Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la commission des Affaires étrangères,
Monsieur le Président de la délégation pour l'Union européenne,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Nous étions pressés, les Européens étaient pressés de tourner la page des doutes et des reculades, pressés de passer à une autre étape plus constructive, pressés d'agir pour une Europe plus active, plus protectrice et plus proche des citoyens.
Au nom de cet impératif supérieur, les chefs d'Etat de pays qui avaient dit oui et de ceux qui avaient dit non ont trouvé, sous l'impulsion de la France et de l'Allemagne, l'énergie d'écrire une nouvelle page de notre histoire commune. Par votre vote de demain, le nouveau traité viendra, je l'espère, conclure une des négociations les plus efficaces de l'histoire de l'Union européenne alors même que nous sortions de longues années de doutes et d'incertitudes. Le 1er janvier prochain, si tout se passe bien, l'Europe sera dotée de nouvelles institutions. Vous en connaissez les grandes lignes : elles vous ont été plusieurs fois présentées. Je ne reviendrai pas aujourd'hui sur le détail du Traité de Lisbonne. Puisqu'il ouvre, je le répète, une nouvelle ère de l'Europe, c'est de cette nouvelle phase que je voudrais vous parler, des opportunités qu'elle nous offre, qu'elle offre à l'Europe et à la France dans l'Europe.
Ce traité, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, est avant tout un traité de réconciliation, la réconciliation, tout d'abord, de la France avec l'Europe. Alors que le référendum de 2005 nous avait fait craindre un retrait durable de notre pays, le voici de nouveau au coeur de l'Europe. A la veille de notre présidence de l'Union européenne, j'y vois le signe heureux d'un engagement français retrouvé. J'y vois surtout la preuve d'une inventivité, d'une audace et d'une volonté collectives qui nous ont beaucoup manqué ces dernières années.
En effet, la crise de l'Europe n'était pas notre apanage. Le rejet de la Constitution en France et ailleurs révélait une fracture plus profonde entre l'Europe et les citoyens et une interrogation fondamentale sur le projet européen dans un paysage écartelé entre l'accélération du monde et le besoin de sécurité des citoyens. Le Traité de Lisbonne réconcilie les Européens et l'Europe.
Il consolide les processus démocratiques européens et améliore la transparence des travaux de l'Union, il offre une plus grande protection des droits fondamentaux, il modifie les traités existants de manière à renforcer le contrôle démocratique des processus décisionnels et à favoriser la participation des citoyens, il instaure un droit d'initiative citoyen et il fait enfin du Parlement européen, élu directement par nos concitoyens, un véritable co-législateur à égalité avec le Conseil tant en matière budgétaire que dans un nombre important de domaines passant à la procédure de co-décision.
L'amélioration des procédures démocratiques passe aussi, bien évidemment, par votre plus grande implication dans les décisions européennes. Le rôle des parlements nationaux sera donc renforcé par leur information directe et l'extension du délai d'examen dont ils bénéficient à huit semaines, par le mécanisme d'"alerte précoce" qui permettra à un tiers des parlements nationaux de demander à la Commission européenne de réexaminer une proposition qu'ils jugeraient contraire au principe de subsidiarité, enfin par le mécanisme renforcé de contrôle de cette subsidiarité, mécanisme selon lequel un avis motivé, présenté au législateur européen par une majorité des parlements nationaux et recueillant 55 % des membres du Conseil ou d'une majorité de membres du Parlement européen permet d'empêcher l'adoption d'un texte et d'achever une procédure.
Voilà, Mesdames et Messieurs les Députés, des mesures salutaires qui permettront, je le disais à l'instant, de réconcilier l'Union européenne et ses citoyens.
C'est une réponse à la crise ouverte en 2005 ou peut-être ouverte bien avant mais qui a culminé en 2005. Ce n'est pas pour autant un déni des causes de cette crise.
Nous avons entendu le message des électeurs. Nous avons tenu compte de leurs exigences et de leurs critiques.
La démarche constitutionnelle et des symboles sont abandonnés. La concurrence libre et non faussée n'est plus en soi un objectif de l'Union.
Un protocole sur les services d'intérêt économique général a été ajouté et le développement durable figure parmi les tout premiers objectifs de l'Union. Le traité affirme enfin que, dans ses relations avec le reste du monde, l'Union doit "contribuer à la protection de ses citoyens".
