Texte intégral
J.-J. Bourdin.- Vous êtes à Pékin tout au long des Jeux, pour tous les
Jeux ou... ?
Non, pas pour tous les Jeux, je vais rentrer bientôt à Paris. Mais je
suis venu visiter l'ensemble des sites pour y mesurer la place du
français.
On va reparler de la place du français et de la francophonie puisque
vous défendez ardemment la francophonie...
Absolument.
...On va y revenir dans un instant. Mais je regarde les dernières
informations sur mon ordinateur concernant cette guerre entre la
Géorgie et la Russie. Je vois que B. Kouchner et le chef de la
diplomatie finlandaise tentent une médiation en ce moment, et ils
doivent rencontrer le président russe, D. Medvedev à Moscou très vite.
Je sais que B. Kouchner était à Tbilissi hier ; il a rencontré le
président Saakachvili, le président géorgien. Maintenant il faut
prendre le taureau par les cornes ?
Oui, je pense que c'est une situation d'extrême gravité. On pensait
cette période un peu dépassée, on voyait que, aujourd'hui, il peut y
avoir des guerres qui apparaissent comme des guerres d'influence, mais
là, on est sur une guerre qui semble être une guerre un peu archaïque,
de la route, de l'approvisionnement, de la route de l'énergie, c'est-à
-dire que ce sont les guerres de la géographie, ce sont les guerres du
passé. Donc, c'est...
Elle ressemble aux guerres des Balkans un peu ?
Voilà, exactement, c'est une guerre de ce point de vue-là très très
préoccupante parce que il ne faut pas que cet enjeu-là apparaisse aussi
vital à ces nations, parce qu'elle pourrait conduire à un déchirement
assez fatal. Et donc, je crois vraiment que l'Union européenne doit se
sentir directement concernée.
Et la France préside l'Union européenne.
Et la France préside. D'où le sentiment qu'a eu N. Sarkozy, parce qu'il
a été informé...
Il va partir pour Moscou.
...Il a été informé de cette situation à l'occasion de la cérémonie d'
ouverture des Jeux Olympiques, il en a dit d'ailleurs quelques mots à
Poutine. Et je pense que c'est ce qui l'a conduit à se déplacer lui-
même pour vraiment essayer de placer l'Europe en situation...
Est-ce que vous condamnez les Russes dans cette affaire, ou êtes-vous
plus prudent, franchement ?
Ecoutez, je prends la diplomatie comme quelque chose de suffisamment
sérieux et ce n'est pas de Pékin, entre la natation, l'escrime et le
judo que je vais commenter une position aussi stratégique. Ce que je
peux vous dire, c'est que c'est une situation d'extrême difficulté. J'
ai eu dans le passé à gérer des situations difficiles, donc, je veux
dire que, sans condamner a priori, je crois qu'il est extrêmement
dangereux aujourd'hui de revenir à ces guerres du passé, ces guerres
stratégiques.
Vous voulez dire par là que les Russes n'ont pas changé d'habitude et
qu'ils reviennent à des guerres qu'ils connaissent bien.
Je le crains.
C'est ce que j'ai compris dans vos propos.
Je le dis avec prudence parce que je souhaite vraiment que l'Europe et
que notre Président puissent placer l'Europe en situation de médiation
dans ce conflit.
Quelques mots encore sur la Géorgie. Je rappelle, parce que je m'
intéresse à la région, que c'est dans le Caucase ; je rappelle que la
Géorgie a un ouverture sur la Mer Noire, que c'est un petit pays, que
c'est un pays qui a été longtemps dans le giron évidemment soviétique,
c'est un pays qui faisait partie de l'Union Soviétique. Je rappelle
que, dans ce pays il y a deux enclaves : l'une, l'Ossétie du Sud, et
l'autre, l'Abkhazie ; que dans ces enclaves il y a des Ossètes ou des
habitants d'Abkhazie qui sont plutôt tournés vers Moscou. Je rappelle
qu'il y a une force d'interposition en Ossétie du Sud qui est une force
russe d'interposition. Je rappelle quand même que, ce sont les
Géorgiens qui ont lancé l'opération vers l'Ossétie du Sud pour essayer
d'unifier leur pays. Je rappelle aussi que la Géorgie a envoyé des
hommes en Irak sous la pression américaine. Je rappelle encore que la
Géorgie veut rentrer dans l'OTAN, ce que les Russes ne veulent pas. C'
est bien cela ?
