Texte intégral
Monsieur le Président de la Fondation Le Temps des Villes, (cher François RIVIERE),
Mesdames et Messieurs,
Je vous retrouve aujourd'hui dans les murs de l'Hôtel de Castries.
Le 29 novembre dernier, je clôturais le colloque de la Fondation le Temps des villes que vous présidez.
Ce jour là, j'annonçais officiellement mon souhait de vous confier une mission de préfiguration pour mettre en place, dans notre pays, un plan national de valorisation des centres-villes.
La feuille de route était claire : il s'agissait de savoir comment encourager le rôle du coeur de ville comme un laboratoire de nouvelles pratiques du bien-vivre ensemble pour demain ; une réflexion que je souhaitais voir menée dans un souci d'équilibre territorial, d'équilibre interne au centre-ville, d'équilibre entre les centres et leur périphérie.
Moins de trois mois plus tard, vous me remettez, comme prévu, le fruit de vos travaux.
Je tiens à vous remercier d'avoir tenu les délais serrés, qui vous étaient impartis.
Mais le temps pressait à mes yeux.
En effet, nos villes ne vont pas bien. Elles sont loin de présenter la face dorée de la grande urbanisation qui avait symbolisé le dynamisme de notre pays. Elles se délitent en périphérie. Elles s'usent en leur sein. Elles semblent inaptes à produire la moindre humanité. Le stress écrase ceux qui n'ont pas les épaules et les reins pour supporter le courant rapide de la vie urbaine. La solitude prospère dans un océan humain.
Pour toutes ces raisons, il y a concurrence entre l'image de la ville ancienne et l'image de la ville contemporaine, et ce n'est pas au bénéfice de la ville contemporaine. Comme le constatait tristement Charles Baudelaire, « la forme d'une ville change plus vite, hélas, que les désirs du coeur humain. »
L'heure est venue de ré-enchanter nos villes.
Le Président de la République vient, en quelque sorte, d'adouber ma réflexion. A l'occasion de la présentation de la nouvelle politique en faveur des banlieues, il a consacré de longs développements à la ville en évoquant, la nécessité de réinventer la ville et la façon d'y vivre ; évoquant à ce propos un enjeu formidable pour le XXIe siècle, un enjeu de civilisation...
Or, Mesdames, Messieurs, - j'en suis convaincue - nous ne réinventerons pas la ville sans nous préoccuper du coeur de nos cités.
La cohésion sociale et territoriale de ce pays se joue en grande partie dans les centres villes et les quartiers anciens. Cet enjeu majeur est sous-évalué par les médias, sans doute trop préoccupés par les grandes difficultés que rencontrent les « banlieues ».
Nos centres villes souffrent de maux divers et parfois opposés :
Certains se sont muséifiés, transformés en véritable pastiche des villes d'antan pour touristes, au détriment de toute vie de quartier et du maintien des habitants dans les lieux.
D'autres sont devenus des déserts commerciaux, occupés principalement par des agences d'assurance, des agences bancaires et des agences immobilières. Exit la diversité et la richesse de nos rues. Elles étaient la vie et c'est pour cela que nous les aimions tant, parce que nous aimons la vie ! Désormais, le cadre de vie est stérilisé, uniformisé et anesthésié.
D'autres enfin se sont paupérisés à vitesse grand « V », avec un habitat de piètre qualité et des ensembles immobiliers délaissés par les pouvoirs publics locaux ou nationaux et par leurs propriétaires ; des ensembles, dans un état de délabrement tel, qu'ils sont au bord de l'effondrement.
Ce que je souhaite, c'est tout simplement une renaissance des lieux, un retour à l'équilibre des fonctions afin que nos centres-villes renouent avec leur vocation première : celle d'être, pour une cité et ses habitants, une locomotive, celle d'être l'élément fédérateur pour tous ceux qui vivent sous la même citoyenneté métropolitaine.
J'irais à l'essentiel pour évoquer votre grande proposition : celle qui concerne la création de pôles d'excellence des coeurs de villes .
Une démarche qui conduirait les municipalités à se faire labelliser pour leur dynamisme « hors pair » dans au moins trois domaines, sélectionnés sur une liste plus vaste de six thèmes préétablis :
- le premier : patrimoine, culture et tourisme
- le second : écologie urbaine / environnement
- le troisième : offre de services
- le quatrième : logement en coeur de ville
- le cinquième : transport, mobilité, accessibilité
- le sixième et dernier : lien social.
