Texte intégral
J.-L. Hees.- Je rappelle que vous êtes ministre de l'Agriculture et de la Pêche. Et puis, je signale aussi que vous publiez chez Acropole un livre qui s'intitule « Qui va nourrir le monde ? ». Vous prônez une véritable révolution agricole... On va y revenir dans un instant. Mais il y a d'abord l'actualité qui est très chargée pour un ministre de l'Agriculture, surtout quand la France préside l'Union européenne. Il y a eu plein de journées de travail à Bruxelles en ce qui vous concerne, et puis on sent quand même une grande anxiété, une assez forte colère, notamment chez les éleveurs de...enfin chez les producteurs de lait en France. Donc on a du mal à comprendre ce système qui veut qu'on va toucher aux quotas, et puis ces quotas vont être supprimés, je crois dans cinq ans en ce qui concerne l'Europe. Donc, ça veut dire quoi ? Cela veut dire qu'il y a trop de production et c'est pour ça que les prix baissent ou c'est différent ?
Prenons les problèmes un par un. La production laitière est maîtrisée dans le cadre de ce que vous avez appelé les quotas. Et chez nous, en France, on a fixé des quotas de production pour maîtriser la production, pour éviter la surproduction. Vous vous souvenez des montagnes de beurre et de poudre de lait, par département. Et donc, dans chaque département de France, il y a une production limitée, contrôlée. Avec la production laitière, il n'y a pas seulement les éleveurs qui font un travail très exigeant et très contraignant, il y a aussi les outils de transformation, des laiteries, on fabrique du fromage, on fabrique des yaourts, donc des emplois industriels dans le secteur agroalimentaire. Donc, moi, je suis extrêmement préoccupé de la sortie progressive des quotas qui a été décidée en 2014 par le Conseil des ministres en 2003. C'est une décision qui est prise à la majorité qualifiée, comme on dit, des Etats membres de l'Union européenne. Et pour l'instant, il n'y a pas une autre majorité qualifiée pour prendre une autre décision. Alors, pour préparer cette sortie des quotas, plusieurs pays, l'Italie, la Pologne, d'autres, disent, "eh bien, augmentons-les tout de suite, comme ça, quand on les supprimera, on aura moins de difficulté, on sera prêts". Moi, je pense que c'est une erreur parce que le marché du lait est très volatile, très fragile, on le voit d'ailleurs se retourner en ce moment, ce qui explique les difficultés des négociations sur le prix qui ont lieu en ce moment, ces jours-ci, entre producteurs et industriels. Donc, je me suis battu dans la négociation qui s'est terminée la semaine dernière à Bruxelles pour d'abord qu'on n'augmente pas automatiquement les quotas dans les années qui viennent. On a augmenté de 1 % l'année prochaine, et puis, on va faire le point du marché, et éventuellement on reviendra en arrière. D'autres pays, comme l'Allemagne, sont également préoccupés. Donc, il y a le problème de la négociation du prix. Je fais appel cette semaine à nouveau à la responsabilité des industriels et des éleveurs pour trouver un juste prix. Les industriels ont besoin de lait, ils ont besoin de proximité, ils ont besoin des éleveurs. Les éleveurs ont besoin aussi d'un prix qui rémunère ce travail.
Et si on n'arrive pas à se mettre d'accord, qu'est-ce qui va se passer ?
On va se mettre d'accord. S'ils n'y arrivent pas cette semaine, je nommerai un médiateur pour faciliter la négociation, mais il faut trouver un prix équitable et juste. Et puis, il y a au-delà de cette question du prix immédiat, pour les semaines ou les mois qui viennent, il y a la question des quotas et de la maîtrise de la production. Moi, je veux, je vous le dis parce que c'est un problème de fond, qu'en matière d'alimentation - et nous sommes là avec le lait dans l'alimentation, dans l'agriculture -, on garde des outils de régulation. On ne peut pas, je ne peux pas laisser et je ne laisserai pas l'alimentation, l'agriculture, à la seule loi du marché, c'est-à-dire au moins disant sanitaire et écologique.