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, je le disais à l'instant : la crise de 2005 fut une crise du projet européen. Globalisation foudroyante de l'économie, éclosion de nouvelles puissances sur d'autres continents, affaiblissement de l'Occident, effacement relatif des cadres nationaux, apparition de nouvelles menaces, diffuses et omniprésentes, retour de rapports de forces dans les relations entre Etats : les évolutions lourdes du monde paraissent à nos concitoyens comme autant de menaces.
Nous savons bien que leurs craintes, parfois exagérées, ne sont pas, hélas, infondées : le monde qui s'ouvre à nous est incertain et il nous obligera à des adaptations très profondes dont quelques-unes seront forcément douloureuses.
Toutefois, nous avons la chance, avec l'Europe, d'avoir commencé à construire un outil formidable et une organisation aujourd'hui enviée et copiée sur tous les continents. Sans doute l'Europe n'est-elle pas suffisamment visible au jour le jour. Bien sûr, nous avons encore beaucoup à faire. Evidemment, cette mécanique lourde nous agace parfois. Nous avons pourtant des décennies d'avance sur le reste du monde. Union africaine, Mercosur, ASEAN : l'Europe est bien le modèle d'une nouvelle organisation du monde, un modèle au sens d'exemplarité autant que de maquette, au sens de modélisation autant que de modélisme, préfiguration d'un ordre mondial réinventé, démocratisé, transparent, fondé sur la justice et les Droits de l'Homme, combinant avec succès les souverainetés et les identités et faisant émerger un point d'équilibre fragile, toujours fragile, entre les intérêts de chacun et l'intérêt collectif - cet intérêt général européen que nous voyons émerger chaque jour davantage.
Les dirigeants africains ou asiatiques que nous rencontrons nous le disent : face aux impuissances de l'hyperpuissance, l'Europe doit rendre possible une autre organisation du monde. C'est pour nous une vraie responsabilité, mais c'est aussi une fierté. Ce doit être, surtout, une incomparable source de courage et de détermination.
C'est pourquoi le traité que je vous demande d'approuver aujourd'hui mérite d'être apprécié à sa juste valeur, comme un moment important dans la construction de l'idéal européen.
Vous le savez, il était d'usage d'opposer jusqu'ici, de manière un peu formelle, l'élargissement à l'approfondissement. C'était en quelque sorte faire porter aux nouveaux Etats membres la responsabilité de notre propre incapacité à décider ou à aller de l'avant. Je suis heureux que nous ayons pu dépasser ce moment de blocage.
En supprimant le cloisonnement de l'action européenne en trois piliers, en développant les objectifs de l'Union, en étendant le vote à la majorité qualifiée à de nouveaux domaines, notamment la justice et les affaires intérieures, et en élargissant le champ des missions de la politique européenne de sécurité et de défense pour anticiper un rôle de plus en plus multiforme de l'Union dans les crises, le Traité de Lisbonne nous permet en effet d'avancer réellement sur la voie de l'approfondissement.
Dans le même temps, ce texte donne à l'Union européenne les moyens de fonctionner plus efficacement à vingt-sept et d'accueillir à terme ses voisins des Balkans, grâce à des modes de décision plus faciles, à l'adoption d'ici à 2014 de la règle de la double majorité, à la mise en place, à la tête du Conseil européen, d'un président stable désigné pour deux ans et demi, au plafonnement du nombre de parlementaires européens et à la perspective d'une Commission plus resserrée.
A une Europe qui s'était beaucoup élargie ces dernières années sans forcément tirer toutes les conséquences de ce changement d'échelle, ce texte offre un fonctionnement à la fois plus simple et plus efficace. Il nous permet d'affronter sereinement les inévitables lourdeurs nées d'un fonctionnement à vingt-sept. Il nous permet ainsi de mieux apprécier l'apport considérable des nouveaux Etats membres.
Nous sommes plus efficaces à vingt-sept pour régler des problèmes qui nous concernent tous. C'est justement l'ambition de ce traité que de nous permettre de mieux répondre aux défis de ce monde mouvant, en donnant à l'Europe de vrais moyens, ceux, tout d'abord, de mettre en oeuvre les grandes politiques d'avenir qu'attendent nos concitoyens, politiques énergétiques, environnementales ou de migrations sur lesquelles l'Europe se doit d'être à la pointe d'une mondialisation plus responsable et plus juste. Elle doit aussi initier la régulation des marchés financiers, comme le sommet de Londres du mardi 29 janvier en a esquissé l'ébauche. Sur tous ces sujets, l'Europe pourra exister aux yeux des citoyens et fera mieux apparaître sa nécessité par des actions concertées que le nouveau traité rendra plus faciles.
