Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, vice-président de l'UMP, à France-Inter le 14 février 2008, sur le climat politique, la campagne de la majorité en vue des élections municipales de mars et le cas de Neuilly-sur-Seine.

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Texte intégral

 
N. Demorand.-  L'invité de France Inter, ce matin ? J.-P. Raffarin, un
ami de N. Sarkozy. "Un ami de N. Sarkozy", qui lui veut du bien, j'
imagine. Quel conseil pouvez-vous lui donner aujourd'hui ? Il y a, tout
de même, un vent mauvais au sein de la majorité ?
 
R.- Je lui dirais qu'il ne faut pas entrer et se laisser entraîner dans
cette dérive actuelle du débat politique. Je trouve qu'il faut revenir
au projet présidentiel, revenir à un débat politique de qualité. Je
trouve que, ces dernières semaines, notre débat politique s'est
embourbé à un niveau très médiocre. Cette affaire du faux SMS, est de
mon point de vue, détestable ! C'est une triple faute ; c'est une faute
politique que de mener de telles recherches dans la vie privée ; c'est
une faute morale d'inventer ce SMS ; c'est une faute professionnelle de
le publier. Je pense que les amis du Président sont solidaires de sa
démarche. Et donc, je pense qu'il faut revenir aux choses essentielles,
[ce] pour quoi il été élu, son projet, ce qui a été fait jusqu'à
maintenant dans ce projet, ce que nous allons faire en 2008. Là, le
Gouvernement doit s'exprimer, nous dire ce qui est au programme de l'
action gouvernementale pour 2008. Et revenir au débat politique.
 
Q.- Le climat politique, précisément, J.-P. Raffarin, ne se limite pas
à cette affaire de SMS, j'allais dire de SOS...Parlons de Neuilly
précisément. Qu'est-ce qui se passe à Neuilly, qui est pourtant l'
ancien fief du président de la République ? Les choses ont été gérées
de manière désastreuse, non ?
 
R.- Franchement, je pense que le pataquès de Neuilly est davantage dû à
un désordre local plutôt qu'à des décisions nationales. Il ne faut pas
généraliser le cas de Neuilly. Là-bas, tous les protagonistes sont
sarkozystes. Donc, au fond...
 
Q.- Il y en a beaucoup !
 
R.-... notre problème, c'est plus l'excès que le défaut. Nous avons là,
finalement, des difficultés de nos forces plus que de nos faiblesses.
Moi, je vous donne ma conviction. Le Président, est plus étranger qu'on
ne le croit à ce désordre de Neuilly.
 
Q.- Alors, qui est responsable ?
 
R.- Ecoutez, je pense qu'on a eu, là-bas, les rivalités qu'on a
souvent, entre différentes équipes, qui n'hésitent pas sur les moyens
pour se déstabiliser les unes, les autres. Et au fond, il y a toujours
eu à Neuilly et dans ce département, souvent de fortes tensions
personnelles. Et donc, parce que c'est Neuilly, parce que c'est la
ville dont le Président a été, dans le passé, le maire, finalement,
tout ceci a pris un relief que je regrette. La France, ce n'est pas
Neuilly. Et voir que nos 20 heures étaient en grande partie occupés par
ce débat, moi qui suis provincial et régional, ça m'irrite
profondément.
 
Q.- Monsieur le vice-président de l'UMP, vice-présidence que vous
partagez avec P. Devedjian, je crois, est-ce que l'autre viceprésident
a mal géré les choses dans cette ville si emblématique ?
 
R.- Je ne dirais pas cela, et...
 
Q.- Vous diriez quoi alors ?
 
R.- Je dirais qu'il est le spécialiste des Hauts-de-Seine, et moi je ne
le suis pas.
 
Q.- Ça suffit ?
 
R.- Ça suffit, je n'irai pas au-delà. Je travaille en bonne harmonie
avec P. Devedjian, mais je ne connais pas toutes les règles politiques
de ce département. Je suis quelqu'un qui parle librement, et ce qui s'
est passé à Neuilly ne nous a pas fait beaucoup de bien, et je vous le
dis comme je le pense : il s'agit de rivalités locales, dont le
Président est très probablement, et je crois, pour la plus grande part,
étranger.
 
Q.- Après Neuilly on fait un petit saut à Paris, où les dissidences se
profilent dans une dizaine d'arrondissements ! Alors, êtes-vous
spécialiste de Paris ?
 
R.- Oui, ça, je connais mieux. Il y a moins de dissidence aujourd'hui
qu'en 2001. Donc, ne dramatisons pas !
 
Q.- Oui, la nouvelle du jour...
 