Justement, vous connaissez bien ces dossiers-là depuis longtemps donc, et l'Europe particulièrement bien. Est-ce que ça veut dire qu'il y a une évolution un peu négative des mentalités au sein de l'Union européenne ? Parce qu'on voit bien ce que ça donne de temps en temps quand on laisse faire les marchés, justement... Et on sent, là, qu'il y a des gens qui voudraient abandonner tout de même - c'est en général pas les pays les plus agricoles d'ailleurs -, qui aimeraient bien laisser faire la loi du marché.
Il y a, à la Commission européenne, il y a dans certains Etats membres qu'on connaît - comme le Royaume-Uni ou la Suède - une vision très libérale, laissons faire le marché... Enfin, c'est cette idée qu'on connaît bien, de l'Union européenne qui se résumerait à une zone de libre échange, à un grand supermarché, avec beaucoup de compétitions fiscales et sociales à l'intérieur. Ça c'est pas notre idée. Nous voulons que l'Europe soit, bien sûr, une économie sociale de marché, jouant le jeu de la mondialisation avec des règles et des régulations, soit une économie solidaire. On a des politiques qui prouvent cette solidarité, la politique agricole en est une, la politique régionale en est une autre. Et puis qui soit, je le dis en passant, un acteur global, c'est-à-dire, comme l'a prouvé le président de la République dans la crise géorgienne, comme il l'a prouvé dans la crise financière, que nous ne soyons pas spectateurs de notre propre avenir décidé par les autres. Moi, je n'ai pas envie que l'avenir de mes enfants se fassent à New York et se défassent à Pékin ! Donc il faut que l'Europe joue son rôle. Et si on veut jouer notre rôle, ne pas être sous-traitants et ne pas être sous influence, il faut qu'on soit unis. C'est ça le projet européen.
Alors, ça s'annonce - enfin, en tout cas, c'est ce que craignent les syndicats agricoles, parce qu'on va redéfinir la PAC, donc le budget de la PAC, la politique agricole commune - donc ça s'annonce douloureux. Enfin, c'est ce qu'on entend dans les cercles des syndicats agricoles.
Toutes les négociations européennes sont douloureuses. Elles ont lieu tous les sept ans, tous les sept ans, on remet à plat les politiques, ça va être le cas pour 2012-2013, sur une période de sept ans qui suivra. En attendant, ce que nous avons obtenu la semaine dernière, à la quasi-unanimité, c'est une boîte à outils, non pas pour mettre à plat la PAC, mais pour l'adapter et la réformer à mi-parcours. Et donc, là, nous avons la boîte à outils, à travers certaines réorientations, à travers un usage un peu différent de certains crédits, faire que la PAC soit plus préventive. Je veux par exemple créer des outils de régulation et des outils d'assurance. Les agriculteurs sont des producteurs dans notre société qui sont les moins bien protégés, les plus vulnérables aux aléas climatiques ou sanitaires. Donc je veux développer un système généralisé d'assurance. Je voudrais qu'on aide davantage certaines productions qui sont en grand danger, comme la production ovine, la production laitière, les productions animales à l'herbe, le bio, les protéagineux. Et puis, je veux qu'on encourage aussi ce grand mouvement qui est enclenché par les agriculteurs, qui n'ont pas attendu les écologistes, vers le développement durable. Donc, voilà, on va utiliser cette boîte à outils cette année et l'année prochaine, pour qu'à partir de 2010, on infléchisse l'usage de la politique agricole. Et puis, s'ouvrira pratiquement en même temps, en 2010-2011, le grand débat sur les futures, pas seulement pas la politique agricole, les futures politiques européennes. Mais quand on parle de PAC, je veux dire, puisque on parle de la crise en ce moment qui touche tout le monde, y compris les agriculteurs ou les entreprises agro-alimentaires, je veux rappeler que la PAC, c'est une politique de soutien à un secteur productif. Ce n'est pas par hasard que la force, la chance de l'Europe, pas seulement de la France, se trouve aussi dans son secteur productif agricole qui tient le coup. C'est parce qu'on a une politique publique.
Et ça représente 40 % du budget de l'Union européenne...
