Interview de MM. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes et Luc Guyau, président de la FNSEA, à Europe 1 le 26 mars 1999, sur l'accord conclu à l'issue du Conseil européen de Berlin sur l'Agenda 2000, la stabilisation de la dépense communautaire, la réforme du financement de la PAC et des fonds structurels.

Prononcé le

Circonstance : Conseil européen extraordinaire à Berlin (Allemagne) du 24 au 26 mars 1999

Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Que contient laccord qui a été conclu à laube, à Berlin ?
R - Laccord sur lAgenda 2000 est dabord une très bonne chose parce quil fallait absolument conclure. LEurope traverse des difficultés avec le Kosovo, elle vient de se redonner un président avec Romano Prodi, il fallait conclure sur cet aspect financier. Et je crois que cest dabord ça : laccord, cest un accord. Et cest important que lEurope ait à nouveau des finances. Cet accord contient aussi une réforme de la Politique agricole commune que nous considérons comme satisfaisante, en tout cas, très substantiellement améliorée par rapport à ce qui avait été préparé.
Q - Peut-on dire que la PAC est bien réformée ?
R - La PAC a été très nettement infléchie par rapport à ce qui avait été préparé par les ministères de lAgriculture, ou plutôt proposé par la présidence allemande, puisque Jean Glavany avait refusé ce qui ne pouvait pas être un accord. Il y a des choses très substantielles, sur la réforme du lait qui est différée, sur les céréales dont le prix baisse moins que prévu - ce qui est très important pour nous -, aussi sur les mécanismes dintervention en matière de viande bovine. Bref, je crois que nous avons un accord assez global, assez équilibré, et qui doit beaucoup, il faut le dire, à linspiration, à limpulsion française.
Q - Cela veut dire quil y a eu la détermination, la volonté du président de la République, du Premier ministre, de toute la délégation française, pour faire changer de position les Allemands ?
R - Les Allemands ont changé de position. Il a fallu aussi, il faut le dire, faire bouger dautres délégations - presque toutes en fait -, et aussi faire bouger la Commission qui avait introduit un « paquet » agricole qui était à la fois trop coûteux et trop libéral, avec des baisses de prix très nettement excessives. Je pense que, de ce point de vue-là, laccord de Berlin est un accord satisfaisant qui tient compte à la fois des intérêts communautaires, puisque le paquet est moins coûteux, mais aussi des intérêts français, puisque nos productions - la France est la première puissance agricole -, sont respectées.
Q - Est-ce que lon est bien resté dans lenveloppe qui a été souhaitée à la fois par la France et par un certain nombre dEuropéens ?
R - Nous souhaitions que le « paquet » Agenda 2000 soit un paquet de stabilisation de la dépense communautaire, à la fois parce que nous avons aussi des programmes de finances publiques nationaux qui sont rigoureux - on le sait -, et aussi parce quil sagit de préparer lélargissement. Il ne faut donc pas imposer des coûts nouveaux. Nous ny sommes pas tout à fait, puisquil a fallu faire des gestes, pour lEspagne, pour le Portugal, pour lIrlande, pour toute une série de pays qui nont pas tout à fait les mêmes ressources que nous. Mais, cest un « paquet » globalement maîtrisé, ce qui est, là aussi, assez conforme à ce que nous voulions.
Q - De votre part, cest une vision raisonnable, rationnelle. Mais on a limpression que la France, comme quelques autres pays, a eu chaud à Berlin. Il y a eu une procédure du Sommet de Berlin qui a duré longtemps sur ces négociations. Vous deviez être à Paris, et cela sest terminé tard ce matin.
R - Oui, mais cela fait un an quon parle de cet Agenda 2000, et cela fait trois mois que les négociations se déroulent de longs surplace en longs surplace avec de petites avancées. Il était indispensable que les chefs dEtat et de gouvernement, avec les membres du gouvernement, se réunissent dans une sorte de huis clos. Cest vrai que cela a duré longtemps, mais la question est extraordinairement complexe parce quil sagit à la fois de la Politique agricole commune, - on vient den parler -, mais aussi des fonds structurels, - ceux qui servent à financer laménagement du territoire dans nos régions. Il sagit aussi des ressources de lUnion, de la TVA, du rabais britannique. Nous sommes quinze, et donc cétait extraordinairement compliqué. Mais je crois que cela a été assez bien mené. Fatalement, dans une telle affaire, les uns et les autres ont fait des efforts, il ny a pas de compromis sans efforts ou sans sacrifices.