Mais ce nouveau traité nous donne aussi des moyens pour renforcer le poids de l'Europe dans le monde. C'est la création d'un Haut représentant pour les affaires étrangères et de sécurité, qui disposera à la fois de l'autorité et de tous les instruments cumulés du Conseil et de la Commission.
C'est le service européen pour l'action extérieure, qui réunira des moyens de la Commission, du secrétariat général du Conseil et des Etats membres. C'est la possibilité nouvelle de coopérations renforcées dans le domaine de la défense pour ceux des Etats membres qui disposent d'une capacité militaire et souscrivent des engagements. C'est la clause d'assistance mutuelle entre Etats membres, qui donne plus de poids et de consistance encore à la solidarité entre Européens.
Avec ces instruments nouveaux, l'Europe ne pourra plus se défausser de ses responsabilités, comme elle l'a parfois fait dans le passé. Grâce à ces avancées, l'Europe pourra devenir un acteur à part entière de la scène internationale. Par ces progrès, l'Europe retrouvera bientôt un rôle à la hauteur de son histoire et de son idéal. C'est aujourd'hui une urgence si nous ne voulons pas que cette grande ambition se trouve finalement réduite à une simple zone de libre-échange. Pour exister aux yeux du monde, le modèle européen a d'abord besoin de prouver son efficacité et sa puissance.
Cela, bien sûr, nous ramène à la question de nos ambitions réelles. Par-delà les déclarations, avons-nous la volonté d'agir ensemble ?
Avons-nous un projet, une ambition diplomatiques autonomes ?
Serons-nous capables de tirer les leçons de l'opération prévue au Tchad et en République centrafricaine pour aller au secours des populations déplacées du Darfour ?
Malgré les graves incertitudes actuelles pesant sur la situation du Tchad, cette opération autonome de l'Union rassemblant quatorze Etats membres et forte de 3 800 hommes sous commandement irlandais finira par aboutir. Et les interrogations actuelles, conjoncturelles, ne doivent pas nous dispenser de réfléchir aux épreuves qu'il nous a fallu surmonter pour parvenir, en huit mois, à de premiers déploiements, alors qu'en 1999, les chefs d'Etat des Quinze s'étaient fixé pour ambition de pouvoir mobiliser 60.000 hommes en soixante jours avant 2003.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, cette question de la défense européenne est cruciale.
Nous devons nous doter des moyens militaires de nos ambitions diplomatiques.
Il n'est pas normal que quelques-uns seulement y consacrent des moyens importants, pas normal que nous ne soyons pas capables d'avancer plus vite dans les domaines clés de la défense et de l'industrie de défense européennes. Comme d'autres, ce nécessaire travail sur la défense devra s'inscrire dans le cadre plus large de la réflexion souhaitée par le président de la République sur l'avenir de l'Union.
Ce sera le travail du groupe de réflexion dont la création a été décidée en décembre dernier et que présidera Felipe Gonzalez. Son objectif n'est pas de relancer la question institutionnelle, déjà tranchée par le Traité de Lisbonne. Il s'agit de répertorier les questions et les évolutions fondamentales auxquelles l'Union est susceptible d'être confrontée. Ce groupe de sages devra accorder une attention particulière aux moyens qui permettront de mieux s'adresser aux citoyens, de mieux répondre à leurs attentes et à leurs besoins.
L'Europe s'est construite sur un idéal de paix. Elle s'est élargie pour apporter la démocratie. Elle doit maintenant s'atteler à sa nouvelle mission : devenir un acteur de premier plan des affaires du monde, faire advenir une mondialisation plus juste, mieux régulée, tournée vers le développement humain et fondée sur des principes universels de solidarité, de démocratie et de justice.
Le Traité de Lisbonne nous offre des moyens pour nous atteler à cette lourde tâche. Déjà les parlements hongrois, maltais, slovène et roumain l'ont approuvé.