Oui, parce qu'on a mutualisé tous les budgets nationaux. Moi, je n'ai pratiquement plus de budget national agricole. Dans mon budget national, qui est en discussion au Parlement, il y un milliard, un milliard et demi, pour l'économie agricole, il y en a dix dans le budget européen, un à dix.
Donc, ce n'est pas devant votre fenêtre qu'il faut aller benner cinq tonnes de thons rouges... Enfin, je dis ça pour les gens de Greenpeace qui sont en colère après les quotas de la pêche au thon...
Oui, c'est une autre question. Il y a une deuxième politique qui est la politique européenne de la pêche, vous le voyez bien, sur ces questions d'agriculture et de pêche, ce sont les deux premières politiques économiques européennes. Que les gens manifestent, c'est normal, je les écoute, j'essaie de prendre des décisions justes. Sur le thon rouge, on a - c'est votre question - une espèce halieutique qui est fragile, et donc on a décidé, il y a quelques jours à Marrakech, de réduire les temps de production, c'est-à-dire les temps de pêche, et de réduire les quotas de pêche aux thons rouges assez drastiquement, de 30 % dans les trois ans qui viennent. Et donc, on répond là a un souci qui est exprimé. Alors, certains veulent aller beaucoup plus loin, supprimer tout de suite la pêche, complètement. Je pense que ce moratoire qu'ils demandent serait une forme d'échec de cette gestion collective. Nous ne sommes pas tout seuls, les Européens, il y a une quarantaine de pays autour de la Méditerranée qui pêchent le thon rouge.
Je disais que ça vous passionne tous ces problèmes agricoles, c'est vrai que c'est un domaine de la vie...
Ce n'est pas seulement la question des agriculteurs, c'est une question de société. Là, nous parlons de l'alimentation, du développement durable, des territoires, de l'emploi, de gens qui se modernisent, qui s'adaptent très vite. Donc c'est un ministère passionnant.
Mais vous allez quitter ce ministère un de ces jours, puisque vous allez vous présenter aux élections européennes.
Oui, mais c'est une autre époque, c'est un autre temps, 2009 est une autre année, le mois de juin est un autre mois. Pour l'instant, je suis ministre de l'Agriculture et de la Pêche à temps plein. Et croyez-moi, d'abord je ne le regrette pas parce que c'est passionnant, c'est difficile, et en même temps, il y a de quoi faire pour les mois qui viennent. Et en confiance avec le chef de l'Etat et le Premier ministre, je ferai ce travail jusqu'au bout. Le moment venu, si je suis en effet, comme je l'ai dit, disponible pour l'élection européenne, et pour le débat européen qui est très important - là, d'ailleurs, je suis le ministre d'une politique totalement mutualisée au niveau européen...
Exclusivement européenne.
...C'est un prolongement. Si je suis candidat, je me rendrai disponible quelques jours avant par respect pour les électeurs. Mais ce moment n'est pas venu.
Vous publiez un livre chez Acropole, qui s'intitule "Qui va nourrir le monde ?", avec une préface d'E. Pisani, donc un de vos illustres prédécesseurs à la tête de ce ministère de l'Agriculture...
... Et à la Commission européenne aussi...
Exactement. Et vous préconisez une nouvelle révolution agricole, car, c'est vrai, on a tendance à l'oublier, puisqu'on est polarisé sur notre crise, mais on sera neuf milliards d'individus qui mangent, dans pas longtemps.
Et il faudra doubler la production agricole, doubler dans les quarante ans qui viennent pour nourrir ces neuf milliards d'êtres humains. Je rappelle qu'aujourd'hui, il y a près de 900 millions d'êtres humains qui sont en danger de mort à cause de la faim. C'est insupportable, c'est inacceptable, notamment en Afrique. Donc, ce que j'ai voulu dire par ce livre, et j'avais déjà organisé au mois de juillet une conférence à Bruxelles sur cette question-là, "qui va nourrir le monde ?", c'est ne soyons pas recroquevillés, notre sort est lié. Si les jeunes Africains n'ont pas d'avenir chez eux, ils viendront le chercher ailleurs, et on verra le désordre s'accentuer dans le monde. Donc, il faut - c'est une des réponses que j'apporte, pas tout seul - créer en Afrique une production vivrière, regrouper des pays ou les aider à se regrouper, à, eux aussi, de mutualiser leur destin agricole, alimentaire, de sécurité sanitaire comme nous l'avons fait en Europe. Pourquoi on aurait le droit, nous, pourquoi on aurait intérêt à être regroupés avec vingt-sept pays, à mutualiser nos politiques agricoles, nos politiques de sécurité sanitaire, de risque, et eux on les laisserait, le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal, tout seuls, face au monde ? Ce n'est pas juste.
