supérieur ou égal à l'inflation...
Comme personne ne doit perdre de l'argent en servant l'État, nous proposons d'introduire un nouveau dispositif : la garantie individuelle du pouvoir d'achat (GIPA), dont nous avons précisément exposé le fonctionnement aux organisations syndicales. Par ailleurs, nous souhaitons revoir les modalités de la négociation salariale, en introduisant une négociation triennale pour 2009-2011, qui aborderait notamment l'évolution de la valeur du point fonction publique. Nous sommes également prêts à discuter d'une restructuration des fameuses grilles pour mieux reconnaître les efforts et la valeur professionnelle des agents, ce qui est une vieille revendication des organisations syndicales. Nous avons dans le même temps confirmé notre intention de " monétiser " les comptes épargnes-temps, et la moitié du stock des RTT. Enfin, nous proposons une augmentation de l'aide à la mobilité de 150 à 200 euros suivant les régions. Toutes ces propositions sont ouvertes à la signature des organisations syndicales.
FRANCE SOIR. Que se passera-t-il ensuite ?
ANDRÉ SANTINI. S'ils ne signent pas, le gouvernement reprendra sa liberté. Il faut rappeler que depuis 1998, aucun accord n'a été signé entre les organisations et le gouvernement. Ce serait bien que l'on s'améliore collectivement en la matière.
FRANCE SOIR. Vous leur mettez le couteau sous la gorge...
ANDRÉ SANTINI. Non, le gouvernement a fait son travail. Nous les avons écoutés, nous avons discuté dans un climat de respect, nous avons repris un certain nombre de leurs propositions. Mais, à un moment, il faut trancher.
FRANCE SOIR. C'est une méthode de négociations qui a fait ses preuves lors de la réforme des retraites ou du Code de travail. Pensez-vous cependant que le contexte politique, avec la baisse de popularité du chef de l'État, vous place dans une position de force identique ?
ANDRÉ SANTINI. Malgré les différents ou les conflits, le contact est permanent avec les organisations syndicales depuis le mois de juin. On se voit en multilatéral, avec les 8 organisations, et aussi en bilatéral. Les employeurs (association des maires de France, des présidents de conseils généraux et régionaux) ainsi que la Fédération hospitalière de France participent aussi aux discussions, ce qui est nouveau. Nous tenions à les associer étroitement aux discussions. En tous cas, on ne peut pas dialoguer plus que nous le faisons.
FRANCE SOIR. Il n'y a donc pas eu d'évolution des négociations en raison de l'évolution politique ?
ANDRÉ SANTINI. Non, la véritable évolution est économique. Nous avons de faibles marges de manoeuvre pour financer des mesures générales, ce qui ne nous a pas empêchés de faire des avancées importantes dans le cadre de la négociation. Le problème est plus globalement posé du choix que l'on fait pour la fonction publique. Nous avons opté en France, jusqu'ici, pour un système où les fonctionnaires sont nombreux et trop souvent insuffisamment payés.
Au bout de 20 ans, nous recueillons les dividendes de cette politique. Voilà pourquoi le gouvernement s'est engagé à ne pas remplacer un fonctionnaire pour deux partant à la retraite d'ici la fin du mandat. Un certain nombre de syndicats ne souscrivent pas à cette formule, mais je ne vois pas très bien comment on peut réduire la dette et alléger les dépenses publiques sans passer par des mesures vertueuses que tous les États européens ont adoptées. Les caisses sont vides comme l'a dit le président de la République. Il est donc nécessaire de nouer un pacte de progrès avec les fonctionnaires, dont l'équation est simple : moins nombreux mais mieux payés. Le non remplacement d'un fonctionnaire sur trois dans le budget 2008 a ainsi permis de redistribuer aux fonctionnaires la moitié des économies réalisées, soit 225 millions d'euros.
FRANCE SOIR. En cas de refus de l'accord par les syndicats, on s'orienterait vers une nouvelle grève. Le gouvernement peut-il se le permettre dans le contexte actuel ?
ANDRÉ SANTINI. Ce n'est pas nous qui nous lançons la grève... Chacun prend ses responsabilités.
FRANCE SOIR. Mais c'est vous qui en subirez les conséquences...
ANDRÉ SANTINI. Il y a déjà eu deux journées d'action, diversement suivies, et ce n'est pas sûr que les Français seraient prêts à en supporter une autre. Nous devons tous tenir compte des attentes des usagers des services publics. Par exemple, quand on a lancé le service minimum dans les transports et maintenant dans l'Education nationale, ce n'était pas pour gêner les syndicats, mais pour rendre service aux Français.
FRANCE SOIR. Vous connaissez les ressorts de la politique. Une grève, justifiée ou non, risquerait de canaliser la mauvaise humeur de l'opinion...
ANDRÉ SANTINI. Les gens ont déjà la tête dans les municipales, et tous les sondages sont formels, c'est la situation locale qui incitera les gens à voter et pas la situation nationale. J'étais sur les marchés dimanche, personne ne m'a parlé des sujets nationaux sur lesquels les médias se focalisent...
FRANCE SOIR. Vraiment ?
ANDRÉ SANTINI. Vraiment ! On a parlé des problèmes locaux, comme le téléphérique d'Issy-les-Moulineaux, par exemple!
FRANCE SOIR. Lors d'un récent déplacement en Allemagne, vous avez proposé aux syndicats locaux de faire un échange avec les organisations françaises. Est-ce un projet que vous allez mettre en oeuvre ?
ANDRÉ SANTINI. Je suis effectivement allé à Berlin récemment pendant qu'Éric Woerth était, lui, à Londres. Nous regardons comment les choses se passent chez nos partenaires. C'est toujours instructif. C'est dans ce contexte que j'ai suggéré que la France et l'Allemagne, symboliquement, échangent leurs ministres de la fonction publique et leurs syndicats de Fonctionnaires respectifs. Nous verrons si cela peut se faire lors de la présidence française de l'Union européenne par exemple.
Source http://www.le-nouveaucentre.org, le 21 février 2008