Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à "RTL" le 28 mars 2008, sur les conséquences de la mauvaise conjoncture économique, sur la politique de réforme de l'Etat engagée pour résorber le déficit budgétaire d'ici à 2012, les frais de fonctionnement des ministères.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.- La conjoncture économique vous oblige à réviser vos prévisions. Alors, commençons par ordre, si vous voulez bien : quel est le niveau des déficits publics enregistrés en France en 2007 ?

R.- Alors, l'Insee qui est garant du calcul de ces déficits publics va transmettre, là, maintenant, dans une demi-heure ou une heure, à Bruxelles, un taux de 2,7% du produit intérieur brut de déficits publics. Il faut savoir que le déficit public, c'est le déficit de l'Etat mais c'est aussi le déficit des collectivités locales, et puis, c'est le déficit des administrations de sécurité sociale, toute la sphère sociale. Donc c'est l'ensemble de la dépense publique...

Q.- La prévision était de 2,4...

R.-... déficitaire d'une cinquantaine de milliards d'euros sur mille milliards d'euros de dépenses.

Q.- Alors, le chiffre précis justement, en milliard ?

R.- Le chiffre précis, c'est 50 et quelques milliards d'euros de déficit, sur la base d'une dépense, parce qu'il faut toujours comparer à quelque chose, sur la base d'une dépense de mille milliards, 950 milliards d'euros à peu près. Et puis également sur un produit intérieur brut qui se situe aux alentours de 1.800, un milliard d'euros pour donner tous les chiffres qui permettent de faire ce calcul.

Q.- Mais l'ennui avec le déficit enregistré en 2007, c'est qu'il est supérieur à ce qui était prévu ?

R.- Il est supérieur, c'est vrai, à ce qui était prévu puisque nous avions prévu, tenté d'atteindre un objectif qui était celui de 2,4. Donc, il est de 0,3 point de produit intérieur brut supérieur à ce qui était prévu. Il y a des raisons qui sont analysées par l'Insee, qui sont assez précises. Il y a d'abord un dérapage des dépenses des collectivités locales de 0,2 point. Cela explique 0,2 sur les 0,3. Alors, il y a un petit peu d'arrondi mais c'est cela. Il y a une augmentation du rythme de dépenses des collectivités locales qui est compliquée. C'est le besoin de financement des collectivités, cela veut dire que tout simplement, elles ne dégagent pas suffisamment d'autofinancement pour financer leurs investissements. Il y a un vrai problème. Il y a une vraie question que nous devons nous poser, mais sans chercher à montrer du doigt les collectivités locales, mais c'est aujourd'hui une vraie question, et inattendue. Il y a 0,1 point de produit intérieur brut qui est dû à un retraitement comptable dans lequel je ne peux pas rentrer. Il y a une vraie rentrée financière pour l'Etat et en même temps, il y a un retraitement de la part des autorités bruxelloises. Et puis, un peu moins de recettes fiscales.

Q.- Vous aviez élaboré un projet de budget 2008 avec une prévision de croissance, celle qui était à 2,25 % en moyenne. Et cette prévision de croissance, vous êtes obligé de la réviser à la baisse ?

R.- Alors, nous révisons, C. Lagarde, le Premier ministre ont révisé cette prévision. On la situe dans une fourchette entre 1,7 et 2 %. C'est aujourd'hui possible. En tout cas, comme on dit, le consensus des économistes varie là-dessus mais se situe toujours entre 1,6-1,8-1,9 %.

Q.- Quel chiffre retenez-vous ?

R.- Ecoutez, nous on va, à partir du mois d'avril, revoir les prévisions globales, macroéconomiques et budgétaires, comme la France le fait à chaque fois, tous les ans, il n'y a donc pas de surprise là-dessus, et nous verrons. Mais ce que je voudrais dire, c'est que l'impact ou les conséquences ...

Q.- Vous n'avez pas de chiffre précis ?

R.- Non, on l'aura au mois d'avril... Les conséquences sur le budget puisque c'est ça la question, les conséquences sur le budget de l'Etat en 2008, la question était posée hier, par exemple, lors du débat que j'ai animé à l'Assemblée nationale sur le sujet, les conséquences sont simplement de pouvoir essayer de regarder s'il y a ou pas, finalement, un peu de baisse de recettes fiscales.

Q.- C'est une baisse de recettes...

R.- Mais comme nous l'avons calculé, d'une certaine façon, aussi d'une manière prudente dans le budget 2008,- moi je suis quelqu'un de prudent. Donc on verra si cela a un impact.

Q.- Vous aviez mis en réserve 7 milliards d'euros.

R.- Nous avons absolument mis en réserve 7 milliards d'euros...

Q.- Vous les annulerez ?

R.- Nous serons conduits à annuler une partie de cette réserve, j'imagine, au cours de l'année ...

Q.- Au moins la moitié ?

R.- Probablement pas la moitié, non. Mais au cours de l'année.

Q.- Moins de la moitié ?

R.- Oui, je pense, moins de la moitié... Au cours de l'année, parce qu'il va bien falloir regarder comment la situation évolue. Elle peut aussi évoluer favorablement. Il n'y a pas de raison non plus, systématiquement, de penser qu'elle évoluera défavorablement. On va s'adapter. Le problème de l'économie, c'est quand même de s'adapter. Et puis, il y a de l'autre côté, du côté du marché du travail, quand même, de très, très bonnes nouvelles. Plus d'emplois, cela crée aussi plus de cotisations sociales. Et nous avons donc des administrations de sécurité sociale qui, dans les déficits budgétaires, ont plutôt tendance à s'améliorer, même si, évidemment, elles sont en déficit encore trop important, et on doit s'y atteler. C'est ce qu'on fait d'ailleurs.