La France, qui en est à l'origine, doit à son tour montrer l'exemple en l'approuvant de la manière la plus large possible. Nous ne devons pas avoir peur de nous retrouver, par-delà les clivages politiques, pour un engagement européen qui dépasse les calculs politiciens.
"Nos fiertés nationales n'ont pas à s'effacer, pas plus que nos préférences philosophiques ou politiques. Après tout, ne voulons-nous pas être les champions de la démocratie rénovée ?"
"Champions des Droits de l'Homme, champions du pluralisme ? (...) L'Europe sera pluraliste ou ne sera pas", disait Jacques Delors.
A vous tous, députés d'un parlement pluraliste, je demande donc aujourd'hui d'approuver ce texte essentiel.
A propos de la motion référendaire
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Députés,
Je ne reprendrai pas ici les excellents arguments employés par le président Jean-Marc Ayrault pour saluer ce traité: oui, ils étaient bons ! Toutefois, la motion référendaire qui vous est soumise appelle de ma part des observations d'ordre juridique - au regard des articles 3 et 11 de notre Constitution - et politique.
L'article 11 de la Constitution est extrêmement clair : le choix de recourir au référendum appartient au président de la République et à lui seul.
Or, pendant la campagne des élections présidentielles, ce dernier a exprimé très clairement son choix devant les Français : s'il était élu, il proposerait à ses partenaires européens de s'engager à négocier un nouveau traité. Si ce traité était signé par les vingt-sept Etats membres, il serait ratifié en France par la voie parlementaire. Ce choix, clairement formulé, a été par quatre fois validé par les Français. C'est également celui de vingt-cinq de nos partenaires européens - dont ceux qui avaient précédemment approuvé le traité constitutionnel par référendum - mais aussi celui de tous les Etats membres aujourd'hui dirigés par des partis socialistes...
Et s'ils ont fait une erreur, alors, c'est une erreur unanime !
Par ailleurs, l'article 3 de la Constitution ne crée aucune hiérarchie entre les lois votées par la représentation nationale et les lois référendaires.
La démocratie parlementaire est un élément fondamental du pacte républicain et de la République, souvenons-nous en ! Nos grandes lois fondatrices en sont l'illustration. La démocratie et la souveraineté nationale s'expriment parfaitement dans cet hémicycle, la légitimité du Parlement ne varie pas en fonction des sujets ou des sondages - d'autant que les dernières élections législatives sont récentes.
En tout état de cause, et contrairement à ce que vous prétendez, le traité établissant une Constitution pour l'Europe et le Traité de Lisbonne sont bien deux textes différents et distincts. Trois autorités indépendantes se sont prononcées, en France, au Danemark et au Pays-Bas, trois pays qui avaient organisé un référendum sur le traité constitutionnel. De plus, il n'y a dans le Traité de Lisbonne aucun transferts de souveraineté aussi substantiels que ceux consentis à l'époque du référendum concernant le Traité de Maastricht.
La France ne peut rester spectatrice dans l'Union européenne. Après le référendum de 2005 et la réunion de Madrid durant laquelle vingt Etats se sont réunis sans la France, nous étions tous d'accord sur la nécessité que la France retrouve le chemin de l'Europe. Pour relancer les moteurs de l'Union européenne, il fallait répondre aux inquiétudes qui s'étaient exprimées. J'ai eu l'occasion, à de nombreuses reprises, tout comme vous, Monsieur Jean-Marc Ayrault, d'indiquer que le Traité de Lisbonne y a effectivement répondu. Nous avons bien entendu le "non" exprimé en 2005 : nous en avons tiré tous les enseignements.
Le Traité de Lisbonne abandonne la démarche constitutionnelle et répond aux préoccupations des Français, quelle que soit leur sensibilité politique. Voulons-nous, oui ou non, que l'Europe se donne les moyens d'être un acteur dans le monde de demain ? Voulons-nous en rester à une Europe économique qui ne s'organiserait pas sur le plan politique ? Voilà les questions qui nous sont posées à l'occasion de la ratification du Traité de Lisbonne. Ce sont des questions de fond, elles ne relèvent pas de la simple procédure.
Nous avons entendu les propos tenus par Jacques Delors - ils ont été rappelés ici - selon lesquels le Traité de Lisbonne est un progrès, tout comme la procédure de ratification que nous avons choisie. Voilà pourquoi le gouvernement estime que cette motion référendaire n'est fondée ni en droit, ni en opportunité.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 février 2008
Monsieur le Président de la commission des Affaires étrangères,
Monsieur le Président de la délégation pour l'Union européenne,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Nous étions pressés, les Européens étaient pressés de tourner la page des doutes et des reculades, pressés de passer à une autre étape plus constructive, pressés d'agir pour une Europe plus active, plus protectrice et plus proche des citoyens.
