Déclaration de M. Eric Besson, secrétaire d'Etat à la prospective, à l'évaluation des politiques publiques et au développement de l'économie numérique, sur le rôle de l'évaluation dans le contrôle et l'orientation de l'action publique, Strasbourg le 3 juillet 2008.

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Circonstance : Colloque sur "L'évaluation des politiques publiques en Europe : cultures et futurs"-clôture de la séance plénière d'ouverture, à Strasbourg le 3 juillet 2008

Texte intégral

Monsieur le Ministre (Adrien Zeller)
Mesdames et Messieurs les Parlementaires européens
Mesdames et Messieurs les Parlementaires français
Messieurs les Présidents,
Monsieur le Préfet de Région,
Monsieur le Directeur général,
Mesdames les directrices, Messieurs les directeurs,
Mesdames, Messieurs,
Je suis fier d'ouvrir un des premiers colloques à se tenir dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, particulièrement dans l'hémicycle du Parlement européen. Je remercie la Société Française de l'Évaluation et la DeGEval-Gesellschaft für Evaluation.
Les enjeux et les différents temps de ce colloque vous ont été présentés par les intervenants précédents, je n'y reviens donc pas. Je voudrais plutôt concentrer mon propos sur l'importance croissante que revêt l'évaluation aux yeux du politique. En France, cette prise de conscience a conduit à l'instauration d'un secrétariat d'Etat en charge de l'évaluation.
1. Première partie : pourquoi les politiques prennent-ils conscience de l'importance de l'évaluation, et cela de façon croissante ?
Partout dans le monde, et pas seulement en Europe, la culture de l'évaluation progresse, selon des modalités parfois différentes, parfois similaires, comme le montrera certainement votre colloque. Quelles raisons derrière cette prise de conscience de l'évaluation ?
1. 2. Première raison. Les finances publiques sont contraintes partout dans le monde. En France, en 2007, chacun sait que le déficit des administrations publiques a été plus élevé que prévu. Pourtant, la France ne renonce cependant pas à son chemin de consolidation budgétaire et vise toujours le retour à l'équilibre des comptes publics. Ce rétablissement de l'équilibre des finances publiques ne se fera pas tout seul. Pour regagner des marges de manoeuvre budgétaire - tout en préservant un haut niveau de protection sociale - il faut moderniser l'Etat pour le rendre plus performant. C'est l'objet de la révision générale des politiques publiques (RGPP), lancée en France en juillet 2007, qui vise à assurer le meilleur service public tout en étant vigilant sur les coûts. Grâce à plusieurs Conseils de modernisation des politiques publiques, tous présidés par le Président de la République, plusieurs centaines de mesures de simplification et de rationalisation ont été décidées. L'évaluation des politiques publiques accompagne naturellement ce vaste mouvement de réformes.
1. 2. Deuxième raison. Une attente toujours plus forte du « citoyen - contribuable ».
Le comportement de ce que j'appelle le « citoyen - contribuable » évolue. Permettez moi une parenthèse. J'ai lancé le 22 avril dernier un exercice de prospective appelé « France 2025 ». Un des groupes thématiques constitués à cet effet réfléchit aux thèmes de l'Etat et des services publics ; il s'est penché sur les attentes des Français en matière d'action publique et a noté une double évolution :
- D'un côté, il y a une demande affirmée d'action publique : les citoyens attendent par exemple des réponses aux nouveaux risques, notamment les risques environnementaux.
- D'un autre côté, ils se comportent de plus en plus comme des consommateurs en droit d'attendre une prestation de qualité. ? Au total, la tendance ne va pas sans quelque paradoxe : les citoyens veulent davantage d'Etat, tout en remettant en cause la fonction sociale de l'impôt. D'où une nécessité accrue d'évaluer l'usage qui est fait de cette recette.
1. 3. Troisième raison, qu'il aurait été fâcheux d'omettre dans les murs du Parlement européen : pour ce qui concerne les pays européens, l'Union constitue un formidable aiguillon.
