Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le rapporteur,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Je voudrais d'abord saluer l'engagement de M. le Président CABANEL et de M. le Président HYEST dans la cause de l'amélioration de notre service public pénitentiaire.
Nous savons le rôle qu'ils ont joué, en qualité respectivement de président et de rapporteur, dans la commission d'enquête sénatoriale sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France.
M. Le Président HYEST a encore récemment montré l'intérêt qu'il porte aux sujets pénitentiaires en prenant l'initiative d'une question orale avec débat, le 21 novembre dernier, sur les suites données au rapport de votre commission d'enquête.
Chacun se souvient de la très grande qualité des interventions - permettez-moi de citer par exemple celle de M. Le Président BADINTER - qui ont montré combien les membres de cette Haute assemblée sont sensibles à la situation de nos prisons.
Je voudrais également saluer la qualité des travaux de votre commission des lois, dont témoigne l'intervention de votre rapporteur qui, par la clarté de son exposé, nous permet d'aller à l'essentiel.
Nous devons débattre aujourd'hui d'une proposition de loi qui me paraît se situer dans la droite ligne du rapport Canivet et des rapports des commissions d'enquête parlementaire, même si la commission d'enquête sénatoriale avait émis quelques réserves sur l'intérêt d'une grande loi, observant que nombre de réformes pouvaient être accomplies sans recourir à des dispositions législatives.
Vous savez que le Gouvernement, pour sa part, s'est engagé dans l'élaboration d'une loi qui ne sera pas seulement pénitentiaire, mais qui portera plus généralement sur l'exécution des peines et sur le service public pénitentiaire.
Comme l'a rappelé votre commission des lois, le Premier ministre en a fait l'annonce le 8 novembre dernier lors de l'inauguration des nouveaux locaux de l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire, à Agen.
Aussi, me semble-t-il utile de vous tenir brièvement informés de l'état de nos travaux avant d'aborder les dispositions qui nous intéressent directement aujourd'hui.
1. Le gouvernement prépare une grande loi sur l'exécution des peines et sur le service public pénitentiaire.
J'aborderai rapidement le calendrier, la forme et le fond de ce projet de loi.
Pour ce qui est du calendrier, je confirme que le Gouvernement déposera un projet de loi à l'automne prochain, avec l'objectif d'une première lecture devant chaque assemblée avant les échéances électorales de 2002.
Pour ce qui est de la forme, j'ai choisi la concertation la plus large. Nous sommes en effet en présence d'un sujet - ou plutôt d'une multitude de sujets - qui mobilise non seulement les professionnels directement intéressés mais aussi l'ensemble de nos concitoyens, tant l'opinion publique a été alertée sur l'état de nos établissements pénitentiaires et sur l'urgence d'y remédier.
Dans un tel contexte, une loi élaborée sinon dans le secret au moins unilatéralement n'aurait été ni comprise ni acceptée aussi grande qu'aurait pu être sa qualité formelle.
La vaste concertation qui doit donc à mon sens précéder la rédaction du projet de loi est maintenant bien lancée et nous commençons à en recueillir les fruits.
Des réunions se sont tenues et se tiennent encore dans les juridictions et dans les établissements pénitentiaires, avec des magistrats, des personnels pénitentiaires, des associations, des membre du barreau, du corps médical, des enseignants, afin de débattre du contenu de cette loi.
Au niveau national, plusieurs groupes de travail ont été constitués au ministère de la justice, auxquels participent non seulement la direction de l'administration pénitentiaire mais aussi la direction des affaires criminelles et des grâces et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse. Les intervenants extérieurs sont naturellement associés à ces travaux.
J'ai par ailleurs constitué un Conseil d'orientation stratégique, organe consultatif chargé de m'assister dans l'élaboration du texte. Il comprend des personnels pénitentiaires, des magistrats, des représentants des associations, des membres du barreau, du corps médical, des enseignants et des chercheurs. Il se réunira cet après-midi pour la troisième fois.
Je peux vous assurer que les débats y sont riches et instructifs.
