Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la politique de la montagne, notamment le développement de l'économie de moyenne montagne, la protection de l'environnement et la sécurité, Ax-les-Thermes (Ariège) le 19 mars 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Clôture du Conseil national de la montagne à Ax-les-Thermes (Ariège) le 19 mars 1999

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les élu(e)s,
Mesdames et Messieurs,
Cher(e)s ami(e)s,
Je suis heureux de vous retrouver en Ariège, ce département qui mest familier et où jai tant damis, pour ce Conseil national de la montagne, et je remercie Augustin Bonrepaux pour son accueil chaleureux, dans sa ville. Cest avec grand plaisir que je préside aujourdhui ce Conseil. Dabord, parce que javais pu prendre la mesure, lorsque jétais à la tête du Comité départemental de développement économique de Haute-Garonne, des problèmes mais aussi des atouts de nos massifs. Ensuite, parce que depuis vingt mois mon Gouvernement a engagé une politique ambitieuse en faveur de la montagne. Modernisation des institutions et des procédures, dune part ; rééquilibrage des objectifs en faveur de la moyenne montagne, dautre part : telles sont les deux lignes de force de cette politique que je souhaite vous présenter ce matin.
1 Afin quelle occupe une place digne delle dans laménagement de notre territoire, la montagne bénéficie dune politique modernisée.
Notre montagne, nos montagnes, participent de lidentité de la France. Dans son dernier ouvrage, Fernand Braudel sinterrogeait : « La géographie a-t-elle inventé la France ? ». Sans doute la France est-elle dabord loeuvre des hommes. Elle reste cependant indissociable de la géographie, qui a beaucoup influencé son histoire. Au sud, à lest, ce sont les montagnes qui dessinent nos frontières. Le Traité des Pyrénées, en 1659, puis le rattachement de la Savoie, en 1860, en témoignent. Notre pays ne serait pas cet « hexagone » fait déquilibre et dharmonie sans ses sept massifs, qui couvrent près du quart du territoire national. Entre 4 et 7 millions de nos concitoyens y vivent, selon laltitude que lon retient pour ce décompte. Mais cest pour lensemble des habitants de notre pays que la montagne représente un patrimoine exceptionnel. Sans ses trésors -sa flore, sa faune, la beauté de ses paysages, le calme de ses forêts, la qualité des produits qui y sont élaborés selon un savoir-faire affiné par le temps-, il manquerait à la France une saveur, une dimension, du « relief » pour tout dire...
La montagne représente une chance pour la France. Cest pourquoi, sous limpulsion du Gouvernement, un important travail législatif a été entrepris pour que la montagne tienne toute sa place au sein de notre politique daménagement du territoire. Organiser la complémentarité entre pays de plaine et pays de montagne, promouvoir une logique de développement durable -alliant préservation de lenvironnement et dynamisme économique-, renforcer la cohésion sociale en créant des emplois à la montagne : telles sont nos ambitions. Elles mobilisent lensemble du Gouvernement, autour de la ministre de lEnvironnement et de lAménagement du territoire, Mme Dominique Voynet. Cest conscient de ces enjeux que le Gouvernement, instruit des orientations définies dans le rapport dévaluation de la politique de la montagne du Commissariat Général au Plan, met en oeuvre une politique modernisée.
Cette politique est centrée sur la réalité physique, mais aussi culturelle et économique quest le massif. Chaque massif constitue un ensemble naturel, cohérent, vivant, dont les besoins doivent être traités de façon spécifique. Et cest à juste titre que la loi Montagne de 1985 sadapte à la situation particulière de chacun dentre eux. Par-delà les limites administratives, les préfets ont reçu instruction de préparer des schémas interrégionaux de massifs. De même, les prochains contrats de plan devront consacrer à la montagne un volet spécifique, élaboré collectivement par toutes les régions concernées. Des instructions précises ont été adressées en ce sens par Mme Voynet aux préfets de région, après les décisions du Comité interministériel daménagement du territoire de décembre 1998.
Cette politique est fondée sur la concertation et le partenariat. Le habitants et les élus de la montagne doivent en être les premiers acteurs. Les instruments de laménagement du territoire ont été modernisés dans cet esprit.