Exactement, et si j'étais le patron de Sciences pos, je vous
appellerais tout de suite pour vous proposer un cours de géopolitique,
et pour vous féliciter de faire de l'information pédagogique.
Alors, justement, est-ce que les Russes peuvent accepter que la Géorgie
entre dans l'OTAN, à leur frontière ?
Il va bien falloir... Il est clair que...
L'Ukraine veut faire de même...
Mais oui, mais oui. Il est clair que, de toute façon, cet espace
géographique, aujourd'hui, a des intérêts communs. Il est clair que l'
OTAN joue un rôle très important, je le dis en tant que Français et que
nous allons reprendre une place dans l'OTAN. Je pense que, clairement,
les Russes doivent accepter l'idée qu'ils ont à côté d'eux une force
organisée qui veut se protéger.
"Qui veut se protéger" : est-ce que vous craignez la Russie ? Est-ce
que vous craignez une forme d'impérialisme russe ?
Pas vraiment. Mais je pense que nous sommes dans des périodes d'
incertitude. Je voudrais vraiment voir quelle est l'évolution du
régime. Nous avons, avec M. Poutine, vu les capacités qu'il avait ; il
est très populaire en Russie, il a redonné beaucoup d'espoir au peuple
russe. Maintenant, sa nouvelle position ? Comment va-t-il respecter les
institutions ? Comment la Russie va-t-elle évoluer sur un plan
politique ? Donc, je pense qu'il y a encore un certain nombre d'
incertitudes qu'il faudrait lever.
Vous parlez beaucoup de V. Poutine et assez peu du Président russe...
Oui, parce que...
Vous pensez que le pouvoir est toujours entre les mains de V. Poutine ?
C'est une incertitude qui est d'ailleurs très préoccupante, parce que,
quand un pays est incertain, il est dangereux.
"Quand un pays est incertain, il est dangereux", ça c'est vrai, c'est
très intéressant. La Chine maintenant, les relations franco-chinoises.
Le Dalaï Lama arrive à Paris, il n'aura pas de rencontre politique. Le
seul moment politique c'est sa visite au Sénat. D'abord, la trouvez-
vous logique cette visite, cette invitation ? Qui l'a invité ? Et qui
va-t-il rencontrer, là-bas, au Sénat ? Le savez-vous ?
Je le sais. Je peux vous dire que cette invitation a été formulée par
le sénateur, président du groupe d'amitié France-Tibet, qui s'appelle
L. de Broissia, qui est un élu de Côte-d'0r...
UMP...
... un homme de qualité. Et avec le président de la délégation
européenne, H. Haenel, il a invité les membres du Comité Tibet-France,
comité d'amitié de l'Assemblée nationale et du Sénat. Donc, c'est une
rencontre qui va se faire entre parlementaires, et qui vont pouvoir
ainsi discuter avec le Dalaï Lama.
Elle est opportune cette rencontre, J.-P. Raffarin, ou pas ?
Je pense qu'elle ne pose pas de problème. C'est une rencontre de
parlementaires. Il est clair que la rencontre des autorités
gouvernementales aurait plus posé problème,en pleine période de Jeux
olympiques, alors qu'il y a une tension réelle entre le Dalaï Lama,même
s'il a souhaité la réussite des Jeux olympiques, et les autorités
chinoises. Je pense que nous devons respecter une forme de trêve
olympique et que ce n'était pas pendant cette période qu'il fallait
participer à quelque interprétation de provocation que ce soit. Donc,
je pense que la position qu'a prise N. Sarkozy est responsable. N.
