Interview de Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, à "Canal Plus" le 27 novembre 2008, sur la polémique autour de l'hébergement d'office des personnes sans domicile fixe et l'association DAL.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

C. Roux, M. Biraben et L. Mercadet C.Roux : Selon Emmaüs, 265 personnes sans abri sont mortes dans la rue cette année en France. Pour le président N. Sarkozy, le devoir du gouvernement est de ne pas laisser mourir les gens dans la rue. Un coup de pression sur sa ministre. Du coup, la ministre a lancé une réflexion qui a vite tourné à la polémique : et s'il fallait contraindre les sans-abri à rejoindre un foyer ?
M. Biraben : Bonjour C. Boutin, soyez la bienvenue, alors on peut raisonnablement se poser une question de matin, au 150ème mort dans la rue, au bout de six mois, est-ce qu'il n'est pas un tout petit peu tard pour se lancer sur une réflexion d'hébergement d'urgence ou obligatoire ?
Ecoutez, je ne pense pas qu'il soit trop tard, il n'est jamais trop tard pour réfléchir. Mais nous avons agi depuis dix-sept mois, jamais il n'y a eu autant de constructions de places d'accueil. Aujourd'hui, vous savez qu'on estime à un peu près à 100.000 SDF, le nombre de personnes qui ont besoin d'un logement, 99.600 ont été ouvertes aujourd'hui. Donc si vous voulez, on est à peu près, en terme arithmétique, nous avons répondu, nous avons agi. Alors maintenant, effectivement, il y a un fait grave qui est la mort de trois personnes, il s'agit de réfléchir.
C. Roux : Je vais vous lire une phrase : "Si je suis élu président de la République, je ne veux plus que personne ne meurt d'ici à deux ans dans la rue, que personne ne meurt de froid". C'était une phrase de N. Sarkozy, c'était en décembre 2006. Pourquoi ne pas avoir amorcé cette réflexion avant ?
C'est la question... Eh bien, parce que la première des choses, c'est qu'il fallait construire des places, ouvrir des places, parce qu'il n'y en avait pas suffisamment. Figurez-vous que depuis dix-sept mois que nous sommes à la responsabilité de ce Gouvernement, il n'y a jamais eu autant d'ouvertures de places que depuis ces dix-sept mois. Il fallait déjà construire et si aujourd'hui, il y a une polémique sur la réflexion, c'est parce que sur les moyens aujourd'hui, ouverts, il n'y a plus grand-chose à dire. Même si, je le dis très clairement, il faut améliorer les places d'accueil des personnes sans domicile fixe.
M. Biraben : Cela veut dire que vous comprenez qu'ils ne souhaitent pas y aller, si vous pensez qu'il faut améliorer, vous comprenez qu'ils ne souhaitent pas s'y rendre ?
Vous savez les choses sont beaucoup plus complexes que ça. La personne sans domicile fixe, on pense au SDF avec un chien - mais il y a aussi les femmes battues, les femmes qui se retrouvent à 3 heures du matin avec leurs enfants sur un trottoir. Il y a aussi le malade qui a des troubles psychiques et chaque personne a besoin d'un traitement particulier. Quand on voit le SDF, on a dans sa représentation une seule image. En réalité, l'exclusion est beaucoup plus complexe que cela.
C. Roux : Pourquoi cette levée de boucliers des associations selon vous ? Elles connaissent la situation parfaitement et elles disent : si on les oblige à rejoindre un foyer, forcément, ils vont aller se cacher ailleurs, ils vont aller ailleurs, ce n'est pas la solution". Qu'est-ce que vous leur répondez ?
Il faut garder son calme. Aujourd'hui, nous avons trois morts dans le Bois de Vincennes, tout le monde est ému de façon juste par rapport à ce fait divers. Il convient après, d'avoir les capacités d'accueil, qui encore, je le dis très clairement, peuvent être améliorées. Il faut lancer une réflexion, ce n'est pas parce qu'on lance une réflexion que les choses se feront.
C. Roux : Mais là, on réfléchit ensemble, on réfléchit avec l'avis des associations, etc. Quand elles vous disent ça, qu'est-ce que vous répondez ?
Ecoutez, moi je leur demande de garder leur calme, je leur demande...
C. Roux : Elles ne gardent pas leur calme, c'est ce que vous dites ? Vous trouvez qu'au fond, elles réagissent...
Oui, parce que vous parliez d'un tollé, alors si on est vraiment un tollé, parce que je dis... Quelle est la question : jusqu'à quel moment doit-on laisser la liberté d'une personne, qui n'est peut-être pas en état de pouvoir, véritablement décider et de jouer avec sa vie ? Eh bien la question mérite d'être posée. On ne peut pas, d'un côté, nous reprocher de ne pas faire ce qu'il faut et d'un autre côté nous reprocher de vouloir mettre à l'abri toutes les personnes qui sont dehors. Enfin, je veux dire, il y a un moment où il faut trouver un équilibre. Alors moi je lance une étude, à la suite du reste de la demande du président de la République, parce que le président de la République hier...
C. Roux : Il vous a mis la pression !
Non, il ne m'a pas mis la pression, il a posé la bonne question hier au Conseil des ministres. Il est vrai qu'au Conseil des ministres maintenant, il y a des débats et c'est une très bonne chose, je pense que c'est bien. Le président de la République a posé cette question et je la pose à l'ensemble des Français : est-ce que véritablement, aujourd'hui, nous devons laisser la liberté absolue et les gens mettre leur vie en danger, ou est-ce que, au contraire, il faut que nous nous donnions les moyens de pouvoir mettre les gens à l'abri ? L'affaire étant difficile à régler de toute façon.