Premier exemple. Une politique communautaire - la politique de cohésion - a largement contribué à faire progresser l'évaluation. Dans ce cadre, l'évaluation sert à vérifier les modalités de la programmation des fonds structurels et à la réviser éventuellement pour mieux l'adapter aux circonstances. Elle sert aussi, et surtout, à vérifier l'impact de la politique de cohésion par rapport à ses objectifs. Sans entrer dans les détails, les procédures communautaires liées aux versements des fonds structurels ont eu une fonction pédagogique majeure en matière d'évaluation.
Deuxième exemple. Le « Programme National de Réforme » (PNR) et ses « rapports de suivi » - établis par chaque Etat membre dans le cadre de la Stratégie de Lisbonne - contribuent eux aussi à faire progresser la culture de l'évaluation des politiques publiques. D'année en année en effet, les attentes des parties prenantes consultées - par exemple, en France, les partenaires sociaux ou le Conseil économique et social (CES) - se font plus exigeantes en matière d'exhaustivité et de précision des résultats.
1. 4. Quatrième idée sur l'importance de l'évaluation dans la décision publique. Cette raison est plus personnelle. J'ai, à la demande du Président de la République et du Premier ministre, lancé un exercice de prospective à l'horizon 2025. Or, l'évaluation rétrospective des actions menées va de pair avec la prospective. Comment engager une action efficace orientée vers l'avenir si l'on n'est pas conscient des erreurs et des réussites du passé ? C'est une question de logique, de cohérence dans l'action.
2. Deuxième partie. En France, cette prise de conscience a conduit à instaurer, il y a un peu plus d'un an, un secrétariat d'Etat en charge de l'évaluation
2. 1. Un rappel, pour commencer. Il serait inexact de dire que l'évaluation est née avec le secrétariat d'Etat dont j'ai la charge.
Différents corps en France participent à une mission générale d'évaluation de l'utilisation des deniers publics. Souvent, ces corps vérifient, dans les faits, à la fois la régularité et l'opportunité de l'utilisation des fonds, comme c'est le cas pour les Inspections (Inspection générale des finances, Inspection générale des affaires sociales ou Inspection générale de l'administration) ou encore la Cour des Comptes.
Lors de ma prise de fonction, un recensement rapide m'a permis de dénombrer plus de 50 lieux d'évaluation dans la sphère de l'administration gouvernementale (corps de contrôle, départements d'études, organismes spécialisés) - sans oublier la Cour des Comptes - qui ont réalisé au total plus de 700 évaluations en 2007, dans tous les domaines de l'action publique.
Par ailleurs, la LOLF - loi organique relative aux lois de finances, du 1er août 2001 - a traduit une volonté forte d'inscrire l'action publique dans une perspective de performances et de renforcer le rôle du Parlement. La LOLF mentionne explicitement l'évaluation. Elle a conduit les ministères à améliorer leurs systèmes d'informations et à ne plus s'intéresser exclusivement aux moyens, mais aussi, et surtout aux résultats.
2. 2. La création du secrétariat d'Etat chargé de l'Evaluation des politiques publiques constitue cependant un saut qualitatif.
En effet, le Conseil National de l'Evaluation, qui ne fonctionnait plus, laisse la place à une Mission d'Evaluation des Politiques Publiques. Cette dernière regroupe des professionnels de l'évaluation provenant d'horizons et de cultures différents (corps de contrôle de l'administration, sous-préfet, économistes, ingénieurs). Elle peut s'appuyer sur des moyens externes. C'est un changement de braquet : là où le Conseil National réunissait des personnalités sans moyens propres et a produit une douzaine de rapports entre septembre 1999 et novembre 2003, la Mission s'attaque concrètement et rapidement à l'évaluation des politiques publiques.
Une spécificité du secrétariat d'Etat est de se préoccuper très fortement des solutions. Je prendrai un exemple : l'étude sur la « Journée de solidarité » - que la presse a baptisée étude sur le Lundi de Pentecôte. Face à un problème identifié, notre étude proposait trois options de solution. Elle a permis au gouvernement de rectifier - en toute connaissance de cause - certaines modalités de cette mesure conçue pour financer la dépendance.