Q.- Les finances publiques de la France seront-elles en équilibre en 2010, comme la France s'y était engagée, est toujours engagée auprès de ses partenaires européens ?

R.- Les finances publiques, dans ce contexte économique extrêmement difficile, les finances publiques ne peuvent pas être en équilibre en 2010, elles doivent être en équilibre en 2012.

Q.- Quand le direz-vous officiellement aux partenaires européens ?

R.- ...C'est là-dessus que le président de la République s'est engagé.

Q.- Non, on s'est engagé en 2010. Quand le direz-vous officiellement aux partenaires européens ?

R.- Non, on s'est engagé en 2012. On a indiqué 2010 si la croissance le permet, et 2012 en tout état de cause. Donc aujourd'hui, la croissance est très inférieure à celle qui était prévue par l'ensemble de nos partenaires européens, même si la France, d'ailleurs, en termes de croissance se porte plutôt mieux aujourd'hui que l'Allemagne, même si les déficits publics sont plus importants, par exemple, au Royaume-Uni - le Président y était hier -, où ils sont à plus de 3 %. Donc, l'objectif c'est l'équilibre des finances publiques en 2012. Nous ferons tout pour cela et ça passe par la maîtrise intraitable, si je puis dire, de la dépense publique.

Q.- Ce qui veut dire que des suppressions de postes de fonctionnaires vont continuer. Vous voyez la colère et les manifestations des enseignants. Vous leur dites quoi ?

R.- Je leur adresse un message... Je disais hier au Parlement qu'il n'y a pas de dramaturgie là-dedans. Il y a juste un Etat, une société française qui évolue et qui se transforme au même rythme que les autres sociétés. D'autres pays - je citais l'Allemagne mais je peux en citer, bien sûr, d'autres - ont assaini leurs finances publiques et ont retrouvé des marges de manoeuvre qui permettent aux uns et aux autres de mieux travailler.

Q.- Les suppressions de poste de fonctionnaires vont se poursuivre ?

R.- Oui, nous allons bien sûr poursuivre les suppressions de postes de fonctionnaires, ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant en retraite. Je voulais quand même dire que sur la dépense publique, il y a moins de dépenses publiques. L'Insee a transmis en produit intérieur brut un niveau de dépenses publiques un peu inférieur à celui qui était prévu, et en même temps, la dette s'est stabilisée par rapport à la prévision.

Q.- M. Hirsch, haut commissaire aux Solidarités actives, s'inquiète pour l'avenir de son projet de Revenus de solidarité active ; il aurait besoin de 2 milliards l'année prochaine, les aura-t-il ?

R.- C'est très important le revenu de solidarité active. C'est compliqué d'en parler en aussi peu de temps. Mais grosso modo, on doit avoir intérêt à travailler par rapport à ne pas travailler. Et il faut compenser cela ...

Q.- Il y aura un financement de son projet ?

R.- Il faut regarder cela. Il y a une expérimentation dans 27 départements aujourd'hui. Il faut tirer les fruits de l'expérience de cette expérimentation...

Q.- Il veut le généraliser, l'année prochaine. Aura-t-il les moyens de le faire ?

R.- Nous verrons. Il faut intégrer à la fois les données techniques et il faut aussi intégrer les données budgétaires. Le sujet est sur la table.

Q.- Donc, vous ne vous engagez pas ce matin ?

R.- Le sujet est sur la table.

Q.- La commission Copé réclamait les 150 millions d'euros pour compenser les pertes de recettes de France Télévisions.

R.- Je pense que la commission Copé doit aussi réfléchir à comment essayer de compenser cette perte. Si perte il y a en 2008, les choses doivent être bien vérifiées. En 2009, c'est certain, puisque la publicité disparaîtra, au fur et à mesure ou totalement, c'est à la commission de le dire. Donc nous verrons exactement avec l'ensemble des dirigeants de France 2, du groupe France Télévisions, les besoins.

Q.- Vous êtes très réticent ?

R.- Moi, je suis réticent par principe et par nature à la dépense supplémentaire.

Q.- A mon avis, le message a été entendu. Le ministère de la Justice a dépensé beaucoup plus d'argent qu'il n'aurait dû en dépenser pour des frais de réception : + de 30 % de dépassements de l'enveloppe. Qu'est-ce que vous dites, E. Woerth ?

R.- Ce n'est pas une bonne idée. Donc il faudra évidemment qu'il tienne ses enveloppes budgétaires cette année.

Q.- E. Woerth, sévère avec la dépense ! Il a plein de mauvaises nouvelles pour plein de gens, ce matin, était l'invité d'RTL...

R.- ... Non, ce sont des bonnes nouvelles ! L'équilibre des finances publiques, ce sont des bonnes nouvelles. Je tiens à le dire parce que c'est un Etat qui retrouve ses marges de manoeuvre. Et la dépense publique c'est à lier à la croissance. Moins de dépenses = plus de Croissance.

Q.- Visiblement, la notion de bonne et mauvaise nouvelle est subjective, ce matin. Bonne journée !

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 mars 2008