Sarkozy se comporte, sur ce dossier chinois, en homme d'Etat. Il pense
à l'avenir de notre planète, et l'avenir de notre planète, c'est de
penser aux déséquilibres et aux déséquilibres qui proviendraient d'1,3
milliard de Chinois qui seraient enfermés derrière leur Grande
Muraille, dans un ultra nationalisme - qui lui aussi devient très
dangereux -, si on n'accompagnait pas la Chine dans sa politique d'
ouverture.
Il vient en Chine, il se conduit parfaitement dites-vous, il ne
prononce aucune déclaration publique sur la liberté et les droits de
l'homme ici en Chine, alors que G. Bush le fait ;les deux politiques
sont bien différentes, le comportement des deux hommes est bien
différent. Pourquoi, selon vous ?
Oui, mais j'apprécie le comportement du Président français, parce qu'il
connaît bien la Chine finalement et qu'il s'est inscrit dans la
continuité...
Vous voulez dire que G. Bush ne fait pas ce qu'il faut faire ?
Je pense que G. Bush est américain et qu'un Américain, ce n'est pas un
Français. Un Français, ça respecte la Chine, ça discute avec les
Chinois, en tête à tête, en face à face. Nous avons été le premier
pays, en 1964, sous l'autorité du Général de Gaulle, à reconnaître
diplomatiquement la Chine. Depuis, tous les présidents de la République
ont suivi la politique de continuité initiée par le Général de Gaulle.
Cette politique, elle veut dire clairement à la Chine qu'on ne prend
pas la Chine en otage à travers les médias occidentaux pour lui parler.
On parle à la Chine les yeux dans les yeux. J'ai assisté à l'entretien
entre le Président Hu Jintao et N. Sarkozy.
Qu'a dit N. Sarkozy au Président chinois ?
Il a dit clairement qu'il souhaitait que la politique des droits de l'
homme évolue et le Président chinois lui a répondu : "je sais que la
situation des droits de l'homme dans notre pays n'est pas parfaite ; il
faut qu'elle évolue". N. Sarkozy a parlé du dossier, il l'a fait les
yeux dans les yeux. Je pense que c'est ça aujourd'hui qu'attendent les
Chinois, des gens qui leur parlent directement, qui les respectent,
parce que c'est un pays dans lequel la situation économique et sociale
a profondément évolué. Moi, je viens en Chine depuis trente ans. Si
vous comparez la Chine de maintenant, la Chine d'il y a dix ans, la
Chine d'il y a cinq ans et même la Chine [de l'année] dernière, vous
verrez qu'il y a des progrès très importants. C'est vrai qu'il faut
juger en valeur absolue l'état des libertés aujourd'hui, mais il faut
aussi juger en valeur relative, et vous verrez qu'il y a un réel
progrès, et qu'il faut accompagner la politique d'ouverture. Dans tous
les pays du monde, plus il y a d'ouverture, moins il y a de dictature.
Politique d'ouverture, mais aussi politique de colonisation, par
exemple dans le nord-ouest de la Chine, ses régions musulmanes, et
parfois corruption, notamment après le tremblement de terre, puisqu'on
n'a plus aucune transparence sur l'argent qui a été envoyé dans la
région si touchée par le tremblement de terre et les familles ont été
appelées à surtout ne rien dire et surtout à ne pas protester après ce
tremblement de terre. Il y a quand même des limites à la liberté dans
ce pays !
Mais bien sûr ! Mais bien sûr qu'il y a des limites, mais c'est vrai
que la règle de la transparence est une règle qui ne s'applique pas...
on a aussi des efforts à faire.
En matière de droits de l'homme, on a aussi des efforts à faire, nous !
Voilà ! Moi, je pense...
Parce que les Chinois - je vous interromps, pardonnez-moi, J.-P.
Raffarin - nous disent et nous répondent : "en matière de droits de l'
homme, vous aussi, en France, vous avez des progrès à faire". Est-ce
que nous, en France, en matière de droits de l'homme, on a des progrès
à faire ?