Ce souci de proposer des solutions est à lier à un autre effet du secrétariat d'Etat : il rapproche l'évaluation de la prise de décision. Dans ces conditions, on peut dire que se crée en France une évaluation intermédiaire entre l'évaluation ex-post et l'évaluation ex ante : l'évaluation qui permet d'affiner ou de corriger une mesure peu de temps après qu'elle ait été mise en oeuvre.
Pour les mois à venir, l'action portera, notamment, sur deux axes, en lien avec l'ensemble des ministères concernés :
Premier axe, le développement de l'évaluation. Comme la LOLF nous y invite, nous devons progressivement élargir le nombre des évaluations et le champ des politiques publiques qu'elles couvrent. Dans le même temps, des efforts seront réalisés pour que le grand public connaisse mieux l'effort d'évaluation de l'Etat. Enfin, dans les cas le permettant, un effort supplémentaire sera réalisé en France pour développer les évaluations dites « ex-ante » ;
Deuxième axe, la cohérence. Le travail de coordination des administrations de l'Etat compétentes en matière d'évaluation sera poursuivi, notamment en ce qui concerne les programmes de travail ou les méthodes d'évaluation utilisées. Innovation majeure, un « plan national d'évaluation », retraçant les priorités d'évaluation de l'Etat, sera proposé chaque année. Les travaux mobilisant, sur un thème commun, des administrations de différents ministères seront également encouragés. Un site internet sera ouvert. Il donnera accès à la fois à des outils communs et aux rapports d'évaluation rendus publics. Un travail sera engagé pour développer la formation à l'évaluation.
2. 3. Avant de conclure, quelques coups de projecteurs sur le travail déjà accompli. Je me contenterais de deux ou trois exemples.
Comme je vous l'ai déjà indiqué, nous avons fait un rapport d'évaluation sur la « Journée de solidarité » mise en place pour financer la dépendance. Egalement dans le secteur de l'emploi et du social, nous avons étudié l'employabilité des jeunes sortis de la filière professionnelle et nous sommes en train d'étudier la Valorisation des acquis de l'expérience (VAE).
Par ailleurs, nous sommes en train de finaliser une mission sur les transferts de fonds des populations migrantes. Il s'agit de savoir à quoi ils sont utilisés - notamment de se demander s'ils financent des investissements productifs dans le pays d'origine des populations immigrés - et de faire en sorte de les favoriser dans une démarche de co-développement.
Au titre des évaluations qui ont davantage un caractère « ex ante », je peux citer une étude conduite sur la « flexicurité en Europe », qui vise à éclairer le dialogue social actuellement en oeuvre par l'analyse des solutions choisies par nos partenaires européens. Il ne s'agit pas de recopier des « modèles » (je ne crois pas à l'existence de modèles ») mais de regarder à la fois les solutions qu'ont choisies nos partenaires et s'il est possible ou non de nous en inspirer. Cette étude a été rendue publique.
Inutile d'être plus long. Vous et moi avons la même préoccupation : faire progresser la culture de l'évaluation pour améliorer l'action publique. J'espère que vos travaux seront fructueux ; j'avoue en attendre beaucoup pour me donner des idées, dans le but de m'acquitter le mieux possible de ma mission.
Les comparaisons internationales sont toujours riches d'enseignement et d'inspirations, tant en matière de philosophies d'actions que de méthodes concrètes. Le colloque européen qui s'ouvre aujourd'hui est une initiative que je salue, puisqu'il vise à croiser les cultures et les pratiques. Je me réjouis qu'il y ait parmi vous non seulement des participants de tous les pays d'Europe, mais aussi d'Afrique ; d'Amérique du Nord et d'Amérique centrale.
Vous traduisez ensemble la dimension non seulement européenne mais également planétaire de l'enjeu et de la pertinence de la démarche d'évaluation dans toute conduite de politique publique.
Je vous remercie.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 7 juillet 2008