Oui, enfin, on sent bien que c'est aussi la tentation actuelle, la crise, la crise financière fait que les crédits d'aides à ces pays-là, ils réduisent un petit peu, enfin ils se réduisent vraiment en peau de chagrin.
Raison de plus pour mettre l'argent ensemble, pour mettre l'argent dans un pot commun, pour que ces pays bâtissent des projets régionaux agricoles pour gérer leurs productions, leur stockage de matières premières alimentaires, la gestion de l'eau, pour gérer la gestion des risques sanitaires ou climatiques, et que nous, Européens, nous les aidions directement, Europe partenaire de l'Afrique.
C'est difficile de faire comprendre que si on les aide on s'aide nous-mêmes...
Oui, mais c'est pas exemple tout l'objet du travail que fait B. Hortefeux actuellement à propos de l'immigration. Ce n'est pas une politique de recroquevillement, ce n'est pas une politique forteresse. On essaie aussi, en même temps, à travers le co-développement d'aider à construire chez eux, là-bas. Mais pas seulement en Afrique, il y a un pays qui m'a toujours beaucoup touché et dont je m'occupe à titre personnel avec mon épouse et d'autres amis, qui est Haïti, qui est l'un des pays les plus pauvres du monde, où tout le monde parle français. Il faut reconstruire l'avenir et le progrès à travers la production agricole. La banque mondiale, R. Zoellick disait il y a quelques mois, "un dollar investi dans l'agriculture, c'est le dollar le plus efficace contre la pauvreté".
Et à propos d'Haïti, on a coutume de dire que ça fait 80 % d'analphabètes et 100 % de gens intelligents, c'est un peuple bien intéressant. Je vous remercie M. Barnier, et puis je rappelle le titre de ce livre paru chez Acropole, "Qui va nourrir le monde ?", parce que c'est intéressant, on comprend tout, ce qui est rare dès qu'on aborde des sujets complexes.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 27 novembre 2008
Prenons les problèmes un par un. La production laitière est maîtrisée dans le cadre de ce que vous avez appelé les quotas. Et chez nous, en France, on a fixé des quotas de production pour maîtriser la production, pour éviter la surproduction. Vous vous souvenez des montagnes de beurre et de poudre de lait, par département. Et donc, dans chaque département de France, il y a une production limitée, contrôlée. Avec la production laitière, il n'y a pas seulement les éleveurs qui font un travail très exigeant et très contraignant, il y a aussi les outils de transformation, des laiteries, on fabrique du fromage, on fabrique des yaourts, donc des emplois industriels dans le secteur agroalimentaire. Donc, moi, je suis extrêmement préoccupé de la sortie progressive des quotas qui a été décidée en 2014 par le Conseil des ministres en 2003. C'est une décision qui est prise à la majorité qualifiée, comme on dit, des Etats membres de l'Union européenne. Et pour l'instant, il n'y a pas une autre majorité qualifiée pour prendre une autre décision. Alors, pour préparer cette sortie des quotas, plusieurs pays, l'Italie, la Pologne, d'autres, disent, "eh bien, augmentons-les tout de suite, comme ça, quand on les supprimera, on aura moins de difficulté, on sera prêts". Moi, je pense que c'est une erreur parce que le marché du lait est très volatile, très fragile, on le voit d'ailleurs se retourner en ce moment, ce qui explique les difficultés des négociations sur le prix qui ont lieu en ce moment, ces jours-ci, entre producteurs et industriels. Donc, je me suis battu dans la négociation qui s'est terminée la semaine dernière à Bruxelles pour d'abord qu'on n'augmente pas automatiquement les quotas dans les années qui viennent. On a augmenté de 1 % l'année prochaine, et puis, on va faire le point du marché, et éventuellement on reviendra en arrière. D'autres pays, comme l'Allemagne, sont également préoccupés. Donc, il y a le problème de la négociation du prix. Je fais appel cette semaine à nouveau à la responsabilité des industriels et des éleveurs pour trouver un juste prix. Les industriels ont besoin de lait, ils ont besoin de proximité, ils ont besoin des éleveurs. Les éleveurs ont besoin aussi d'un prix qui rémunère ce travail.