C'est donc à partir de ces différentes consultations que le projet de loi sera rédigé, dans la transparence et la concertation. Un comité de rédaction est en place, regroupant des membres du ministère de la justice mais aussi un magistrat exerçant en juridiction, un magistrat du Conseil d'Etat, un autre de la Cour de comptes ainsi qu'une universitaire.
Ainsi, ce ne sera pas le projet de loi de la seule administration pénitentiaire mais du ministère de la justice, associant l'ensemble des services intéressés des directions de l'administration pénitentiaire, des affaires criminelles et des grâces et de la protection judiciaire de la jeunesse.
Sur le fond, je ne peux naturellement vous dire en détail la teneur de l'ensemble de la réforme, car, comme vous l'avez compris, le texte ne sera écrit qu'à l'issue de la phase de concertation.
Je peux cependant faire état de grandes options, car si je veux laisser la plus large place aux consultations, et si je m'interdis de clore le débat avant de l'ouvrir, j'entends aussi prendre mes responsabilités pour examiner d'ores et déjà les directions dans lesquelles nous devons travailler, à partir en particulier des observations du rapport Canivet et des rapports des commissions d'enquête parlementaire.
Cette loi sera une loi sur la peine, sur toutes les peines et non sur la seule privation de liberté. Elle contiendra une disposition sur le sens de la peine, à laquelle nous ont invités les commissions d'enquête. Et s'il faut préciser le sens de la peine, ce sera pour rappeler que la société se protège et assure sa sécurité en punissant les délinquants et en assurant leur réinsertion qui est le meilleur moyen de prévenir la récidive.
Ce sera une loi pour les victimes dont le dédommagement doit être un facteur de la volonté de réinsertion de tout condamné.
Cette loi portera sur les droits et les obligations des détenus, afin de faire mieux entrer le droit dans la prison.
Elle portera aussi sur les missions des personnels afin de mieux les valoriser, de mieux garantir leur protection et de mieux assurer leur autorité à chaque fois que c'est nécessaire.
Ce sera aussi une loi sur le service public pénitentiaire, comportant en particulier des dispositions sur le classement des établissements pénitentiaires afin de mieux adapter certains établissements à la dangerosité des détenus, à leur capacité et leur volonté de réinsertion.
Des dispositions concerneront bien évidemment le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, sous réserve de ce qui aura été voté dans le cadre de la présente proposition de loi.
Il existe nécessairement d'importants champs de recoupement entre le texte que nous examinons aujourd'hui et celui, en projet, du Gouvernement.
J'en viens donc à ces dispositions.
2. Sur les dispositions de la proposition de loi
Il vous est proposé d'examiner quatre séries de propositions d'ampleur inégale, les unes très larges, comme celles qui portent sur le contrôle général des prisons, les autres plus ponctuelles, mais tout aussi importantes, comme celles qui ont trait au régime disciplinaire des détenus.
Je voudrais rapidement vous faire part de mes observations sur ces dispositions.
A/ Les dispositions concernant l'affectation des détenus
La proposition contient des dispositions créant un nouveau régime d'affectation des détenus : il est proposé d'affecter des prévenus en établissements pour peine et de fixer une limite au maintien en maison d'arrêt de toute personne condamnée à plus d'un an d'emprisonnement.
Je ne suis pas opposée par principe à ces mesures, mais je m'inquiète des possibilités de les réaliser.
En ce qui concerne le placement des prévenus dans des établissements pour peine
Les prévenus en attente de jugement ou exerçant des voies de recours étaient au nombre de 4361 sur un total de 15080 au premier janvier 2001 (soit 29 % des prévenus).
Leur affectation en établissement pour peine serait naturellement de nature à désencombrer les maisons d'arrêt, en supposant que seraient réglés les problèmes posés par les différences de régime existant actuellement entre les condamnés et les prévenus.
Cependant, la difficulté est que les maisons d'arrêt ne sont pas encombrées par les prévenus, mais par des condamnés en attente d'affectation.
Ainsi, il est à craindre que l'affectation des prévenus en établissement pour peine augmente le nombre des condamnés en maison d'arrêt.
