Interview de M. Yves Jégo, secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer, dans "Les Nouvelles de Tahiti" du 19 juillet 2008, notamment sur la réorganisation de la défense, les retraites des fonctionnaires outre-mer, les contrats de projet 2008-2013.

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Les Nouvelles de Tahiti : Les annonces successives relatives à la réduction des effectifs militaires, à la refonte de la majoration des retraites, à une réforme plus générale de l'indexation des salaires des fonctionnaires, les modifications du régime de défiscalisation et la perspective d'un transfert de l'Etat au Pays pour les financements en matière d'Education, laissent craindre un désengagement de l'Etat en Polynésie française, voire un "largage" progressif. La politique nationale de restriction budgétaire se fera-t-elle aux dépens de l'outre-mer en général et de la Polynésie française en particulier ?
Yves Jégo : Je sais que cette rumeur du désengagement de l'Etat est colportée. Elle n'est fondée sur rien de sérieux. Au contraire les chiffres parlent d'eux même. En 2005 l'Etat dépensait en Polynésie française 3719 Euros par habitant. En 2007 l'Etat a dépensé 5 299 Euros par habitant soit une progression de plus de 42%. Pour l'avenir le contrat de projets 2008-2013 qui vient d'être signé par le Président de la République en personne avec Gaston Tong Sang suffit à montrer qu'il ne saurait être question d'un quelconque désintérêt. Les cinq grands volets de ce plan - logement social, santé, abris anticycloniques, environnement, enseignement supérieur et recherche - seront financés, du côté de l'Etat, à hauteur de 177 M euros sur 6 ans. Quant à la DGDE, je vous le confirme, elle sera identique en 2008 et en 2009 au montant des années précédentes, c'est-à-dire 185 M euros par an, comme le prévoit la convention pour le renforcement de l'autonomie économique de la Polynésie française du 4 octobre 2002.J'ajoute enfin que le Gouvernement n'a aucune intention de faire des économies injustifiées sur l'Outre-mer puisque dans les trois prochaines années le budget de la mission Outre-mer sera augmenté de +17%. Vous le voyez la réalité est transparente et ceux qui parlent de désengagement financier de l'Etat sont soit mal informé soit de mauvaise foi.
Les Nouvelles de Tahiti : Sur le plan de la réforme des Armées, il est aujourd'hui question du démantèlement du Rimap/PF entre 2011 et 2015, d'une réduction des effectifs globaux de 70%, voire, à terme, d'un transfert du COMSUP en Nouvelle-Calédonie. Qu'est-il très précisément prévu pour la Polynésie française et selon quel calendrier de mise en oeuvre ?
Yves Jégo : La réorganisation de nos forces de défense et de sécurité est une nécessité impérieuse dans un monde qui change. Les responsables politiques de Polynésie française ont été reçus par mon collègue Hervé Morin le ministre de la Défense qui à en charge cette reforme. Je sais qu'il a à coeur de faire en sorte que cette évolution indispensable de nos moyens militaires ne pénalise pas l'économie de la Polynésie française. J'ai d'ailleurs obtenu l'assurance que les moyens matériels militaires seraient maintenus tant que des moyens civils ne viendraient pas les remplacer.
Les Nouvelles de Tahiti : Pouvez-vous nous confirmer la mise en place de compensations liées à ce manque à gagner pour l'économie du pays ? Comment seront-elles définies, selon quel mode de calcul, sous quelles conditions, et pour combien d'années ?
Yves Jégo : Des financements importants seront mobilisés pour garantir aux territoires concernés les compensations concernant l'impact économique et social de cette réorganisation. Je viens d'ailleurs de désigner à mes cotés l'amiral olivier LAJOUS qui aura en charge en liaison avec le ministère de la Défense le suivi particulier des conséquences en Polynésie française de ces évolutions qui vont s'étaler sur plusieurs années.
Les Nouvelles de Tahiti : Concernant la refonte des majorations retraite, où en est aujourd'hui le projet et son contenu ? Envisagez-vous une rétroactivité de son application ? Et, là encore, qui sera concerné et selon quel calendrier ?