Au nom de cet impératif supérieur, les chefs d'Etat de pays qui avaient dit oui et de ceux qui avaient dit non ont trouvé, sous l'impulsion de la France et de l'Allemagne, l'énergie d'écrire une nouvelle page de notre histoire commune. Par votre vote de demain, le nouveau traité viendra, je l'espère, conclure une des négociations les plus efficaces de l'histoire de l'Union européenne alors même que nous sortions de longues années de doutes et d'incertitudes. Le 1er janvier prochain, si tout se passe bien, l'Europe sera dotée de nouvelles institutions. Vous en connaissez les grandes lignes : elles vous ont été plusieurs fois présentées. Je ne reviendrai pas aujourd'hui sur le détail du Traité de Lisbonne. Puisqu'il ouvre, je le répète, une nouvelle ère de l'Europe, c'est de cette nouvelle phase que je voudrais vous parler, des opportunités qu'elle nous offre, qu'elle offre à l'Europe et à la France dans l'Europe.
Ce traité, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, est avant tout un traité de réconciliation, la réconciliation, tout d'abord, de la France avec l'Europe. Alors que le référendum de 2005 nous avait fait craindre un retrait durable de notre pays, le voici de nouveau au coeur de l'Europe. A la veille de notre présidence de l'Union européenne, j'y vois le signe heureux d'un engagement français retrouvé. J'y vois surtout la preuve d'une inventivité, d'une audace et d'une volonté collectives qui nous ont beaucoup manqué ces dernières années.
En effet, la crise de l'Europe n'était pas notre apanage. Le rejet de la Constitution en France et ailleurs révélait une fracture plus profonde entre l'Europe et les citoyens et une interrogation fondamentale sur le projet européen dans un paysage écartelé entre l'accélération du monde et le besoin de sécurité des citoyens. Le Traité de Lisbonne réconcilie les Européens et l'Europe.
Il consolide les processus démocratiques européens et améliore la transparence des travaux de l'Union, il offre une plus grande protection des droits fondamentaux, il modifie les traités existants de manière à renforcer le contrôle démocratique des processus décisionnels et à favoriser la participation des citoyens, il instaure un droit d'initiative citoyen et il fait enfin du Parlement européen, élu directement par nos concitoyens, un véritable co-législateur à égalité avec le Conseil tant en matière budgétaire que dans un nombre important de domaines passant à la procédure de co-décision.
L'amélioration des procédures démocratiques passe aussi, bien évidemment, par votre plus grande implication dans les décisions européennes. Le rôle des parlements nationaux sera donc renforcé par leur information directe et l'extension du délai d'examen dont ils bénéficient à huit semaines, par le mécanisme d'"alerte précoce" qui permettra à un tiers des parlements nationaux de demander à la Commission européenne de réexaminer une proposition qu'ils jugeraient contraire au principe de subsidiarité, enfin par le mécanisme renforcé de contrôle de cette subsidiarité, mécanisme selon lequel un avis motivé, présenté au législateur européen par une majorité des parlements nationaux et recueillant 55 % des membres du Conseil ou d'une majorité de membres du Parlement européen permet d'empêcher l'adoption d'un texte et d'achever une procédure.
Voilà, Mesdames et Messieurs les Députés, des mesures salutaires qui permettront, je le disais à l'instant, de réconcilier l'Union européenne et ses citoyens.
C'est une réponse à la crise ouverte en 2005 ou peut-être ouverte bien avant mais qui a culminé en 2005. Ce n'est pas pour autant un déni des causes de cette crise.
Nous avons entendu le message des électeurs. Nous avons tenu compte de leurs exigences et de leurs critiques.
La démarche constitutionnelle et des symboles sont abandonnés. La concurrence libre et non faussée n'est plus en soi un objectif de l'Union.
Un protocole sur les services d'intérêt économique général a été ajouté et le développement durable figure parmi les tout premiers objectifs de l'Union. Le traité affirme enfin que, dans ses relations avec le reste du monde, l'Union doit "contribuer à la protection de ses citoyens".
