Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur la crise financière, la concertation au niveau européen et la création d'"une structure juridique" d'Etat pour soutenir les banques, à l'Assemblée nationale le 8 octobre 2008.

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Circonstance : Ouverture du débat sur la crise financière à l'Assemblée nationale le 8 octobre 2008

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Les évènements qui affectent actuellement toute l'économie mondiale sont d'une gravité historique. Ils exigent du sang froid, de la réactivité et notre unité. Nous avons ce débat parce que la nation, par votre intermédiaire, a besoin d'être éclairée et rassemblée. Le retour de la confiance passe en effet par notre capacité à faire bloc, au-delà de nos différences partisanes. Le sens de l'unité politique et de l'intérêt général constitue un message fort, très fort, adressé à nos concitoyens et il est, d'une certaine manière, une réponse aux marchés qui doivent trouver en nous la stabilité et la raison qui leur échappent.
A Toulon, le 25 septembre dernier, le président de la République a énoncé les grands principes qui fondent notre politique face à cette crise.
Chacune des journées survenues depuis cette date a confirmé la pertinence de son diagnostic. Et chacune de ces journées a vu les problèmes s'enchaîner de manière dangereusement spectaculaire.
Le jour de la chute de la cinquième banque d'affaires américaine, la confiance était brisée. La tempête qui sévissait depuis la crise des subprimes est alors devenue un ouragan.
Mesdames et Messieurs les députés, ce n'est pas la crise du capitalisme en tant que tel, c'est la crise d'un capitalisme dévoyé par des pratiques qui n'auraient jamais dû exister. C'est la crise d'un capitalisme non régulé ou mal régulé qui s'est affranchi de ses obligations éthiques et économiques.
Le dérèglement des marchés a prospéré sur le terreau des supervisions défaillantes et des autorégulations illusoires.
Il s'est nourri de la sophistication financière croissante et de l'aveuglement d'investisseurs qui ont cru que le risque pouvait se dissoudre et se mutualiser sans fin.
Mais ce dérèglement n'aurait pu se développer sans l'existence de centres off-shore, sans « dumping réglementaire », sans des règles pousse-au-crime de rémunération des opérateurs et sans les fausses valeurs décernées par les agences de notation.
Tous ces excès entraînent un ralentissement de l'économie dans le monde entier.
Nous savons que l'Asie va continuer à croître, mais moins vite qu'auparavant.
Nous savons que l'Europe sera rudement affectée par le ralentissement et nous savons que la France le sera aussi.
Il y aura des conséquences sur l'activité, sur l'emploi et sur le pouvoir d'achat des Français.
Dans cette tempête, les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités.
Le Plan Paulson a finalement été adopté par le Congrès ; sous l'impulsion de la France, l'Europe s'est décidée, quant à elle, à agir ensemble.
En tant que présidente de l'Union européenne, la France ne pouvait pas rester dans ces circonstances sur un rythme ordinaire, et le Président de la République s'y est employé en convoquant samedi un sommet des 4 puissances européennes membres du G8.
Cette initiative a permis de fédérer et de lancer une dynamique d'action concertée. Elle a été confirmée hier par la déclaration commune des 27 et par la réunion de l'ECOFIN sous la présidence de Christine Lagarde, en préparation de l'évènement principal qui permettra de prendre les décisions les plus importantes, c'est-à-dire le Conseil européen qui aura lieu à la fin de la semaine prochaine.
Samedi, les partisans au G4 ont pris des décisions capitales. Ils ont appelé à la tenue la plus rapprochée possible d'un sommet au niveau mondial, qui permette de refonder la gouvernance du système financier international.
Ils se sont entendus pour que toutes les entités financières d'une taille significative soient à l'avenir supervisées. Il y avait dans le système des trous béants : ils devront être bouchés.
Aux Etats-Unis, les banques d'investissement n'étaient pas supervisées, et n'importe qui pouvait distribuer des crédits bancaires aux particuliers. La dérive des subprimes, c'est ce qui arrive quand ceux qui vendent les produits ne sont pas ceux qui les prêtent, et que chacun reporte sur l'autre la responsabilité de l'examen de la solvabilité de l'emprunteur.
Dans notre économie mondialisée, les places off-shore, la concurrence des hedge funds, instruments dérégulés mais qui en même temps ont accès aux marchés, ont mis une pression considérable sur les acteurs qui voulaient être raisonnables mais, qui, dès lors, courraient le risque de voir les flux financiers se détourner d'eux.
Notre message, Mesdames et Messieurs les députés, pour le futur sommet du G8, c'est celui que la France porte avec force depuis un an : la mondialisation doit s'accompagner de règles claires et équitables, de réciprocité, d'équité et de responsabilité.
