Déclaration de M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur le projet de loi visant à appliquer le principe de précaution au MON 810, seul OGM autorisé à la culture en France, à l'Assemblée nationale le 1er avril 2008.

Prononcé le 1er avril 2008

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Circonstance : Débat de l'Assemblée nationale sur le projet de loi OGM, le 1er avril 2008

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre d'Etat,
Monsieur le rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Le président de la République et le Gouvernement ont décidé le 8 février d'appliquer le principe de précaution sur le seul OGM autorisé à la culture en France : le MON 810 parce que la haute autorité provisoire avait souligné un certain nombre de questions environnementales.
Ce principe de précaution, je le connais bien. Nous l'avons mis ensemble dans la loi en 1995, lorsque j'étais ministre de l'environnement.
Ni ce principe de précaution, ni la décision que je viens de rappeler, ne ferment la porte aux progrès scientifiques, aux OGM en général et encore moins au débat que nous devons avoir dans une société moderne et démocratique.
La décision que nous avons prise donne le temps aux autorités européennes d'effectuer, comme prévu, la réévaluation de l'OGM MON 810, dix ans après son autorisation. Elle nous donne aussi le temps de poursuivre le débat législatif, de manière ouverte et sincère, un débat de fond plus serein. Un débat où la raison doit l'emporter sur la passion.
C'est à ce débat que je veux participer avec vous dans ma responsabilité de ministre en charge de l'agriculture, c'est-à-dire d'un secteur économique très directement concerné.
Il n'est pas le seul concerné. Nous le savons tous, la transgénèse et les biotechnologies ont un rôle à jouer pour de meilleures pratiques industrielles, pour la nutrition et certaines thérapies.
En nous appuyant sur le travail équilibré et approfondi réalisé par le Sénat, ce projet de loi dont vous allez débattre apporte de vrais progrès pour sécuriser davantage l'utilisation éventuelle des OGM en France et en Europe et ainsi renforcer la confiance des citoyens dans le progrès scientifique.
Je veux saluer la qualité des relations nouées avec votre commission des affaires économiques, monsieur le président Ollier et naturellement avec votre rapporteur, Antoine Herth. Vous me permettrez aussi de souligner publiquement, même si c'est somme toute assez naturel, la bonne intelligence et la confiance avec lesquelles mon ministère a travaillé avec celui de Jean-Louis Borloo sur ce dossier sensible.
Mesdames et Messieurs,
Le premier progrès de ce texte est de garantir plus de transparence pour tous. Mais aussi davantage de responsabilité à la fois pour ceux qui cultiveraient des OGM comme pour ceux qui n'en veulent pas.
Les principes posés à l'occasion du Grenelle de l'environnement pour encadrer l'utilisation éventuelle des OGM sont là : responsabilité, précaution, transparence et libre choix.
La directive 2001/18 a été transposée dans toutes ses dispositions obligatoires. Si vous le voulez bien, la loi viendra désormais préciser les règles d'une meilleure coexistence avec l'agriculture conventionnelle.
Cette coexistence doit respecter les règles communautaires. Ainsi, les mesures que vous fixerez ne doivent pas conduire à interdire la culture éventuelle des OGM dans certaines zones. Je pense en particulier aux appellations d'origine contrôlée. Seuls les adhérents à l'AOC peuvent décider, au travers de leur cahier des charges, de s'imposer des règles sans OGM. Et certains d'ailleurs l'ont déjà fait.
Cette coexistence ne peut fonctionner que si chacun assume pleinement ses responsabilités.
Nous avions donc besoin d'un régime de responsabilité de plein droit pour le préjudice économique qui pourrait résulter de la présence accidentelle d'OGM. Nous avons besoin d'un système d'indemnisation réaliste qui doit reposer sur un champ d'application très précis dans le temps et dans l'espace.
Cette coexistence doit enfin s'appuyer sur des règles strictes de transparence. Chacun a le droit de connaître la situation qui prévaut autour de son activité agricole.
Chaque citoyen a des droits, et en particulier celui d'être informé. Il a aussi des devoirs, celui de respecter le bien d'autrui. Sur ce point, il n'y aura aucune tolérance vis-à-vis de ceux qui voudraient s'exonérer de la loi.
Transparence, responsabilité. Il y a un troisième progrès qu'apportera ce texte, mesdames et messieurs les députés.
Celui de renforcer notre culture de l'évaluation, avec le Haut Conseil qui aidera à la décision politique.
Ce Haut Conseil regroupera et complétera les expertises scientifiques. Mais il va aussi élargir l'expertise à des questions socio-économiques et sociétales en créant un collège regroupant des représentants de la société et des spécialistes des sciences sociales.
Ce regroupement et cet élargissement me paraissent nécessaires en évitant toutefois de mélanger les avis scientifique et socio-économique.
Enfin, le regroupement opéré ne doit pas fragiliser d'autres structures autonomes dont nous avons aussi besoin et dont les champs d'intervention sont plus larges que la seule question des OGM.
C'est le cas de l'AFSSA qui doit garder son mandat d'évaluation du risque sanitaire et travaillera avec le haut conseil lorsque son expertise sera nécessaire.
Il nous faut par ailleurs un comité national de la biovigilance, dont le mandat dépasserait les seules questions relatives aux OGM. Je pense en particulier à la biovigilance liée aux phytosanitaires.
Enfin le texte qui vous est soumis avec ses progrès et à ses avancées établit également les conditions d'une recherche indispensable à notre indépendance nationale et européenne, à notre souveraineté et à notre compétitivité.
Prenons garde de ne pas décourager davantage les entreprises et les laboratoires, publics et privés, de France et d'Europe, sur le sujet des biotechnologies.
Nos entreprises et nos laboratoires de recherche ont besoin d'un cadre clair, lisible et sécurisé pour investir dans l'innovation, pour rester dans la course, pour bâtir l'avenir.
Je le redis : nulle part il a été écrit que les céréales doivent être américaines, les biocarburants brésiliens, la viande argentine, la recherche indienne et chinoise et finalement .....la facture européenne !
L'idéologie et parfois les peurs ne doivent pas nous empêcher de poser les questions et de chercher les réponses. Et les questions sont nombreuses. L'agriculture peut-elle utiliser moins d'intrants, d'engrais et de pesticides tout en restant compétitive ? Peut-on améliorer la qualité nutritionnelle des aliments pour répondre aux problèmes de l'alimentation dans les pays en voie de développement ? Peut-on produire des médicaments sophistiqués à l'aide de micro-organismes plutôt que par la chimie ? Les OGM n'ont sûrement pas toutes les réponses, mais nous devons garder la capacité de chercher ces réponses.
C'est pourquoi le Gouvernement a décidé d'investir 45 Meuros sur trois ans dans la recherche sur les biotechnologies végétales.
Voilà pourquoi nous avons préservé en 2008 la possibilité de recherches en plein champ.
Finalement, je veux également rappeler que le décalage, qui existe entre le développement des biotechnologies outre-Atlantique et le rythme d'homologation des nouvelles variétés importées en Europe, fragilise nos filières de productions animales.
Mesdames et Messieurs les Députés,
La loi dont vous allez débattre est un pas sur le chemin de la confiance sur ce sujet difficile, entre la société et le monde scientifique, entre la société et le monde politique.
Ma conviction est qu'il faudra, au-delà de ce texte, prolonger avec ténacité, humilité, mais aussi avec pragmatisme, le débat citoyen sur la recherche et l'usage des biotechnologies dans notre pays et en Europe.
C'est bien le silence qui entretient les peurs. Nous ne ferons reculer le silence et les peurs que par la démocratie.
Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 8 avril 2008