Bien sûr. Et de quel droit, nous l'Occident, on donne des leçons. Vous
savez, il y a une grande différence entre la pensée chinoise, la pensée
asiatique et la pensée occidentale. La pensée occidentale, on a des
valeurs au-dessus de nos têtes, on a des repères, on a des lumières, et
on dit : "voilà la direction". On ne pratique pas toujours, mais on
croit beaucoup. Les Chinois, pour eux, ce qui compte, c'est ce qui est
pratique, c'est ce que vous faites dans votre vie. Et les Chinois sont
en droit de dire à l'Occident : "qu'avez-vous fait de votre pensée des
droits de l'homme ?" ; "qu'avez-vous fait, vous...
Nous, en France, les droits de l'homme sont parfois foulés aux pieds ?
J.-P. Raffarin, franchement ? Dans notre pays ?
Dans notre histoire,...
Non, je ne parle pas de l'histoire.
Oui, mais...
Non, mais attendez, eux, les Chinois ne nous parlent pas de l'histoire.
Ils disent : "vous aussi, aujourd'hui, les droits de l'homme ne sont
pas défendus".
Je pense que nous avons une législation qui nous permet de combattre
les abus des droits de l'homme...
Donc, les Chinois n'ont pas à nous donner de leçon sur les droits de
l'homme ?
Les Chinois n'ont pas à nous donner de leçon, mais nous n'avons pas non
plus à donner de leçon. Je pense que notre histoire ne nous autorise
pas à être aujourd'hui ceux qui, dans le monde, doivent distribuer les
compliments. Notre histoire doit nous conduire un peu à l'humilité ;
nous devons nous battre pour les libertés, nous devons nous battre pour
les valeurs, celles de la République française. Je pense que c'est
quand on est présent sur le terrain, en face à face, et je trouve qu'il
était mieux que N. Sarkozy soit à la cérémonie d'ouverture, parce qu'au
fond, on ne boycotte pas en effet, comme il l'a dit lui-même un quart
de l'humanité. Et nous, nous voulons l'équilibre de la planète. Et pour
qu'il y ait un équilibre dans la planète, il faut que les Chinois
trouvent la place sur cette planète.
Donc, si j'ai bien compris, pour résumer, et puis nous allons changer
de sujet...
Je suis sûr que vous avez compris.
Mais oui, j'ai compris, J.-P. Raffarin, les droits de l'homme sont très
bien défendus en France, en Chine, il y a encore des progrès à faire.
Ecoutez, il est clair que nous aussi, nous avons des progrès. Moi, je
ne veux pas...
Ah bon ! Mais dans quels domaines ? Vous me dites : "on a des progrès à
faire", mais dans quels domaines en matière de droits de l'homme ?
Mais bien sûr. Ecoutez, quand je vois l'état d'un certain nombre de nos
prisons, je vois bien qu'on a des progrès aussi à faire, on a des
sujets à traiter. On a aussi un certain nombre de sujets. Mais nous, la
différence, c'est que nous avons, en effet, une législation qui
condamne, à partir du moment où les droits de l'homme ne sont pas
respectés, mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de condamnation.
Et s'il y a condamnation, cela veut bien dire que dans un certain
nombre de cas, il n'y a pas respect des droits de l'homme. Et donc, je
pense que les droits de l'homme, c'est une cause internationale, mais
je ne crois pas que l'Occident, en général, soit particulièrement bien
placé pour, systématiquement, donner des leçons. Et écoutez, les
Américains, vous savez que je fais partie de ceux qui étaient hostiles
à la guerre en Irak et nous avions, à ce moment là, avec J. Chirac, un
certain nombre de positions pour expliquer qu'on avait un système de
valeurs et que ce système de valeurs, nous y tenions. Que nous
défendions nos valeurs - liberté, égalité, fraternité, c'est la
République et c'est ce qu'elle a apporté au monde, il faut défendre ces
idées-là, mais il faut défendre des idées et non pas donner des leçons.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 11
août 2008
Jeux ou... ?