Et si on n'arrive pas à se mettre d'accord, qu'est-ce qui va se passer ?
On va se mettre d'accord. S'ils n'y arrivent pas cette semaine, je nommerai un médiateur pour faciliter la négociation, mais il faut trouver un prix équitable et juste. Et puis, il y a au-delà de cette question du prix immédiat, pour les semaines ou les mois qui viennent, il y a la question des quotas et de la maîtrise de la production. Moi, je veux, je vous le dis parce que c'est un problème de fond, qu'en matière d'alimentation - et nous sommes là avec le lait dans l'alimentation, dans l'agriculture -, on garde des outils de régulation. On ne peut pas, je ne peux pas laisser et je ne laisserai pas l'alimentation, l'agriculture, à la seule loi du marché, c'est-à-dire au moins disant sanitaire et écologique.
Justement, vous connaissez bien ces dossiers-là depuis longtemps donc, et l'Europe particulièrement bien. Est-ce que ça veut dire qu'il y a une évolution un peu négative des mentalités au sein de l'Union européenne ? Parce qu'on voit bien ce que ça donne de temps en temps quand on laisse faire les marchés, justement... Et on sent, là, qu'il y a des gens qui voudraient abandonner tout de même - c'est en général pas les pays les plus agricoles d'ailleurs -, qui aimeraient bien laisser faire la loi du marché.
Il y a, à la Commission européenne, il y a dans certains Etats membres qu'on connaît - comme le Royaume-Uni ou la Suède - une vision très libérale, laissons faire le marché... Enfin, c'est cette idée qu'on connaît bien, de l'Union européenne qui se résumerait à une zone de libre échange, à un grand supermarché, avec beaucoup de compétitions fiscales et sociales à l'intérieur. Ça c'est pas notre idée. Nous voulons que l'Europe soit, bien sûr, une économie sociale de marché, jouant le jeu de la mondialisation avec des règles et des régulations, soit une économie solidaire. On a des politiques qui prouvent cette solidarité, la politique agricole en est une, la politique régionale en est une autre. Et puis qui soit, je le dis en passant, un acteur global, c'est-à-dire, comme l'a prouvé le président de la République dans la crise géorgienne, comme il l'a prouvé dans la crise financière, que nous ne soyons pas spectateurs de notre propre avenir décidé par les autres. Moi, je n'ai pas envie que l'avenir de mes enfants se fassent à New York et se défassent à Pékin ! Donc il faut que l'Europe joue son rôle. Et si on veut jouer notre rôle, ne pas être sous-traitants et ne pas être sous influence, il faut qu'on soit unis. C'est ça le projet européen.
Alors, ça s'annonce - enfin, en tout cas, c'est ce que craignent les syndicats agricoles, parce qu'on va redéfinir la PAC, donc le budget de la PAC, la politique agricole commune - donc ça s'annonce douloureux. Enfin, c'est ce qu'on entend dans les cercles des syndicats agricoles.
