Interview de Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, à La Chaîne Info le 25 novembre 2008, sur la grève dans l'audiovisuel public suite à l'examen des projets de loi réformant l'audiovisuel public.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- Examen aujourd'hui à l'Assemblée du projet de loi portant réforme de l'audiovisuel public, sur fond de grèves et de critiques variées, notamment sur le financement à venir de l'audiovisuel public. Alors, promettez-vous que les 450 millions d'euros seront bien affectés en 2009 à la télévision publique, en compensation de la fin de la publicité après 20 heures ?
Mais absolument. L'Etat a pris un engagement bien précis, c'est trois milliards d'euros pour l'audiovisuel public, pour les trois années qui viennent, dont 450 millions d'euros de compensation pour la publicité supprimée en 2009, 2010, 2011, quoi qu'il arrive. Et ça, c'est un engagement très clair de l'Etat. Et c'est pas mal à un moment où, vous le savez bien, le marché publicitaire connaît de graves difficultés.
Et pourtant, vos détracteurs disent qu'il manque 250 millions. Il faudrait 700 millions sur chacune de ces années pour vraiment compenser ce manque à gagner.
Vous savez, je crois qu'il faut être sérieux. 450 millions d'euros c'est un chiffre généreux, d'ailleurs les chaînes privées disent "mais comment, nous, nous l'évaluions à 200, 220 millions d'euros !". Je pense 450 millions d'euros, c'est le chiffre qui a été calculé par la commission de professionnels qui s'est réunie autour de J.-F. Copé, à partir des contrats d'objectifs qui étaient fixés depuis 2007, et à partir des chiffres publicité de 2007-2008, dont tout le monde sait que, depuis, ils sont en train de baisser. Ce qui fait que je crois que c'est un engagement généreux et qui va vraiment permettre de faire la télévision que l'on souhaite.
Alors, une partie de ce financement, devait, devrait venir d'une taxe de 3 % sur le chiffre d'affaires publicitaire supplémentaire engrangé par les chaînes privées. Et puis, soudain, à l'Assemblée, un amendement a été passé faisant "flotter" ce 3 % entre 1,5 et 3. Alors, le soutenez-vous cet amendement ou l'annihilerez-vous ?
En fait, il y a un vrai sujet effectivement, c'était de dire : il va y avoir des transferts qui vont aller directement, qui vont aller sur les chaînes privées, donc il va y avoir du surplus et on va taxer le surplus. Actuellement, vue la crise, on est moins sûrs, effectivement, qu'il y ait ce surplus. Je pense qu'il existera, parce qu'on ouvre par ailleurs de nouvelles fenêtres de publicité qui vont apporter de nouvelles ressources, naturellement, aux chaînes privées. Et on y a intérêt, parce qu'on a tous intérêt à avoir des chaînes privées qui se portent bien puisqu'elles contribuent à la création, elles contribuent au cinéma. Mais en même temps, il faut être attentif à la réalité des choses. C'est pourquoi l'idée c'est de taxer effectivement, c'est amendement parlementaire qui propose de taxer à 1,5 %, et ensuite de taxer le surplus en fonction, effectivement, des résultats.
Vous allez piloter à vue ?
C'est assez raisonnable en réalité, parce que je pense qu'il y aura des surplus. La crise, en plus, ne sera pas éternelle, donc, à mon avis, de toute façon, il y aura effectivement cette taxation sur l'ensemble. Mais il est raisonnable de prendre en compte la réalité de la situation économique. C'est ça l'objet de l'amendement parlementaire. Mais ça ne met pas en cause l'engagement de l'Etat des 450 millions d'euros, c'est ça qui est important.
Si ce tuyau-là apporte un peu moins d'argent parce que le surplus publicitaire n'est pas là, l'Etat devra compenser, et donc augmenter la redevance ?