M. Biraben : Alors nous, nous l'avons posée, cette question, exactement celle-là, aux téléspectateurs de "la Matinale", qui réagissent très nombreux et qui ont des questions à vous poser, Léon ?
L. Mercadet : Oui, ils sont beaucoup à se poser des questions sur la promiscuité, voire la dangerosité dans les centres d'hébergement. Alors pouvez-vous nous dire aujourd'hui que les 99.000 places qu'il y a dans les centres sont correctes ?
99.600 !
L. Mercadet : Oui, 99 600... sont correctes, sont nickel ou avez-vous constaté de visu, par vous-même, que certains centres d'hébergement proposent en effet des conditions inacceptables ?
A votre question, je répondrai, oui, monsieur, il y a des conditions inacceptables, quand vous dites, "certains centres d'hébergement", effectivement, ont des conditions inacceptables. C'est la raison pour laquelle dans le projet de loi que je présente au Parlement, j'ai demandé le financement pour l'humanisation des centres d'hébergement. Malheureusement, le Sénat, majoritairement, a voté contre cette proposition - alors, j'espère que l'Assemblée nationale va l'accepter - pour des motifs...
M. Biraben : Début décembre ?
C'est début décembre... Pour des motifs qui me semblent - comment dirai-je ? - dogmatiques. Vous savez que j'ai été amenée à faire appel au 1 % pour avoir un budget qui soit suffisamment étoffé, j'ai même 200 millions de plus que l'année dernière en capacité de financement. Et le financement de ces centres d'hébergement est prévu dans le cadre de ce financement du 1 %. Et ceci m'a été refusé par le Sénat, vous pouvez regarder les débats. Je sais que les sénateurs (inaud.), mais moi, je suis désolée, j'ai proposé le financement de ces centres d'hébergement, cela m'a été refusé au Sénat.
L. Mercadet : C'est vrai que les sénateurs n'ont pas de problème d'hébergement, eux...
C. Roux : Puisqu'on est dans la phase réflexion, est-ce que la question de la réquisition, des réquisitions a été également posée en Conseil des ministres ?
Pour être tout à fait juste, non, elle n'a pas été posée. Mais je vais vous dire, en ce qui concerne les réquisitions, en France, c'est la grande idée d'un certain nombre. Il se trouve que j'ai rassemblé les ministres du Logement à Marseille, de l'Europe, et il y avait naturellement des manifestants, qui sont tout à fait légitimes à le faire et des manifestants européens. Les manifestants européens disent que la réquisition n'est pas une bonne chose et je comprends qu'ils le disent spontanément, ils ne sont pas d'accord...
C. Roux : On pose la question à vous, ministre du Logement.
Oui, mais moi, la réponse, monsieur Périssol a fait de la réquisition, a tenté de le faire. Madame Lienemann a tenté de le faire, cela n'a donné aucun résultat.
C. Roux : Pourquoi ?
Mais parce qu'en France, il y a un droit de la propriété qui est très important. Et ce n'est pas parce que vous avez un local qui apparaît vide, qu'il est vraiment mis à disposition, voilà la raison. Imaginez-vous, que si vous, vous avez une résidence secondaire et qu'elle est vide, si on vous la prend, comme ça, sans respecter une certaine procédure, vous ne serez sans doute pas tout à fait satisfaite. Alors, le problème de la réquisition n'est pas une chose facile. Mais j'ai lancé la procédure, j'ai demandé au ministère du Budget, mais dès le mois de juin de l'année dernière, de bien vouloir me faire un état des locaux qui sont actuellement disponibles. J'attends. Mais quand madame Lienemann a fait ça, c'est plusieurs milliers... Il est arrivé 30 centimètres de listings de logements qui seraient, en apparence, disponibles.
C. Roux : Pour vous, ce ne serait pas la solution ?
Non.
C. Roux : On a envie de vous poser une question, toute bête ce matin : est-ce que, quand vous regardez le sujet que vous traitez tous les jours, vous vous dites qu'il y a une solution qu'on n'a pas appliquée, ou est-ce que vous vous dites que le sujet est trop compliqué et l'année prochaine, à la même période, au mois de décembre, on va dire la même chose ?
Je pense qu'on n'a pas fini d'explorer les différentes pistes, je pense qu'il est possible... Vous savez, aujourd'hui, il y a énormément de structures différentiées et il faut que nous allions dans ce sens là. Parce que je vous dis, les SDF, les exclus, ce n'est pas une seule catégorie de personnes, c'est beaucoup de personnes et il faut avoir des réponses adaptées. On peut continuer la réflexion, c'est ce que je propose aux associations... on agit, on agit, on a agi !
M. Biraben : Et en attendant, on continue de mettre des amendes si on met des tentes dans les rues, à disposition des SDF ou pas ?
Ecoutez, ça, je le dis très clairement, parce qu'il ne faut pas qu'il y ait d'ambiguïté, ce n'est absolument pas une demande du ministère du Logement ni de la Ville. C'est une procédure qui a été lancée par les préfectures de police sur le motif de l'ordre public. Moi, je n'ai pas à commenter cette décision, le DAL fait appel, on verra ce que dira la justice.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 27 novembre 2008