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, je le disais à l'instant : la crise de 2005 fut une crise du projet européen. Globalisation foudroyante de l'économie, éclosion de nouvelles puissances sur d'autres continents, affaiblissement de l'Occident, effacement relatif des cadres nationaux, apparition de nouvelles menaces, diffuses et omniprésentes, retour de rapports de forces dans les relations entre Etats : les évolutions lourdes du monde paraissent à nos concitoyens comme autant de menaces.
Nous savons bien que leurs craintes, parfois exagérées, ne sont pas, hélas, infondées : le monde qui s'ouvre à nous est incertain et il nous obligera à des adaptations très profondes dont quelques-unes seront forcément douloureuses.
Toutefois, nous avons la chance, avec l'Europe, d'avoir commencé à construire un outil formidable et une organisation aujourd'hui enviée et copiée sur tous les continents. Sans doute l'Europe n'est-elle pas suffisamment visible au jour le jour. Bien sûr, nous avons encore beaucoup à faire. Evidemment, cette mécanique lourde nous agace parfois. Nous avons pourtant des décennies d'avance sur le reste du monde. Union africaine, Mercosur, ASEAN : l'Europe est bien le modèle d'une nouvelle organisation du monde, un modèle au sens d'exemplarité autant que de maquette, au sens de modélisation autant que de modélisme, préfiguration d'un ordre mondial réinventé, démocratisé, transparent, fondé sur la justice et les Droits de l'Homme, combinant avec succès les souverainetés et les identités et faisant émerger un point d'équilibre fragile, toujours fragile, entre les intérêts de chacun et l'intérêt collectif - cet intérêt général européen que nous voyons émerger chaque jour davantage.
Les dirigeants africains ou asiatiques que nous rencontrons nous le disent : face aux impuissances de l'hyperpuissance, l'Europe doit rendre possible une autre organisation du monde. C'est pour nous une vraie responsabilité, mais c'est aussi une fierté. Ce doit être, surtout, une incomparable source de courage et de détermination.
C'est pourquoi le traité que je vous demande d'approuver aujourd'hui mérite d'être apprécié à sa juste valeur, comme un moment important dans la construction de l'idéal européen.
Vous le savez, il était d'usage d'opposer jusqu'ici, de manière un peu formelle, l'élargissement à l'approfondissement. C'était en quelque sorte faire porter aux nouveaux Etats membres la responsabilité de notre propre incapacité à décider ou à aller de l'avant. Je suis heureux que nous ayons pu dépasser ce moment de blocage.
En supprimant le cloisonnement de l'action européenne en trois piliers, en développant les objectifs de l'Union, en étendant le vote à la majorité qualifiée à de nouveaux domaines, notamment la justice et les affaires intérieures, et en élargissant le champ des missions de la politique européenne de sécurité et de défense pour anticiper un rôle de plus en plus multiforme de l'Union dans les crises, le Traité de Lisbonne nous permet en effet d'avancer réellement sur la voie de l'approfondissement.
Dans le même temps, ce texte donne à l'Union européenne les moyens de fonctionner plus efficacement à vingt-sept et d'accueillir à terme ses voisins des Balkans, grâce à des modes de décision plus faciles, à l'adoption d'ici à 2014 de la règle de la double majorité, à la mise en place, à la tête du Conseil européen, d'un président stable désigné pour deux ans et demi, au plafonnement du nombre de parlementaires européens et à la perspective d'une Commission plus resserrée.
A une Europe qui s'était beaucoup élargie ces dernières années sans forcément tirer toutes les conséquences de ce changement d'échelle, ce texte offre un fonctionnement à la fois plus simple et plus efficace. Il nous permet d'affronter sereinement les inévitables lourdeurs nées d'un fonctionnement à vingt-sept. Il nous permet ainsi de mieux apprécier l'apport considérable des nouveaux Etats membres.
Nous sommes plus efficaces à vingt-sept pour régler des problèmes qui nous concernent tous. C'est justement l'ambition de ce traité que de nous permettre de mieux répondre aux défis de ce monde mouvant, en donnant à l'Europe de vrais moyens, ceux, tout d'abord, de mettre en oeuvre les grandes politiques d'avenir qu'attendent nos concitoyens, politiques énergétiques, environnementales ou de migrations sur lesquelles l'Europe se doit d'être à la pointe d'une mondialisation plus responsable et plus juste. Elle doit aussi initier la régulation des marchés financiers, comme le sommet de Londres du mardi 29 janvier en a esquissé l'ébauche. Sur tous ces sujets, l'Europe pourra exister aux yeux des citoyens et fera mieux apparaître sa nécessité par des actions concertées que le nouveau traité rendra plus faciles.
