Déclaration de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, sur le droit de grève des agents publics et le principe de continuité des services publics, Paris le 11 février 1999.

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Circonstance : Débat sur la proposition de loi visant à prévenir les conflits collectifs du travail et à garantir le principe de continuité des services publics au Sénat le 11 février 1999

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Légiférer sur le droit de grève des agents des services publics, voilà un thème stéréotypé et bien usé, me semble-t-il : des voix régulièrement, sélèvent toujours du même côté, dailleurs, cest à dire à la droite de cet hémicycle, de préférence quand elles sont dans lopposition, à chaque fois que des grèves touchent le secteur public. Je vous épargne la liste des propositions intervenues en la matière qui, il faut le rappeler, nont jamais abouti, et la citation, toujours éclairante, des déclarations, beaucoup plus modérées, faites sur ce thème par la même opposition lorsquelle était aux responsabilités.
Il faut bien constater que la réponse aux difficultés que peut susciter lusage du droit de grève dans le service public ne réside pas dans une solution législative univoque et contraignante. Monsieur le Rapporteur la constaté lors des auditions auxquelles il a été procédé ; il a tenté den tirer les conséquences en modifiant substantiellement le texte initial, mais il nest pas parvenu, malgré ses efforts, à lever la confusion qui règne en la matière.
Car de quoi sagit-il ici : dencourager la mise en place de mécanismes de prévention des conflits, reposant sur un dialogue social constructif ? Ou alors dinstituer un service minimum immédiatement, comme le prévoyait la proposition initiale ? Ou bien encore de faire peser la menace dune intervention ultérieure du législateur sur le service minimum en cas de carence du dialogue social et déchec des solutions négociées ?
Que recherchent ceux qui soutiennent cette initiative ? Veulent-ils le développement dune politique contractuelle confiante ou préfèrent-ils des effets dannonce résultant de la perspective dune intervention législative qui provoquera inévitablement plus encore de conflits et bloquera les initiatives en cours ?
La réponse me semble évidente et cest pourquoi je ne peux que mopposer, au nom du Gouvernement, à cette initiative qui repose sur une approche simpliste et imprudente de la question de lexercice du droit de grève dans les services publics. Mais je souhaite aujourdhui bien volontiers en discuter avec votre assemblée.
Car quelle est lidée qui sous-tend cette approche ? Cest le présupposé que les services publics seraient incapables de tenir compte des besoins de lusager, contrairement au secteur privé, paré de toutes les vertus. Cest lidée que les agents du service public et leurs représentants, attachés à la seule défense de leurs intérêts catégoriels, feraient volontairement échec à la mise en place de mécanismes de prévention des conflits.
Ces procès sont caricaturaux. Je puis vous assurer que le Gouvernement nentend pas donner suite à de telles suggestions, que certains tentent dailleurs de réactiver à loccasion du débat sur le temps de travail dans la fonction publique.
Pour autant, il faut certes prendre au sérieux les reproches qui peuvent être formulés à nos services publics lorsquils sont fondés, y apporter des réponses adaptées, ce que le Gouvernement sattache à faire au quotidien au travers de la politique de modernisation, la déconcentration, le développement de lévaluation et la promotion du dialogue social. Permettez-moi de rappeler que nombre dinitiatives fortes en matière de modernisation des services publics sont lapanage des majorités de gauche : quil sagisse de la décentralisation en 1982 à laquelle le Sénat se montre désormais particulièrement attaché, de la déconcentration en 1992 que plus personne ne conteste, ou de lévaluation des politiques publiques en 1990, enterrée par le gouvernement de M. Juppé, pourtant si préoccupé d « efficacité managériale « , et que je viens de relancer et daméliorer parce que cela correspond à un besoin réel et profond de notre pays.
Le Gouvernement, pour sa part, se refuse à jeter lanathème sur les agents des services publics et sur les services publics eux-mêmes. Il sattache, à obtenir ladhésion et la participation des hommes et des femmes qui font le service public à une réforme dont lobjectif premier est de placer lusager au coeur de notre système administratif et dorganiser les services publics en fonction de ses besoins.
Cest pourquoi, je ne peux accepter une approche par trop idéologique et, peut-être parfois, démagogique, du droit de grève dans les services publics.
