Texte intégral
La Dépêche de Tahiti : Vous arrivez en Polynésie, samedi. Est-ce la dernière collectivité ultramarine que vous visitez ?
Yves Jégo : C'est mon 15ème déplacement en quatre mois . Il me restera à visiter Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon. Je viens en Polynésie avec l'envie de découvrir et connaître un territoire dont on m'a beaucoup parlé.
La Dépêche de Tahiti : Quelle est l'orientation générale de cette visite ?
Yves Jégo : C'est le contrat de projet. Les aléas de la vie politique locale ont fait que beaucoup de dossiers sont en jachère. La signature du contrat de projet, qui engage l'Etat pour une somme importante de 177 millions d'euros (14 milliards de ), nécessite qu'il y ait une programmation des chantiers liés à ce contrat. A la demande de Nicolas Sarkozy je vais mettre en place, avec le Président Tong Sang et le nouveau Haut Commissaire, le comité de pilotage et les comités de suivi thématiques.
La Dépêche de Tahiti : L'instabilité politique polynésienne est-elle un handicap pour ce voyage et, plus généralement pour votre activité ministérielle ?
Yves Jégo : Pour ce voyage, non ; pour la Polynésie française, oui. Les aléas politiques depuis quatre ans ont empêché le territoire d'avancer sur un certain nombre de sujets. Ainsi, par exemple, le tourisme souffre d'une baisse inquiétante de la fréquentation. Quand on change de gouvernement tous les six mois, il est difficile de bâtir une stratégie touristique et de s'adapter a un monde qui change a toute vitesse. Dans la répartition des responsabilités qui donne une très grande autonomie à la collectivité, l'Etat a gardé presque essentiellement le régalien - les tâches de sécurité et de justice etc.. - et la collectivité à tous les autres pouvoirs. Si des bouleversements politiques permanents la mettent en panne, rien n'avance. J'espère qu'une période de stabilité va s'ouvrir et que l'on va pouvoir travailler dans le seul intérêt des polynésiens.
La Dépêche de Tahiti : Pour cette stabilité, vous en appelez à la responsabilité des élus ou vous envisagez de réformer le mode de scrutin, le statut ?
Yves Jégo : Je constate qu'on a fait beaucoup de réformes statutaires depuis plusieurs années. Le statut proposé par mon prédécesseur et voté par le Parlement a permis que les élections se déroulent dans un climat de clarté et de transparence. Aujourd'hui il me semble que c'est à la responsabilité des élus qu'il faut faire appel plus qu'à un nouveau changement institutionnel. J'ai le sentiment que les polynésiens attendent plus des réponses aux questions économiques et sociales qu'un nouveau débat sur le statut. En quoi d'ailleurs un changement de mode de scrutin améliorerait la vie des polynésiens ?
La Dépêche de Tahiti : Pensez vous que cet appel à la responsabilité puisse être entendu ?
Yves Jégo : Les hommes politiques importants de la Polynésie d'aujourd'hui ont tous été de grands acteurs de l'histoire du pays lors des vingt-cinq dernières années. Je pense que tous ces hommes de bonne volonté doivent pouvoir s'entendre et trouver une forme d'équilibre. Les Polynésiens en seraient satisfaits et l'Etat aussi. Ceci dit, je ne viens pas donner de leçon aux élus polynésiens. Elu local moi-même, je suis trop respectueux des élus pour m'engager dans cette voie. Seuls les polynésiens ont le droit de porter un jugement sur l'attitude de tel ou tel de leurs élus. Mon souci de ministre est que les choses avancent pour que la Polynésie ne prenne pas trop de retard par rapport au développement du monde qui lui ne nous attend pas.
La Dépêche de Tahiti : Croyez-vous possibles des retrouvailles entre autonomistes ?
Yves Jégo : Je ne veux pas me mêler de la vie politique locale. Je crois que l'Etat doit rester neutre. Mais j'ai le sentiment que les priorités des polynésiens sont ailleurs. Quels sont les grands projets du territoire ? Comment assurer la croissance économique et l'emploi sur place pour les générations futures ? Comment lutter contre les risques climatiques et faire de l'enjeu écologique un atout de croissance ? Comment dessiner une nouvelle ambition pour le tourisme ? Comment tout simplement mettre en chantier ce qui vient d'être financé dans le Contrat de projet ? Voilà quelques-unes unes des questions que j'aimerais voir poser et sur lesquelles j'aimerais débattre avec les élus. Les Polynésiens se sont exprimés récemment et démocratiquement par les urnes. Librement ils ont choisi des élus pour agir. Il me semble que l'énergie perdue dans des débats annexes serait mieux utilisée pour répondre aux attentes des polynésiens et en particulier de ceux qui souffrent.