C'est pourquoi je ne puis que faire part de mes réserves sur cette proposition qui, malgré tout son intérêt, ne me paraît pas compatible, en l'état, avec notre parc immobilier.
Une autre proposition porte sur l'affectation des condamnés à plus d'un an d'emprisonnement dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la condamnation a acquis un caractère définitif.
Un tel dispositif aurait bien évidemment le grand mérite de provoquer une accélération du processus d'orientation et d'affectation des détenus, dont l'amélioration est effectivement souhaitable.
On constate en effet que les délais d'instruction des dossiers d'orientation des condamnés, entre le moment où le détenu est condamné définitivement et celui où la décision d'affectation est prise, varie entre 4 mois et 12 mois. Et il faut encore compter un délai pour que la décision d'affectation devienne effective.
Mais, l'une des causes principales des trop longs délais d'affectation en établissement pour peine tient non pas à un processus administratif qu'il faudrait modifier, mais au manque de place dans les établissements.
Les personnes détenues en maison d'arrêt et condamnées à une peine supérieure à un an était au nombre de 5680, au 1/01/01. Or, le déficit de places en établissement pour peine était de 3519.
Aussi, un transfert de tous les condamnés à une peine supérieure à un an dans les établissements pour peine entraînerait, en l'état actuel du parc pénitentiaire un engorgement des établissements pour peine.
Il faudrait renoncer au principe de l'encellulement individuel actuellement appliqué dans ces établissements et ce serait une régression importante. Il faut pouvoir en effet permettre aux condamnés de s'installer dans leur vie de détenu.
Ainsi, en l'état actuel du parc pénitentiaire, il serait difficile d'affecter dans des délais rapides les condamnés dont le reliquat de peine au moment de leur condamnation est supérieur à 1 an.
Je crois donc que l'amélioration de la situation ne peut ici résulter du seul ordre de la loi, mais d'une modification du parc immobilier, modification à laquelle nous sommes attelés, mais qui exige aussi des délais.
En l'état, je ne puis donc que vous faire part de mes réserves sur cette disposition qu'il faudrait à tout le moins assortir d'un délai d'entrée en vigueur ainsi que le suggère votre commission des lois.
B/ La proposition porte aussi sur la situation des détenus mourants ou gravement malades sans qu'un pronostic vital soit engagé.
Pour ce qui concerne les détenus en fin de vie, je souscris pleinement au prononcé, selon la procédure proposée d'une suspension de peine pour motif médical grave.
Il me paraît normal, et conforme au principe même d'humanité, de rétablir une égalité devant la mort, de permettre une mort digne. C'est une nécessité pour les condamnés, pour leur famille et pour les personnels.
Le dispositif de juridictionnalisation mis en place par la loi du 15 juin 2000 donne à cet égard toutes les garanties procédurales.
Votre commission des lois a également envisagé le cas des détenus gravement malades mais non en fin de vie.
Je suis en complet accord avec cette proposition. Il me semble seulement que, pour ces détenus malades, la loi devrait préciser que la suspension de peine est prononcée pour une durée à préciser, faute de quoi, elle deviendrait illimitée et ne serait donc plus une suspension.
Cette durée pourrait naturellement être renouvelée.
C/ Les articles 4 à 10 de la proposition de loi portent sur l'instauration d'un contrôle général des prisons.
Je suis bien évidemment convaincue de l'utilité d'un contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, contrôle dont vous savez que son principe procède d'une initiative de Madame GUIGOU, Garde des Sceaux qui avait, en juillet 1999, commandé à M. Canivet un rapport sur ce sujet.
Le principe même d'un contrôle extérieur des établissements pénitentiaires ne me paraît pas discutable, au regard en particulier des observations de la commission Canivet.
Chacun sait que le fait même de la privation de liberté justifie dans un Etat démocratique un contrôle exercé par une autorité distincte de celle qui est chargée d'assurer l'exécution des mesures privatives de liberté.
C'est aussi une garantie pour les personnels, parfois confrontés à des accusations injustes que l'administration peut moins aisément dissiper qu'une autorité indépendante, car le soupçon de collusion, bien qu'injustifié, est tenace.
