Déclaration de M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur le bilan de santé de la PAC et les perspectives pour 2013, Nantes le 23 octobre 2008.

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Circonstance : Conférence des régions périphériques maritimes à Nantes le 23 octobre 2008

Texte intégral

Je suis heureux d'être parmi vous à Nantes, pour échanger sur la PAC celle de l'après 2013 et celle du bilan de santé dont nous débattons en ce moment à Bruxelles.
Je suis, également, heureux de vous retrouver. On se connaît bien. J'ai pu apprécier dans des fonctions antérieures à Bruxelles la qualité de vos analyses et la pertinence de vos propositions. Et je voudrai saluer ici celle que vous avez réalisée il y a un an sur le positionnement des différentes régions dans le premier pilier de la PAC.
Je suis, enfin, toujours, heureux de participer à un débat sur la PAC. Ces débats dans des instances autres qu'agricoles sont essentiels sur cette politique qui concerne chacun d'entre nous dans son quotidien et qui construit plus que d'autres notre avenir.
Le programme de votre séminaire est dans le temps européen. Nous sommes, aujourd'hui, encore loin de 2013.Mais le débat sur la PAC de demain n'est pas prématuré. Les Ministres que j'ai réunis à Annecy, il y a juste un mois, l'ont confirmé. Et pourtant, nous avons surpris quand nous avons inscrit au Conseil Informel de notre présidence l'après 2013, en pleine négociation sur le bilan de santé.
Mais notre démarche a été comprise: aucun Etat-membre n'a esquivé le débat. Notre démarche a été reprise: la future présidence tchèque a décidé de l'inscrire à l'ordre du jour de son Conseil Informel au premier semestre 2009.
D'ici là, mon ambition est, dans le cadre d'un Conseil des Ministres avant de la fin de l'année, de faire adopter formellement des conclusions.
Tout ne fait que commencer, le débat sera long, difficile. Je ne suis pas naïf. Mais il vaut la peine d'être conduit, car au-delà de l'agriculture, c'est de notre modèle de développement futur et d'une certaine idée de l'Europe dont on discute.
Votre projet de déclaration et votre contribution sur la PAC sont porteuses de cette ambition. J'y ai trouvé :
- des principes que je défends depuis longtemps autour de la cohésion territoriale. Et j'aime bien votre formule de « thérapie territoriale »,
- les objectifs pour l'avenir de la PAC auxquels j'adhère mais avec des propositions sur le bilan de santé que je ne partage pas en totalité.
Ce sont ces deux points que je vais rapidement évoquer.
La cohésion territoriale, tout d'abord.
Vos propositions traduisent votre volonté de tenir nos territoires en évitant le déménagement de nos productions. Et là-dessus, je vous retrouve. J'ai, en effet, une double conviction :
- la cohésion de notre territoire européen est aujourd'hui un pilier essentiel de notre croissance qui doit être au service d'un développement durable,
- la politique de cohésion a su innover en matière de gouvernance.
Ce thème de la cohésion territoriale, vous le savez, m'est cher,
- je l'ai porté lorsque j'étais Commissaire européen en charge des politiques régionales,
- je l'ai défendu dans les travaux de la Convention.
Première conviction : la notion de territoire a un sens profond en Europe qui n'a pas d'égale dans le monde. Les territoires ce sont nos racines, notre histoire, notre culture, mais ce sont aussi nos réalités économiques et notre économie réelle.
Dans la tempête financière qui bouscule le monde, nous avons besoin plus que jamais de cette économie réelle. Nous avons besoin de territoires attractifs. C'est là dans ces territoires que se trouvent les entrepreneurs et que se crée de la valeur. C'est dans les territoires que se trouvent nos 14 millions d'entreprises agricoles, nos 310 000 entreprises agroalimentaires. C'est dans les territoires que la filière agroalimentaire réalise plus de 1000 milliards de chiffre d'affaires et fixe plus de 34 millions d'emplois.
Et cette compétitivité des entreprises et des territoires, c'est précisément la stratégie de Lisbonne.