Cette idée qui s'inspire à la fois du modèle des pôles de compétitivité et de celui des pôles d'excellence rurale est de nature à donner un coup de fouet économique à nos villes et permettre leur maillage plus cohérent.
Je crois à cette approche par label, par concours. Elle a déjà prouvé son efficacité par le passé.
Prenez, par exemple, le charmant label des « Villes et Villages Fleuris ». Il est devenu porteur d'un véritable phénomène de société, tant auprès des élus qu'auprès du grand public. 12 000 villes et villages ont déjà présenté dans ce cadre leurs réalisations : près d'un tiers du total des communes de France. Le succès de ce label quarantenaire ne se dément pas.
Prenez également le label de la « Capitale européenne de la culture ». Si des villes comme Saint Etienne, Bordeaux, Strasbourg, Marseille, Toulouse et Lyon ont posé leur candidature pour 2013, ce n'est pas pour rien. Ce titre constitue un atout formidable pour la ville qui le décroche.
Je crois beaucoup à ce type d'approche pour l'image de marque d'une ville et au demeurant, ce qui ne peut pas nuire, pour l'image de marque d'une équipe municipale. Et je suis convaincue que les édiles municipaux vont être très intéressés par ces propositions.
Il y a plusieurs réflexions dont je souhaite vous faire part néanmoins en ce qui concerne votre contribution :
1. Dans le cadre de la candidature pour la capitale européenne 2013, une ville comme Toulouse a invité le Conseil régional de Midi-Pyrénées, le Grand Toulouse et le Conseil général de Haute-Garonne à joindre leurs efforts aux siens. Dans le cadre d'une labellisation, ne serait-il pas souhaitable d'élargir, non pas à la région, cela va sans dire, mais à tout le moins, à l'agglomération ou à la communauté de communes ?
2. Deuxième réflexion. Je veux qu'il soit bien précisé et compris comme tel qu'un label « coeur de ville » ne saurait constituer un zonage supplémentaire et doit bien être conçu comme une dynamique d'ensemble dont doit bénéficier toute la ville.
3. Enfin, troisième réflexion : nous sommes entrés dans l'ère numérique et devons en tirer toutes les conséquences. Cette révolution numérique peut être mise au service de nos relations humaines, à nous de savoir comment. Je souhaite donc en tout état de cause qu'on tienne compte de l'apport du numérique, tous domaines confondus pour une demande de labellisation.
4. Quant aux thèmes que vous retenez, il me semble qu'une septième dimension doit trouver toute sa place dans notre action pour nos villes : art de vivre et qualité de vie. Certes, cela rejoint la question du tourisme, mais cet art de vivre doit être également et peut être même, avant tout, au service des habitants ; il doit être un atout qui donne envie de venir s'installer dans une ville plutôt qu'une autre. Des idées toutes simples pourraient être insérées sous cette thématique, comme - pourquoi pas ? - la renaissance d'un kiosque à musique. Je cite cet exemple car il peut paraître surprenant, désuet en diable, et pourtant cette idée - paraît-il - est exhumée ici et là, en Belgique, en Allemagne ou aux encore Pays Bas,... Et de fait, la musique en plein air présente l'immense avantage de favoriser la rencontre et l'échange des habitants d'une même ville autour d'un moment festif. Serions-nous capables aujourd'hui de redonner vie, voire de construire des nouveaux kiosques à musique, tout en les insérant dans notre paysage urbain du XXIe siècle et surtout dans notre culture ? Je suis sûre que oui.
Quelques mots rapides par ailleurs sur quelques objectifs parmi les douze qui structurent votre pacte et alimentent cette proposition centrale.
J'en retiendrai trois :
- Premier objectif
Réinterpréter la ville existante. Mieux tirer parti du foncier en coeur de ville.
C'est un de mes grands chantiers du moment. J'ai demandé à l'Agence nationale de la rénovation urbaine, en lien avec l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, de conjuguer leur savoir-faire et coordonner leurs actions pour élaborer un programme de restauration des quartiers anciens dégradés.
