Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur la réconciliation nationale du Liban et sur la coordination des politiques économiques mondiales pour faire face à la crise financière, Beyrouth le 20 novembre 2008.

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Circonstance : Voyage au Liban du 20 au 21 novembre 2008-intervention le 20 à Beyrouth devant la communauté française au Liban

Texte intégral

Mesdames et Monsieur les ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mes chers compatriotes,
Je veux d'abord évoquer un souvenir. Le 23 octobre 1983, un camion
chargé d'explosifs, lancé sur le poste Drakkar, tuait 58 soldats
français, membres de la Force de Sécurité Internationale.
Après avoir donné au Liban, par leur présence, les marques de la
fidélité de la France, ces hommes donnaient à ce pays leurs vies.
C'est avec beaucoup d'émotion qu'en ce 25e anniversaire de l'attentat,
je suis venu à l'instant déposer une gerbe devant la stèle qui
commémore leur sacrifice.
Elle honore leur mémoire.
Elle honore le souvenir des nombreux Français, civils et militaires,
qui, depuis le déclenchement de la guerre civile en 1975, ont offert le
meilleur d'eux-mêmes pour que le Liban puisse finalement retrouver la
paix. Et je ne peux pas m'empêcher d'évoquer des souvenirs personnels
puisque je suis venu plusieurs fois à cette époque au Liban, et
notamment dans cette résidence qui n'accueillait pas, comme ce soir,
des invités, mais qui accueillait les blessés de nos forces et dont les
bâtiments n'avaient pas tout à fait le même aspect que celui d'
aujourd'hui. Je racontais cela à l'instant à Rama [YADE] qui est là et
alors, elle me regardait en se disant : "mais quel âge il a celui-là".
Mes chers amis,
Je souhaite, au nom de tous ceux qui m'entourent, les membres du
gouvernement, beaucoup d'élus de la République, vous rendre hommage,
rendre hommage à chacun d'entre vous pour votre courage, pour votre
détermination, et surtout pour votre confiance intacte dans le Liban et
dans son avenir.
Malgré les épreuves traversées par le pays, depuis de trop nombreuses
années ; malgré les difficultés d'une période encore toute récente,
vous avez tenu bon ! Vous avez continué à mettre au service du Liban
vos talents, vos compétences.
Je veux vous le dire du fond du coeur : si la France est aimée, si la
France est admirée, si la France est respectée au Liban, elle vous le
doit pour une très large part.
Et je suis heureux, et je suis fier d'être aujourd'hui auprès de vous !
Je le suis d'autant plus que nos efforts - les vôtres, ceux des
artisans de la reconstruction - commencent progressivement à porter
leurs fruits.
J'ai accompagné ici le président de la République, lors de sa visite du
7 juin dernier, et je veux dire que six mois plus tard, je retrouve un
pays en pleine transformation politique et économique.
Après plusieurs années de turbulences, l'accord de Doha, conclu en mai,
deux semaines avant la venue de Nicolas Sarkozy au Liban, a engagé le
pays dans un processus de stabilisation politique et institutionnelle
dont je pense avec vous qu'il est prometteur. La France, qui a très
fortement, vous le savez, oeuvré à la mise en oeuvre de ce processus,
continuera à ne ménager aucun effort pour qu'il soit soutenu et pour
qu'il soit renforcé.
Et déjà, les résultats de cet accord sont visibles.
Il a permis l'élection du général Michel Sleimane, que je viens à l'
instant de rencontrer. Il a permis la formation d'un gouvernement d'
union nationale qui regroupe les principales forces politiques
libanaises ; il a permis l'adoption d'une déclaration ministérielle
couvrant les principaux enjeux politiques et économiques ; et enfin il
a permis le vote d'une nouvelle loi électorale, qui va servir de base
au scrutin législatif du printemps prochain.
Je pense qu'on peut le dire : que de chemin parcouru, en peu de temps,
pour que le dialogue prévale enfin sur l'affrontement, pour que l'
entente renaisse entre les composantes de la société libanaise et pour
qu'un avenir commun puisse à nouveau se construire !
Pour parachever cette évolution, il faut encore qu'une véritable
réconciliation nationale soit scellée ; je veux saluer les efforts
récents des responsables politiques libanais pour y parvenir.
Il faut enfin que la mort de Rafic Hariri et les attentats qui ont
endeuillé le Liban depuis 2004 ne demeurent pas impunis.
La sérénité et l'union nationale ne se séparent pas d'un sentiment de
justice, et c'est tout le sens de la création prochaine du Tribunal
Spécial pour le Liban que la France, vous le savez, soutient à la fois
politiquement et financièrement.