Toutes les négociations européennes sont douloureuses. Elles ont lieu tous les sept ans, tous les sept ans, on remet à plat les politiques, ça va être le cas pour 2012-2013, sur une période de sept ans qui suivra. En attendant, ce que nous avons obtenu la semaine dernière, à la quasi-unanimité, c'est une boîte à outils, non pas pour mettre à plat la PAC, mais pour l'adapter et la réformer à mi-parcours. Et donc, là, nous avons la boîte à outils, à travers certaines réorientations, à travers un usage un peu différent de certains crédits, faire que la PAC soit plus préventive. Je veux par exemple créer des outils de régulation et des outils d'assurance. Les agriculteurs sont des producteurs dans notre société qui sont les moins bien protégés, les plus vulnérables aux aléas climatiques ou sanitaires. Donc je veux développer un système généralisé d'assurance. Je voudrais qu'on aide davantage certaines productions qui sont en grand danger, comme la production ovine, la production laitière, les productions animales à l'herbe, le bio, les protéagineux. Et puis, je veux qu'on encourage aussi ce grand mouvement qui est enclenché par les agriculteurs, qui n'ont pas attendu les écologistes, vers le développement durable. Donc, voilà, on va utiliser cette boîte à outils cette année et l'année prochaine, pour qu'à partir de 2010, on infléchisse l'usage de la politique agricole. Et puis, s'ouvrira pratiquement en même temps, en 2010-2011, le grand débat sur les futures, pas seulement pas la politique agricole, les futures politiques européennes. Mais quand on parle de PAC, je veux dire, puisque on parle de la crise en ce moment qui touche tout le monde, y compris les agriculteurs ou les entreprises agro-alimentaires, je veux rappeler que la PAC, c'est une politique de soutien à un secteur productif. Ce n'est pas par hasard que la force, la chance de l'Europe, pas seulement de la France, se trouve aussi dans son secteur productif agricole qui tient le coup. C'est parce qu'on a une politique publique.
Et ça représente 40 % du budget de l'Union européenne...
Oui, parce qu'on a mutualisé tous les budgets nationaux. Moi, je n'ai pratiquement plus de budget national agricole. Dans mon budget national, qui est en discussion au Parlement, il y un milliard, un milliard et demi, pour l'économie agricole, il y en a dix dans le budget européen, un à dix.
Donc, ce n'est pas devant votre fenêtre qu'il faut aller benner cinq tonnes de thons rouges... Enfin, je dis ça pour les gens de Greenpeace qui sont en colère après les quotas de la pêche au thon...
Oui, c'est une autre question. Il y a une deuxième politique qui est la politique européenne de la pêche, vous le voyez bien, sur ces questions d'agriculture et de pêche, ce sont les deux premières politiques économiques européennes. Que les gens manifestent, c'est normal, je les écoute, j'essaie de prendre des décisions justes. Sur le thon rouge, on a - c'est votre question - une espèce halieutique qui est fragile, et donc on a décidé, il y a quelques jours à Marrakech, de réduire les temps de production, c'est-à-dire les temps de pêche, et de réduire les quotas de pêche aux thons rouges assez drastiquement, de 30 % dans les trois ans qui viennent. Et donc, on répond là a un souci qui est exprimé. Alors, certains veulent aller beaucoup plus loin, supprimer tout de suite la pêche, complètement. Je pense que ce moratoire qu'ils demandent serait une forme d'échec de cette gestion collective. Nous ne sommes pas tout seuls, les Européens, il y a une quarantaine de pays autour de la Méditerranée qui pêchent le thon rouge.
Je disais que ça vous passionne tous ces problèmes agricoles, c'est vrai que c'est un domaine de la vie...
Ce n'est pas seulement la question des agriculteurs, c'est une question de société. Là, nous parlons de l'alimentation, du développement durable, des territoires, de l'emploi, de gens qui se modernisent, qui s'adaptent très vite. Donc c'est un ministère passionnant.
Mais vous allez quitter ce ministère un de ces jours, puisque vous allez vous présenter aux élections européennes.
Oui, mais c'est une autre époque, c'est un autre temps, 2009 est une autre année, le mois de juin est un autre mois. Pour l'instant, je suis ministre de l'Agriculture et de la Pêche à temps plein. Et croyez-moi, d'abord je ne le regrette pas parce que c'est passionnant, c'est difficile, et en même temps, il y a de quoi faire pour les mois qui viennent. Et en confiance avec le chef de l'Etat et le Premier ministre, je ferai ce travail jusqu'au bout. Le moment venu, si je suis en effet, comme je l'ai dit, disponible pour l'élection européenne, et pour le débat européen qui est très important - là, d'ailleurs, je suis le ministre d'une politique totalement mutualisée au niveau européen...