Pour autant, j'aurai deux observations à formuler au sujet de la proposition aujourd'hui soumise à votre examen.
La première est de méthode, la seconde est de fond.
Au titre de la méthode, je rappelle que j'ai lancé une vaste consultation sur les grands chapitres de ce que sera la loi sur la peine, actuellement en cours d'élaboration. Le contrôle général fait bien évidemment partie des sujets mis en consultation.
Je ne vois pas, dès lors, comment je pourrais me prononcer aujourd'hui définitivement sur une question soumise à une consultation non achevée à ce jour.
Ce serait laisser croire aux personnes sollicitées que cette consultation était de peu d'importance et qu'en réalité, la décision était déjà prise. Je le souhaite d'autant moins que ce serait inexact.
Cela me conduit à ma seconde observation, qui porte sur le fond : si le principe du contrôle extérieur est bien arrêté, ses modalités méritent d'être précisées.
La proposition de loi opte pour un contrôle extérieur s'exerçant non seulement sur les conditions de détention mais aussi sur l'organisation et le fonctionnement des établissements pénitentiaires et sur les conditions de travail des personnels pénitentiaires.
Il me semble que nous sommes là en présence d'un système assez complexe susceptible d'aboutir à la création d'une "super administration pénitentiaire".
C'est une option, mais ce n'était pas la seule. On peut aussi concevoir un dispositif qui porterait plus spécifiquement sur les conditions dans lesquelles est assuré le respect des droits des détenus, en particulier droit à la dignité et à la sécurité.
Je souhaite que cette hypothèse soit examinée de près. Elle renvoie à un dispositif que nous connaissons bien et qui est celui du Comité pour la prévention de la torture et des traitements inhumains et dégradants, qui s'est précisément déplacé en France au cours de l'année 2 000.
Je vous demande donc de retenir que je suis réservée à l'égard du dispositif proposé d'abord parce qu'il me paraît prématuré d'en discuter avant la fin de la consultation que j'ai lancée, ensuite parce que ce dispositif n'est pas le seul qui puisse être envisagé.
D/ Enfin, votre commission a pris l'initiative de proposer la réduction de la durée du placement au quartier disciplinaire, dont le maximum passerait de 45 jours à 20 jours.
Il est indiscutable que le dispositif actuellement en vigueur en matière disciplinaire doit être réformé.
Ce sujet fait aussi l'objet, vous le devinez, de la consultation que j'ai déjà évoquée. J'éprouve donc les mêmes difficultés à m'exprimer alors que la consultation n'est pas arrivée à son terme.
Je m'interroge d'autre part sur une disposition isolée concernant le régime disciplinaire qui pourrait faire l'objet d'une réforme plus globale.
Cela étant, je constate que la durée de 20 jours proposée se rapproche de ce que connaissent d'autres Etats pour la durée d'une sanction disciplinaire : 14 jours en Angleterre, 30 jours au Canada, 9 jours en Belgique, étant précisé que la peine est généralement subie sous le régime du confinement en cellule et non d'un placement dans un quartier disciplinaire.
Je pense d'autre part que la diminution de la durée du placement au quartier disciplinaire des majeurs devrait entraîner une diminution corrélative pour les mineurs de 16 à 18 ans qui, dans le dispositif actuel encourent une sanction maximum de 15 jours.
Je serai enfin conduite à vous dire que je ne peux, en l'état, suivre les amendements tendant à modifier les dispositions pénales relatives au séjour des étrangers et à l'usage de stupéfiants, qui appelent une large conncertation et ne me paraisse donc pas avoir leur place dans le texte dont nous débattons aujourd'hui, relatif aux conditions de détention.
Sous le bénéfice de ces observations, je m'en rapporterai à la sagesse de votre assemblée, en saluant à nouveau la qualité du travail accompli par MM. les présidents HYEST et CABANEL, par votre rapporteur M. le président OTHILY et par votre commission des lois.
Nous leur devons d'avoir apporté une importante contribution à l'élaboration de la loi que nos concitoyens attendent et d'avoir fait progresser le débat sur des points très importants.
