Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur les nouvelles technologies de l'information et de la communication, notamment la mise en ligne de l'information publique, le développement de l'emploi et le commerce électronique, Paris le 25 mars 1999.

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Circonstance : Ouverture de la première conférence parlementaire européenne sur les nouvelles technologies de l'information et de la communication à Paris le 25 mars 1999

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Chers collègues,
Nous sommes réunis aujourdhui pour la première conférence parlementaire européenne sur les nouvelles technologies de linformation et de la communication, et je tiens à remercier mes collègues, présidents du groupe détude sur les NTIC, Patrick Bloche, Patrice Martin-Lalande et André Santini, qui sont à lorigine de cette excellente initiative. Nous aurions pu envisager, compte tenu du sujet, dorganiser une visioconférence, mais on ma fait remarquer que les charmes de la rencontre directe valaient certainement un déplacement. Cest exact. Jai donc grand plaisir à vous souhaiter la bienvenue en France et à lAssemblée nationale, en vous remerciant davoir accepté cette invitation, faite par la poste et non, ainsi que nous laurions dû, par e-mail.
1) Les NTIC au service de la démocratie parlementaire
Nous savons que les NTIC ne sont pas une fin en soi et nont pas pour objectif de se substituer aux diverses formes de la démocratie. Mais les NTIC sont un outil privilégié pour ouvrir nos institutions en les rapprochant des citoyens, pour moderniser nos outils de travail afin de mieux remplir nos missions.
Permettez-moi dévoquer brièvement comment lassemblée que je préside utilise les NTIC. Nous avons lancé en juin 97 P.R.A.T.I.C., le programme pour lAssemblée des technologies de linformation et de la communication. Rénovation de notre site Web, formation des parlementaires et de nos fonctionnaires à Internet, ouverture dune boîte aux lettres électronique pour chaque député le souhaitant, création dun serveur Intranet, diffusion sur CD-ROM des rapports dinformation, début de dématérialisation de notre procédure par le dépôt électronique des amendements, voilà quelques-uns des projets que nous avons menés à bien. Le site de lAssemblée nationale est devenu un des premiers sites institutionnels de France : le mois dernier 70.000 internautes ont consulté 4 millions de pages, en ont imprimé 1 million, et ont téléchargé plus de 10.000 rapports parlementaires. Ces chiffres ont été multipliés par 5 depuis 1 an, ils continuent à croître de plus de 10 % par mois, ils montrent la réalité du besoin dinformation de nos concitoyens. Tous les documents édités par lAssemblée nationale sont disponibles en ligne immédiatement. Depuis le mois de janvier, PRATIC est entré dans une deuxième phase avec 2 projets nouveaux : le développement dune carte multifonctions qui sera à la fois porte-monnaie électronique, badge daccès, carte de bibliothèque ou de téléphone, et dautre part la réalisation dun CD-ROM consacré notre institution.
Mais la mise en ligne de linformation publique ne prend tout son sens que si lensemble des citoyens peut y accéder. Une société solidaire, moderne, créative ne doit pas accepter que sajoutent aux inégalités de patrimoine et revenu un fossé entre ceux qui détiendraient linformation, (individus, collectivités, entreprises) inforiches, et les autres, infopauvres. Or en dépit de la baisse du coût des matériels et de laugmentation du taux déquipement, linégalité sociologique et géographique dans laccès aux réseaux dinformation reste une réalité. Pour combattre cette fracture électronique trois actions au moins sont nécessaires :
a) Former. Cest la première priorité, car cest à lécole et avec les enseignants que se maîtrisera la société de linformation. Former les élèves à lutilisation des nouvelles technologies, mais aussi à la sélection et à la hiérarchisation des données ; former les maîtres à enseigner les compétences de demain ; repenser les programmes scolaires ; équiper les établissements : le chantier est vaste. Former, cest aussi faire en sorte que chacun, tout au long de sa vie, puisse acquérir les compétences dont il a besoin, léducation continuelle. Les nouvelles technologies, parce quelles facilitent lapprentissage du savoir dans et au dehors de lécole, en sont un élément fondamental.