La proposition du rapporteur, rendons-lui hommage, opère une synthèse un peu acrobatique entre la prise en compte de la réalité des progrès accomplis depuis quelques années en matière de prévention des conflits et lobjectif initial de la proposition de loi qui est de restreindre le droit de grève des agents publics.
Votre proposition de loi, Monsieur le rapporteur, dapparence équilibrée mapparaît pourtant juridiquement superflue et pratiquement inapplicable. Et je dois vous mettre en garde : ce texte, parce quil repose sur une méconnaissance assez forte des mécanismes du dialogue social et quil place la négociation de mécanismes de prévention des conflits sous la menace dune intervention législative, ne pourra que paralyser lévolution en cours dans la plupart des entreprises publiques.
Il est évidemment hautement souhaitable dencourager la mise en place de systèmes de « prévention « des conflits. Je lai indiqué déjà devant le Parlement, Madame Aubry et Monsieur Gayssot lont également souligné. Des systèmes dalerte ont été institués à la RATP, il y a deux ans, ou à Air France, lété dernier, qui permettent de traiter les litiges en amont par la concertation. La direction de la SNCF et les organisations syndicales semblent prêtes à débattre sur ce thème. Les dispositifs existants fonctionnent bien parce quils ont été mis en place dans le cadre dune négociation contractuelle, libre et donc responsable, parce quils reposent sur le sens des responsabilités des partenaires sociaux pour préserver les intérêts de lusager ou du client. Ils fonctionnent bien parce quils ne restreignent pas unilatéralement les droits légitimes des agents et quils ont été consentis dans un climat de transparence et de confiance.
A ce titre, larticle premier, qui institue une invitation à négocier pourrait paraître raisonnable. Il lest moins dès lors quil fixe une échéance impérative qui ne permettra pas de prendre en compte les spécificités du dialogue social propres à chaque structure. Larticle 2 révèle pour sa part une certaine méconnaissance des relations sociales. Il est bien évident que rallonger la durée du préavis et imposer un constat écrit des désaccords est de nature, contrairement à lobjectif poursuivi, à attiser les conflits, à « braquer « les partenaires sociaux sur des positions écrites qui ne pourront être amendées quaprès le déclenchement de la grève. Cest risquer, en bref, de conduire à plus de surenchères quà un apaisement du conflit. A la RATP, cest en amont du préavis que sétablit le dialogue et non après son dépôt.
Dans le même sens, larticle 3 traduit clairement lintention initiale des auteurs de cette proposition de loi : il sagit bel et bien de préparer le terrain dune intervention du législateur sur le service minimum. Le Gouvernement ne peut évidemment vous suivre. Il considère, je le rappelle, que le droit de grève est un acquis qui ne peut être remis en cause, dans ses conséquences, par la loi. Aussi, la majorité actuelle aujourdhui comme hier, sest-elle toujours refusée à linstitution par la loi dun service minimum, et sen tient à cette attitude responsable.
Dailleurs, votre commission a parfaitement compris les difficultés que soulève cette notion de service minimum. Ce nest pas, vous le constatez vous-même, la solution miracle pour trouver un juste milieu entre principe de continuité et droit de grève. Cest effectivement, désormais, un « pis aller « qui ne saurait constituer une réponse adaptée aux besoins des usagers. Dailleurs, très concrètement, et au-delà des secteurs où, parce quil était possible, il a dores et déjà été mis en oeuvre soit par la loi soit par des dispositions réglementaires, soit par la concertation, linstitution dun service minimum soulèverait des difficultés pratiques insurmontables notamment dans les services de transport en commun sauf à remettre en cause, avec un risque constitutionnel important, le droit de grève de la grande majorité des agents de ces services publics.
Je note dailleurs que cest bien ce que pense lopposition quant elle est aux affaires et quelle sest toujours bien gardée de légiférer en la matière.
Le Gouvernement est favorable, vous le savez, à laisser aux partenaires sociaux, dans un cadre librement consenti, le soin de définir les régimes pratiques de prévention des conflits. Cest pourquoi, il ne peut être que défavorable en tous points au texte examiné aujourdhui.
(Source http://www.fonction-publique.gouv.fr)