Non, pas pour tous les Jeux, je vais rentrer bientôt à Paris. Mais je
suis venu visiter l'ensemble des sites pour y mesurer la place du
français.
On va reparler de la place du français et de la francophonie puisque
vous défendez ardemment la francophonie...
Absolument.
...On va y revenir dans un instant. Mais je regarde les dernières
informations sur mon ordinateur concernant cette guerre entre la
Géorgie et la Russie. Je vois que B. Kouchner et le chef de la
diplomatie finlandaise tentent une médiation en ce moment, et ils
doivent rencontrer le président russe, D. Medvedev à Moscou très vite.
Je sais que B. Kouchner était à Tbilissi hier ; il a rencontré le
président Saakachvili, le président géorgien. Maintenant il faut
prendre le taureau par les cornes ?
Oui, je pense que c'est une situation d'extrême gravité. On pensait
cette période un peu dépassée, on voyait que, aujourd'hui, il peut y
avoir des guerres qui apparaissent comme des guerres d'influence, mais
là, on est sur une guerre qui semble être une guerre un peu archaïque,
de la route, de l'approvisionnement, de la route de l'énergie, c'est-à
-dire que ce sont les guerres de la géographie, ce sont les guerres du
passé. Donc, c'est...
Elle ressemble aux guerres des Balkans un peu ?
Voilà, exactement, c'est une guerre de ce point de vue-là très très
préoccupante parce que il ne faut pas que cet enjeu-là apparaisse aussi
vital à ces nations, parce qu'elle pourrait conduire à un déchirement
assez fatal. Et donc, je crois vraiment que l'Union européenne doit se
sentir directement concernée.
Et la France préside l'Union européenne.
Et la France préside. D'où le sentiment qu'a eu N. Sarkozy, parce qu'il
a été informé...
Il va partir pour Moscou.
...Il a été informé de cette situation à l'occasion de la cérémonie d'
ouverture des Jeux Olympiques, il en a dit d'ailleurs quelques mots à
Poutine. Et je pense que c'est ce qui l'a conduit à se déplacer lui-
même pour vraiment essayer de placer l'Europe en situation...
Est-ce que vous condamnez les Russes dans cette affaire, ou êtes-vous
plus prudent, franchement ?
Ecoutez, je prends la diplomatie comme quelque chose de suffisamment
sérieux et ce n'est pas de Pékin, entre la natation, l'escrime et le
judo que je vais commenter une position aussi stratégique. Ce que je
peux vous dire, c'est que c'est une situation d'extrême difficulté. J'
ai eu dans le passé à gérer des situations difficiles, donc, je veux
dire que, sans condamner a priori, je crois qu'il est extrêmement
dangereux aujourd'hui de revenir à ces guerres du passé, ces guerres
stratégiques.
Vous voulez dire par là que les Russes n'ont pas changé d'habitude et
qu'ils reviennent à des guerres qu'ils connaissent bien.
Je le crains.
C'est ce que j'ai compris dans vos propos.
Je le dis avec prudence parce que je souhaite vraiment que l'Europe et
que notre Président puissent placer l'Europe en situation de médiation
dans ce conflit.
Quelques mots encore sur la Géorgie. Je rappelle, parce que je m'
intéresse à la région, que c'est dans le Caucase ; je rappelle que la
Géorgie a un ouverture sur la Mer Noire, que c'est un petit pays, que
c'est un pays qui a été longtemps dans le giron évidemment soviétique,
c'est un pays qui faisait partie de l'Union Soviétique. Je rappelle
que, dans ce pays il y a deux enclaves : l'une, l'Ossétie du Sud, et
l'autre, l'Abkhazie ; que dans ces enclaves il y a des Ossètes ou des
habitants d'Abkhazie qui sont plutôt tournés vers Moscou. Je rappelle
qu'il y a une force d'interposition en Ossétie du Sud qui est une force
russe d'interposition. Je rappelle quand même que, ce sont les
Géorgiens qui ont lancé l'opération vers l'Ossétie du Sud pour essayer
d'unifier leur pays. Je rappelle aussi que la Géorgie a envoyé des
hommes en Irak sous la pression américaine. Je rappelle encore que la
Géorgie veut rentrer dans l'OTAN, ce que les Russes ne veulent pas. C'
est bien cela ?