R.- Non, non, mais...Souvenez-vous, la bataille Tiberi-Séguin, il y a
eu des batailles terribles. Donc, Paris, c'est toujours un lieu, vous
savez... très intelligent Paris ! Où il y a beaucoup de sensibilités,
Paris ! C'est exceptionnel ! Et Paris a tous les droits, y compris ceux
de la division ! Eh bien, non ! Je pense qu'il était clair, nous avons
bien anticipé les choses de manière à ce que l'affaire de Neuilly ne
soit pas contagieuse. Les investitures ont été rappelées par la
commission d'investitures dès lundi matin. Il est clair que ceux qui
ont l'investiture sont identifiés, les autres sont des dissidents, ils
sont libres dans leur dissidence, et ils n'ont pas le soutien de l'UMP.
 
Q.- F. de Panafieu tient-elles ses listes, pour ne pas dire ses troupes
?
 
R.- Tout cela n'est pas parfait, mais c'est notre candidate, et je
pense que, à partir du moment où nous sommes en campagne, c'est vrai
pour Paris, mais c'est vrai pour ailleurs, occupons-nous de l'
opposition, rassemblons-nous, serrons les coudes autour du président de
la République ! Il est aujourd'hui nécessaire de mener ce combat avec
confiance, les élections municipales sont loin d'être perdues. Je suis
quelquefois irrité de voir qu'il y a un certain nombre de gens qui sont
déjà dans le mois d'avril, en train de parler de "remaniement",
enjambant ce mois de mars avec ces élections ! Menons...
 
Q.- C. Guéant, parle de...
 
R.-...menons le combat. Le combat est à mener sur le terrain...
 
Q.- C. Guéant parle de "'remaniement"...
 
R.-...il est aujourd'hui très important de serrer les coudes autour du
président de la République. Je dois dire d'ailleurs que, depuis 48
heures, ça va beaucoup mieux à l'UMP. Pour prendre un indicateur, "les
adhésions-indignations" sont de plus en plus nombreuses. Il y a
aujourd'hui un retournement de la campagne contre le président de la
République. Cette campagne, orchestrée, beaucoup de Françaises et de
Français disent : "trop ! c'est trop !". "Les attaques personnelles,
trop ! c'est trop !". Et aujourd'hui, il y a à l'UMP, "les adhésions-
indignations" qui sont en train de monter. Je crois que le climat de la
campagne se renverse, et donc, que nous avons toutes les chances de
gagner pour peu qu'on s'y consacre, qu'on attaque la gauche, ses
mauvaises décisions pour la France, et ses mauvaises décisions pour un
certain nombre de...
 
Q.- C'est la droite qui était au pouvoir depuis un certain temps, là,
quand même, hein ?
 
R.- Oui, mais vous savez, on peut parler de beaucoup de choses. Et
notamment, la droite a une difficulté aujourd'hui, qui s'appelle les
Finances publiques. Et qui a endetté la France ? Ce sont les grandes
décisions socialistes. Que ce soit la retraite à 60 ans, que ce soit
les 35 heures, toutes ces grandes décisions socialistes ont été
financées par la dette, par l'emprunt, c'est-à-dire, par les Français !
 
Q.- De 2002 à 2008...une parenthèse, où il ne s'est rien passé ?
 
R.- Nous avons maîtrisé la dépense publique à ce moment-là. Et je peux
vous dire que, pour la première fois, j'étais à la tête d'un
gouvernement qui a maîtrisé sa dépense publique, et donc, nous avons
payé les dettes des autres.
 
Q.- Vous qui aimez bien réfléchir à la nature profonde et à l'identité
intellectuelle aussi de la droite, la droite française est-elle "la
plus bête du monde", comme semble redouter P. Lellouche, UMP, ce matin,
dans les colonnes du Figaro ?
 
R.- On a toujours quelques amis qui sont verbalement créatifs. Donc, je
pense que c'est le genre de déclaration...
 
Q.- C'est un vieux dicton, en même temps...
 
R.-...qu'on peut essayer d'éviter en période électorale. Je pense que
les élections, c'est un match, c'est un combat, on doit être homogènes,
cohérents. Lellouche a l'investiture dans le VIIIème, on le soutient,
il faut qu'il soutienne F. de Panafieu, et que toute l'UMP soit la plus
rassemblée possible. On a quatre semaines de campagne devant nous.
Soyons rassemblés, essayons de faire preuve d'intelligence, car l'
intelligence, c'est comme le reste, il y a des croyants, mais il faut
surtout être pratiquants.
 
Q.- "La défaite n'est pas certaine, avez-vous dit, aux municipales". Ce
n'est quand même pas une position très ambitieuse, J.-P. Raffarin pour
aborder une élection de ce type ?
 