Je vous remercie.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 3 mai 2001)
Monsieur le rapporteur,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Je voudrais d'abord saluer l'engagement de M. le Président CABANEL et de M. le Président HYEST dans la cause de l'amélioration de notre service public pénitentiaire.
Nous savons le rôle qu'ils ont joué, en qualité respectivement de président et de rapporteur, dans la commission d'enquête sénatoriale sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France.
M. Le Président HYEST a encore récemment montré l'intérêt qu'il porte aux sujets pénitentiaires en prenant l'initiative d'une question orale avec débat, le 21 novembre dernier, sur les suites données au rapport de votre commission d'enquête.
Chacun se souvient de la très grande qualité des interventions - permettez-moi de citer par exemple celle de M. Le Président BADINTER - qui ont montré combien les membres de cette Haute assemblée sont sensibles à la situation de nos prisons.
Je voudrais également saluer la qualité des travaux de votre commission des lois, dont témoigne l'intervention de votre rapporteur qui, par la clarté de son exposé, nous permet d'aller à l'essentiel.
Nous devons débattre aujourd'hui d'une proposition de loi qui me paraît se situer dans la droite ligne du rapport Canivet et des rapports des commissions d'enquête parlementaire, même si la commission d'enquête sénatoriale avait émis quelques réserves sur l'intérêt d'une grande loi, observant que nombre de réformes pouvaient être accomplies sans recourir à des dispositions législatives.
Vous savez que le Gouvernement, pour sa part, s'est engagé dans l'élaboration d'une loi qui ne sera pas seulement pénitentiaire, mais qui portera plus généralement sur l'exécution des peines et sur le service public pénitentiaire.
Comme l'a rappelé votre commission des lois, le Premier ministre en a fait l'annonce le 8 novembre dernier lors de l'inauguration des nouveaux locaux de l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire, à Agen.
Aussi, me semble-t-il utile de vous tenir brièvement informés de l'état de nos travaux avant d'aborder les dispositions qui nous intéressent directement aujourd'hui.
1. Le gouvernement prépare une grande loi sur l'exécution des peines et sur le service public pénitentiaire.
J'aborderai rapidement le calendrier, la forme et le fond de ce projet de loi.
Pour ce qui est du calendrier, je confirme que le Gouvernement déposera un projet de loi à l'automne prochain, avec l'objectif d'une première lecture devant chaque assemblée avant les échéances électorales de 2002.
Pour ce qui est de la forme, j'ai choisi la concertation la plus large. Nous sommes en effet en présence d'un sujet - ou plutôt d'une multitude de sujets - qui mobilise non seulement les professionnels directement intéressés mais aussi l'ensemble de nos concitoyens, tant l'opinion publique a été alertée sur l'état de nos établissements pénitentiaires et sur l'urgence d'y remédier.
Dans un tel contexte, une loi élaborée sinon dans le secret au moins unilatéralement n'aurait été ni comprise ni acceptée aussi grande qu'aurait pu être sa qualité formelle.
La vaste concertation qui doit donc à mon sens précéder la rédaction du projet de loi est maintenant bien lancée et nous commençons à en recueillir les fruits.
Des réunions se sont tenues et se tiennent encore dans les juridictions et dans les établissements pénitentiaires, avec des magistrats, des personnels pénitentiaires, des associations, des membre du barreau, du corps médical, des enseignants, afin de débattre du contenu de cette loi.
Au niveau national, plusieurs groupes de travail ont été constitués au ministère de la justice, auxquels participent non seulement la direction de l'administration pénitentiaire mais aussi la direction des affaires criminelles et des grâces et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse. Les intervenants extérieurs sont naturellement associés à ces travaux.
J'ai par ailleurs constitué un Conseil d'orientation stratégique, organe consultatif chargé de m'assister dans l'élaboration du texte. Il comprend des personnels pénitentiaires, des magistrats, des représentants des associations, des membres du barreau, du corps médical, des enseignants et des chercheurs. Il se réunira cet après-midi pour la troisième fois.
Je peux vous assurer que les débats y sont riches et instructifs.