Mais ce nouveau traité nous donne aussi des moyens pour renforcer le poids de l'Europe dans le monde. C'est la création d'un Haut représentant pour les affaires étrangères et de sécurité, qui disposera à la fois de l'autorité et de tous les instruments cumulés du Conseil et de la Commission.
C'est le service européen pour l'action extérieure, qui réunira des moyens de la Commission, du secrétariat général du Conseil et des Etats membres. C'est la possibilité nouvelle de coopérations renforcées dans le domaine de la défense pour ceux des Etats membres qui disposent d'une capacité militaire et souscrivent des engagements. C'est la clause d'assistance mutuelle entre Etats membres, qui donne plus de poids et de consistance encore à la solidarité entre Européens.
Avec ces instruments nouveaux, l'Europe ne pourra plus se défausser de ses responsabilités, comme elle l'a parfois fait dans le passé. Grâce à ces avancées, l'Europe pourra devenir un acteur à part entière de la scène internationale. Par ces progrès, l'Europe retrouvera bientôt un rôle à la hauteur de son histoire et de son idéal. C'est aujourd'hui une urgence si nous ne voulons pas que cette grande ambition se trouve finalement réduite à une simple zone de libre-échange. Pour exister aux yeux du monde, le modèle européen a d'abord besoin de prouver son efficacité et sa puissance.
Cela, bien sûr, nous ramène à la question de nos ambitions réelles. Par-delà les déclarations, avons-nous la volonté d'agir ensemble ?
Avons-nous un projet, une ambition diplomatiques autonomes ?
Serons-nous capables de tirer les leçons de l'opération prévue au Tchad et en République centrafricaine pour aller au secours des populations déplacées du Darfour ?
Malgré les graves incertitudes actuelles pesant sur la situation du Tchad, cette opération autonome de l'Union rassemblant quatorze Etats membres et forte de 3 800 hommes sous commandement irlandais finira par aboutir. Et les interrogations actuelles, conjoncturelles, ne doivent pas nous dispenser de réfléchir aux épreuves qu'il nous a fallu surmonter pour parvenir, en huit mois, à de premiers déploiements, alors qu'en 1999, les chefs d'Etat des Quinze s'étaient fixé pour ambition de pouvoir mobiliser 60.000 hommes en soixante jours avant 2003.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, cette question de la défense européenne est cruciale.
Nous devons nous doter des moyens militaires de nos ambitions diplomatiques.
Il n'est pas normal que quelques-uns seulement y consacrent des moyens importants, pas normal que nous ne soyons pas capables d'avancer plus vite dans les domaines clés de la défense et de l'industrie de défense européennes. Comme d'autres, ce nécessaire travail sur la défense devra s'inscrire dans le cadre plus large de la réflexion souhaitée par le président de la République sur l'avenir de l'Union.
Ce sera le travail du groupe de réflexion dont la création a été décidée en décembre dernier et que présidera Felipe Gonzalez. Son objectif n'est pas de relancer la question institutionnelle, déjà tranchée par le Traité de Lisbonne. Il s'agit de répertorier les questions et les évolutions fondamentales auxquelles l'Union est susceptible d'être confrontée. Ce groupe de sages devra accorder une attention particulière aux moyens qui permettront de mieux s'adresser aux citoyens, de mieux répondre à leurs attentes et à leurs besoins.
L'Europe s'est construite sur un idéal de paix. Elle s'est élargie pour apporter la démocratie. Elle doit maintenant s'atteler à sa nouvelle mission : devenir un acteur de premier plan des affaires du monde, faire advenir une mondialisation plus juste, mieux régulée, tournée vers le développement humain et fondée sur des principes universels de solidarité, de démocratie et de justice.
Le Traité de Lisbonne nous offre des moyens pour nous atteler à cette lourde tâche. Déjà les parlements hongrois, maltais, slovène et roumain l'ont approuvé.