Autre acquis de ce G4 : les participants se sont entendus pour réexaminer les normes prudentielles et comptables, parce qu'il faut qu'à l'avenir ces normes puissent prévenir la formation de bulles spéculatives et amortissent le choc en cas de crise, plutôt que l'inverse. Sur ces questions, vous le savez, la France a longtemps eu un discours isolé, un discours que même certains considéraient comme "décalé". Eh bien aujourd'hui, tous s'accordent sur la nécessité d'évoluer.
Lors du G4, nous nous sommes également mis d'accord pour revoir les modes de rémunération des dirigeants et des opérateurs sur les marchés.
Pendant des années, les équipes qui ont fabriqué des véhicules de titrisation ont reçu des bonus immédiats, calculés sur le gain espéré qui était d'ailleurs immédiatement comptabilisé dans sa totalité. Quel intérêt avaient-ils à s'assurer que ce gain se matérialiserait effectivement dans la durée ? Eh bien à l'avenir, les modes de rémunération devront faire partie intégrante de la surveillance prudentielle.
Ces principes de bon sens, qui n'auraient jamais dû être perdus de vue, sont désormais consensuels en Europe. Et je crois qu'on peut dire que ce qui a été obtenu samedi par le président de la République est tout à l'honneur de notre pays.
Cette ambition, Mesdames et Messieurs les députés, nous la porterons au plus haut niveau pour refonder l'architecture financière internationale sur une véritable légitimité politique. Le mandat du FMI devra être renforcé en ce sens, pour qu'il dispose d'un véritable système d'alerte précoce. Et la proposition française que nous défendons depuis plus d'un an, d'évoluer d'un G8 qui ne correspond plus aux réalités économiques et sociales du monde d'aujourd'hui, à un G14 prend tout son sens pour porter ces projets à l'échelle mondiale.
Hier, l'ECOFIN, sous la présidence de Christine Lagarde, a repris l'engagement des participants du G4 d'assurer un soutien sans faille des établissements financiers déterminants.
Certes, à 27, et compte tenu des spécificités de chacun et de l'urgence dans laquelle il faut parfois agir, il est logique que les opérations s'effectuent le plus souvent au niveau national. Quand on doit décider en deux heures, au milieu de la nuit, comment sauver une banque, mieux vaut ne pas avoir à réveiller ses 26 homologues.
C'est dans cet esprit que le Royaume-Uni a annoncé, ce matin, un plan national d'urgence dont Gordon Brown a personnellement précisé les contours au président de la République.
Une dynamique européenne est engagée, et la décision qui vient de tomber, la décision coordonnée, de la Banque Centrale Européenne, de la Banque d'Angleterre, de la FED et de la Banque du Canada, de baisser des 50 points de base les taux, est, dans ce contexte, un signal très fort pour nos économies et nos entreprises. Et si je puis me permettre d'ajouter, un signal que nous attendions avec impatience.
Mesdames et Messieurs les députés,
Le président de la République et moi-même, à plusieurs reprises, devant votre Assemblée, nous l'avons dit de la façon la plus solennelle qui soit : l'Etat assumera son rôle de garant en dernier ressort de la continuité et de la stabilité du système bancaire et financier français.
Cet engagement signifie que nous garantirons la continuité de l'exploitation de chacune de nos banques. Cet engagement signifie qu'aucune d'entre elle ne pourra être acculée à la faillite.
Les interventions devront être réactives, mais elles devront être conçues comme temporaires.
Elles devront respecter les intérêts des contribuables.
Elles supposent de pouvoir exiger un changement des équipes dirigeantes si celles-ci ont failli à leur mission.
Et même si ces interventions sont nationales, les Etats doivent être attentifs aux conséquences pour les autres Etats et pour les banques concurrentes qui sont saines.
L'Etat n'agit pas pour sauver des dirigeants. Ceux de Dexia ont été remplacés.
Il le fait pour protéger les Français, leurs entreprises, nos emplois et notre économie.
Alors, comment allons nous mettre en oeuvre l'engagement que nous avons pris de garantir la continuité de notre système bancaire ?
Eh bien comme nous l'avons fait avec Dexia. Si une banque ou un établissement financier est en difficulté, nous examinons immédiatement avec la Banque de France et les autorités de régulation quelle est la meilleure solution.
Si cette solution nécessite l'entrée de l'Etat au capital, nous le faisons, mais à plusieurs conditions :
- d'abord, l'Etat doit avoir les moyens de superviser le redressement de la banque. Et c'est la raison pour laquelle, dans le cadre de Dexia, nous avons obtenu, avec la Caisse des dépôts et consignations, une minorité de blocage. Si ça n'avait pas été le cas, nous n'aurions pas suivi la demande des autorités belges.