Yves Jégo : L'Indemnité Temporaire de retraite (ITR) a été créée par décret dans les années 50.Elle ne concerne que les fonctionnaires de l'Etat. Ce dispositif qui ponctionne chaque année 300 millions d'Euros offre aujourd'hui à 30 000 retraités des sommes annuelles qui en Polynésie française varient entre 9700 Euros et 41 096 Euros par an et par retraités. Ce dispositif est particulièrement injuste tant dans ces modes de calcul que dans sa répartition. L'ITR c'est 75% de sur-pension en Polynésie française, 35% à la Réunion et rien du tout aux Antilles ! Le gouvernement souhaite légitimement en corriger les excès en interdisant notamment à ceux qui n'ont aucun lien avec un territoire d'en bénéficier et en plafonnant l'avantage en particulier pour les plus gros revenus. Depuis quatre mois j'ai entamé une série de rencontres avec les syndicats de la fonction publique pour que cette reforme indispensable soit juste et acceptée
Les Nouvelles de Tahiti : Vous avez aussi annoncé une réforme de l'indexation des salaires des fonctionnaires, qui pourraient plutôt se voir indexés sur le "coût de la vie". Comment calculer le différentiel entre le coût de la vie en Polynésie française par rapport à la métropole, et ce de manière pérenne ? La différence de régime fiscal sera-t-il notamment pris en compte dans le calcul ?
Yves Jégo : La réforme des rémunérations de la Fonction Publique Outre-mer ne fait pas partie des projets du gouvernement. Concernant le coût de la vie j'ai demandé à ce que l'on travaille territoire par territoire à l'élaboration d'un indice du différentiel de coût de la vie. Ce thermomètre annuel nous permettra de mesurer de façon sérieuse chaque année la différence du coût de la vie avec la métropole. Il faut évidement que ce futur indice prenne en compte tous les paramètres et fasse l'objet d'un consensus. C'est un outil indispensable pour mesurer la réalité des différences même s'il n'est pas facile de comparer scientifiquement les dépenses d'un ménage entre Paris et Papeete.
Les Nouvelles de Tahiti : En ce qui concerne les majorations des retraites, deuxième ressource du pays après le Tourisme, et l'indexation des fonctionnaires, envisagez-vous, de la même manière que pour la réforme des Armées, un système de compensation pour la Polynésie, sachant que ce sont là deux moteurs importants de l'économie ?
Yves Jégo : Le souhait du gouvernement est que l'économie de la Polynésie française soit fondée sur son développement économique propre et pas seulement sur les transferts depuis la métropole. Je viens d'ailleurs pour entendre les élus afin qu'ils m'exposent leur stratégie de développement économique. Je pense en particulier au tourisme qui connaît des difficultés ou encore à des secteurs nouveaux de création de richesses comme ceux lies aux nouvelles technologies de l'information et de la communication. Pour ce qui est de l'ITR nous allons créer dans la future loi programme un Fond spécifique qui permettra que les sommes prélevées avec la réforme soient réaffectées aux projets de développement des territoires d'Outre-mer. Vous le voyez, il s'agit de réformer pour rendre les dispositifs plus justes mais sûrement pas pour faire des économies au détriment du développement local
Les Nouvelles de Tahiti : Entre la "rente nucléaire" que constitue la DGDE, le Contrat de projets, les conventions Etat-Pays, le transfert des financements de l'Education, et les compensations à venir, l'Etat pourrait-il envisager de globaliser tous ces transferts au Pays ? Et sous quelle forme ? Le Président Tong Sang a notamment mentionné la perspective d'une « dotation globale d'autonomie »...
Yves Jégo : Comme l'a rappelé le Président de la République lors de la récente signature du contrat de projets, il est souhaitable que l'action de partenariat entre l'Etat et la Polynésie française s'établisse sur des bases saines et avec des relations financières rénovées et plus transparentes. C'est un des objectifs de ma visite que de commencer à travailler avec les élus sur ces sujets.
Les Nouvelles de Tahiti : L'ensemble de la classe politique polynésienne plaide pour une nouvelle loi programme sur "10, 15 ou 20 ans" spécifique à la Polynésie. Le gouvernement que vous représentez y est-il favorable ? Selon quel cadre juridique et sur quelle durée ?
Yves Jégo : Et si avant de réclamer de nouvelles dispositions législatives nous commencions déjà à mettre en oeuvre ce qui existe déjà ? Je viens justement pour lancer les chantiers du contrat de projets sur la période 2008-2013. Ce contrat considérable concerne je vous le rappelle :
- un programme d'offre locative sociale par réhabilitation du parc locatif ancien et résorption de l'habitat insalubre au profit de 7 000 familles en attente d'un logement décent,
- un programme de construction d'un véritable système de soins, en maillant le centre hospitalier principal à un réseau d'hôpitaux périphériques afin de limiter le recours aux évacuations sanitaires à grande distance,
- un programme d'assainissement des réseaux d'égouts, d'adduction d'eau potable, de traitement des déchets,
- un programme de construction d'abris de survie destinés aux populations en cas de cyclone ou d'événement climatique majeur,
- un programme de restructuration des bâtiments destinés aux étudiants afin d'améliorer leurs conditions de vie étudiante, notamment avec la création d'une maison des étudiants et d'une résidence internationale.