Exclusivement européenne.
...C'est un prolongement. Si je suis candidat, je me rendrai disponible quelques jours avant par respect pour les électeurs. Mais ce moment n'est pas venu.
Vous publiez un livre chez Acropole, qui s'intitule "Qui va nourrir le monde ?", avec une préface d'E. Pisani, donc un de vos illustres prédécesseurs à la tête de ce ministère de l'Agriculture...
... Et à la Commission européenne aussi...
Exactement. Et vous préconisez une nouvelle révolution agricole, car, c'est vrai, on a tendance à l'oublier, puisqu'on est polarisé sur notre crise, mais on sera neuf milliards d'individus qui mangent, dans pas longtemps.
Et il faudra doubler la production agricole, doubler dans les quarante ans qui viennent pour nourrir ces neuf milliards d'êtres humains. Je rappelle qu'aujourd'hui, il y a près de 900 millions d'êtres humains qui sont en danger de mort à cause de la faim. C'est insupportable, c'est inacceptable, notamment en Afrique. Donc, ce que j'ai voulu dire par ce livre, et j'avais déjà organisé au mois de juillet une conférence à Bruxelles sur cette question-là, "qui va nourrir le monde ?", c'est ne soyons pas recroquevillés, notre sort est lié. Si les jeunes Africains n'ont pas d'avenir chez eux, ils viendront le chercher ailleurs, et on verra le désordre s'accentuer dans le monde. Donc, il faut - c'est une des réponses que j'apporte, pas tout seul - créer en Afrique une production vivrière, regrouper des pays ou les aider à se regrouper, à, eux aussi, de mutualiser leur destin agricole, alimentaire, de sécurité sanitaire comme nous l'avons fait en Europe. Pourquoi on aurait le droit, nous, pourquoi on aurait intérêt à être regroupés avec vingt-sept pays, à mutualiser nos politiques agricoles, nos politiques de sécurité sanitaire, de risque, et eux on les laisserait, le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal, tout seuls, face au monde ? Ce n'est pas juste.
Oui, enfin, on sent bien que c'est aussi la tentation actuelle, la crise, la crise financière fait que les crédits d'aides à ces pays-là, ils réduisent un petit peu, enfin ils se réduisent vraiment en peau de chagrin.
Raison de plus pour mettre l'argent ensemble, pour mettre l'argent dans un pot commun, pour que ces pays bâtissent des projets régionaux agricoles pour gérer leurs productions, leur stockage de matières premières alimentaires, la gestion de l'eau, pour gérer la gestion des risques sanitaires ou climatiques, et que nous, Européens, nous les aidions directement, Europe partenaire de l'Afrique.
C'est difficile de faire comprendre que si on les aide on s'aide nous-mêmes...
Oui, mais c'est pas exemple tout l'objet du travail que fait B. Hortefeux actuellement à propos de l'immigration. Ce n'est pas une politique de recroquevillement, ce n'est pas une politique forteresse. On essaie aussi, en même temps, à travers le co-développement d'aider à construire chez eux, là-bas. Mais pas seulement en Afrique, il y a un pays qui m'a toujours beaucoup touché et dont je m'occupe à titre personnel avec mon épouse et d'autres amis, qui est Haïti, qui est l'un des pays les plus pauvres du monde, où tout le monde parle français. Il faut reconstruire l'avenir et le progrès à travers la production agricole. La banque mondiale, R. Zoellick disait il y a quelques mois, "un dollar investi dans l'agriculture, c'est le dollar le plus efficace contre la pauvreté".
Et à propos d'Haïti, on a coutume de dire que ça fait 80 % d'analphabètes et 100 % de gens intelligents, c'est un peuple bien intéressant. Je vous remercie M. Barnier, et puis je rappelle le titre de ce livre paru chez Acropole, "Qui va nourrir le monde ?", parce que c'est intéressant, on comprend tout, ce qui est rare dès qu'on aborde des sujets complexes.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 27 novembre 2008