- ensuite, la direction doit pouvoir être immédiatement renouvelée si la situation le justifie. Les dirigeants qui se sont affranchis des règles minimales de prudence ne doivent pas compter sur l'Etat actionnaire pour les aider à sauter en parachute doré.
- enfin, l'Etat n'a pas vocation à rester un actionnaire durable. Une fois l'entreprise redressée, la participation de l'Etat doit être revendue, si possible avec une plus-value, comme nous l'avons fait dans le passé pour Alstom.
Je l'ai dit, notre engagement pour assurer la continuité du secteur bancaire est total et la parole de l'Etat est engagée.
Pour cela, nous devons être en mesure d'intervenir financièrement sans délai, y compris par des prises de participations. Et à cette fin, le président de la République et moi-même, nous avons demandé à Christine Lagarde de mettre en place une structure juridique intégralement détenue par l'Etat pour réaliser les investissements qui seraient rendus nécessaires par la situation.
Aujourd'hui, cette structure existe, elle porte déjà la participation de l'Etat dans DEXIA. Et afin qu'elle puisse disposer de tous les capitaux nécessaires aux interventions qui se justifieraient à l'avenir, le Gouvernement sollicitera du Parlement, par voie d'amendement au projet de loi de Finances, la garantie explicite de l'Etat.
C'est, Mesdames et Messieurs les députés, cette structure qui nous permettra, en cas de besoin, de mettre en oeuvre notre stratégie qui consiste, au cas où une banque serait en difficulté, à la recapitaliser, à en maîtriser la stratégie et la gestion, à la redresser et à remettre les participations de l'Etat sur le marché lorsque dès que les circonstances le permettent.
Nous voulons de la sorte créer les conditions du retour de la confiance dans le système bancaire et assurer la reprise des prêts entre les banques elles-mêmes.
Notre pays a un système de garantie des dépôts parmi les plus protecteurs, avec un plafond de 70.000 euros par déposant et par banque, contre 20.000 euros imposés aujourd'hui par la réglementation communautaire, en vigueur dans la plupart de nos Etats membres, et qui va être portée, à la suite des décisions du Conseil des ministres des Finances, à 50.000 euros.
Certains pays sont allés plus loin et ont étendu leur protection à l'ensemble des dépôts, voire, dans certains cas, à l'ensemble des passifs bancaires. Nous, nous considérons qu'en France, les dépôts sont garantis à 100 %, puisque nous nous sommes engagés à faire en sorte qu'aucune banque ne puisse être acculée à la faillite.
Mais au-delà de cette question, ce qui est crucial aujourd'hui, c'est l'urgence de répondre au problème de la liquidité du marché interbancaire.
Nos banques sont solvables, le gouverneur de la Banque de France l'a rappelé hier devant votre commission des Finances. Mais elles font face, comme toutes les autres banques européennes, à des tensions extrêmement fortes de ce marché interbancaire.
Les banques centrales ont naturellement sur ce sujet un rôle clé à jouer, et elles le jouent depuis plusieurs semaines, en fournissant des liquidités dans un volume considérable. Nous sommes en contact permanent, comme les autres gouvernements européens, avec les autorités monétaires à ce sujet. La Banque Centrale Européenne, et l'ensemble de l'eurosystème, sont mobilisés sur cette question de la liquidité. Je sais leur détermination à prendre, dans les heures qui viennent, toutes les mesures nécessaires pour assurer aux banques les liquidités dont elles ont besoin.
Comme vient de le souligner le président de la République, la réponse ne peut être que globale et coordonnée entre les banques centrales et les gouvernements européens. Il revient à ces gouvernements de prendre les mesures qui relèvent de leur responsabilité pour assurer la sécurité maximale des échanges interbancaires. Je veux vous dire que nous sommes en relation permanente avec nos partenaires pour mettre en place, sans délai, dans chaque Etat les bons outils à cette fin.
Mesdames et Messieurs les députés,
Derrière la crise bancaire, ce sont les conditions de crédit qui se resserrent, et qui mettent désormais en danger l'existence même de nos PME.
Face à cela, il n'est pas question de rester inactifs.
Le 2 octobre, nous avons décidé la mise en place d'un plan de soutien aux entreprises de plus de 20 milliards d'euros, prenant appui notamment sur OSEO.
Par son intermédiaire, nous augmenterons de 4 milliards d'euros la capacité de prêts bancaires garantis ou apportés en co-financement d'ici la fin de l'année 2009. Pour cela, nous mobilisons les ressources propres d'OSEO et nous mettons en place une nouvelle ligne de refinancement sur les Fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations.