Exactement, et si j'étais le patron de Sciences pos, je vous
appellerais tout de suite pour vous proposer un cours de géopolitique,
et pour vous féliciter de faire de l'information pédagogique.
Alors, justement, est-ce que les Russes peuvent accepter que la Géorgie
entre dans l'OTAN, à leur frontière ?
Il va bien falloir... Il est clair que...
L'Ukraine veut faire de même...
Mais oui, mais oui. Il est clair que, de toute façon, cet espace
géographique, aujourd'hui, a des intérêts communs. Il est clair que l'
OTAN joue un rôle très important, je le dis en tant que Français et que
nous allons reprendre une place dans l'OTAN. Je pense que, clairement,
les Russes doivent accepter l'idée qu'ils ont à côté d'eux une force
organisée qui veut se protéger.
"Qui veut se protéger" : est-ce que vous craignez la Russie ? Est-ce
que vous craignez une forme d'impérialisme russe ?
Pas vraiment. Mais je pense que nous sommes dans des périodes d'
incertitude. Je voudrais vraiment voir quelle est l'évolution du
régime. Nous avons, avec M. Poutine, vu les capacités qu'il avait ; il
est très populaire en Russie, il a redonné beaucoup d'espoir au peuple
russe. Maintenant, sa nouvelle position ? Comment va-t-il respecter les
institutions ? Comment la Russie va-t-elle évoluer sur un plan
politique ? Donc, je pense qu'il y a encore un certain nombre d'
incertitudes qu'il faudrait lever.
Vous parlez beaucoup de V. Poutine et assez peu du Président russe...
Oui, parce que...
Vous pensez que le pouvoir est toujours entre les mains de V. Poutine ?
C'est une incertitude qui est d'ailleurs très préoccupante, parce que,
quand un pays est incertain, il est dangereux.
"Quand un pays est incertain, il est dangereux", ça c'est vrai, c'est
très intéressant. La Chine maintenant, les relations franco-chinoises.
Le Dalaï Lama arrive à Paris, il n'aura pas de rencontre politique. Le
seul moment politique c'est sa visite au Sénat. D'abord, la trouvez-
vous logique cette visite, cette invitation ? Qui l'a invité ? Et qui
va-t-il rencontrer, là-bas, au Sénat ? Le savez-vous ?
Je le sais. Je peux vous dire que cette invitation a été formulée par
le sénateur, président du groupe d'amitié France-Tibet, qui s'appelle
L. de Broissia, qui est un élu de Côte-d'0r...
UMP...
... un homme de qualité. Et avec le président de la délégation
européenne, H. Haenel, il a invité les membres du Comité Tibet-France,
comité d'amitié de l'Assemblée nationale et du Sénat. Donc, c'est une
rencontre qui va se faire entre parlementaires, et qui vont pouvoir
ainsi discuter avec le Dalaï Lama.
Elle est opportune cette rencontre, J.-P. Raffarin, ou pas ?
Je pense qu'elle ne pose pas de problème. C'est une rencontre de
parlementaires. Il est clair que la rencontre des autorités
gouvernementales aurait plus posé problème,en pleine période de Jeux
olympiques, alors qu'il y a une tension réelle entre le Dalaï Lama,même
s'il a souhaité la réussite des Jeux olympiques, et les autorités
chinoises. Je pense que nous devons respecter une forme de trêve
olympique et que ce n'était pas pendant cette période qu'il fallait
participer à quelque interprétation de provocation que ce soit. Donc,
je pense que la position qu'a prise N. Sarkozy est responsable. N.