C'est donc à partir de ces différentes consultations que le projet de loi sera rédigé, dans la transparence et la concertation. Un comité de rédaction est en place, regroupant des membres du ministère de la justice mais aussi un magistrat exerçant en juridiction, un magistrat du Conseil d'Etat, un autre de la Cour de comptes ainsi qu'une universitaire.
Ainsi, ce ne sera pas le projet de loi de la seule administration pénitentiaire mais du ministère de la justice, associant l'ensemble des services intéressés des directions de l'administration pénitentiaire, des affaires criminelles et des grâces et de la protection judiciaire de la jeunesse.
Sur le fond, je ne peux naturellement vous dire en détail la teneur de l'ensemble de la réforme, car, comme vous l'avez compris, le texte ne sera écrit qu'à l'issue de la phase de concertation.
Je peux cependant faire état de grandes options, car si je veux laisser la plus large place aux consultations, et si je m'interdis de clore le débat avant de l'ouvrir, j'entends aussi prendre mes responsabilités pour examiner d'ores et déjà les directions dans lesquelles nous devons travailler, à partir en particulier des observations du rapport Canivet et des rapports des commissions d'enquête parlementaire.
Cette loi sera une loi sur la peine, sur toutes les peines et non sur la seule privation de liberté. Elle contiendra une disposition sur le sens de la peine, à laquelle nous ont invités les commissions d'enquête. Et s'il faut préciser le sens de la peine, ce sera pour rappeler que la société se protège et assure sa sécurité en punissant les délinquants et en assurant leur réinsertion qui est le meilleur moyen de prévenir la récidive.
Ce sera une loi pour les victimes dont le dédommagement doit être un facteur de la volonté de réinsertion de tout condamné.
Cette loi portera sur les droits et les obligations des détenus, afin de faire mieux entrer le droit dans la prison.
Elle portera aussi sur les missions des personnels afin de mieux les valoriser, de mieux garantir leur protection et de mieux assurer leur autorité à chaque fois que c'est nécessaire.
Ce sera aussi une loi sur le service public pénitentiaire, comportant en particulier des dispositions sur le classement des établissements pénitentiaires afin de mieux adapter certains établissements à la dangerosité des détenus, à leur capacité et leur volonté de réinsertion.
Des dispositions concerneront bien évidemment le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, sous réserve de ce qui aura été voté dans le cadre de la présente proposition de loi.
Il existe nécessairement d'importants champs de recoupement entre le texte que nous examinons aujourd'hui et celui, en projet, du Gouvernement.
J'en viens donc à ces dispositions.
2. Sur les dispositions de la proposition de loi
Il vous est proposé d'examiner quatre séries de propositions d'ampleur inégale, les unes très larges, comme celles qui portent sur le contrôle général des prisons, les autres plus ponctuelles, mais tout aussi importantes, comme celles qui ont trait au régime disciplinaire des détenus.
Je voudrais rapidement vous faire part de mes observations sur ces dispositions.
A/ Les dispositions concernant l'affectation des détenus
La proposition contient des dispositions créant un nouveau régime d'affectation des détenus : il est proposé d'affecter des prévenus en établissements pour peine et de fixer une limite au maintien en maison d'arrêt de toute personne condamnée à plus d'un an d'emprisonnement.
Je ne suis pas opposée par principe à ces mesures, mais je m'inquiète des possibilités de les réaliser.
En ce qui concerne le placement des prévenus dans des établissements pour peine
Les prévenus en attente de jugement ou exerçant des voies de recours étaient au nombre de 4361 sur un total de 15080 au premier janvier 2001 (soit 29 % des prévenus).
Leur affectation en établissement pour peine serait naturellement de nature à désencombrer les maisons d'arrêt, en supposant que seraient réglés les problèmes posés par les différences de régime existant actuellement entre les condamnés et les prévenus.
Cependant, la difficulté est que les maisons d'arrêt ne sont pas encombrées par les prévenus, mais par des condamnés en attente d'affectation.
Ainsi, il est à craindre que l'affectation des prévenus en établissement pour peine augmente le nombre des condamnés en maison d'arrêt.