Nous avons également décidé de mobiliser ces derniers plus largement pour financer les projets des PME. Les besoins de financement sont immédiats. Un arrêté, publié demain, jeudi, enclenchera la réaffectation de 8 milliards d'euros, puis 9 milliards le 15 octobre. Et la totalité du plan annoncé aura été mise en place d'ici deux semaines.
C'est grâce à la vigueur de la collecte sur les livrets d'épargne réglementée, avec entre 20 et 30 milliards de collecte supplémentaire, que cette réallocation est possible, cela sans amputer les besoins du logement social. Et bien évidemment, sans impact sur la protection des épargnants, puisque les livrets réglementés restent dans leur totalité garantis à 100 %.
Nous allons, Mesdames et Messieurs les députés, contrôler très strictement l'utilisation de ces crédits. Et nous avons demandé aux banques de s'engager à ce que leur intégralité soit affectée au financement des Petites et Moyennes Entreprises. Des conventions précises seront, dans cet esprit, passées entre l'Etat et les banques. Et nous surveillerons désormais sur un rythme mensuel leur activité de prêts aux PME.
La deuxième menace que fait peser cette crise financière concerne le logement. Nous avons décidé de lancer, vous le savez, un plan sans précédent un plan d'acquisition de programmes immobiliers en vente en état futur d'achèvement, en mobilisant pour 30.000 logements les promoteurs et les organismes HLM, et en premier lieu tous les grands opérateurs publics.
Nous allons augmenter le nombre de Pass Foncier en 2009 afin de porter le nombre de logements pouvant bénéficier de cette aide à 30.000, au lieu des 20.000 prévus actuellement.
Quant au programme de mobilisation des terrains publics en vue de construire 70.000 logements, dont 40 % de logements sociaux, il va être considérablement accéléré.
Enfin, nous avons décidé d'augmenter le plafond de la garantie pour l'accession à la propriété. Ce plafond permettait environ à 20 % des ménages français d'y être éligibles, désormais ce sera environ 80 % des ménages français qui pourront bénéficier de cette garantie.
Voilà, Mesdames et Messieurs les députés.
L'avenir est d'abord entre nos mains.
Il dépend de notre courage, il dépend de notre imagination, de notre volonté de travailler plus, d'innover plus mais aussi de dépenser moins.
Et je veux dire que dans ce contexte, notre politique budgétaire est adaptée à la crise, parce qu'elle n'est ni laxiste ni récessive.
Tout comme pour l'ensemble de nos partenaires européens, elle consiste, dans un contexte économique extrêmement difficile, à donner à notre budget un rôle de stabilisateur, en utilisant à plein les souplesses que nous donne le Pacte de stabilité.
Cela passe par deux choix stratégiques.
D'abord, nous ne cherchons pas à compenser les baisses de recettes entraînées par le ralentissement par une hausse des prélèvements obligatoires. Le taux de prélèvements obligatoires n'augmentera pas, et je veux dire que toute reprise de la croissance sera mise à profit pour le baisser d'ici 2012.
Ensuite, nous tenons les dépenses.
La crise ne nous donne aucune raison de relâcher la discipline que nous nous sommes imposée en matière de finances publiques.
Laisser filer nos dépenses, renoncer à réformer, ne contribuerait ni au retour de la confiance des ménages, ni à celle des entrepreneurs, ni à celle des investisseurs.
L'augmentation de la dépense de l'Etat sera donc égale à 0 en volume.
Nous respecterons notre engagement de ne pas remplacer la moitié des départs en retraite des fonctionnaires. Et sur 2008-2009, nous aurons supprimé un peu plus de 50.000 emplois dans la fonction publique.
Enfin, avec la Révision Générale des Politiques Publiques, nous supprimons toutes les structures redondantes et toutes les politiques improductives.
Mesdames et Messieurs les députés,
Nous sommes lucides sur la gravité de la situation. Mais nous devons également être lucides sur les signaux encourageants sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour faire face : la diminution de l'inflation, la baisse du cours de l'euro, le faible endettement des Français, et la baisse des taux.
Ce débat doit être l'occasion d'échanger nos vues, de croiser nos arguments. Je veux dire que dans cette crise, le Gouvernement et le Parlement doivent, plus que jamais travailler de concert. Et je suis, avec Christine Lagarde et Eric Woerth, à la disposition de votre Assemblée et de vos commissions pour vous informer régulièrement. Nous pourrons, si vous le souhaitez, prolonger ce débat au fur et à mesure que la crise nous donnera l'occasion, ensemble, de nous concerter.
Je crois que la situation est au rassemblement de toutes les bonnes volontés.
Je pense qu'il nous faut agir ensemble, avec sang froid, avec réactivité, avec responsabilité. C'est évidemment ce que les évènements nous imposent. Mais je suis aussi convaincu que c'est ce que les Français attendent de nous.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 9 octobre 2008