Sarkozy se comporte, sur ce dossier chinois, en homme d'Etat. Il pense
à l'avenir de notre planète, et l'avenir de notre planète, c'est de
penser aux déséquilibres et aux déséquilibres qui proviendraient d'1,3
milliard de Chinois qui seraient enfermés derrière leur Grande
Muraille, dans un ultra nationalisme - qui lui aussi devient très
dangereux -, si on n'accompagnait pas la Chine dans sa politique d'
ouverture.
Il vient en Chine, il se conduit parfaitement dites-vous, il ne
prononce aucune déclaration publique sur la liberté et les droits de
l'homme ici en Chine, alors que G. Bush le fait ;les deux politiques
sont bien différentes, le comportement des deux hommes est bien
différent. Pourquoi, selon vous ?
Oui, mais j'apprécie le comportement du Président français, parce qu'il
connaît bien la Chine finalement et qu'il s'est inscrit dans la
continuité...
Vous voulez dire que G. Bush ne fait pas ce qu'il faut faire ?
Je pense que G. Bush est américain et qu'un Américain, ce n'est pas un
Français. Un Français, ça respecte la Chine, ça discute avec les
Chinois, en tête à tête, en face à face. Nous avons été le premier
pays, en 1964, sous l'autorité du Général de Gaulle, à reconnaître
diplomatiquement la Chine. Depuis, tous les présidents de la République
ont suivi la politique de continuité initiée par le Général de Gaulle.
Cette politique, elle veut dire clairement à la Chine qu'on ne prend
pas la Chine en otage à travers les médias occidentaux pour lui parler.
On parle à la Chine les yeux dans les yeux. J'ai assisté à l'entretien
entre le Président Hu Jintao et N. Sarkozy.
Qu'a dit N. Sarkozy au Président chinois ?
Il a dit clairement qu'il souhaitait que la politique des droits de l'
homme évolue et le Président chinois lui a répondu : "je sais que la
situation des droits de l'homme dans notre pays n'est pas parfaite ; il
faut qu'elle évolue". N. Sarkozy a parlé du dossier, il l'a fait les
yeux dans les yeux. Je pense que c'est ça aujourd'hui qu'attendent les
Chinois, des gens qui leur parlent directement, qui les respectent,
parce que c'est un pays dans lequel la situation économique et sociale
a profondément évolué. Moi, je viens en Chine depuis trente ans. Si
vous comparez la Chine de maintenant, la Chine d'il y a dix ans, la
Chine d'il y a cinq ans et même la Chine [de l'année] dernière, vous
verrez qu'il y a des progrès très importants. C'est vrai qu'il faut
juger en valeur absolue l'état des libertés aujourd'hui, mais il faut
aussi juger en valeur relative, et vous verrez qu'il y a un réel
progrès, et qu'il faut accompagner la politique d'ouverture. Dans tous
les pays du monde, plus il y a d'ouverture, moins il y a de dictature.
Politique d'ouverture, mais aussi politique de colonisation, par
exemple dans le nord-ouest de la Chine, ses régions musulmanes, et
parfois corruption, notamment après le tremblement de terre, puisqu'on
n'a plus aucune transparence sur l'argent qui a été envoyé dans la
région si touchée par le tremblement de terre et les familles ont été
appelées à surtout ne rien dire et surtout à ne pas protester après ce
tremblement de terre. Il y a quand même des limites à la liberté dans
ce pays !
Mais bien sûr ! Mais bien sûr qu'il y a des limites, mais c'est vrai
que la règle de la transparence est une règle qui ne s'applique pas...
on a aussi des efforts à faire.
En matière de droits de l'homme, on a aussi des efforts à faire, nous !
Voilà ! Moi, je pense...
Parce que les Chinois - je vous interromps, pardonnez-moi, J.-P.
Raffarin - nous disent et nous répondent : "en matière de droits de l'
homme, vous aussi, en France, vous avez des progrès à faire". Est-ce
que nous, en France, en matière de droits de l'homme, on a des progrès
à faire ?