Tous ces projets représentent un montant total de 435 millions d'euros, l'Etat s'engageant à hauteur de 177 millions d'euros dans un contexte financier pourtant très contraint. Je ne suis évidement fermé a aucune discussion pour favoriser l'avenir de la Polynésie française mais j'ai le sentiment qu'avec les institutions et les financements existants il déjà est possible sans attendre je ne sais quel texte, de transformer l'avenir de ce territoire. A condition bien sur que l'on sache dépasser les jeux de pouvoir pour se mettre au travail. Pour ma part j'y suis prêt
Les Nouvelles de Tahiti : Le projet de loi de programme pour l'Outre-mer passera en Conseil des ministres à Paris le 28 juillet. L'assemblée de la Polynésie n'a pas émis d'avis sur ce texte. Le regrettez-vous ? Et que répondez-vous à l'opposition qui considère que ce texte n'intéresse pas la Polynésie et qui dénonce l'absence de consultation et "le peu de cas" fait de ses remarques ?
Yves Jégo : L'Assemblée et le Gouvernement de Polynésie ont naturellement été consultés et les avis et remarques qui me sont parvenus ont été, comme pour les autres collectivités d'outre-mer, prises en compte. Ce projet de loi concerne donc directement la Polynésie, au moins à deux titres :
- Au titre de la continuité territoriale : le projet prévoit d'étendre le champ de la continuité territoriale aux liaisons internes à une même collectivité ainsi qu'aux liaisons au sein d'une même zone géographique. Les Polynésiens pourront par exemple faire prendre en charge leur déplacement vers la Nouvelle-Calédonie par le futur fonds de continuité territoriale, dans des conditions qui seront précisées par décret. Par ailleurs, la défiscalisation des câbles sous-marin, destinés à une première ou seconde liaison, afin de réduire la fracture numérique entre collectivités, devra également bénéficier à la Polynésie en favorisant des projets comme le programme SPIN (boucle Nouvelle-Calédonie óWallis et Futuna ó Polynésie française).
- Au titre du renforcement de la cohésion sociale : le nouveau dispositif de défiscalisation des logements sociaux sera applicable en Polynésie. Le Gouvernement souhaite en effet réorienter sa dépense fiscale en faveur des logements sociaux, compte tenu de la demande particulièrement forte exprimée Outre-mer. Des modifications ont d'ailleurs été apportées au projet pour tenir compte des demandes exprimées notamment par la Polynésie d'un relèvement du plafond de défiscalisation (de 1200 à 1800 euros/m²) afin de faciliter l'équilibre des opérations immobilières.
Les Nouvelles de Tahiti : Le sénateur Gaston Flosse et le président de l'assemblée Oscar Temaru, absents à l'accueil du nouveau haut-commissaire, n'ont pas non plus tenu à participer à la cérémonie du 14-Juillet. Il est probable aussi que le sénateur ne soit pas présent durant votre visite officielle. Quelle est votre position par rapport à ces actes de défiance de plus en plus récurrents ?
Yves Jégo : Je suis trop respectueux des élus pour juger de leur attitude. Seuls les polynésiens peuvent le faire. Pour ma part je viens humblement pour découvrir la Polynésie française et j'espère mieux la comprendre. Je ne viens pas en donneur de leçons mais en représentant de l'Etat soucieux du seul intérêt général.
Les Nouvelles de Tahiti : L'Etat a été très vigoureusement attaqué au dernier grand conseil du parti de Gaston Flosse. Son président-délégué, Edouard Fritch dénonce un Etat qui "veut nier l'évolution politique de notre pays" et qui "ouvertement et par les moyens dont il dispose, s'oppose à cette paix politique" entre Gaston Flosse et Oscar Temaru. Est-ce le cas ?
Yves Jégo : Nous sommes à quelques semaines des élections sénatoriales. Je ne vais pas me laisser entraîner dans des querelles partisanes ni polémiquer avec qui que ce soit. Mon rôle est de faire en sorte que le choix démocratique des polynésiens soit respecté et que l'intérêt général triomphe sur les intérêts partisans.