Les structures de concertation créées par la loi de 1985 doivent être mieux coordonnées. Les Présidents de Comité de massif, qui appartiennent avec voix consultative à la commission permanente du Conseil de la montagne, devraient pouvoir travailler ensemble de façon plus régulière et se réunir en une conférence permanente des présidents. Par ailleurs, le Gouvernement a conforté la place des Commissaires de massif, auprès des préfets coordonnateurs de massif. Jadresserai à chacun deux une lettre de mission précisant leur champ daction et leur vocation interrégionale. Eux aussi doivent se réunir plus régulièrement et constituer, pour le Conseil national de la montagne et sa commission permanente, un comité dexperts. Tous ces acteurs pourront ainsi, comme le demande lAssociation nationale des élus de montagne, mieux coordonner leur travail de relais auprès du Conseil national de la montagne. Dès cet été, la ministre de lAménagement du territoire préparera, avec vous, la mise en oeuvre de ces orientations.
Cette politique sera mise en oeuvre à travers des partenariats renforcés. Dans le cadre du projet de loi dorientation pour laménagement et de développement durable du territoire, nos outils de planification ont été définis. Pour que nos investissement permettent de répondre aux besoins des populations, des schémas de services collectifs sont en préparation. Pour privilégier des projets aux besoins locaux, nous avons élaboré de nouveaux outils, à léchelle des bassins demploi. Ainsi, le dispositif des pays et des agglomérations, la simplification de la coopération intercommunale aideront les collectivités locales de la montagne à mener ensemble ces projets. LEtat accompagnera ce partenariat entre collectivités locales : en négociant les contrats de plan avec les régions, chefs de file de laménagement du territoire, comme en tirant le meilleur parti de lindispensable échelon de proximité que sont les départements.
Enfin, cette politique intègre la dimension européenne. Les montagnes ne sarrêtent pas, en effet, aux frontières nationales que lHistoire leur a associées. Je souhaite que les négociations sur lAgenda 2000 aboutissent et tiennent compte des besoins de la montagne. Jentends en effet que nos massifs continuent de bénéficier des fonds structurels européens. Dans ce cadre, le Gouvernement français a demandé que des Documents uniques de programmation plurirégionaux prennent en compte nos massifs. A lavenir, labsence de zones définies a priori pour la répartition de certaines aides ne doit pas priver les projets conçus pour les régions montagneuses du soutien des fonds communautaires. le nouvel objectif III des Fonds structurels, consacré à la « valorisation des ressources humaines », rencontre le besoin de formation professionnelle des habitants de ces régions. De même, la coopération transfrontalière doit être encouragée, notamment par le futur programme dintérêt communautaire INTERREG, dont les volets ouvrent de larges possibilités à la volonté de coopération des régions de montagne française.
Tels sont les instruments -renouvelés, modernisés, plus efficaces- de notre politique. Jen viens maintenant aux objectifs quelle poursuit.
II. Tout en favorisant la haute montagne, notre politique entend recréer une économie de moyenne montagne.
La montagne nest pas quun magnifique patrimoine naturel. Elle est aussi un espace de richesses, de production et de développement économique. La nature est un patrimoine à protéger ; elle est aussi une ressource à valoriser. Ce développement doit être durable et respectueux de lenvironnement. A cet effet, le Gouvernement privilégie deux priorités.
Nous préservons lenvironnement, notamment en veillant à lapplication de bonnes règles durbanisme. A linitiative de Mme Demessine, secrétaire dEtat au Tourisme, la loi de finances initiale pour 1999 a prévu daider la réhabilitation de limmobilier. Le décret dapplication sera publié avant trois mois. Plus généralement, face aux attentes dune adaptation du droit de lurbanisme aux contraintes du développement, il convient, comme lenvisage le secrétaire dEtat au logement, M. Louis Besson, de remettre en vigueur le dispositif de prescriptions particulières de massif. Les directives territoriales daménagement sont également un outil de développement utile. Avant de modifier la loi Montagne, complète en matière durbanisme, il convient, je crois, den exploiter toutes les possibilités.
Nous sécurisons cet environnement. Les éboulements récents sur des routes ont causé une gêne importante, au risque dengendrer de graves accidents. Jai demandé au ministre de lAgriculture Jean Glavany de reconduire la convention passée avec lOffice nationale des forêts (service de Restauration des Terrains en Montagne), afin de programmer les travaux de stabilisation nécessaires. Quarante millions de francs supplémentaires seront affectés à ces travaux. Depuis la loi de finances, les travaux en ce domaine par les communes et leurs regroupements sont éligibles au FCTVA. Le ministre de lEquipement et des Transports a affecté des crédits supplémentaires à la protection de la R.N. 90 et demandé au Conseil général des Ponts de recenser, dici trois mois, les opérations de sécurité les plus urgentes, pour les prendre en compte dans les prochains contrats de plan. Pour la prévention des risques naturels, la ministre chargée de lEnvironnement mène une action inscrite dans la durée.