Pour témoigner au Liban tout le prix que la France attache au
renforcement de nos liens et en particulier de nos liens économiques,
j'ai voulu venir accompagné d'une très importante délégation d'hommes
d'affaires qui sont pour la plupart particulièrement investis dans le
développement de nos relations bilatérales ou qui ont le désir de s'y
investir. Et de cette façon, le message que ma venue adresse à nos amis
libanais est d'autant plus net : oui, la France croit au potentiel
économique du Liban. Oui, la France veut y développer sa présence
industrielle et commerciale, comme elle développe, au plan politique,
son soutien à la stabilisation du pays.
Et d'ailleurs, au cours de ce voyage, je vais avoir l'occasion de
signer un ensemble d'accords et de conventions dont les difficultés
passées avaient, souvent depuis longtemps, différé l'aboutissement et
qui vont renforcer dans de nombreux secteurs la relation franco-
libanaise.
J'annoncerai la poursuite des engagements financiers qui ont été pris
par la France à la conférence de Paris, pour assurer la continuité de
notre appui au gouvernement libanais et à ses réformes.
Je me rendrai demain auprès du contingent français de la FINUL, afin de
lui exprimer notre reconnaissance et notre admiration pour l'oeuvre
essentielle qu'il accomplit, aux côtés des forces d'autres nations, en
faveur de la paix, en faveur de la mise en oeuvre des résolutions des
Nations unies - et notamment de la résolution 1701, dont l'application
doit prémunir le Liban contre le retour des conflits armés.
Mes chers amis,
Français installés au Liban, vous suivez évidemment de très près ces
évolutions bilatérales ; mais je sais aussi que les questions
nationales vous touchent, et que je sais que les plus éloignés de notre
pays ne sont pas les moins intéressés par le sort de la nation
française ! Et donc je voudrais, si vous me le permettez, vous dire un
petit mot de la situation économique et politique qui est celle de
notre pays aujourd'hui.
Nous sommes confrontés, vous le savez, comme tous les grands pays
développés à une crise qui est une crise majeure, qui est crise
financière sans précédent depuis le début pratiquement du siècle
dernier. Elle est, dans son ampleur, assimilable à la crise de 1929,
même si, heureusement, la réaction des gouvernements, l'évolution de
nos capacités et la connaissance de ce qui s'était d'ailleurs passé en
1929 nous a permis d'en éviter les conséquences les plus dramatiques.
Cette crise, c'est une crise de l'excès de crédits, c'est une crise de
l'absence de régulation, c'est une crise qui est née aux Etats-Unis,
mais qui s'est propagée avec la mondialisation à une rapidité
absolument considérable. C'est la première grande crise de la
mondialisation. Nous avons pensé pendant près d'un an qu'elle pourrait
être limitée dans ses effets, puisque, au fond, toute l'année 2007 et
le début de l'année 2008, s'étaient déroulés sans que la France soit
trop concernée par cette crise, même si nos établissements bancaires
souffraient d'être eux-mêmes impliqués dans des opérations liées à ces
opérations financières qui avaient été menées sans beaucoup de
précaution. Malheureusement, au début de l'automne 2008, une série de
décisions malheureuses ont fait de ce qui était une crise américaine
une crise mondiale, et ont failli mettre par terre en quelques jours
l'ensemble du système financier international. C'est la décision du
gouvernement américain de laisser tomber une grande banque d'affaires,
la banque Lehman Brothers, qui a provoqué une immense crise de
confiance. Je ne critique pas, en disant cela, le gouvernement
américain, parce que je ne sais pas quelle décision nous aurions prise
si nous avions été à leur place. Au fond, les Américains ont pensé que
cette banque avait commis des erreurs, qu'elle devait être sanctionnée
; ils ont estimé que, puisque ce n'était pas une banque de dépôts, on
pouvait la mettre en dépôt de bilan, en faillite. Ils n'avaient pas
imaginé que la faillite d'une banque de cette dimension allait créer un
effet de perte de confiance dans le monde entier, immédiat, et allait
se traduire par le blocage instantané de tous les échanges entre les
établissements bancaires. Et nous nous sommes trouvés devant cette
situation où les banques ne se prêtant plus entre elles, l'ensemble de
l'économie de nos était sur le point d'être paralysé. Le gouvernement
américain a réagi ; il a réagi avec le plan Paulson, mais le plan
Paulson n'a pas été mis en oeuvre tout de suite, le Congrès américain a
tergiversé pendant plus de dix jours ; aujourd'hui même on voit d'
ailleurs que ce plan n'est pas encore totalement stabilisé, et au fond,
le risque d'effondrement du système financier était extrêmement fort.