Les Nouvelles de Tahiti : Le processus à la calédonienne semble bien être désormais l'objectif des deux leaders de l'UDSP. Le président-délégué du Tahoeraa annonçait encore : "Oscar Temaru et de Gaston Flosse ont eu un geste fort, presque aussi fort que celui tenu par Tjibaou et Lafleur en Nouvelle Calédonie. La seule différence entre nous et la Nouvelle Calédonie, c'est la sagesse de nos deux leaders, qui ne veulent pas attendre que le sang coule pour se serrer la main et se parler." L'Etat serait-il prêt à s'engager dans un tel processus vers l'autodétermination avec la Polynésie française ? Et à quelles conditions ?
Yves Jégo : A la lecture des résultats des dernières élections je ne suis pas convaincu que le sujet institutionnel figure parmi les priorités des Polynésiens.
Je suis persuadé au contraire que la population aspire avant tout à une meilleure qualité de vie - plus de logements sociaux et la résorption de l'habitat insalubre, la mise en place d'un véritable système de soins - et à la relance de l'activité économique. Ces objectifs sont ceux de la loi programme qui sera débattue à l'automne au Parlement et du contrat de projets signé par le Président de la République et le Président de la Polynésie française en mai dernier. Face à ce débat récurrent sur les institutions je m'interroge vraiment : Ne faut-il pas d'abord que l'énergie des uns et des autres soit concentrée sur la résorption des questions économiques et sociales qui menacent la cohésion de la société polynésienne ? Soyons clair les statuts et les institutions actuelles le permettent parfaitement si la volonté politique de faire triompher l'intérêt général est réellement présente.
Les Nouvelles de Tahiti : Gaston Flosse et Oscar Temaru veulent aussi « corriger la loi Estrosi » et modifier une nouvelle fois le mode de scrutin, en y remettant une prime majoritaire. Cela au nom de la stabilité politique. Etes-vous favorable à cette remise à plat du mode de scrutin ?
Yves Jégo : Je vous le redis par nature je ne suis opposé à aucun débat mais là encore j'ai le sentiment que les priorités des polynésiens sont ailleurs. Quels sont les grands projets du territoire ? Comment assurer la croissance économique et l'emploi sur place pour les générations futures ? Comment lutter contre les risques climatiques et faire de l'enjeu écologique un atout de croissance ? Comment dessiner une nouvelle ambition pour le tourisme ? Comment tout simplement mettre en chantier ce qui vient d'être financé dans le Contrat de projet ? Voilà quelques-unes unes des questions que j'aimerais voir poser et sur lesquelles j'aimerais débattre avec les élus. Les Polynésiens se sont exprimés récemment et démocratiquement par les urnes. Librement ils ont choisi des élus pour agir. Il me semble que l'énergie perdue dans des débats annexes serait mieux utilisée pour répondre aux attentes des polynésiens et en particulier de ceux qui souffrent. Sincèrement est ce un nouveau mode de scrutin qui va changer la vie des polynésiens ?
Les Nouvelles de Tahiti : Depuis sa signature à l'Elysée, le Contrat de projets attend sa mise en oeuvre. Votre visite sera-t-elle l'occasion d'installer le comité de pilotage de ce Contrat. Et compte tenu du démarrage tardif de ce Contrat, les crédits programmés pour 2008 et qui ne pourront être consommés, seront-ils perdus ou bien basculés sur 2009 ?
Yves Jégo : Je souhaite naturellement que les cinq volets principaux du contrat soient mis en oeuvre le plus rapidement possible. C'est pour cela que je suis là.
Les Nouvelles de Tahiti : Après la période des essais nucléaires, et à la suite de treize années d'après-CEP, comment définiriez-vous aujourd'hui le lien et les relations entre l'Etat et la Polynésie française ? Quel est le principal message de votre visite à l'adresse des Polynésiens ?
Yves Jégo : Je viens dire au président Tong Sang et à tous les responsables politiques combien l'Etat est désireux d'aider la Polynésie française. Je viens rencontrer les Polynésiens pour leur dire que l'Etat sera toujours présent et solide. Nous avons déjà mobilisé des moyens considérables et nous en mobiliserons encore pour apporter notre part au développement. Je sais que la Polynésie française à un brillant avenir devant elle pour peu qu'elle s'inscrive dans une nouvelle logique ; celle d'un monde qui change et qui oblige les responsables politiques à être à la hauteur des défis qui sont devant nous pour garantir un bel avenir à nos enfants.
Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 18 août 2008