C'est pourquoi je ne puis que faire part de mes réserves sur cette proposition qui, malgré tout son intérêt, ne me paraît pas compatible, en l'état, avec notre parc immobilier.
Une autre proposition porte sur l'affectation des condamnés à plus d'un an d'emprisonnement dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la condamnation a acquis un caractère définitif.
Un tel dispositif aurait bien évidemment le grand mérite de provoquer une accélération du processus d'orientation et d'affectation des détenus, dont l'amélioration est effectivement souhaitable.
On constate en effet que les délais d'instruction des dossiers d'orientation des condamnés, entre le moment où le détenu est condamné définitivement et celui où la décision d'affectation est prise, varie entre 4 mois et 12 mois. Et il faut encore compter un délai pour que la décision d'affectation devienne effective.
Mais, l'une des causes principales des trop longs délais d'affectation en établissement pour peine tient non pas à un processus administratif qu'il faudrait modifier, mais au manque de place dans les établissements.
Les personnes détenues en maison d'arrêt et condamnées à une peine supérieure à un an était au nombre de 5680, au 1/01/01. Or, le déficit de places en établissement pour peine était de 3519.
Aussi, un transfert de tous les condamnés à une peine supérieure à un an dans les établissements pour peine entraînerait, en l'état actuel du parc pénitentiaire un engorgement des établissements pour peine.
Il faudrait renoncer au principe de l'encellulement individuel actuellement appliqué dans ces établissements et ce serait une régression importante. Il faut pouvoir en effet permettre aux condamnés de s'installer dans leur vie de détenu.
Ainsi, en l'état actuel du parc pénitentiaire, il serait difficile d'affecter dans des délais rapides les condamnés dont le reliquat de peine au moment de leur condamnation est supérieur à 1 an.
Je crois donc que l'amélioration de la situation ne peut ici résulter du seul ordre de la loi, mais d'une modification du parc immobilier, modification à laquelle nous sommes attelés, mais qui exige aussi des délais.
En l'état, je ne puis donc que vous faire part de mes réserves sur cette disposition qu'il faudrait à tout le moins assortir d'un délai d'entrée en vigueur ainsi que le suggère votre commission des lois.
B/ La proposition porte aussi sur la situation des détenus mourants ou gravement malades sans qu'un pronostic vital soit engagé.
Pour ce qui concerne les détenus en fin de vie, je souscris pleinement au prononcé, selon la procédure proposée d'une suspension de peine pour motif médical grave.
Il me paraît normal, et conforme au principe même d'humanité, de rétablir une égalité devant la mort, de permettre une mort digne. C'est une nécessité pour les condamnés, pour leur famille et pour les personnels.
Le dispositif de juridictionnalisation mis en place par la loi du 15 juin 2000 donne à cet égard toutes les garanties procédurales.
Votre commission des lois a également envisagé le cas des détenus gravement malades mais non en fin de vie.
Je suis en complet accord avec cette proposition. Il me semble seulement que, pour ces détenus malades, la loi devrait préciser que la suspension de peine est prononcée pour une durée à préciser, faute de quoi, elle deviendrait illimitée et ne serait donc plus une suspension.
Cette durée pourrait naturellement être renouvelée.
C/ Les articles 4 à 10 de la proposition de loi portent sur l'instauration d'un contrôle général des prisons.
Je suis bien évidemment convaincue de l'utilité d'un contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, contrôle dont vous savez que son principe procède d'une initiative de Madame GUIGOU, Garde des Sceaux qui avait, en juillet 1999, commandé à M. Canivet un rapport sur ce sujet.
Le principe même d'un contrôle extérieur des établissements pénitentiaires ne me paraît pas discutable, au regard en particulier des observations de la commission Canivet.
Chacun sait que le fait même de la privation de liberté justifie dans un Etat démocratique un contrôle exercé par une autorité distincte de celle qui est chargée d'assurer l'exécution des mesures privatives de liberté.
C'est aussi une garantie pour les personnels, parfois confrontés à des accusations injustes que l'administration peut moins aisément dissiper qu'une autorité indépendante, car le soupçon de collusion, bien qu'injustifié, est tenace.