La France, qui en est à l'origine, doit à son tour montrer l'exemple en l'approuvant de la manière la plus large possible. Nous ne devons pas avoir peur de nous retrouver, par-delà les clivages politiques, pour un engagement européen qui dépasse les calculs politiciens.
"Nos fiertés nationales n'ont pas à s'effacer, pas plus que nos préférences philosophiques ou politiques. Après tout, ne voulons-nous pas être les champions de la démocratie rénovée ?"
"Champions des Droits de l'Homme, champions du pluralisme ? (...) L'Europe sera pluraliste ou ne sera pas", disait Jacques Delors.
A vous tous, députés d'un parlement pluraliste, je demande donc aujourd'hui d'approuver ce texte essentiel.
A propos de la motion référendaire
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Députés,
Je ne reprendrai pas ici les excellents arguments employés par le président Jean-Marc Ayrault pour saluer ce traité: oui, ils étaient bons ! Toutefois, la motion référendaire qui vous est soumise appelle de ma part des observations d'ordre juridique - au regard des articles 3 et 11 de notre Constitution - et politique.
L'article 11 de la Constitution est extrêmement clair : le choix de recourir au référendum appartient au président de la République et à lui seul.
Or, pendant la campagne des élections présidentielles, ce dernier a exprimé très clairement son choix devant les Français : s'il était élu, il proposerait à ses partenaires européens de s'engager à négocier un nouveau traité. Si ce traité était signé par les vingt-sept Etats membres, il serait ratifié en France par la voie parlementaire. Ce choix, clairement formulé, a été par quatre fois validé par les Français. C'est également celui de vingt-cinq de nos partenaires européens - dont ceux qui avaient précédemment approuvé le traité constitutionnel par référendum - mais aussi celui de tous les Etats membres aujourd'hui dirigés par des partis socialistes...
Et s'ils ont fait une erreur, alors, c'est une erreur unanime !
Par ailleurs, l'article 3 de la Constitution ne crée aucune hiérarchie entre les lois votées par la représentation nationale et les lois référendaires.
La démocratie parlementaire est un élément fondamental du pacte républicain et de la République, souvenons-nous en ! Nos grandes lois fondatrices en sont l'illustration. La démocratie et la souveraineté nationale s'expriment parfaitement dans cet hémicycle, la légitimité du Parlement ne varie pas en fonction des sujets ou des sondages - d'autant que les dernières élections législatives sont récentes.
En tout état de cause, et contrairement à ce que vous prétendez, le traité établissant une Constitution pour l'Europe et le Traité de Lisbonne sont bien deux textes différents et distincts. Trois autorités indépendantes se sont prononcées, en France, au Danemark et au Pays-Bas, trois pays qui avaient organisé un référendum sur le traité constitutionnel. De plus, il n'y a dans le Traité de Lisbonne aucun transferts de souveraineté aussi substantiels que ceux consentis à l'époque du référendum concernant le Traité de Maastricht.
La France ne peut rester spectatrice dans l'Union européenne. Après le référendum de 2005 et la réunion de Madrid durant laquelle vingt Etats se sont réunis sans la France, nous étions tous d'accord sur la nécessité que la France retrouve le chemin de l'Europe. Pour relancer les moteurs de l'Union européenne, il fallait répondre aux inquiétudes qui s'étaient exprimées. J'ai eu l'occasion, à de nombreuses reprises, tout comme vous, Monsieur Jean-Marc Ayrault, d'indiquer que le Traité de Lisbonne y a effectivement répondu. Nous avons bien entendu le "non" exprimé en 2005 : nous en avons tiré tous les enseignements.
Le Traité de Lisbonne abandonne la démarche constitutionnelle et répond aux préoccupations des Français, quelle que soit leur sensibilité politique. Voulons-nous, oui ou non, que l'Europe se donne les moyens d'être un acteur dans le monde de demain ? Voulons-nous en rester à une Europe économique qui ne s'organiserait pas sur le plan politique ? Voilà les questions qui nous sont posées à l'occasion de la ratification du Traité de Lisbonne. Ce sont des questions de fond, elles ne relèvent pas de la simple procédure.
Nous avons entendu les propos tenus par Jacques Delors - ils ont été rappelés ici - selon lesquels le Traité de Lisbonne est un progrès, tout comme la procédure de ratification que nous avons choisie. Voilà pourquoi le gouvernement estime que cette motion référendaire n'est fondée ni en droit, ni en opportunité.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 février 2008