R.- Je pense qu'elles sont gagnables. Mais quand je vois ce climat
aujourd'hui, avec tous ceux qui anticiperaient les échecs, ici ou là,
je pense vraiment qu'on peut gagner ces élections. On n'a pas eu un
très bon mois de janvier, mais je pense qu'on a eu un bon mois de
février, que ce mois de février, qui est en train, aujourd'hui, de se
dérouler devant nous, est porteur pour les Français de bonnes
nouvelles. Je pense à la rémunération du Livret A, je pense à la
rémunération du Livret d'épargne, je pense au minimum vieillesse, je
pense à un certain nombre de décisions. Depuis huit mois, le
Gouvernement a beaucoup agi. Là, nous avons des décisions positives. Si
nous sommes rassemblés, si nos électeurs sont mobilisés, je vous assure
que nous ferons de bonnes élections municipales.
 
Q.- Vous n'avez toujours pas donné le conseil à N. Sarkozy que je vous
demandais en début d'entretien ? Quel est-il ? Etre plus rare, peut-
être, respecter les institutions, les pratiques anciennes ? Vous avez
dit que "il s'était trop exposé", qu'"il était seul au front".
 
R.- Je pense qu'il ne faut pas le laisser seul au front. Mais ce n'est
pas à lui de ralentir, c'est au Gouvernement d'accélérer.
 
Q.- Le Gouvernement a levé le pied ?
 
R.- Je pense qu'il y a un certain nombre de ministres qui doivent être
très présents dans la campagne. Est-ce que vous avez noté que le même
jour, on a annoncé - 8 dans les sondages pour N. Sarkozy - Sofres -, et
en même temps, moins 200.000 chômeurs ? !! On a parlé du "- 8", on n'a
pas parlé du fait qu'il y avait "moins 200.000 chômeurs en France en
2007". Et cette action contre le chômage, qui a été engagée par mon
gouvernement, qui a été d'ailleurs poursuivie par D. de Villepin, et
qui est en cours aujourd'hui sous l'autorité de F. Fillon. L'action
contre le chômage est une action qui marche en France. On était...on
circule beaucoup en ce moment. Quand je vois des départements comme l'
Ain, ils sont à 5 points de chômage, c'est-à-dire, qu'ils sont au
niveau de chômage résiduel ; ça, c'est la France d'aujourd'hui. La
lutte contre le chômage, la politique économique, tout cela fait partie
du débat. Il faut que l'ensemble du Gouvernement soit très mobilisé et
rassemblé.
 
Q.- Qui doit se bouger un peu plus au sein du Gouvernement ?
 
R.- Ça, il y a un chef de gouvernement, c'est à lui de le décider.
Chacun sa place. Et moi, quand j'étais chef de gouvernement, je n'
aimais pas qu'on me donne de conseils. Alors, je suis ami avec F.
Fillon, et je tiens à le rester.
 
Q.- Une dernière question : 7,6 milliards de bénéfices nets pour
Arcelor-Mittal, et toujours cette décision de fermer une partie de l'
usine de Gandrange. Est-ce normal ?
 
R.- Non, je pense que le président de la République, là encore, a mené
les actions qu'il fallait mener, c'est-à-dire, la négociation avec
Mittal et cette pression. Je pense qu'on a un vrai problème aujourd'
hui, non seulement en France mais en Europe, c'est que les emplois sont
mobiles, les capitaux son mobiles. La vraie question de la France
aujourd'hui, c'est l'attractivité. Comment les emplois et les capitaux
peuvent-ils venir chez nous ?
 
Q.- Ce n'est pas un problème d'éthique aussi ?
 
R.-...Et là, on n'y est pas prêts.
 
Q.- Ce n'est pas un problème d'éthique, aussi ? 3 milliards d'euros de
dividendes aux actionnaires ? Remettre sur pied une usine moderne, est
-ce que ça ne devrait pas être le rôle d'un chef d'entreprise plus qu'
un chef de l'Etat ?
 
R.- Mais l'entreprise a une vision qui est globale, qui est mondiale,
et la France est l'un des éléments de sa stratégie. Et donc, elle a son
éthique mondiale, qui n'est pas forcément pour la France, favorable.
Tout notre problème est de construire les outils financiers, de
valoriser notre attractivité pour que l'argent vienne en France, pour
que les emplois soient en France. C'est "la compétitivité France" qu'il
faut aujourd'hui défendre par l'attractivité ! Et cela, le président de
la République a raison de vouloir attirer des capitaux, et il faut
essayer de faire en sorte que Mittal puisse disposer des outils
financiers et industriels pour investir dans notre pays.
 
Q.- Financiers, il semble les avoir en tout cas ?
 
R.- Non, pas vraiment, pas forcément. Il ne suffit pas qu'il y ait de
l'argent, il faut que nous on permette cet investissement en France.
Parce que, ce qui se passe aujourd'hui en France, pour Mittal, c'est un
besoin d'investissement.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 14
février 2008