b) Multiplier les points daccès publics. Le Gouvernement français a pris la décision doffrir un accès gratuit à Internet dans les 800 agences nationales pour lemploi. La Poste installe des terminaux dans 1.000 de ses bureaux. Cest bien, mais contre la désertification et lisolement de certaines zones, pour la cohésion et laménagement des territoires, il faut aller plus loin. Notre objectif, avant la fin du siècle, pourrait et devrait être de connecter toutes les bibliothèques municipales qui sont daccès facile et dusage faciles. Un objectif analogue, même plus lointain, pourrait être envisagé au niveau européen avec toutes nos bibliothèques, permettant un merveilleux travail en réseau.
c) Diminuer le coût daccès à Internet. En France, la tarification de laccès à Internet par le réseau téléphonique est trop élevée, et comme beaucoup je souhaite quune solution soit trouvée pour faire tomber cette barrière financière. Nos collègues Italiens se sont récemment saisis de ce sujet, peut-être pourront-ils nous en dire plus. Pour ma part, jai proposé la mise en place dun forfait mensuel de 100 francs pour 100 heures de connexion. Si un accord nest pas trouvé avant juin, je proposerai moi-même de légiférer.
2) Développer lemploi dans la société de linformation
Le problème n° 1 dans la plupart de nos pays est lemploi. Nous savons que les NTIC offrent de formidables opportunités pour lemploi et pour les entreprises. La révolution numérique nous fait passer dune économie fondée sur la maîtrise et la transformation de la matière, à une économie organisée autour de signaux intangibles, capables de circuler à la vitesse de la lumière, en ignorant les frontières, les monnaies et parfois les lois. Aux Etats-Unis, 7 millions de personnes travaillent dans le secteur des technologies de linformation qui représente le tiers de la croissance économique. En Europe, 300.000 nouveaux emplois ont été crées dans ce secteur entre 1995 et 1997 et certains estiment quil existe actuellement 500.000 postes non pourvus. Le taux de croissance du marché des TIC est supérieur de 5 points au taux de croissance du PIB. En 2002, 80 millions dEuropéens connectés devraient générer 500 milliards deuros de transactions, soit 6 % du PIB de lUnion.
Je suis convaincu que cest en encourageant la création dentreprises innovantes que nous stimulerons la croissance et lemploi. Pour cela il faut mettre en place et cela dépend en partie de nous - un environnement fiscal et réglementaire attractif, favoriser lémergence de nouveaux capitaux en incitant lépargne individuelle mutualisée à se porter vers le capital-risque. On retrouve là le législateur.
Le commerce électronique offre à toutes les entreprises, et notamment aux PME, laccès au marché mondial à faible coût. La capacité de pratiquer le commerce électronique avec leuro, sur le plus grand marché du monde, apporte des avantages concurrentiels considérables aux entreprises européennes. Pour aider nos entreprises à utiliser les NTIC et faciliter leur accès à des infrastructures de communication à haut débit, je pense que nous devons créer des centres de ressources multimédia qui mettent à la disposition des PME non seulement des moyens techniques, mais aussi des conseils pour les utiliser au mieux. Jajoute quil va falloir définir un cadre législatif et réglementaire européen adapté qui stimule le commerce électronique. Un projet de directive communautaire sur ce sujet est en préparation à Bruxelles. Souhaitons la rapide.
Jaimerais pour finir dire quelques mots sur un autre aspect de la coopération européenne. Comme tout moyen de diffusion, Internet doit être contrôlé et régulé, et ce au nom de lintérêt général et de lordre public. Internet est un espace de liberté mais ne doit pas être un espace du nimporte quoi, donnant prise à toutes les dérives. Isolés, nous ne pouvons pas grand chose sur ce point, unis, oui. Cest le cas sagissant du commerce électronique, de la sécurité des transactions, de la protection des données personnelles, du droit dauteur, par rapport en particulier à nos amis américains. A nous dy travailler.
Mesdames et Messieurs, chers collègues,
Comme vous, je souhaite que la société de linformation dans laquelle nous entrons soit une société solidaire. Créative et solidaire. Cest pourquoi il est si important que nous, parlementaires, abordions ensemble les grandes questions du futur. Cest ce que vous avez décidé de faire. Bravo.
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 06 avril 1999)