La Dépêche de Tahiti : La loi programme pour l'outre-mer est fondée sur la défiscalisation. N'est-elle pas menacée par les attaques contre les « niches fiscales » ?
Yves Jégo : J'ai fait le tour du gouvernement, de la commission des finances de l'Assemblée, présidée par un socialiste, de celle du Sénat ; chacun s'accorde pour dire que la défiscalisation Outre-mer est un outil utile. Grâce à elle, ce sont 2 milliards d'euros (239 milliards de ) investis dans l'outre-mer par des particuliers, alors que la dépense fiscale pour l'Etat en échange n' est que de 780 millions (93 milliards de ). Le Gouvernement souhaite seulement moraliser le dispositif, pour qu'un foyer fiscal ne puisse pas échapper à l'impôt au-delà du raisonnable. Nous voulons donc plafonner le bénéfice des « niches fiscales », mais en choisissant un montant qui préservera les investissements dont la Polynésie française à besoin
La Dépêche de Tahiti : L'examen de cette loi programme en conseil des ministres est-il toujours le 28 juillet ?
Yves Jégo : Oui ce projet de loi concerne aussi la Polynésie, au moins à deux titres :
- Au titre de la continuité territoriale : le projet prévoit d'étendre le champ de la continuité territoriale aux liaisons internes à une même collectivité ainsi qu'aux liaisons au sein d'une même zone géographique. Les Polynésiens pourront par exemple faire prendre en charge leur déplacement vers la Nouvelle-Calédonie par le futur fonds de continuité territoriale, dans des conditions qui seront précisées par décret. Par ailleurs, la défiscalisation des câbles sous-marin, destinés à une première ou seconde liaison, afin de réduire la fracture numérique entre collectivités, devra également bénéficier à la Polynésie en favorisant des projets comme le programme SPIN (boucle Nouvelle-Calédonie <-> Wallis et Futuna <-> Polynésie française).
- Au titre du renforcement de la cohésion sociale : le nouveau dispositif de défiscalisation des logements sociaux sera applicable en Polynésie. Le Gouvernement souhaite en effet réorienter sa dépense fiscale en faveur des logements sociaux, compte tenu de la demande particulièrement forte exprimée Outre-mer. Des modifications ont d'ailleurs été apportées au projet pour tenir compte des demandes exprimées notamment par la Polynésie d'un relèvement du plafond de défiscalisation (de 1200 à 1800 euros/m²) afin de faciliter l'équilibre des opérations immobilières.
Je rentrerai de Polynésie pour présenter cette loi au conseil des ministres. Nous avons obtenu l'accord de tous les socioprofessionnels sur son principe. Elle sera votée dans les mois qui viennent, pour être opérationnelle le plus vite possible.
La Dépêche de Tahiti : Dans un contexte budgétaire difficile, la mission outre-mer est préservée...
Yves Jégo : Elle est plus que préservée, puisque le budget des trois prochaines années va augmenter de 17 % . C'est un geste fort, qui dément tous ceux qui affirmaient que l'Etat se désengageait de l'outre-mer. J'ai regardé les chiffres concernant la Polynésie française. En 2007, l'Etat y a dépensé 5 299 euros (633 000 ) par habitant et par an, contre 3 719 euros (444 000 ) en 2005. Cela fait une augmentation de 42 % en trois ans La Polynésie a bénéficié du plus gros effort, puisque les dépenses sur les autres territoires ont progressé d'environ 20 % sur ces trois ans. Avec en plus en plus le contrat de projet qui va mobiliser 177 millions d'euros je dis aux Polynésiens que ceux qui essayent de faire croire au désengagement financier de l'Etat sont soit mal informé soit de mauvaise foi.
La Dépêche de Tahiti : Gaston Tong Sang souhaite une loi d'orientation qui pérenniserait les transferts de l'Etat. Qu'en pensez vous ?