Q - Les Allemands ont fait beaucoup de concessions ?
R - LAllemagne a joué son rôle de président. Cest-à-dire quelle a cherché un compromis, quelle a été le facilitateur du compromis. Bien que les additions ne soient pas faites - vous savez, à 6 heures et demi du matin, on conclut sur des négociations politiques -, il est probable que lAllemagne natteindra pas ce qui aurait été ses objectifs nationaux, si elle navait pas été la présidente. Cest pour cela aussi quil fallait conclure maintenant, parce que cela a permis à lAllemagne - et elle la fait avec beaucoup délégance -, de faire passer lintérêt européen avant probablement les intérêts strictement allemands.
Q - Peut-on dire que cest le premier succès de Gerhard Schröder sur la scène européenne, mais quil aura probablement quelques difficultés à vendre son succès sur le plan intérieur, parce que lAllemagne continuera à être un contributeur important au budget européen ?
R - Quand on a réussi un Sommet comme celui de Berlin, où on a nommé un nouveau président de la Commission à lunanimité, où on a aussi réformé les finances de lUnion européenne, je crois quon peut effectivement dire quon a eu un beau succès européen. Et honnêtement, cétait très difficile. Il faut quand même se souvenir que cest un gouvernement qui vient darriver et qui héritait du dossier le plus complexe qui soit. Donc, il faut lui tirer un coup de chapeau. Et cela me paraît tout à fait vendable à lopinion allemande.
Q - Pendant vos négociations, les bombes et les missiles pleuvaient sur la Yougoslavie. Cela vous a donné la force et lénergie daller plus loin et plus vite ? Sans le Kosovo, il ny aurait pas eu cet accord ?
R - Je nen sais rien. Mais ce qui est certain, cest que nous sentions tous, dans cette salle - où il y avait une concentration de pouvoir et de responsabilité extrêmement forte - que, par rapport à lopinion qui était dehors, ce quelle attendait de lEurope, cest quelle se serre les coudes, quelle se ressoude, quelle avance. De ce point de vue-là, cest vrai quon naurait pas bien compris que, sur des affaires qui sont des affaires financières essentielles, mais qui ne sont que des affaires financières, lEurope ne réussisse pas un accord. Il y avait cest vrai une sorte de pression de lévénement, pression positive, pression qui a abouti.
Q - LEurope a progressé, à Berlin ?
R - LEurope progresse toujours comme cela, par des compromis qui sont des compromis douloureux. Mais elle a progressé.
Q - Vous vendrez bien à la majorité plurielle ce que vous avez fait à la fois sur lagriculture, lAgenda 2000 et même le Kosovo ?
R - Le Premier ministre va être dans quelques minutes, et je serai à ses côtés, devant lAssemblée nationale. Hubert Védrine sera devant le Sénat. Et je crois quil faut comprendre que, par rapport au Kosovo, nous étions dans une situation où on ne pouvait pas faire autrement, où il fallait faire cela, parce que, sinon, cétait céder devant la force. Mais, en même temps, notre objectif na pas changé : notre objectif est une solution politique au Kosovo qui passe par une autonomie substantielle, et non pas lagression contre le peuple serbe. Cest le refus de la force.
Q - Que diriez-vous à M. Guyau, à la FNSEA et aux agriculteurs, sur laccord conclu à Berlin ?
R - Je dirais quils nous ont soutenus de façon parfois vigoureuse, et que cela a été important, de sentir que dernière nous, il y avait les agriculteurs. Et ma foi, ils ont été également soutenus, entendus par nous. Ils ont été compris par les Européens, et je crois que, maintenant, ils peuvent être satisfaits de cet accord. Vous savez, un accord européen nest jamais à cent pour cent ce quon souhaite. Mais nous sommes quinze. Et très honnêtement - je le dis parce que cela a été conquis de haute lutte par le président, par le Premier ministre, par moi-même, par le gouvernement - cet accord est un bon accord agricole pour lEurope, pour la France, mais surtout pour les agriculteurs. Honnêtement, je crois que nous avons bien travaillé pour lEurope. Je ne parle pas, là, personnellement, mais il y avait un esprit, un « esprit de Berlin ». Javais coutume de dire que cet Agenda 2000, cétait au fond le « sale travail », la tâche difficile, ingrate, il fallait le faire. Maintenant, on peut sattacher à des choses beaucoup plus nobles. Je pense à la réforme des institutions européennes quil faut faire : construire lEurope politique, lEurope sociale, lEurope pour lemploi. Ces chantiers sont devant nous, ce sont ces chantiers quil faut ouvrir désormais./.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 mars 1999)