Pour autant, j'aurai deux observations à formuler au sujet de la proposition aujourd'hui soumise à votre examen.
La première est de méthode, la seconde est de fond.
Au titre de la méthode, je rappelle que j'ai lancé une vaste consultation sur les grands chapitres de ce que sera la loi sur la peine, actuellement en cours d'élaboration. Le contrôle général fait bien évidemment partie des sujets mis en consultation.
Je ne vois pas, dès lors, comment je pourrais me prononcer aujourd'hui définitivement sur une question soumise à une consultation non achevée à ce jour.
Ce serait laisser croire aux personnes sollicitées que cette consultation était de peu d'importance et qu'en réalité, la décision était déjà prise. Je le souhaite d'autant moins que ce serait inexact.
Cela me conduit à ma seconde observation, qui porte sur le fond : si le principe du contrôle extérieur est bien arrêté, ses modalités méritent d'être précisées.
La proposition de loi opte pour un contrôle extérieur s'exerçant non seulement sur les conditions de détention mais aussi sur l'organisation et le fonctionnement des établissements pénitentiaires et sur les conditions de travail des personnels pénitentiaires.
Il me semble que nous sommes là en présence d'un système assez complexe susceptible d'aboutir à la création d'une "super administration pénitentiaire".
C'est une option, mais ce n'était pas la seule. On peut aussi concevoir un dispositif qui porterait plus spécifiquement sur les conditions dans lesquelles est assuré le respect des droits des détenus, en particulier droit à la dignité et à la sécurité.
Je souhaite que cette hypothèse soit examinée de près. Elle renvoie à un dispositif que nous connaissons bien et qui est celui du Comité pour la prévention de la torture et des traitements inhumains et dégradants, qui s'est précisément déplacé en France au cours de l'année 2 000.
Je vous demande donc de retenir que je suis réservée à l'égard du dispositif proposé d'abord parce qu'il me paraît prématuré d'en discuter avant la fin de la consultation que j'ai lancée, ensuite parce que ce dispositif n'est pas le seul qui puisse être envisagé.
D/ Enfin, votre commission a pris l'initiative de proposer la réduction de la durée du placement au quartier disciplinaire, dont le maximum passerait de 45 jours à 20 jours.
Il est indiscutable que le dispositif actuellement en vigueur en matière disciplinaire doit être réformé.
Ce sujet fait aussi l'objet, vous le devinez, de la consultation que j'ai déjà évoquée. J'éprouve donc les mêmes difficultés à m'exprimer alors que la consultation n'est pas arrivée à son terme.
Je m'interroge d'autre part sur une disposition isolée concernant le régime disciplinaire qui pourrait faire l'objet d'une réforme plus globale.
Cela étant, je constate que la durée de 20 jours proposée se rapproche de ce que connaissent d'autres Etats pour la durée d'une sanction disciplinaire : 14 jours en Angleterre, 30 jours au Canada, 9 jours en Belgique, étant précisé que la peine est généralement subie sous le régime du confinement en cellule et non d'un placement dans un quartier disciplinaire.
Je pense d'autre part que la diminution de la durée du placement au quartier disciplinaire des majeurs devrait entraîner une diminution corrélative pour les mineurs de 16 à 18 ans qui, dans le dispositif actuel encourent une sanction maximum de 15 jours.
Je serai enfin conduite à vous dire que je ne peux, en l'état, suivre les amendements tendant à modifier les dispositions pénales relatives au séjour des étrangers et à l'usage de stupéfiants, qui appelent une large conncertation et ne me paraisse donc pas avoir leur place dans le texte dont nous débattons aujourd'hui, relatif aux conditions de détention.
Sous le bénéfice de ces observations, je m'en rapporterai à la sagesse de votre assemblée, en saluant à nouveau la qualité du travail accompli par MM. les présidents HYEST et CABANEL, par votre rapporteur M. le président OTHILY et par votre commission des lois.
Nous leur devons d'avoir apporté une importante contribution à l'élaboration de la loi que nos concitoyens attendent et d'avoir fait progresser le débat sur des points très importants.
Je vous remercie.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 3 mai 2001)