Bien sûr. Et de quel droit, nous l'Occident, on donne des leçons. Vous
savez, il y a une grande différence entre la pensée chinoise, la pensée
asiatique et la pensée occidentale. La pensée occidentale, on a des
valeurs au-dessus de nos têtes, on a des repères, on a des lumières, et
on dit : "voilà la direction". On ne pratique pas toujours, mais on
croit beaucoup. Les Chinois, pour eux, ce qui compte, c'est ce qui est
pratique, c'est ce que vous faites dans votre vie. Et les Chinois sont
en droit de dire à l'Occident : "qu'avez-vous fait de votre pensée des
droits de l'homme ?" ; "qu'avez-vous fait, vous...
Nous, en France, les droits de l'homme sont parfois foulés aux pieds ?
J.-P. Raffarin, franchement ? Dans notre pays ?
Dans notre histoire,...
Non, je ne parle pas de l'histoire.
Oui, mais...
Non, mais attendez, eux, les Chinois ne nous parlent pas de l'histoire.
Ils disent : "vous aussi, aujourd'hui, les droits de l'homme ne sont
pas défendus".
Je pense que nous avons une législation qui nous permet de combattre
les abus des droits de l'homme...
Donc, les Chinois n'ont pas à nous donner de leçon sur les droits de
l'homme ?
Les Chinois n'ont pas à nous donner de leçon, mais nous n'avons pas non
plus à donner de leçon. Je pense que notre histoire ne nous autorise
pas à être aujourd'hui ceux qui, dans le monde, doivent distribuer les
compliments. Notre histoire doit nous conduire un peu à l'humilité ;
nous devons nous battre pour les libertés, nous devons nous battre pour
les valeurs, celles de la République française. Je pense que c'est
quand on est présent sur le terrain, en face à face, et je trouve qu'il
était mieux que N. Sarkozy soit à la cérémonie d'ouverture, parce qu'au
fond, on ne boycotte pas en effet, comme il l'a dit lui-même un quart
de l'humanité. Et nous, nous voulons l'équilibre de la planète. Et pour
qu'il y ait un équilibre dans la planète, il faut que les Chinois
trouvent la place sur cette planète.
Donc, si j'ai bien compris, pour résumer, et puis nous allons changer
de sujet...
Je suis sûr que vous avez compris.
Mais oui, j'ai compris, J.-P. Raffarin, les droits de l'homme sont très
bien défendus en France, en Chine, il y a encore des progrès à faire.
Ecoutez, il est clair que nous aussi, nous avons des progrès. Moi, je
ne veux pas...
Ah bon ! Mais dans quels domaines ? Vous me dites : "on a des progrès à
faire", mais dans quels domaines en matière de droits de l'homme ?
Mais bien sûr. Ecoutez, quand je vois l'état d'un certain nombre de nos
prisons, je vois bien qu'on a des progrès aussi à faire, on a des
sujets à traiter. On a aussi un certain nombre de sujets. Mais nous, la
différence, c'est que nous avons, en effet, une législation qui
condamne, à partir du moment où les droits de l'homme ne sont pas
respectés, mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de condamnation.
Et s'il y a condamnation, cela veut bien dire que dans un certain
nombre de cas, il n'y a pas respect des droits de l'homme. Et donc, je
pense que les droits de l'homme, c'est une cause internationale, mais
je ne crois pas que l'Occident, en général, soit particulièrement bien
placé pour, systématiquement, donner des leçons. Et écoutez, les
Américains, vous savez que je fais partie de ceux qui étaient hostiles
à la guerre en Irak et nous avions, à ce moment là, avec J. Chirac, un
certain nombre de positions pour expliquer qu'on avait un système de
valeurs et que ce système de valeurs, nous y tenions. Que nous
défendions nos valeurs - liberté, égalité, fraternité, c'est la
République et c'est ce qu'elle a apporté au monde, il faut défendre ces
idées-là, mais il faut défendre des idées et non pas donner des leçons.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 11
août 2008