Le défi territorial est au coeur de notre politique agricole. Nous l'avions mis en débat dans le document préparatoire pour le Conseil informel d'Annecy. Les Ministres de l'agriculture ne s'y sont pas trompés. Ils l'ont retenu parmi les défis à relever.
L'enjeu est donc de mieux prendre en compte cette approche territoriale, d'en faire un avantage comparatif dans la mondialisation. C'est de l'intégrer dans les différentes politiques de l'Union, y compris la politique agricole.
Nous savons, tous, que certaines orientations de la PAC peuvent déménager notre territoire. Je pense à la suppression des quotas laitiers : si nous n'y prenons pas garde c'est la concentration des productions dans les zones les plus faciles que l'on organise.
Je souscris totalement à votre proposition d'étude d'impact territorial préalable. La Commission sous-estime cette dimension et vous avez raison de mentionner SCENAR 2020.Pour m'être penché sur cette étude, pour mesurer le coût de l'absence de PAC, j'ai vu combien les impacts territoriaux étaient négligés.
Deuxième conviction : cette politique de cohésion a su innover en matière de gouvernance. Cette politique a su associer, à tous les échelons, les différents acteurs pour élaborer les stratégies et les programmes puis pour les mettre en oeuvre.
Et cette gouvernance est au coeur d'une de vos propositions. C'est cette gouvernance que les régions françaises réunies à Clermont-Ferrand, il y a juste un mois, ont appelé de leurs voeux pour la politique agricole commune.
J'ai bien entendu les deux questions qui pouvaient s'adresser au Ministre de l'Agriculture :
- la première, comment associer les régions au débat sur la PAC ? J'ai annoncé à Clermont-Ferrand que je réunirai le bureau de l'Association des Régions de France au lendemain de la conclusion de l'accord sur le bilan de santé. Et rendez-vous est pris. Nous aurons, alors, la boîte à outils et nous discuterons de sa mise en oeuvre,
- la deuxième question : comment avancer d'ici 2013 sur la régionalisation du second pilier ? Dans le cadre de la programmation 2007-2013, nous avons marqué une étape, que certains jugent, je le sais, insuffisante. Vous proposez dans le cadre de la programmation actuelle d'aller plus loin et de revenir sur les choix qui ont été faits en 2006. Je redis ce que j'ai dit à Clermont-Ferrand, cela ne me paraît pas réaliste en cours de programmation. Par contre, je suis totalement ouvert sur l'après 2013 pour aller vers plus de décentralisation, à condition de ne pas perdre la cohérence de notre politique de développement rural qui garantit notre cohésion territoriale.
Ce dialogue avec les régions, je souhaite qu'il soit ambitieux et mis au service de la cohérence de nos politiques. C'est mon objectif. Et j'ai demandé au Conseil Général de l'agriculture en liaison avec l'ARF de dresser un état des lieux des politiques conduites par les régions. Et nous allons voir ensemble ce que nous pourrons faire. C'est cette démarche que j'ai engagée sur la politique de l'installation avec René SOUCHON.
Quels objectifs pour notre politique agricole, ce sera le deuxième point de mon propos ?
Cette question est majeure parce que l'agriculture est une question stratégique. Notre agriculture, c'est un véritable actif stratégique pour notre continent. Elle touche notre alimentation, notre mode de développement, notre environnement. Notre agriculture en Europe n'est ni une activité résiduelle, ni une activité du passé, ni une activité dépassée.
Vous posez dans votre contribution le même constat que les Ministres à Annecy: la donne a changé et notre monde sera, il l'est déjà, placé sous le signe de l'instabilité, de la montée des risques. A l'urgence alimentaire, s'impose désormais à nous l'impératif écologique sur une planète qui comptera en 2050 9 milliards d'individus. L'agriculture devra produire plus et produire mieux. Elle devra produire partout. Et c'est vrai pour tous les agriculteurs du monde.
De ce constat, vous tirez les mêmes enseignements que les Ministres de l'agriculture à Annecy.