Ce programme contiendra un volet important de construction d'habitat social, afin de diversifier les modes d'habitat en centre ville, de permettre aux familles les plus modestes d'y accéder et de créer les conditions de la rencontre des populations au coeur de nos villes.
Ces quartiers anciens sont parfois de véritables verrues présentes au coeur de nos villes. Nous ne redonnerons pas vie à nos villes sans les réaménager intégralement. J'accorde une attention particulière à ce chantier qui trouvera place dans le projet de loi que je présenterai fin mars 2008 en conseil des ministres.
- Troisième objectif
Construire une nouvelle gouvernance locale.
Vous préconisez d'associer étroitement les entreprises, les associations, les experts et les citoyens à la vie de la cité, aux processus de prise de décisions et au suivi de leurs réalisations.
Il existe une piste en ce domaine : vous savez que certaines villes se sont dotées d'un Conseil économique et social local, qui joue ce rôle de représentation des forces vives de la commune et de force de proposition.
Je crois néanmoins utile d'analyser cette expérience avant que de rechercher les propositions susceptibles de la faire valoir et de la généraliser, si tant est qu'elle apporte réellement un bénéfice à la communauté.
- Sixième objectif
Donnons aux personnes handicapées et aux seniors des fonctions concrètes pour favoriser le vivre ensemble dans les coeurs de Ville.
Vous vous souviendrez que déjà, à l'occasion de votre colloque, j'avais relevé avec grand intérêt votre proposition de participer à la mise en place du plan national d'accessibilité que doivent rendre très rapidement les Maires. Cette initiative constituait à mes yeux une avancée, non seulement parce qu'elle permet aux Maires d'établir, dans les délais impartis, leur plan d'accessibilité au centre-ville, mais aussi parce que ce plan d'accessibilité aura une pertinence et une légitimité encore plus grandes, dès lors qu'il s'appuiera sur les recommandations et les témoignages de toutes les associations qui oeuvrent localement dans chaque ville.
Par ailleurs, ma conviction, c'est qu'une société ne peut vivre en cohésion que si elle considère chaque génération indispensable à son équilibre. L'exclusion d'une des générations affaiblit la société tout entière. Les retraités ne perdent pas du jour au lendemain leurs compétences. En revanche, ils disposent de temps disponible. À nous de leur donner l'occasion de valoriser leur expérience, leur potentiel et leur talent. La collectivité en a d'ailleurs besoin.
Je souhaite que vous approfondissiez cet aspect afin de mettre au coeur de la question du lien social dans nos villes cette génération qui voit son espérance de vie s'allonger et qui peut faire bénéficier les plus jeunes notamment de toute son expérience.
- Douzième objectif
Pour mettre en synergie et en perspective tous ces objectifs, lancer un plan national de valorisation des coeurs de ville, sous forme de « pôles d'excellence des coeurs de Ville ». Mettre en oeuvre, dès 2008 un grand concours national des villes.
C'est donc cet objectif qui réunit tous les autres dans une cohérence d'ensemble et dans un projet ambitieux.
Je vous demande désormais d'aller plus avant dans la mise au point de ce projet.
Je souhaite que la labellisation de ces pôles d'excellence soit décernée par votre Fondation Le temps de villes, sous le haut parrainage du Ministère de la Ville.
Vous vous entourerez des personnalités qualifiées que vous estimerez nécessaires pour contribuer au jury de ce prix d'excellence des coeurs de ville.
Il s'agit donc dès à présent de poursuivre ce chantier en proposant un cahier des charges précis pour chacune des thématiques, afin de lancer un appel à projets dès le printemps prochain.
Je vous donne rendez-vous lors de l'opération « Vivre les villes » qui se tiendra en juin afin de lancer officiellement ce concours national.
Cher François RIVIERE,
La question que je vous ai posée en novembre dernier était finalement : comment aménager nos coeurs de villes pour créer une renaissance des lieux et partant de la ville dans sa globalité ?
Que l'on ne s'y trompe pas, ce travail sur les seuls centre villes est une condition sine qua non pour essayer de reconquérir un mode d'organisation sociale communautaire au sein des grandes villes mondiales.
Vous avez pris de votre temps pour participer à l'effort de réflexion collective. Et je tiens à vous en remercier publiquement.
Source http://www.logement.gouv.fr, le 11 mars 2008