L'Etat devra compenser, c'est son engagement. En plus, c'est un engagement, je le répète, sur trois ans, et c'est un engagement pris dans la loi pour l'audiovisuel et dans la loi de Finances. C'est-à-dire que c'est un double engagement qui est pris dans deux lois. Donc il ne doit pas y avoir d'inquiétude sur le financement de toute façon. Mais aussi bien, il n'y aura pas du tout besoin de compenser, simplement il faut pouvoir s'adapter à la situation.
Et s'il faut compenser, c'est la redevance qui sera augmentée ? Elle n'est pas très forte en France...
La redevance va être indexée, ce qui veut dire une toute petite... Ce n'est même pas une augmentation, c'est éviter que la redevance ne baisse. Parce que, vous le savez, depuis quelques années, elle baissait de fait, puisque elle n'était pas indexée sur l'inflation.
Pour les opérateurs de télécommunication qui doivent aussi mettre au pot, 0,9 %, ça va flotter également ?
Non, parce que les opérateurs de télécommunication ont un chiffre d'affaires qui se chiffre bien sûr en dizaines de milliards d'euros. Donc on est dans un ordre de grandeur complètement différent...
On reste à 0,9 ?
Voilà. Je rappelle qu'ils sont d'ailleurs souvent producteurs de contenu, donc, là, je crois qu'il est tout à fait normal, évidemment, qu'ils soient dans la boucle du financement. Et il n'y a pas, en ce qui les concerne, de grande incertitude aujourd'hui sur les chiffres d'affaires. Ils ne sont évidemment pas dépendants du marché publicitaire.
Si la crise continue, est-ce qu'il ne faudra pas privatiser l'une des chaînes publiques pour la faire sortir du giron de l'Etat ?
Écoutez, ça, ce n'est pas du tout à l'ordre du jour. L'ordre du jour, c'est aussi de créer une grande société, sur le modèle de Radio France, mais avec des antennes vraiment très identifiées, très différenciées. C'est ça l'idée.
L'actualité, c'est aussi des économies qui vont être demandées à l'audiovisuel public, des réformes. On parle de 900 départs en retraite non remplacés. F. Lefebvre, au nom de l'UMP, dit déjà qu'il faudra faire plus que 900...
Je crois que c'est la responsabilité du président de France Télévisions et des équipes que de mener cette réforme. Ce qu'on leur demande, c'est d'avoir une télévision qui soit vraiment différente, qui prenne plus de risques, qui soit encore plus service public qu'elle ne l'est. Mais elle l'est déjà, mais on voudrait qu'elle aille justement encore plus loin. Et ensuite, de mettre en place en effet, une nouvelle structure, avec, par exemple, des grandes unités de programmes, ce qui est déjà le cas aujourd'hui. Déjà aujourd'hui, vous avez une grande direction des sports, vous avez une unité de programme jeunesse. L'idée, c'est effectivement de mutualiser un petit peu les choses, tout en gardant une forte identité des différentes chaînes. Après, c'est à eux de porter cette réforme un petit peu comme ils l'entendent. Voilà, moi c'est ça que j'ai à dire. On ne fait pas les réformes, nous, pour faire un plan social, on fait une réforme pour avoir une nouvelle télévision.
Nouvelle télévision, mais ceux qui participaient à la commission Copé, notamment, scénaristes et producteurs, dans Le Monde d'hier, s'inquiètent de la qualité de la télévision qui sera produite par le public.
Je crois que les moyens seront là. A partir de là, il faut aussi faire preuve évidemment d'invention, il faut prendre des risques. On a tous, vous savez dans la tête, non pas un passé un peu daté, mais on a aussi dans la tête des choses qui étaient très, très audacieuses, je ne sais pas moi, le temps des "Shadoks", quand j'étais très jeune l'émission d'Averty, "les raisins verts", des choses comme ça... Il y avait une audace absolument extraordinaire. Je crois qu'il faut avoir de l'argent et des moyens pour avoir des fictions de qualité originales, ça on sait qu'on ne les a pas contre rien. Il peut y avoir aussi de l'imagination, de l'inventivité et la possibilité de prendre des risques.
Et plus de pression à l'audience, on ne regardera plus les chiffres d'audience ?