Dans ce monde plus incertain, nous nous retrouvons sur le défi de la sécurité alimentaire pour l'Union européenne.
Nous nous retrouvons sur le défi de la compétitivité de l'agriculture et de l'agroalimentaire,
Nous nous retrouvons sur le défi de la durabilité
Nous nous retrouvons sur le défi territorial, je l'ai dit,
Nous nous retrouvons, enfin, sur « les nouveaux défis », pour reprendre une formule bruxelloise : la réduction des gaz à effet de serre et le réchauffement climatique.
Cette convergence dans le diagnostic et dans les défis à relever doit naturellement nous conduire à promouvoir en Europe, une agriculture de production, performante, durable, enracinée dans les territoires et engagée dans ses débouchés.
Et cette agriculture a besoin de régulation et de gouvernance. Au moment où le Président de la république a défendu à la tribune de l'ONU « un capitalisme régulé », qui pourrait soutenir que l'alimentation, besoin vital de chaque être humain, peut être laissée, sans filet de sécurité, sans garde fou, sans gouvernance, à la main invisible du marché ? C'est au contraire à la main visible de l'Europe qu'il faut en appeler.
Cette incapacité des marchés à gouverner seuls l'agriculture a pour nous 3 conséquences. Nous devons :
- préserver les mécanismes de régulation des marchés. Il n'y a pas de fatalité à tous les démanteler,
- défendre, sans état d'âme, la préférence européenne, notre préférence collective pour notre modèle alimentaire et pour notre modèle de développement territorial,
- mettre nos soutiens en phase avec les évolutions des marchés, la montée des risques et l'impératif d'un développement durable.
La Commission privilégie le découplage total et le renforcement du second pilier. Pour moi, cette double orientation amorcerait la fin de la politique agricole.
La politique agricole a une légitimité en tant que telle. Et son avenir, ce n'est pas de se diluer dans le second pilier.
Sur ce point, je ne partage pas votre analyse. Ce n'est pas par le second pilier que l'on réorientera en profondeur la politique agricole vers des systèmes plus durables. J'ai plus d'ambition pour notre politique agricole. C'est notre économie agricole tout entière qu'il faut convertir vers plus de durabilité. Il faut donc réorienter les soutiens.
C'est une politique agricole plus préventive, plus équitable au service d'une agriculture durable, qu'il faut impulser.
Nos objectifs sont clairs. Ils rejoignent les vôtres. Je me bats aujourd'hui pour disposer au niveau communautaire des moyens de les mettre en oeuvre dès le bilan de santé de la PAC.
Votre proposition phare, c'est la régionalisation des aides. Je le redis après l'avoir dit à Clermont-Ferrand, ce n'est pas la bonne voie. Mais je partage votre analyse sur le caractère dépassé des références historiques.
Une réorientation des aides ciblée sur les productions et les territoires fragiles ainsi que sur les systèmes de production durables doit nous permettre d'atteindre les objectifs d'équité et de mieux préserver l'avenir. J'entends ici et là certains affirmer avec force: il faut régionaliser aujourd'hui, parce qu'en 2013 la PAC, ce sera une aide unique à l'hectare. A la lumière des débats à Annecy, je serai prudent sur les formes de cette politique commune. Notre premier enjeu, c'est qu'elle reste commune et même communautaire, et vous avez raison de le souligner. C'est sa meilleure garantie : un budget pour 7 ans !!!!
Le débat que nous avons aujourd'hui n'est pas simplement un débat franco-français sur la répartition des aides à l'agriculture. Il n'est pas simplement un débat agricole. Il préfigure l'Europe que nous voulons.
Derrière cette vision de l'Europe, il y a aussi une vision de la mondialisation. Notre monde a besoin de régulation. Ce n'est sûrement pas maintenant que nous accepterons de détricoter la première des politiques économiques porteuse de régulation et de gouvernance. Et j'ajoute, une politique agricole qui investit dans un modèle de développement territorialisé dont nous avons besoin aujourd'hui.
Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 30 octobre 2008