Yves Jégo : Je viens pour travailler avec le président Tong Sang justement pour mieux redéfinir la transparence nécessaire dans les relations entre l'Etat et la Polynésie française. Mais je viens aussi pour lancer les chantiers du contrat de projets sur la période 2008-2013. Ce contrat considérable concerne je vous le rappelle :
- un programme d'offre locative sociale par réhabilitation du parc locatif ancien et résorption de l'habitat insalubre au profit de 7 000 familles en attente d' un logement décent,
- un programme de construction d'un véritable système de soins, en maillant le centre hospitalier principal à un réseau d'hôpitaux périphériques afin de limiter le recours aux évacuations sanitaires à grande distance,
- un programme d'assainissement des réseaux d'égouts, d'adduction d'eau potable, de traitement des déchets,
- un programme de construction d'abris de survie destinés aux populations en cas de cyclone ou d'événement climatique majeur,
- un programme de restructuration des bâtiments destinés aux étudiants afin d'améliorer leurs conditions de vie étudiante, notamment avec la création d'une maison des étudiants et d'une résidence internationale.
Tous ces projets représentent un montant total de 435 millions d'euros, l'Etat s'engageant à hauteur de 177 millions d'euros dans un contexte financier pourtant très contraint.
La Dépêche de Tahiti : Votre prédécesseur avait annoncé une loi sur les communes polynésiennes. Partagez-vous ce projet ?
Yves Jégo : Je vais discuter avec les communes pour voir comment on peut répartir les moyens de l'Etat le plus intelligemment possible et s'il faut traduire cela dans un texte, nous le ferons. Mais la loi est la conséquence d'une décision politique, pas un préalable. Il n'y a pas de risque de remise en cause des aides de l'Etat. Au contraire, puisqu'il y a une garantie que la DGDE sera maintenue. Il faut désormais faire en sorte que ces crédits soient utilisés, en voyant aussi comment les communes peuvent en bénéficier. Elles ont besoin de financements pérennes et j'examinerai comment on peut trouver de nouvelles relations financières entre l'Etat, le Pays et elles. Non pour dépenser moins, mais pour répartir l'argent de la façon la plus équitable dans cet immense ensemble qu'est la Polynésie française.
La Dépêche de Tahiti : L'indexation des retraites outre-mer va être réformée. Dans quel sens ?
Yves Jégo : L'Indemnité Temporaire de retraite (ITR) a été créée par décret dans les années 50. Elle ne concerne que les fonctionnaires de l'Etat. Ce dispositif qui ponctionne chaque année 300 millions d'euros offre aujourd'hui à 30 000 retraités des sommes annuelles qui en Polynésie française varient entre 9700 Euros et 41 096 Euros par an et par retraités. Ce dispositif est particulièrement injuste tant dans ces modes de calcul que dans sa répartition. L'I.T.R. c'est 75% de sur-pension en Polynésie française, 35% à la Réunion et rien du tout aux Antilles ! Le gouvernement souhaite légitimement en corriger les excès en interdisant notamment à ceux qui n'ont aucun lien avec un territoire d'en bénéficier et en plafonnant l'avantage en particulier pour les plus gros revenus. Depuis quatre mois j'ai entamé une série de rencontre avec les syndicats de la fonction publique pour que cette reforme indispensable soit juste et acceptée.
La Dépêche de Tahiti : Pourquoi vouloir un indice de différentiel de coût de la vie ?
Yves Jégo : Concernant le coût de la vie j'ai demandé à ce que l'on travaille territoire par territoire à l'élaboration d'un indice du différentiel de coût de la vie. Ce thermomètre annuel nous permettra de mesurer de façon sérieuse chaque année la différence du coût de la vie avec la métropole. Il faut évidement que ce futur indice prenne en compte tous les paramètres et fasse l'objet d'un consensus. C'est un outil indispensable pour mesurer la réalité des différences même s'il n'est pas facile de comparer scientifiquement les dépenses d'un ménage entre Paris et Papeete.
La Dépêche de Tahiti : L'indexation des salaires des fonctionnaires en sera-t-elle affectée ?
Yves Jégo : Le gouvernement n'envisage pas du tout de réformer la rémunération des fonctionnaires. Il veut seulement mettre fin aux excès des surretraites et créer un indice de différentiel de coût de la vie.
La Dépêche de Tahiti : L'U.M.P. a rompu les liens avec le Tahoeraa. Comment va-t-elle s'organiser sur place ?
Yves Jégo : Je n'ai pas vocation à organiser les partis politiques en Polynésie française. L'U.M.P. a une secrétaire nationale chargée de l'outre-mer, Marie-Luce Penchard et je lui fais toute confiance.
Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 18 août 2008