Je pense qu'il faut regarder les chiffres de l'audience, mais il ne faut pas être prisonnier de l'audience, c'est toute la différence. C'est-à-dire, vous demandez une audience, c'est dans le cahier des charges, mais vous ne la regardez pas heure par heure, soirée par soirée. Vous pouvez la regarder sur la semaine, sur le mois, ce qui n'est pas du tout la même chose.
Alors, autre point très critiqué, la nomination par le président de la République, après avis du CSA, des patrons de chaînes. C'est mal vécu. Pouvez-vous reculer sur ce point ?
Il n'est pas question de reculer, parce que je crois qu'il y a une logique, qui est une logique au fond de responsabilité. Cela veut dire : l'Etat est actionnaire, c'est l'Etat qui au fond définit les grandes missions du service public, et c'est l'Etat qui nomme le dirigeant. Simplement...
Pas forcément le Président, ça pourrait être l'Assemblée qui désigne quelques membres et le CSA choisit...
Oui, ça, c'est le système anglais effectivement, c'est-à-dire l'Etat nomme les membres d'un board, et le board ensuite nomme effectivement. Ce sont des systèmes un peu plus indirects. Mais au fond, il y a quand même une logique, justement à ce que l'actionnaire prenne toutes ses responsabilités, d'autant plus qu'il y a des verrous, et des verrous importants et spécifiques à ce secteur. Ça va être l'avis conforme du CSA, avis à bulletin secret, et puis évidemment la discussion et le passage devant les deux Chambres. Et puis, on est sûr qu'on sera dans un débat public, parce que c'est bien évident que c'est une nomination qui provoquera un débat public. Et en plus, je pense qu'on pourra éventuellement aller chercher des personnalités qui n'auraient pas été candidates dans l'ancien système. Parce que, aujourd'hui, quand on regarde finalement qui sont les dirigeants des grandes chaînes, il y a des personnalités très remarquables qui viennent de l'intérieur, qui sont les journalistes, mais il y en a d'autres qui viennent, je ne sais pas quoi, de l'agrochimie, qui viennent d'autres secteurs. Et je crois que ça peut être intéressant, ça pourra être intéressant un jour d'aller chercher des personnalités venues d'ailleurs peut-être.
Avec ce climat, ce financement, et puis cette affaire de nomination, craignez-vous que P. de Carolis démissionne avant la fin de son mandat ?
Je ne le crois pas. On a travaillé, bien entendu, avec les dirigeants de France Télévisions, nous avons fait aussi le cahier des charges avec eux, je crois qu'il y a une relation de confiance, je pense qu'il faut porter une réforme, et ils devront, bien sûr, ils doivent porter cette réforme. Et je crois que c'est parfaitement possible.
Souhaitez-vous la fusion des deux chaînes parlementaires, Assemblée nationale et Sénat ?
Je ne vais pas empiéter sur un sujet pareil. Là, c'est vraiment...
Ce n'est pas un peu redondant ?
...exécutif, législatif. C'est aux parlementaires d'en décider. Il y aurait certainement une logique à le faire, mais...
Elles resteront à part ou elles reviennent dans le giron CSA, comme toutes les autres chaînes ?
Non, elles resteront à part, ce sont des chaînes parlementaires, il y a bien sûr une totale indépendance du législatif en France.
Une poupée vaudou à votre effigie est paraît-il en fabrication. Si elle sort, vous l'attaquerez en justice, comme le président de la République ?
Écoutez, je serais bien étonnée d'être à ce degré de notoriété qui me vaudrait une poupée vaudou. Je crois que j'en suis absolument persuadée. Je pense avoir des piques de parlementaires très probablement, mais probablement pas des aiguilles dans une poupée vaudou !
Vous comprenez que le Président ait porté plainte ou... ?
Oui, parce que, quand même, il y a quelque chose d'un peu bizarre je trouve, d'un peu malsain dans cette idée de... On vous donne une poupée, et puis on vous demande de déchaîner votre haine contre cette poupée. Il y a quelque chose de déplaisant. Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 25 novembre 2008