Et c'est de l'Europe - et on peut le dire, pour une part de la France -
qu'est venu le signal des mesures qui ont permis d'éviter la crise
systémique. Nous avons, avec l'ensemble des pays européens, et à l'
initiative, pour une large part, du président de la République
française, pris trois décisions extrêmement fortes, en même temps, dans
la plupart des grands pays, la décision d'affirmer qu'il n'y aurait
aucune faillite de banques dans nos pays, parce que l'Etat se portait
garant des établissements bancaires, ce qui a immédiatement stoppé le
risque systémique ; deuxièmement, l'injection massive de crédits pour
réalimenter les échanges interbancaires, et enfin, l'annonce d'une
coordination des politiques économiques, et en particulier d'une
coordination des plans de relance. En France même, ce plan a été massif
puisque nous avons engagé près de 370 milliards d'euros de garantie
dans le soutien aux établissements bancaires, soit en entrant au
capital de ces établissements pour les sauver - cela a été le cas pour
la banque franco-belge Dexia -, soit en améliorant les fonds propres
des banques qui se portent bien par ailleurs mais qui sont confrontées
aux difficultés de la situation financière internationale, soit en
injectant directement des liquidités pour permettre au marché financier
de recommencer à fonctionner. Ce plan a permis de stopper la crise
financière. Je crois qu'on peut dire aujourd'hui que le risque
systémique est écarté, même si nous ne sommes pas à l'abri encore de
mauvaises surprises, et nous sommes maintenant face à la deuxième étape
de la gestion de cette crise, c'est-à-dire la crise économique. L'arrêt
des échanges entre les banques pendant plusieurs semaines a forcément
des conséquences extrêmement graves sur l'économie mondiale. Des
investissements qui n'ont pas été réalisés, des décisions qui ont été
retardées, une sorte de réflexe de repli sur soi de l'ensemble des
acteurs économiques qui permet de penser, de craindre que l'année 2009,
sera une année de récession dans la plupart des grands pays développés,
en tout cas dans la plupart des pays européens. Pour faire face à ces
risques, nous avons décidé, avec le président de la République, d'
utiliser les mêmes instruments que ceux qui nous ont permis de mettre
un terme à la crise financière, c'est-à-dire d'abord une action
massive, et deuxièmement, une action coordonnée avec l'ensemble des
pays européens. Et je voudrais attirer votre attention sur le fait que
ces deux exemples montrent à quel point l'Europe peut être forte quand
elle croit en elle-même et quand elle est dotée d'un leadership
politique réel, quand il y a un patron aux commandes qui montre la
direction. L'ensemble de l'Union européenne peut à ce moment là jouer
les premiers rôles sur la scène mondiale, comme elle vient de le faire
en Géorgie ou comme elle vient de le faire dans la résolution des
problèmes de la crise financière. Nous sommes donc en train de
préparer, avec l'ensemble des pays européens, un plan de relance, un
plan de relance massif qui va viser, pour l'essentiel, à aider les
investissements, à accélérer les efforts de recherche, de formation,
d'enseignement, d'innovation. Il ne s'agit pas pour nous de faire de la
relance à fonds perdus, comme on en faisait dans les années soixante ou
dans les années soixante-dix, mais de profiter de cette crise pour
investir massivement dans les technologies, dans les industries, dans
les secteurs économiques qui sont les plus porteurs pour l'économie de
demain. Nous avons une crise massive de l'industrie automobile ; eh
bien, plutôt que d'aider cette industrie automobile à la petite semaine
pour essayer de passer les moments difficiles, on va investir
massivement sur l'innovation, sur la recherche pour permettre à l'
industrie automobile européenne d'être la première à sortir les
véhicules de demain, les véhicules qui consommeront moins d'énergie,
les véhicules qui assureront le futur de l'industrie automobile
française. Le président de la République, aujourd'hui même, a annoncé
la création d'un Fonds stratégique d'investissement français, national,
d'un fonds d'Etat, qui va pouvoir, avec la Caisse des dépôts et
consignations, investir, non pas dans des entreprises en difficulté,
mais dans des entreprises qui ont besoin, à un moment donné, d'un
levier en terme d'investissement, en terme de fonds propres, pour
réaliser un saut qualitatif qui leur permettra de se développer.