Ainsi préservé et sécurisé, cet environnement peut être le meilleur atout pour un développement économique durable de la montagne -haute ou moyenne.
La haute montagne connaît des difficultés spécifiques. Trois dentre elles, en particulier, retiennent toute lattention du Gouvernement.
Le « déficit denneigement » est un problème récurrent pour les stations de ski. Une circulaire de 1997 prévoit dores et déjà des délais de paiement en faveur des entreprises mises en difficulté par une saison trop clémente. De même, des avances sur la DGF et les recettes fiscales peuvent être octroyées aux communes. Faut-il aller plus loin et créer un « fonds-neige » pour instaurer une péréquation entre stations ? Les difficultés que vous avez rencontrées pour élaborer un projet commun doivent nous inciter à la prudence. Le Gouvernement est prêt, toutefois, à en discuter avec vous.
Lactualité récente a mis crûment en lumière le problème de la sécurité en montagne. Il nest pas souhaitable ni de revenir sur le principe de gratuité des secours en montagne hors des domaines skiables, ni de remettre en cause la liberté de la pratique sportive. En revanche, il convient de responsabiliser le public. Avant lhiver prochain, la commission supérieure des sports de montagne fera au Gouvernement des propositions en ce sens. Elle réfléchira aussi aux conditions dexercice de la police administrative en cas de risque grave pour la sécurité du public.
Enfin, sagissant de la situation des travailleurs saisonniers, des solutions doivent être recherchées dans le respect du droit du travail, du droit de la fonction publique et de la loi sur la réduction du temps de travail. Sur ce sujet, M. Anicet Le Pors vient de remettre un rapport qui fait des propositions intéressantes. La commission permanente du Conseil national de la montagne pourra utilement charger un groupe de travail de réfléchir à leur mise en oeuvre avant la prochaine saison.
Dans le même temps, nous voulons donner une impulsion au développement de la moyenne montagne. Afin quelle reste un espace vivant et accueillant, le Gouvernement veut dynamiser les deux champs de son activité économique.
Dabord en recherchant, avec les professionnels et les collectivités locales, les moyens de développer loffre touristique. Le tourisme montagnard représente plus de 40 milliards de francs, à peu près également répartis entre tourisme dété et sports dhiver. Cependant, de fortes disparités existent entre la haute et la moyenne montagne et la saison dété nest pas suffisamment exploitée. Pour développer, été comme hiver, le tourisme de moyenne montagne, Michèle Demessine travaille actuellement à un programme daction qui vous sera soumis lan prochain. Dans le cadre des contrats de plan, le Gouvernement aidera sans attendre, grâce au Fonds national daménagement du territoire, les projets diversifiant les activités de loisirs.
Pour dynamiser léconomie de moyenne montagne, nous devons aussi moderniser lagriculture. Le ministre de lAgriculture, Jean Glavany, a réuni un groupe de travail qui remettra ses conclusions en juin. Grâce au Contrat Territorial dExploitation, nous pourrons mieux connaître les multiples rôles de lagriculteur dans léconomie et lentretien de la montagne. Le Gouvernement entend également poursuivre une politique de soutien à la modernisation des exploitations -qui bénéficie, en 1999, de financements nouveaux- et à létablissement des jeunes : 20 % des dotations « jeunes agriculteurs » vont ainsi à la montagne. Moderniser lagriculture de montagne, cest aussi mettre en valeur ses produits de qualité, au moyen des AOC. Enfin, Jean Glavany prépare, dans le prolongement du rapport Bianco, une charte de développement de la forêt, qui permettra daméliorer la compétitivité de la filière, de soutenir lemploi et linvestissement, de promouvoir la gestion durable des forêts et de contribuer à la lutte contre leffet se serre.
Mesdames et Messieurs,
Pour que vive le patrimoine commun que constitue notre montagne, pour redonner du souffle à léconomie de moyenne montagne, cette politique globale a besoin de leffort de tous. Cest ensemble que nous devons préparer les décisions, au plus près des préoccupations exprimées par les habitants de la montagne comme par tous nos concitoyens. LEtat est là, donne une impulsion, apporte des moyens, mais cest en mobilisant toutes les institutions, les élus, les collectivités locales les entreprises, les exploitations agricoles, chacun des femmes et des hommes qui vivent sur les sommets de notre pays, que nous aiderons la montagne à rester cette composante essentielle -si riche, si nécessaire- de notre identité nationale. cest pourquoi je prends lengagement de réunir le prochain Conseil national de la montagne en lan 2000. En attendant, je souhaite bon travail à la nouvelle commission permanente.
(Source://www.premier-ministre.gouv.fr, le 22 mars 1999)