Autrement dit, on fait exactement le contraire des politiques des
années soixante-dix, quand on arrosait la sidérurgie ou le textile pour
essayer d'atténuer les souffrances de ce secteur qui, de toute façon,
était condamné. Au contraire, on investit sur les secteurs qui se
développent, sur les secteurs qui sont porteurs, pour permettre à l'
économie française de redémarrer plus vite. Au fond, ce que nous allons
faire, c'est se servir de cette crise pour accélérer l'effort de
modernisation de l'économie française et de l'économie européenne. On
ne va pas ralentir le rythme des réformes, on va au contraire l'
accélérer. Parce que c'est aujourd'hui que la France a besoin d'aller
plus loin, d'aller plus vite dans l'amélioration de la compétitivité de
son économie, dans le rattrapage du retard qu'elle avait pris du fait
de son immobilisme, de son absence de prise de décision pendant si
longtemps. Et puis enfin, vous avez vu que, à l'initiative encore de la
France, s'est tenu la semaine dernière, un sommet des grands pays
développés, un sommet qui, pour la première fois, a permis à la fois
aux pays émergents et aux puissances industrielles traditionnelles, de
réfléchir à l'avenir de la coordination économique, à l'avenir des
institutions économique et financières, à de nouvelles règles pour
essayer de ne pas se retrouver dans quelques années devant la même
situation, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Je pense qu'on
peut rendre hommage à l'action du président de la République française
et qu'on peut tous être fiers de voir que, partout dans notre pays, la
France est respectée parce que la France est à l'initiative, parce que
la France est présente, parce que la France innove, parce qu'elle
propose, parce qu'elle bouscule parfois le fonctionnement des
institutions internationales. Voilà ! Quand on se déplace dans le monde
et qu'on entend les applaudissements des Français, on ressent une
certaine fierté. Voilà, mes chers amis, ce que je voulais vous dire que
la situation de notre pays. Je pense que la crise est difficile mais
que les Français sont forts. Ils n'ont pas cédé à la panique dans la
crise financière. Aujourd'hui même, on sent qu'ils soutiennent les
efforts qui sont ceux du gouvernement pour redresser la situation. Je
pense qu'ils ont compris qu'il y avait là une occasion historique pour
notre pays de choisir entre le déclin et le développement, le retour au
premier rang ou le déclin assuré. Notre choix, à Nicolas Sarkozy et à
moi, naturellement, il ne se discute pas, c'est le choix du
développement, c'est le choix du retour aux premières places.
Mes chers compatriotes,
Je suis venu porter au Liban un message d'espoir, un message de
soutien, un message d'engagement. Je suis venu le porter, au nom du
président de la République, au nom de mon Gouvernement et au nom de
tous les Français qui gardent au coeur l'amour du pays du Cèdre.
Votre enracinement et votre travail démontrent chaque jour votre
attachement passionné à ce pays. Ils font de vous les symboles de cette
confiance que nous sentons grandir.
Un avenir meilleur s'annonce pour le Liban. Il faut que nous le
bâtissions ensemble. Avec notre aide, avec celle de la communauté
internationale, le peuple libanais est sur le point de tourner la page
des violences.
Il mérite de faire triompher son identité ; il mérite de retrouver la
place originale qui est la sienne, dans la région et dans le monde.
Pour fournir un cadre à ce renouveau, nous avons, avec le président de
la République, proposé l'Union pour la Méditerranée. C'est un projet
qui veut réconcilier la dynamique de nos échanges actuels avec une
histoire millénaire.
Le succès de la réunion récente de Marseille a confirmé que l'Union
pour la Méditerranée était désormais sur les rails, qu'elle était
acceptée par tous et qu'elle constituait sans doute le meilleur moyen
de dépasser l'éternelle scission entre le Nord et le Sud, dans quelques
uns de nos plus grands débats ; c'est l'espace où construire ensemble
une réponse performante aux défis que nous partageons, et notamment aux
défis environnementaux. Nous avons, à l'instant, avec le Président
Sleimane, discuté d'un projet symbolique de cette Union pour la
Méditerranée, qui pourrait en être l'un des points de départ, la
réalisation, ici au Liban, d'un grand centre de recherche pour la
Méditerranée, qui rassemblerait l'ensemble des capacités de recherche
de l'Union européenne et des pays méditerranéens, dans cet endroit qui
est parfaitement indiqué pour réaliser ce pont, pour réaliser ce
mariage des cultures. C'est ici, au Liban, à Beyrouth, que nous voulons
réaliser ce premier symbole de la construction de l'Union pour la
Méditerranée.
Mes chers compatriotes, vous représentez une communauté exemplaire, une
communauté active, une communauté impliquée, une communauté généreuse
en talents et en engagements.
Votre premier devoir, c'est de vous montrer aussi soudés qu'ouverts.
Je veux saluer vos conseillers à l'Assemblée des Français de l'
étranger, ainsi que les responsables de vos nombreuses associations,
qui agissent tous pour mieux faire connaître votre dynamisme et votre
solidarité.
Je veux vous dire que la France ne renoncera jamais à défendre ce qui
fait du Liban un pays exceptionnel, par sa culture propre, par ses
promesses et par sa relation historique qu'il entretient avec elle.
Je veux vous dire que le Liban peut compter sur notre sentiment le plus
fraternel.
Tel est le message, mes chers compatriotes, que je vous demande de
relayer auprès de nos amis libanais.
Vive le Liban !
Vive la République !
Vive la France !
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 25 novembre 2008